mercredi, août 29, 2012

LES 101 DALMATIENS EN BLU-RAY : Entretien avec Alice Davis, Légende Disney et épouse de Marc Davis







Mme Davis, vous êtes reconnue pour vos travaux de création de costumes pour Walt Disney Imagineering, mais vous avez aussi un parcours dans l’animation.
Je l’ai connu [Marc] quand j’ai débuté à l’institut d’art Chouinard. En fait, il a commencé à enseigner là bas le même jour où j’ai débuté ma scolarité. C’était en 1947. J’étais étudiante, lui professeur. Je voulais devenir animateur, mais les femmes n’étaient pas autorisées à l’être. Alors, on m’a permis d’assister aux cours du soir en dessin d’animation que Marc donnait, et c’est ainsi que je l’ai rencontré. Il enseignait, et j’ai assisté à sa classe pendant deux ans et demi.
Ce qui fait que, lors de vos conversations à propos des 101 Dalmatiens, c’était d’un animateur à un autre.
Il travaillait aux Studios à cette époque, et nous étions mariés. Nous en parlions souvent. Il a adoré travailler sur Cruella parce qu’il avait enfin un personnage féminin où il lui était possible d’utiliser l’humour et le rire.




C’est-à-dire ?
Et bien, si vous regardez bien son parcours, il a commencé sur Blanche-Neige. La première animation qu’il a faite, c’était Blanche-Neige qui dance avec deux nains, l’un au dessus de l’autre. Tous les films sur lesquels il a travaillé présentaient une femme à la personnalité différente. Il y a eu Clochette, Cendrillon, la Belle au Bois Dormant, Maléfique et Cruella de Vil.
Il était plus ou moins celui que les réalisateurs appelaient « l’homme à femmes ». Il travaillait toujours sur des femmes. De plus, lui et Milt Kahl étaient les meilleurs dessinateurs au Studio. Si vous faites un dessin réaliste d’un humain, un humain pourra dire s’il est bon ou mauvais, car il se connaît lui-même. Du coup, les meilleurs dessinateurs travaillaient toujours sur les princes ou princesses, jamais sur les personnages un peu amusants. Alors, quand Marc a eu Cruella, il était vraiment ravi. Et je pense que c’est pour cela que l’animation est si réussie sur elle, c’est parce qu’il a adoré la faire.

C’est amusant de voir qu’un méchant ait pu devenir si populaire!
En fait, quand Les 101 Dalmatiens est sorti, il est paru un article dans lequel une personne a interrogé 30 femmes de l’industrie du film pour leur demander quelles méchantes les avaient le plus effrayées, ou leur avaient le plus plu. Elles ont répondu Bette Davis et Tallulah Bakhead. Mais le nom de Cruella de Vil était aussi présent sur la liste! Elle était une personne mauvaise, méchante et diabolique, et elle était aussi le premier méchant de Disney à ne pas avoir de pouvoir magique. Répondre Bette Davis ou Tallulah Bankhead, c’était naturel. Mais elles répondaient aussi Cruella de Vil! Marc en était ravi!




Comment expliquez vous qu’un homme si gentil ait put animer si brillamment une personne si terrifiante?
Marc était extrêmement généreux, très gentil, très attentionné. Les gens lui demandaient comment il pouvait faire des choses bizarres tout en étant un Gentleman comme lui, et il répondait: « Il faut du sérieux pour arriver à être drôle ! ». Il s’intéressait à tout, par exemple il a beaucoup étudié le mouvement. Dans son cours, il expliquait des choses comme « Comment deviner l’âge d’un homme à la façon dont il retire son chapeau ? ». Tout le monde restait de marbre. Il disait alors: « Quand un jeune homme retire son chapeau, il l’enlève par devant, et le soulève dans l’air comme s'il faisait “Whoopee”! Alors qu’un vieil homme tient son chapeau par l'arrière ». Il regardait les gens marcher dans la rue, et en rentrant, il faisait des dessins dans son cahier. Ce sont des choses que les animateurs devraient savoir quand ils vont animer : savoir comment réagissent les gens, comment ils se comportent quand ils communiquent. C’est comme dans la scène où les sœurs de Cendrillon déchirent les vêtements que les souris lui ont faits, cassent les colliers de perles … Marc a dû faire la scène avec tous les personnages parce qu’ils étaient très rapprochés les uns des autres, et personne d’autre n’aurait pu les dessiner. On lui donnait ce genre de travaux à faire, parce qu’il savait faire fonctionner tout ça.



Il faisait beaucoup de recherche et d’études, et ensuite il s’asseyait et dessinait. Mais il étudiait toujours les choses d’abord. Il dessinait sans cesse. Il a dessiné beaucoup de costumes pour différents sujets Disney. Il a dessiné tous les costumes de 20000 Lieues sous les Mers, hormis les costumes du dîner avec Nemo, mais il n’a pas été cité pour cela. Le directeur artistique a eu tous les honneurs ! Mais cela lui était égal, car il savait que c'était lui qui avait vraiment fait le travail. Il savait que cela venait de lui. Il a toujours voulu travailler sur un film en prises de vue réelles, mais n’en a jamais eu l’occasion. Il dessinait toujours, il avait toujours son cahier avec lui. N’importe quoi qui lui semblait intéressant, ou différent, il le dessinait. Il revenait du travail le soir, s’asseyait devant la télévision, consultait le programme, et se trouvait un match de football, un ballet, un défilé de mode, n’importe quoi de ce genre, il s’asseyait et dessinait cela toute la nuit. Il peignait également, le week-end ou le soir quand il avait l’occasion de rentrer tôt.



Le personnage de Cruella a diverses influences, mais il y avait principalement deux actrices que Marc Davis a utilisées comme références: Mary Wickes pour le physique (voir ci-dessous) et Betty Lou Gerson pour la voix. Et chacune d’entre elles a donné une interprétation très différente de Cruella. Pouvez-vous m’en parler ?
 Il avait déjà travaillé avec Mary Wickes précédemment. Ils s’entendaient très bien et il appréciait son travail de comédienne. C'était une excellente comique, qui a fait un excellent travail. Ms. Gerson était une star de la radio à Chicago. Elle est ensuite venue en Californie pour faire des doublages. Marc a entendu sa voix et a pensé qu’elle était excellente pour le personnage sur lequel il travaillait. Et elle aimait aussi la fourrure, alors elle était parfaite pour le rôle ! Et elle a adoré ce rôle! Elle n’habitait pas très loin de chez nous, et faisait ses courses dans le même magasin. Elle s’y rendait en portant un grand manteau de fourrure, et insistait pour qu’on l’appelle Cruella quand elle était habillée comme ça ! Ils ont d’abord enregistré la voix, et ensuite Marc a dessiné le personnage.


