vendredi, mars 07, 2008

RATATOUILLE EN DVD: Entretien avec le créateur de Rémy, Jan Pinkava

Un rat qui veut devenir chef? En voilà une idée saugrenue!
Et pourtant, c'est bien avec cette idée qu'est né Ratatouille, le meilleur film d'animation de 2007, multi-récompensé, notamment aux Oscars.
L'idée d'un homme, Jan Pinkava, à qui l'on doit également le fameux court-métrage Geri's Game (lui aussi récompensé).
Un parcours unique, une sensibilité pas comme les autres, tout cela fait du Dr. Pinkava une figure marquante de l'histoire de Pixar, que nous avons eu le plaisir de rencontrer pour vous!
Bon appétit!

Vous avez un doctorat en informatique, vous travaillez dans l’animation, les scénarios et la réalisation! Comment gérez-vous toutes ces facettes, tous ces talents ?
J’ai d’abord été animateur, puis j’ai étudié l’informatique, puis j’ai eu mon doctorat en théorie de la robotique, et enfin je suis retourné vers l’animation, via le graphisme. J’ai commencé alors l’animation et la réalisation de courts métrages à Londres (dans une société appelée Digital Pictures), et plus tard chez Pixar. Je suis doté d’une mémoire défaillante, donc je gère très bien les choses en les oubliant. Je ne suis plus capable de faire quelque chose d’avancé en informatique, et je n’ai plus vu de robots, autres que les jouets de mes fils, depuis presque vingt ans.
Mais il y a des compétences, comme l’animation, qui ne me quitteront jamais. La sculpture figurative par exemple, m’a toujours intéressé. Je n’ai pas pu m’y adonner autant que je l’aurai voulu ces temps-ci, mais l’intérêt pour les formes et les figures en 3D ne me quittera jamais.

C’est la raison de votre arrivée chez Pixar? Comment est-ce arrivé ?
En tant qu’étudiant en informatique, j’ai suivi l’avènement du graphisme, ce nouvel art magique qui avançait à petit pas vers la création d’images intéressantes. J’ai biaisé tous mes travaux d’informatique pour y inclure du graphisme dès que possible. Quand j’ai vu le court métrage de John Lasseter, Luxo Jr, j’ai été inspiré. J’ai su que je voulais travailler dans cette branche.
Après avoir quitté Digital Pictures à Londres, j’ai fait un temps du travail freelance avant d’envoyer un book vidéo et un CV à Pixar. A cette époque, c’était plutôt inhabituel d’envoyer son CV par mail. La société commençait tout juste la pré production sur Toy Story et avait besoin de réalisateurs pour remplacer John Lasseter, Pete Docter et Andrew Stanton sur les courts métrages. J’espérais faire un film entre mes travaux de courts métrages. Cela a pris du temps, mais j’ai finalement eu ma chance.

Depuis votre arrivée chez Pixar jusqu’à Geri’s Game, Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur les projets auxquels vous avez contribué ?
Au département des courts métrages, il y avait deux réalisateurs, Andrew Schmidt et moi-même. Le premier projet que j’ai réalisé était l’une des dernières publicités Pixar, pour les bains de bouche Listerine. Ils étaient très populaires à l’époque. J’ai toujours trouvé que les anciennes publicités de John dans cette série étaient excellentes et démontraient un fabuleux sens de la narration, même pour un spot publicitaire de trente secondes. Ma publicité Listerine, appelée “Flèches”, a remporté un Gold Clio (le top en publicité), pour la seconde fois pour Pixar. J’ai réalisé des publicités pour des marques comme Levi’s, Coca-Cola, Nabisco, certains ont remporté des awards. Cependant, je voulais toujours faire un court métrage, et j’ai continué à proposer de petits projets à Darla Anderson, le producteur du département des courts métrages.
Au fur et à mesure que le projet prenait de l’ampleur, le département court métrages de Pixar en perdait, et était sur le point d’être supprimé. Je voulais faire un court métrage, j’ai donc défendu ce département. Pendant le début de la production de Toy Story, la plupart des membres du département courts métrages a été récupérée pour aider sur le film. J’ai choisi de rester et sauver les meubles (Je ne suis pas sur que c’était une si bonne idée. Je fais partie des deux seules personnes du bâtiment à ne pas avoir contribué au tout premier film d’animation en image de synthèse). Cependant, c’est grâce à cette décision de m’en tenir à mon objectif, que j’ai eu l’opportunité du projet Geri’s Game.

Pouvez-vous m’en dire plus sur les origines du projet Geri’s Game?
Je suis persuadé qu’il existe de bonnes histoires divertissantes à partir de n’importe quel sujet, n’importe quel personnage, si vous regardez la situation du bon point de vue. Le plus dur est de trouver ce point de vue. Quand j’ai finalement eu ma chance de faire un court métrage, on m’a imposé de travailler sur un personnage humain. J’avais des idées de court métrages plein les tiroirs, mais AUCUN avec un personnage humain. J’ai tout de même saisi ma chance. Je devais donc trouver une histoire avec un humain. Je savais que ce serait techniquement difficile, mais je voulais que l’animation soit aussi bonne que possible. J’ai donc pensé que ce serait une bonne idée d’avoir le moins d’humains possibles. Alors pourquoi pas un seul ? Mais alors comment raconté une histoire avec un seul personnage?
J’aimais beaucoup le court métrage de Lasseter Tin Toy, qui était très complexe techniquement à l’époque où il a été