Pouvez-vous me décrire sa façon de travailler sur Cruella ?
Il l’a dessinée d’un bout à l’autre. Aucun autre animateur n’a travaillé sur elle. C’était la première fois qu’un seul animateur travaillait sur un personnage tout le long d’un film d’animation. C’était aussi la première fois que le travail des artistes était imprimé directement sur les cellules, au Xerox. Et les animateurs étaient ravis, car pour la première fois, ils pouvaient voir réellement leurs dessins, et non une version épurée, dans le film. A un moment, Marc a voulu voir ce que donnait le manteau dans différentes scènes, ou comment le chapeau qu’il avait dessiné s’intégrait dans la voiture, ou le rendu des boucles des cheveux dans le lit, etc.… Alors, il a fait ces dessins, les a fait peindre sur cel, et les filles du département Ink and Paint ont peint les couleurs qu’il voulait. C’était ce qu’il appelait ses Model Sheets (ci-dessous). Je les ai données au musée Disney. C’était très excitant pour eux de voir à quel point ces dessins sur celluloïd fonctionnent merveilleusement! Au début, Walt n’était pas emballé, parce qu’il pensait que cela devait être plus propre, avec des lignes bien nettes. Mais il s’y est habitué, et à la fin il a admit que c’était une réussite !






Vous évoquez le manteau de fourrure de Cruella. En tant que designer de costumes, comment le trouvez-vous ?
Je trouve qu’il était très réussi, et parfaitement dessiné par rapport aux souhaits de départ. Parce qu’elle était très grande et mince, comme un mannequin. Quand elle balance le manteau, son frêle corps entouré de cette fourrure dansante aide à raconter l’histoire, et indique sa passion pour la fourrure. Et le porte-cigarette était important aussi. Marc l'a très bien réussi parce qu’il était lui-même fumeur et utilisateur de porte-cigarette.


Comment a-t-il atteint ce degré de comédie pour Cruella ?
Et bien, je dirai que la meilleure des réponses est celle-ci: Marc disait toujours qu’un animateur est un acteur avec un crayon. Quand il la dessinait, elle et son manteau, il les ressentait. Il faisait l’acteur avec son crayon et son papier. Il faisait l’acteur et ressentait le mouvement. Il était content de pouvoir être un acteur mais que personne ne le reconnaisse! Il pouvait aller au restaurant et ne pas être importuné. Personne ne le reconnaissait.


Merci beaucoup pour cette interview, Mme. Davis. C’était un immense plaisir et un grand privilège de parler avec vous.
C’était un plaisir de parler avec vous également, et merci pour ces gentilles remarques. J’apprécie beaucoup! Toodeloo!

Avec nos remerciements à Madame Alice Davis, Mac McLean, et notre traductrice de légende, Angeline!
Tous les dessins de Marc Davis (c) Disney. Tous droits reservés.

mercredi, août 22, 2012

LES 101 DALMATIENS EN BLU-RAY : Entretien avec l'animateur Andreas Deja


M. Deja, vous n’êtes pas seulement un animateur de légende, vous êtes également expert en histoire Disney. Pouvez-vous me parler de cet aspect de votre travail ?
Je suis souvent interviewé quand un Classique sort parce que je crois que j’ai une assez bonne connaissance de la réalisation d’un film et de son animation. Je connaissais la plupart des animateurs qui ont travaillé sur des films comme Les 101 Dalmatiens. Quand je suis venu à Los Angeles en 1980, même si la plupart étaient partis en retraite (il n’en restait qu’un qui enseignait, et c’était Eric Larson), ils étaient toujours dans le coin. En fait, je pouvais toujours rendre visite à Frank Thomas et Ollie Johnston. Ils vivaient à quelques minutes de chez moi, et je pouvais leur rendre visite, dîner avec eux et discuter de leurs films. Marc Davis habitait également tout près. Nous sommes devenus amis au fur et à mesure des années. C’était un vrai plus pour moi d’avoir la chance de parler avec ces personnes. Et parce que je connais toutes les petites histoires, tous les hauts et les bas qu’ils ont traversés en faisant ces films (ce n’était pas toujours facile), je peux transmettre ce savoir au public d’aujourd’hui, discuter de tout ça, et c’est quelque chose que j’aime beaucoup faire.



Les 101 Dalmatiens a été le premier long-métrage animé à utiliser la technique Xerox. Pouvez-vous me parler des principes de cette technique ?
Ce fut une grande nouveauté, comme vous le savez. C’était quelque chose d’inédit, du jamais vu auparavant. Mais la raison pour laquelle cela a été fait était, croyez-le ou non, c’est pour économiser de l’argent. Parce que La Belle au Bois Dormant venait de sortir et n’était pas un succès flagrant. Il a rapporté de l’argent, mais plus tard. Et quand il a été fait, il en a coûté beaucoup trop. Alors, ils ont dû trouver une façon de baisser les coups, ou bien c’était la fin des studios. C’était aussi simple que ça. Pour cela, il a fallu qu’un technicien du nom d’Ub Iwerks, l’animateur originel de Mickey Mouse et l’un des partenaires de Walt Disney dans les années 20, trouve une solution. Ub a rencontré Ken Anderson, le directeur artistique, et lui a dit : « Nous devons trouver une manière de raccourcir le processus de création des films ». Alors, ils ont trouvé l’idée suivante : au lieu d'encrer à la main tous les dessins des animateurs sur les cels avec des encres de différentes couleurs, ce qui était un processus long et fastidieux, ils ont choisi d’éliminer cela et de copier les dessins directement sur les cels par le truchement d'une photocopieuse.
En faisant cela, ils se débarrassaient des lignes multicolores. Il ne restait que les lignes noires. Ken Anderson explique: « Regardez, c’est un film sur des chiens noirs et blancs. Soyons très graphiques et ne nous contentons pas de ces sommaires silhouettes noires que pour nos personnages. Je les veux dans l’arrière-plan également ». Donc, ils ont utilisé ces lignes noires dans l’architecture et le reste, ce qui donnait un rendu unifié. Esthétiquement, cela ressemble plus à un croquis qu’à une peinture. Evidemment, les animateurs étaient très enthousiastes, parce qu’ils pouvaient voir leurs propres dessins sur l’écran. Comment un artiste pourrait être contre ce procédé ? Donc, cette technique a fait faire un bond à l’animation, et a offert au public un tout nouveau rendu. Mais cela a aussi économisé de l’argent, et grâce à cela ils ont pu continuer à faire d’autres films. Ce film a marqué un tournant primordial pour les studios.

Cela a-t-il changé quelque chose au travail des animateurs ? 
Ils n’ont pas coupé les budgets en termes d’animation. On avait toujours 12 à 24 images par secondes. Ils n’ont pas essayé de limiter l’animation qui était toujours complètement réalisée. Donc, le travail des animateurs n’a vraiment pas changé. Par contre, ce qu’ils ont fait, dans le but de conserver les dessins des animateurs, c'est qu'ils ont beaucoup moins "nettoyé" (clean up) les esquisses originales. Normalement, un assistant aurait mis une nouvelle feuille de papier par-dessus un brouillon à main levée, et l’aurait retracé avec un trait unique bien propre. Avec cette nouvelle technologie, les assistants travaillaient maintenant directement à partir des dessins des animateurs. Ils appelaient ça “retoucher”. Ils n’appelaient plus ça “nettoyer”, mais “retoucher”, ce qui veut dire qu’ils prenaient une gomme et effaçaient quelques ligne qui étaient éventuellement un peu trop hésitantes, pour ne laisser que les lignes de base. C’est ce résultat qui partait au département Xerox, pour être copié puis peint. C’est pourquoi les dessins de personnages ont parfois ce look un peu “brouillon”.

Les 101 Dalmatiens est l’un des Disney les plus populaires, mais il se dit qu’il était loin d’être le préféré de Walt Disney.
 Je crois que cela a à voir avec le style, ces lignes Xerox, cette nouveauté un peu choquante. Je pense que Walt, quand il a vu les premiers tests du film, n’a pas été emballé parce que cela lui paraissait incomplet. Même s’il voyait l’enthousiasme des animateurs qui ont adoré voir leurs dessins à l’écran pour la première fois, cela lui a pris du temps pour se faire à l’idée qu’un film d’animation pouvait être fait tout entier à base de croquis. Il a aimé le film, plus tard. Il lui a juste fallu un peu de temps pour s’y habituer.
Pensez-vous que la réaction de Walt devant cet aspect très graphique des 101 Dalmatiens peut être une explication au fait que, par exemple, Le Livre de la Jungle, bien qu'utilisant la même technique Xerox pour les personnages, ait des décors plus léchés ?
Tout à fait. Ils sont retournés vers un style plus pictural. Les cels étaient photocopiés sur Le Livre de la Jungle, mais pas aussi caricaturaux que dans Les 101 Dalmatiens. Ils étaient plus finis, plus nets. J'ai pu voir différentes versions du film dans les archives et je peux vous dire qu'au début, la jungle devait être beaucoup plus graphique, vraiment sombre et mystérieuse. Mais, en raison de l'histoire que Walt souhaitait raconter, il fallait une jungle plus légère et plus lumineuse, drôle et non pas effrayante. De fait, ils ont imaginé des couleurs plus brillantes, plus plaisantes et plus picturales.


Pouvez-vous nous parler de vos relations avec Marc Davis, l'animateur de Cruella ?
J'ai rencontré Marc et son épouse Alice en 1984, lors des Jeux Olympiques de Los Angeles. Le Studio avait envoyé un petit groupe avec Marc et Alice pour présenter des dessins-animés aux athlètes. Je faisais partie de cette délégation ce qui veut dire que, pendant quelques jours, nous avons passé tout notre temps avec ces deux légendes et nous avons visionné des films comme La Belle au Bois Dormant, Les 101 Dalmatiens, etc. Marc était quelqu'un de très facile d'accès. Il adorait discuter avec les jeunes. Et cela m'a beaucoup apporté. Lui et Alice étaient totalement ouverts à mes questions et à ma passion pour l'animation. Notre relation s'est transformée en amitié au cours des années. Je suis allé très souvent chez eux et j'ai continué à leur poser toutes sortes de questions. Leur maison était un véritable musée. Il y avait des dizaines d'œuvres d'art sur les murs. Marc a fait carrière dans l'animation, bien sûr, mais il peignait également : des toiles semi-abstraites, des dessins, des aquarelles… Il s'est essayé à toutes ces techniques et c'était extraordinaire de le voir exceller dans tout cela. Progressivement, il est devenu mon mentor. Il me disait: "avant tout, je suis un artiste. Ensuite, je suis un animateur. J'ai tout aussi bien fait de la sculpture ou de l'aquarelle, et toutes sortes de techniques." Et il m'encourageait à faire de même, à élargir mon horizon. Ce fut une figure très, très importante dans ma vie !



Marc Davis a travaillé en partenariat avec Milt Kahl sur Anita. Or, on peut difficilement imaginer personnalités plus opposées, l'un étant drôle et humain, l'autre exigeant et colérique. Comment cela s'est-il passé?
Déjà, il faut savoir qu'ils avaient des manières très différentes de travailler. Chaque animateur a sa propre méthode de travail. Les gens pensent qu'il n'y a qu'une seule manière de procéder en matière d'animation Disney alors que c'est le contraire. Il n'y a pas de recette toute faite. Pas de secret. Il s'agit simplement de vous exprimer sur le papier. Si je peux parler "technique" une seconde, je dirai que Marc Davis a dessiné chaque seconde de Cruella, un dessin sur deux. Il faisait le dessin n° 1 puis 3, 5, 7, 9 etc et il confiait les dessins manquants à son assistant. C'est une façon très inhabituelle de structurer une scène.
D' habitude, quand on travaille une scène dans laquelle le personnage bouge très lentement, on dessine le premier dessin puis, par exemple, le 29e. Et tous les autres dessins qui sont pratiquement identiques les uns aux autres car il y a peu de mouvement sont donnés à des intervallistes. Marc ne procédait pas comme cela et c'est la raison pour laquelle il a tant dessiné pour l'animation de Cruella. Il disait simplement:" plus je fais de dessins pour une scène, plus cette scène est de moi et plus je peux la contrôler." Milt Kahl travaillait différemment. Il cherchait le moment-clef d'un personnage, les dessins qui racontaient le mieux l'histoire ou le jeu d'acteur, et structurait sa scène à partir de là. Puis il confiant le reste à son assistant, qui avait ainsi pas mal de dessins à faire.
Et pourtant, Marc et Milt avaient une réelle admiration mutuelle. Ils adoraient le travail de l'autre et formaient une grand équipe, à l'image de Frank Thomas et Ollie Johnston. Et ils sont restés comme cela, amis toute leur vie!


Quel regard portez-vous sur l'animation de Cruella?
 C'est certainement le personnage avec lequel Marc s'est le plus amusé. Souvent, avant cela, il avait travaillé sur des héroïnes comme Aurore et Maléfique dans La Belle au Bois Dormant, Cendrillon, Alice, Wendy et Clochette. C'était le genre de personnages qui demandent énormément de soin et de responsabilité. Quand vous dessinez Alice, il faut être très délicat avec son visage et ses mains doivent être très fines et élégantes. Tout cela doit être réaliste et crédible. Avec un personnage comme Cruella, avec sa tête grotesque et son design très caricatural –elle est d'une maigreur effrayante, ce qui la rend ridicule dans son immense manteau sur-dimensionné-, il y a tant à faire avec elle ! Songez au moment où elle pénètre chez Anita et tourne sur elle-même en faisant voler son manteau. C'est le genre de choses qu'un animateur adore faire ! Il est donc allé très loin dans la méchanceté et le grotesque avec elle. Elle est méchante, mais en même temps drôle. C'est un superbe mélange des deux. On ne peut pas la quitter des yeux, on est comme fasciné par elle ! C'est tout le talent de Marc !


Vous avez eu votre Cruella en la personne d'Yzma à un moment donné, quand Kuzco, l'Empereur Mégalo était encore Kingdom in the Sun.
 Je le pense. Dale Baer (l'animateur d'Yzma dans la version finale du film) et moi avons travaillé ensemble au début du processus. A cette époque, elle était différente. Puis nous avons eu des problèmes au niveau de l'histoire et j'ai changé de film. C'est ainsi que je suis arrivé sur Lilo & Stitch.


De Gaston à Yzma, vous êtes considéré comme un maître en matière de Disney Villains. Qu'est-ce que l'influence de Marc Davis vous a apporté afin d'animation ces méchants modernes?
Avant tout, une façon de me plonger dans mon personnage et de m'amuser avec lui. J'ai pu le faire avec la plupart des méchants que j'ai faits. Je me suis beaucoup amusé avec Scar car, tout comme Cruella, on ne peut pas faire un méchant simplement méchant. Si votre personnage n'avait que cette caractéristique, il serait plat et décevant. Il faut développer d'autres aspects autour de cela. Leur donner un compère ou des attitude excentriques. Pour mon animation de Scar, j'ai adoré le fait qu'il aime vraiment être méchant. Dans l'histoire, il est vraiment ignoble. Il tue son frère et en rend son neveu responsable. Si ce n'est pas méchant, ça! A partir de là, j'ai cherché à faire de Scar un véritable personnage qui ne soit pas seulement méchant, mais intéressant et même fascinant. Et j'ai fait de même avec Jafar. Jafar est un personnage très dramatique. Il ne marche pas, c'est comme si il flottait au dessus du sol. C'est le genre de chose qu'on peut rajouter à un personnage. Il faut toujours en faire plus!
Merci à Andreas Deja et Angeline!

vendredi, août 17, 2012

LES 101 DALMATIENS ET LES ARISTOCHATS EN BLU-RAY : Entretien avec le compositeur Richard M. Sherman



M. Sherman, merci infiniment de nous accorder ce nouvel entretien !
Je suis ravi de vous retrouver! 

Votre premier dessin-animé fut Les 101 Dalmatiens.
Ce qui s'est passé, c'est que mon frère Bob et moi sommes arrivés au Studio au moment où Les 101 Dalmatiens venait d'être fini et Walt a pensé que ce serait bien d'avoir une chanson de générique pour ce film. Il nous avait sous la main, nous étions les nouveaux compositeurs du Studio. Nous avons donc tout de suite accepté car c'était exactement dans nos attributions. Nous avons donc écrit une chanson qui a finalement servi à la promotion du film à la radio mais qui n'a jamais été intégrée au film. Elle s'appelait 101 Dalmatians.
A quoi ressemblait-elle ?
C'était une marche à 6/8 : « 101 little tails are dancing… ». Une petite chanson toute mignonne à propos de tous ces chiens sautant de partout et de toutes ces taches.

Quand vous créez une chanson avec votre frère, comment vous partagez-vous le travail ?
Nous avons travaillé ensemble depuis tant d'années! Je me mettais au piano et je proposais des idées à Bob. A partir de là, c'était un va et vient entre nous deux. Un processus bien huilé. Nous nous connaissions bien et nous n'avions pas besoin de beaucoup discuter pour nous comprendre. Puis, la chanson était prête quand nous étions tous les deux d'accord sur le fait que le résultat était le bon. De nous deux, c'étaitmoi le musiciens et nous travaillions tous les deux aux paroles. C'est de cette manière que nous aimions travailler.


Avec Les Aristochats, vous êtes passés des chiens aux chats !
C'était pas mal d'années plus tard. Nous avons commencé à travailler dessus juste avant que nous quittions le Studio, c'est-à-dire à la fin de 1968. Nous avons écrit pas mal de chansons pour ce film car, vous savez, un film doit trouver sa voie. Un dessin-animé de Disney n'était jamais totalement scénarisé. On réfléchissait à des idées, puis on écrivait des chansons, puis, souvent, elles étaient abandonnées car un personnage était finalement supprimé. Au final, nous n'avons pas eu plus de deux chansons (et demie!) dans le film: le générique et Les Gammes et les Arpèges, ce petit numéro dans lequel les chatons travaillent leur piano. Il y avait aussi une ballade, qui a été à peine utilisée, She Never Felt Alone. C'était un air adorable chanté par Madame Bonnefamille, à propos de son attachement pour ses chats. Elle y expliquait que les chats sont sa famille et qu'elle les adore. C'est ce qui explique que Duchesse veuille tant retourner chez elle. Elle est si bonne pour eux. Cette chanson devait être reprise plus tard par Duchesse dans une nouvelle version intitulée We Can't Leave Her Alone. Au final, il n'y a que quelques paroles qui sont prononcées par Eva Gabor/ Duchesse à un certain moment, mais on ne les remarque même pas : « Her days were filled with happy hours and happy things to do, and all because of her. » A la base, c'était une reprise de la chanson de Madame. Une chanson sur les motivations des différents personnages qui s'est perdue dans le processus de création du film. Cela apportait un peu de cœur et j'ai toujours regretté qu'ils l'aient perdue. Mais à cette époque, nous n'étions déjà plus là pour la défendre.

Qui sont vos personnages préférés dans ce film ?
Je dirai Napoléon et Lafayette, les deux chiens de campagne. Ils me font trop rire! Et plus ils sont superbement animés.


Vous avez dû bien vous amuser avec Maurice Chevalier sur The AristoCats !
Nous avons passé des moments extraordinaires avec lui ! Nous avions travaillé avec lui sur différents films Disney et nous nous sommes beaucoup amusés à écrire cette chansons-titre des Aristochats. A ce moment là, on m'a demandé si je pouvais faire ma petite imitation de Chevalier pour la démo, histoire d'attirer son attention et lui donner envie de la chanter, car nous souhaitions qu'il apporte ce côté français et populaire à la fois. J'ai donc fait cette démo et quand je l'ai revu je me suis excusé pour mon accent. Mais lui a répondu: "quel accent?" Bref, nous nous sommes beaucoup amusés sur ce projet. Et ce fut notre contribution aux Aristochats. Ce sont d'autres compositeurs qui ont écrit les autres chansons, Terry Gilkyson et deux autres musiciens.

Où puisez-vous votre inspiration quand il s'agit d'écrire une chanson de générique comme cela, qui n'a pas vraiment sa place dans l'histoire ?
C'est un vrai défi. Quand mon frère Robert et moi écrivons une chanson de générique, nous essayons de saisir l'essence du film : le sentiment, le style, l'attitude, le tempo. Nous lisons le scénario ou nous visionnons le film –parfois, il est d'ailleurs à moitié fini seulement- et nous en dégageons une émotion. Pour le public, ce genre de chanson est comme un lever de rideau, une ouverture. On donne un avant-goût de ce qui va suivre sans trop en révéler. C'est là toute la difficulté de cet exercice.

A quel stade de la production du film avez-vous écrit ce générique ?
A partir du moment où nous avons connu l'histoire. Nous savions qu'il s'agissait de chats vivant dans une grande maison où ils étaient choyés et gâtés. Nous sommes donc partis de là. Nous nous sommes bien gardés de parler d'Edgar et du kidnapping et nous nous sommes concentrés sur cette vie très particulière que mènent les Aristochats.

Comment s'est passée la création des Gammes et des Arpèges ?
Toute personne qui étudie la musique doit en passer par là. Les arpèges sont des accords dont on égraine chaque notre, tandis que les gammes sont les différentes notes de l'instrument. Mais cette chanson parle avant tout de cette maman qui élève et surveille ses petits afin qu'ils excellent dans ce qu'ils font. Et s'ils veulent devenir de bons musiciens, ils doivent apprendre leurs gammes et leurs arpèges. C'est la même chose pour un peintre car il doit savoir tracer des traits précis et mélanger ses couleurs. Le côté amusant de cette chanson, c'est que nous l'avons précisément écrite à partir de gammes et d'arpèges de sorte que les chatons jouent ce qu'ils chantent et chantent ce qu'ils jouent !

Que vouliez-vous exprimer à travers cette chanson ?
Nous voulions souligner le fait que les chatons font bien leurs devoirs et apprennent à devenir des chats raffinés et élégants, pas des chats de gouttière! Ce sont des chats qui jouent de la musique et peignent. Il fallait faire passer cette chose incroyable en lui apportant une touche d'élégance. De cette façon, cette chanson participe à la définition de leur personnalité.

Pouvez-vous nous parler d'une des chansons qui ont été supprimées ?
Nous en avions écrit une qui s'appelait Le Jazz Hot. Nous l'adorions, mais ils lui ont préféré Tout le Monde Veut Devenir Un Cat. Ce fut un changement arbitraire. D'autres chansons ont été soumises au créateurs du film après que nous avons quitté le Studio et ce sont celles là qu'ils ont choisies. Il y a souvent beaucoup de chansons supprimées comme cela dans la création d'un film ! Je me souviens que sur Mary Poppins nous avions composé 35 chansons et que seules 14 ont été finalement gardées!

Certaines chansons sont aussi supprimées parce que l'histoire a changé.
Absolument. A un certain moment, il y avait un personnage du nom d'Elvira. C'était la cuisinière. Edgar voulait l'épouser car elle devait également hérité de Madame Bonnefamille. Cela faisait aussi partie de ses plans. Nous avions écrit un duo très amusant, assez fou, mais très vite, ce personnage a été abandonné. Il n'était pas indispensable.


Après avoir écrit vos chansons, que se passe-t-il ?
Chaque chanson recevait son propre arrangement. La supervision de la musique était l'œuvre de George Bruns, un musicien de grand talent. Je me souviens que, dans le case du générique des Aristochats, il est allé en France pour enregistrer Maurice à Paris avec un petit ensemble instrumental, puis il a ajouté de nouveaux instruments à son retour en Californie. Le reste des chansons a été enregistré ici, au Studio.

Les Aristochats est le dernier long métrage d'animation approuvé par Walt Disney avant sa disparition en décembre 1966. Comment était-il à cette époque ?
Six semaines encore avant son décès, personne ne savait qu'il était malade. Il était plein d'énergie à chaque fois que je le voyais –et cela arrivait très souvent. Il s'est beaucoup impliqué dans Le Livre de la Jungle et était présent à toutes les réunions. Il était certainement à son meilleur niveau créatif. Ce n'est qu'après sa disparition que nous avons commencé à écrire les chansons des Aristochats, et il nous manquait déjà beaucoup.


Comment travaillait-il avec vous sur une chanson ?
Il était très descriptif par rapport à ce qu'il voulait et nous l'écoutions avec beaucoup d'attention. Parfois, il fallait lire entre les lignes. Il avait des attentes très élevées et s'il estimait que nous nous étions trompés, il nous renvoyait au piano jusqu'à ce que nous lui présentions ce qu'il souhaitait. C'était une source immense d'inspiration pour nous, mais aussi un patron exigeant!

Vous est-il arrivé de discuter avec lui de ses choix en la matière ?
On ne discutait pas avec Walt Disney. On se remettait tout simplement au travail!

Pourquoi avez-vous décidé de quitter le Studio ?
Durant les derniers mois que nous avons passés au Studio, nous avons eu un certain nombre de réunions avec Woolie Reitherman et d'autres artistes du département animation qui voulaient que nous leur écrivions des chansons pour certaines séquences, chose que nous avons faite. Puis notre contrat est arrivé à échéance et nous sommes partis. Ils nous ont dit : "merci pour tout. Nous utiliserons ce que nous pourrons." Vous connaissez la suite. En fait, nous sommes partis parce que Walt n'était plus là. Il était notre soutien. Lui comprenait ce que nous faisions. Il n'aurait jamais abandonné des chansons comme cette ballade dont je vous parlais. Lui nous laissait toujours carte blanche. Il avait confiance en nous. Il nous disait: "je veux telle chanson pour tel film". C'était tout. Alors que d'autres personnes disaient: "je ne sais pas. Je ne suis pas sûr qu'on ait besoin d'une chanson ici, cela ralentit tout…" La majeure partie des cinéastes craignent les ballades! Ils font tout pour les éviter!


Malgré ces désagréments, vous êtes toujours revenus vers Disney.
Nous avons gardé des contacts très amicaux. Les opportunités ont été nombreuses en dehors de Disney. Nous avons écrit dix films. Tandis que chez Disney à l'époque, il n'y avait plus assez de travail. Nous étions très créatifs et nous ne voulions pas perdre cette énergie. Mais cela ne nous a pas empêchés de faire beaucoup de choses pour les parcs Disney et les films. Sans oublier, bien des années plus tard, Les Aventures de Tigrou.

Qu'est-ce qui vous a motivé pour faire ce film ?
Nous avions écrit toutes les chansons des films originaux de Winnie L'Ourson. Et l'un des cadres de Disney s'est dit que ce serait formidable si les frères Sherman pouvait revenir et écrire les chansons de ce nouveau film. Ils nous ont donc donné le script et nous avons adoré! C'était une histoire formidable et nous avons tout de suite accepté! C'était comme revenir à la maison! Nous étions partis un certain temps et nous sommes revenus comme si c'était hier. J'adore ce film. Il a beaucoup de cœur. Il est très drôle, mais a beaucoup de cœur. J'aime quand il y a des choses à dire dans un film, des choses qui le rendent spécial, plus qu'un simple divertissement.


Comment avez-vous choisi les films que vous avez fait en dehors de Disney, comme Chitty Chitty Bang Bang ?
C'est une question de ressenti et de divertissement familial dans lequel vous pouvez agir sur deux niveaux. Ce n'est pas un film pour enfant. C'est un film pour toute la famille. Les adultes en perçoivent un certain niveau et les enfants un autre. C'est une chance de pouvoir travailler sur les deux tableaux et produire des chansons de qualité. Nous voulons que les gens puissent chanter nos chansons et non pas que ces dernières se cantonnent au film. Nos chansons sont écrites de telle sorte qu'elles vous trottent dans la tête. C'est notre signature.

Deux de vos créations les plus célèbres, Chitty Chitty Bang Bang et Mary Poppins ont été adaptées pour la scène. Comment êtes-vous passé du cinéma à Broadway ?
Une bonne histoire est toujours une bonne histoire. Et une bonne chanson est une bonne chanson. Peu importe pour quel médium. Au moment où la mode a débuté d'adapter des films en comédies musicales, Disney a commencé avec Beauty and the Beast et c'était merveilleux! A partir de ce moment là, des gens se sont dits qu'on pourrait ressusciter Chitty Chitty Bang Bang. Nous avons alors écrit de nouvelles chansons et changé quelques paroles des anciennes afin que tout cela fonctionne sur scène. Un livret formidable a été écrit, même meilleur que le scénario original du film et l'ensemble a donné cette production magnifique!

Pour la comédie musicale de Mary Poppins, c'est un autre duo de compositeurs qui a écrit les nouvelles chansons. Comment cela s'est-il décidé ?
Tout cela parce que Mrs Tavers, la personne qui a été l'histoire originale, voulait que ce soit une équipe totalement anglaise qui y travaille. A partir de là, deux excellents compositeurs anglais, George Stiles et Anthony Drewe, ont fait un travail remarquable et ont ajouté un matériel nouveau à nos chansons, tout en en composant de nouvelles. Le résultat final est merveilleux. Pratiquement toutes nos chansons s'y trouvent et nous adorons ce spectacle!

Après un impressionnant succès londonien, ce musical semble très bien se comporter à Broadway maintenant.
Absolument, c'est un succès ! Le spectacle en est à sa deuxième année et il continue d'en étonner plus d'un ! Cela marche fort bien !

Ecrit-on différemment pour l'animation et pour la scène ?
Il n'y a absolument aucune différence entre écrire une chanson pour un personnage réel et écrire une chanson pour un personnage animé, qu'il soit un chat ou un ours. Tous sont des personnages vivants et nous les traitons comme tels.


Quel genre de musique écoutez-vous ?
Personnellement, j'adore la musique classique et tout particulièrement Mozart. Mais j'aime aussi Rossini et Beethoven qui sont pas mal dans leur genre! J'aime aussi les chansons de Kern, Porter, Berlin, Gershwin, Rogers… et les magnifiques textes d'Hart et Hammerstein, Porter, Berlin, Frank Loesser et bien d'autres encore. J'adore également le ragtime de Scott Joplin et le Dixieland, en particulier Louis Armstrong.
Que pensez-vous de l'animation actuelle ? 
L'animation par ordinateur est certainement un médium formidable, mais pour moi, la chaleur et la personnalité des personnages en animation traditionnelle demeurent insurpassables. Certaines histoires se prêtent tout naturellement à une animation 3D, mais au fond de moi, je ressens encore davantage les choses et le travail de l'artiste en 2D. C'est difficile à expliquer, mais pour moi l'acteur qui se cache dans l'animateur s'exprime de façon encore plus personnelle en 2D.

Vos chansons ne sont pas que des notes et des mots, mais une authentique et profonde émotion. Merci infiniment d'avoir partagé ces souvenirs avec nous!
Merci infiniment à vous. Je suis très touché de vos paroles. Tout ce que nous avons fait, nous l'avons toujours fait avec le cœur!

mercredi, août 08, 2012

REBELLE AU CINEMA : Entretien avec la scénariste et auteur du Art-of du film, Jenny Lerew


 

Avant d’écrire des histoires pour Pixar, vous avez été réalisatrice de certains épisodes de la série animée Les Animaniacs. En quoi un long métrage est différent d’un épisode de série ?
Ce sont des formes totalement différentes. J’ai abandonné mon travail de réalisatrice pour intégrer une équipe d’écriture de longs métrages en 1994 parce que la narration sur une forme longue, le développement des personnages et la possibilité de raconter une histoire du début jusqu’à la fin comptait plus pour moi. La télévision, c’est génial et j’ai beaucoup appris, mais c’est une manière totalement différente de raconter les histoires. La grande différence pour moi, c’est aussi le fait de travailler pour le grand écran. Peu importe la grandeur de l’écran de télévision et sa définition. Rien ne remplace l’expérience du cinéma, avec le public, dans le noir, avec tous ces yeux rivés sur le grand écran. Pour moi, c’est comme être à l’église. Le cinéma est très spécial. Il a une permanence et une profondeur incomparables. Voir un bon film sur grand écran est une expérience fantastique. Magique !

 

En matière d’histoire, Joe Ranft a particulièrement marqué l’héritage de Pixar. Qu’en est-il pour vous ?
En ce qui me concerne, il a été mon professeur d’écriture à Cal Arts pendant plusieurs années. J’étais dans son cours, avec Brenda Chapman, co-réalisatrice de Rebelle. C’était un professeur fantastique. Ce sont ses encouragements qui m’ont guidé, ainsi que beaucoup d’autres étudiants, vers l’écriture. J’aimais aussi beaucoup l’homme, même si je ne l’ai connu que quelques années, avant qu’il ne retourne chez Disney, Pixar et les innombrables projets auxquels il a participé.
Brenda et tous les gens de Pixar et Disney qui l’ont côtoyé l’adoraient. C’était une véritable présence dans leur vie. Je suis jalouse de cette relation qu’aucun d’entre eux n’aurait échangé pour rien au monde. Il n’y a pas assez de mots pour parler de l’influence extraordinairement positive qu’il a eu. Il est totalement irremplaçable. C’était l’homme le plus généreux, gentils et drôle, et même s’il avait conscience de ses dons, il était d’une modestie sans pareille dans le métier. C’était aussi un excellent magicien. Que puis-ajouter ? John Canemaker a été un merveilleux livre à son sujet, Two Guys named Joe, et même si John a fait un travail colossal, il y a encore beaucoup plus de choses à dire sur Joe !


La force de Rebelle, c'est de proposer une histoire de princesse vraiment nouvelle, tout en truffant le film de références disneyennes, comme notamment Frère des Ours. Comment avez-vous abordé cette dimension ?
Jamais personne dans mon équipe n’a mentionné Frère des Ours, et très honnêtement, à l’époque, cela ne m’est jamais venu à l’esprit ! Bien que ce soit un film adorable qui traite bien sûr de la transformation magique d’un homme en ours, je pense que cela n’a rien à voir. Précisément parce que, d’une part, l’histoire de Rebelle est très personnelle pour Brenda Chapman, et que, d’autre part, elle se déroule dans un endroit totalement différent, l’Ecosse. Ceci dit, c’est un fait que les contes traditionnels du monde entier ont souvent des éléments en commun, au delà des cultures, dans la mesure où ils traitent des mêmes grands questionnements des hommes.


Rebelle est une histoire de transformation, tant physique que psychologique. En quoi vous a-t-il transformée ?
Je ne dirai pas transformée, mais la passion contagieuse de chaque artiste pour son travail, que ce soit individuellement ou en équipe, a eu un impact très net sur moi en tant qu’artiste d’animation. Quel que soit le studio, quel que soit le projet (et les artistes bougent beaucoup dans ce milieu), nous partageons tous le même but : donner le meilleur de nous-mêmes afin que cela transparaisse à l’écran, quel qu’en soit le prix.
Ce n’est pas toujours facile de faire partie d’une équipe, et tout spécialement une équipe de la taille de celles qui fabriquent des films d’animation. On doit toujours garder à l’esprit que le but de ce travail n’est pas seulement notre expression personnelle, mais la communication de cette expression : ce n’est qu’à ce prix qu’un lien pourra être noué avec le public. Les artistes de Rebelle ont toujours travaillé avec ce but à l’esprit. Ils aiment tellement ce qu’ils font que cela me rappelait sans cesse, si besoin était encore, pourquoi je fais de l’animation.

vendredi, août 03, 2012

LA LUNA AU CINEMA : Entretien avec le réalisateur Enrico Casarosa

Enrico, vous êtes connu en tant d'illustrateur et artiste de story-board. Qu’est-ce qui vous a conduit à la réalisation d’un court-métrage?
Vous savez, en travaillant à Pixar, vous croisez vos amis comme Pete Sohn et d’autres, qui vous disent qu’ils travaillent sur de fabuleux court-métrage. Vous voyez à quel point c’est amusant, et ils vous disent aussi que c’est une expérience enrichissante. Ça me semblait attirant, de vivre une aventure dans laquelle vous apprenez autant. Alors, si l’apprentissage était la raison première, la seconde était probablement le challenge intéressant de trouver une bonne histoire à raconter, une histoire qui marche. Au début, je n’avais pas imaginé que j’allais faire une présentation à John Lasseter, qu’il l’aimerait et que le projet aboutirait. Mais ça me semblait intéressant d’essayer. J’ai donc vécu les étapes une par une, sans jamais me dire “Je vais faire un court-métrage”. Au début, il s’agissait juste de développer une histoire, et quelque soit le média, le procédé a beaucoup de similitudes.

A quel point La Luna est-elle une histoire personnelle pour vous?
C’est une histoire très personnelle. Parmi les trois idées que j’ai présentées, c’était celle qui avait le lien le plus fort avec mon histoire personnelle. Chez Pixar nous savons à quel point cela peut aider à rendre l’ensemble plus fort. J’ai donc exploré mon passé. L’histoire de La Luna est très liée à la relation que j’avais avec mon père et mon grand-père quand j’ai grandit en Italie. Nous vivions sous le même toit et mon père et mon grand-père ne s’entendait pas tellement. Le sentiment d’être coincé au milieu de ces deux hommes (ils me parlaient, mais ne se parlaient pas l’un l’autre), la pression de devoir faire plaisir à l’un et à l’autre, de devoir prendre parti... ce genre de souvenirs me semblait une bonne base pour raconter une histoire. Parce que cette histoire m’était personnelle, mais, comme beaucoup d’histoires personnelles, elles sont aussi très universelles. A travers le monde, beaucoup de personnes vivent des choses similaires. C’était donc le cœur du projet: La relation que je voulais montrer, l’histoire d’un gamin qui doit trouver sa façon de faire les choses, et trouver sa propre voie dans la vie. 

Est-ce que le fait de raconter cette histoire vous a aidé à comprendre les problèmes de votre père et de votre grand-père?
C’est une très bonne question. Je pense que les choses ont un peu changé. D’une certaines manière, cela m’a fait réaliser, vous savez, que je les aimais tous les deux. Mais je n’ai jamais pu être là pour les raccommoder. Donc, d’une certaine façon, ce court-métrage est une façon de les réunir à l’écran. Il faudra toujours que j’aie une bonne conversation avec mon père à ce sujet quand on aura vu le film. Je suis curieux de savoir ce que cela va lui faire. Mais nous ne sommes pas le genre de famille où on parle très ouvertement. Je sais juste qu’il l’a vu et qu’il a été très ému. Pour moi, il s’agissait de tourner la page. 

Pouvez vous me parler de vos inspirations pour la création de La Luna? Tout d’abord, il y a le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry.
Je me rappelle d’avoir adoré les illustrations de Saint-Exupéry. Cette impression de monde étrange qu’il a créé, un univers différent ou les choses sont différentes. Et aussi la notion de taille. J’adore le fait que sa planète soit toute petite et que les gens peuvent en faire le tour en cinq minutes. Les visuels du Petit Prince m’ont donc bien inspiré. Et sur un autre niveau, je suis un grand fan de Saint-Exupéry parce que ses livres parlent de vols et de vieux avions. En fait j’ai connu Saint-Exupéry par Miyazaki parce que Miyazaki est un grand fan de Saint-Exupéry. J’ai donc lu sa biographie et je suis devenu fan de tous ses livres. J’ai d’abord aimé Le Petit Prince pour les visuels, et je l’ai relu il y a deux ans. Avec ma fille, nous l’avons lu ensemble. C’était très inspirant. Je voulais garder l’idée d’une toute petite planète avec des cratères. Je pensais qu’on pouvait en faire quelque chose.

Vous parlez de Miyazaki-San. Pouvez vous nous parler de son impact sur vos travaux?
Cela fait si longtemps que j’étudie, que j’aime et que je regarde ses films! Les films de Miyazaki sont effectivement ceux qui m’ont le plus influencé. Je crois que, si on regarde bien les détails, on trouve toujours du Miyazaki dans mes dessins. Et vous pouvez le trouver en particulier dans le personnage du père. Je me suis inspirée de Laputa pour ses visuels parce que j’aime ce film. Je voulais que le contexte de La Luna ressemble à l’Italie des années 1920-1930: des hommes simples, paysans ou mineurs. Laputa était donc un bon exemple: Des gens simples qui travaillent dur, qui sont pauvres et qui s’habillent de manière simple. Et de façon plus profonde, j’aime sa sensibilité: l’importance des petits moments, le rythme. C’est quelque chose que j’aime, et je voulais que le film donne de l’importance aux petits moments, qu’il prenne son temps. C’est un peu différent des précédents travaux de Pixar. Le but n’est pas de vous faire rire. Mais plutôt de vous faire sourire, et je l’espère réfléchir par la suite.

En voyant La Luna, on pense aussi au roman italien La Distanza della Luna (“La distance de la Lune”) de Calvino, avec une approche très poétique de la lune, et une relation avec la mer...
Absolument. Je suis un grand fan. On l’a lu en Italie au lycée. C’était pour l’école, mais je l’ai relu il y a peut-être dix ans, je l’ai redécouvert et maintenant je l’aime beaucoup. Calvino a écrit des histoires fantastiques et folles qui sont vraiment impossibles et différentes. Mais elles s’appuient sur la réalité. Les personnages sont humbles et réalistes, tout est un parallèle entre le fantastique et le vrai. La Distanza della Luna m’a fait réaliser que je voulais inventer mes propres histoires à propos de ce qu’il se passe sur la lune. Il y a tant de mythes à propos de ce qu’il y a sur la lune. Il y a tant de mythes sur ce que l’on peut imaginer. Parfois, c’est une histoire de fromage: Calvino a imaginé qu’il y avait du lait sur la surface. J’adorai ce genre d’histoires et j’ai toujours trouvé que c’était une bonne façon d’aborder le sujet. En plus Calvino est originaire de la même région d’Italie que moi, Ligura. Du coup, le contexte de son histoire est un contexte que je connais et que je ressens. C’est un peu comme une sensation de déjà-vu. Je crois que son histoire commence par: “A une époque, selon Sir George H. Darwin, la lune était très proche de la terre”. On pouvait mettre une échelle et y monter. C’était un bon point de départ pour moi de dire: “Hé, j’aimerai inventer mon propre mythe, avec un goût d’Italie et de gens simples”. 

Comment êtes-vous arrivé à ce superbe résultat pour le petit garçon?
En Italie, j’utilisais cette forme d’ampoule pour la tête de mes personnages, et Daniel Lopez-Munoz, qui m’a aidé sur le design de mes premiers dessins, m’a dit: “Il ressemble à la lune”. Et j’ai adoré cette remarque. Mais surtout, je voulais que le petit garçon soit le parfait opposé du père et du grand-père. Je voulais que tout soit dans le regard, qu’il soit plein d’expressions et de curiosité. A l’opposé, c’était important pour nous de masquer les bouches et les yeux du père et du grand-père. Ces deux générations ont arrêté de regarder autour d’eux, et ne voient plus les merveilles qui les entourent. Ce contraste était parfait pour nos personnages. Donc nous avons exagéré ces traits, et les yeux du petit garçon sont devenus tellement grands qu’on aurait dit qu’il n’était pas du même monde. En final, je pense que nous avons trouvé un bon contraste entre eux, tout en les laissant cohabiter dans le même monde.

Pendant la pré-production, vous avez travaillé avec de l’aquarelle et des pastels. Comment cela a-t-il influencé le résultat final de l’animation?
J’ai fait tous les story-board en aquarelle et au crayon. Ensuite, Bill Cohen (qui a fait tout ces fabuleux scripts en pastel pour Pixar) est arrivé sur le projet. Cela a été le point de départ où nous nous sommes dit: “Pourquoi ne pas essayer de garder cet aspect de texture?”. La première idée que j’ai eue était carrément les pastels à l’écran, pour garder l’effet de texture. Normalement, en image de synthèse, on utilise des peintures mates, comme dans les films live. On les met à l’arrière plan, derrière les formes. Mais là, on voulait quelque chose de simple. Donc tout ce qui est ciel, univers et voie lactée sont des pastels qu’on a mis directement à l’écran. C’est super car cela donne un rendu plein de texture. Et pour tous les autres objets, on a utilisé plus d’aquarelle.
Techniquement, cela s’appelle “ombrager” un objet: Vous les modélisez, puis vous appliquez une texture. On a donc fait des essais. On a essayé de donner l’impression qu’une partie était fait en aquarelle sur papier, avec cette texture qu’un pinceau d’aquarelle donne. Même chose pour le bateau: En fait on a peint chaque planche en aquarelle avant de les appliquer sur la forme du bateau. Cela donne un rendu différent, et c’est ce que l’on voulait obtenir. Un rendu un peu plus “animation”, un peu moins “réaliste”. Un ordinateur aime travailler sur les volumes, et on a essayer ici et là de gommer ici et là le côté “brillant” de la 3D. 

Avec cette approche, le côté artistique et le côté technologique se sont rencontré et ont collaboré pour aller dans la même direction. C’est la touche Pixar.
Tout à fait. C’est l’histoire elle-même qui a imposé les décisions. Notre histoire est comme une fable. Donc le style un peu plus illustré colle bien au côté “surnaturel” et “fable”.

En tant que réalisateur, comment avez-vous construit votre équipe?
Vous savez, de ce côté-là on reçoit beaucoup d’aide du producteur et du manager. Kevin Reher et AJ Riebli m’ont été d’une grande aide. J’ai carrément du aller supplier qu’on me prête quelques personnes pour quelques semaines. Donc leur aide pour gérer les employés du studio m’a beaucoup aidé. Après, vous savez, vous rencontrez les personnes et choisissez celle dont vous avez besoin. Pour le côté artistique, par exemples, j’avais des relations et même des amis qui voulaient participer avant même que l’on obtienne le feu vert.
Même lors de mes toutes premières présentations, de bons amis comme Dice Tsutsumi, qui est l’extrêmement talentueux directeur artistique de Toy Story 3, m’a fait un dessin pour le tout premier pitch. On espérait l’avoir pour le projet en entier, mais il était très demandé, et j’ai juste pu l’avoir quelques semaines par-ci par-là. Un autre exemple et le superviseur de l’animation, Rodrigo Blaas. C’est un très bon ami. On a travaillé ensemble à New-York chez Blue Sky Studio et nous avons été embauchés par Pixar pratiquement en même temps. Et en plus, il a travaillé sur ce superbe court-métrage, Alma. Donc non seulement il fait un super travail en animation, mais il pouvait nous aider sur d’autres sujets puisqu’il avait déjà réalisé un court-métrage.

Quelle était la taille de votre équipe?
Il y a beaucoup de mouvement puisque les gens viennent pour deux ou trois semaines avant de partir sur un autre projet. Mais on a fait le court-métrage en environ neuf mois, en étant entre 70 et 80 personnes. Pas tous en même temps. On a été de trois-quatre personnes à 30 ou 40 en milieu de production. Il y a une relation de donnant-donnant qui fait que l’expérience est très enrichissante. Les court-métrage sont très indépendants parce que les ressources sont beaucoup moins nombreuses, et les gens peuvent remplir jusqu’à trois postes en même temps. En tant que réalisateur, par exemple, j’ai fait de la peinture, j’ai placé les étoiles sur l’arrière-plan... Chacun fait le plus de choses possibles. Le plus vous pouvez faire, le mieux c’est. Je crois que l’équipe apprécie cela, parce que c’est un challenge, encore plus que sur un long-métrage.

Qu’avez-vous appris de cette expérience?
Je crois que la chose la plus importante que j’aie apprise c’est comment parler avec les autres. En final, quand vous avez une histoire solide, c’est assez facile de convaincre les gens. C’est ce que j’ai ressenti. Ça ne vient pas de moi ou d’un quelconque charisme personnel! C’est plus une façon de leur raconter une histoire et leur faire sentir qu’ils font partie de la narration, qu’ils peuvent l’apprécier et s’y retrouver. D’un autre côté, en tant que réalisateur, j’ai appris à jongler avec les présentations. Nous devions montrer notre travail à John Lasseter ou Pete Docter ou Brad Bird pour recueillir leurs avis et leurs conseils. Donc en tant que réalisateur, le plus important est de prendre des décisions après avoir recueillis ces fameux avis. J’ai compris que, très souvent, il n’est pas nécessaire de suivre absolument tous les conseils qui nous sont donnés, mais plutôt les prendre en compte pour répondre à un problème à votre propre façon, ce qui rend le film plus fort. C’était très satisfaisant à la fin, mais pendant la production, c’était parfois un peu surprenant. 

Maintenant, vous présentez La Luna à travers le monde, d’Annecy en France à New-York en passant par le Brésil. Comment le vivez-vous?
J’ai toujours trouvé que voyager pour montrer son travail était la meilleure partie du job! C’est un peu devenu comme montrer un peu de soi-même. Vous mettez tellement de vous-même dans un court-métrage. Les gens que vous rencontrez pour la première fois ont vu le court-métrage et parfois ils en connaissent un peu plus sur vous qu’ils n’auraient du! D’autre part, j’ai aussi fait un petit making-of que nous avons montré à travers le monde en même temps que le court-métrage. Je vois cela comme quelque chose qui, je l’espère, peut inspirer les gens. Je construis des présentations aussi visuelles que possible et j’espère qu’elles sont inspirantes. J’espère que ça marche, et j’aime avoir cet effet sur les jeunes. Inspirer les infos est numéro un sur ma liste!
 
Merci à Angeline pour sa traduction!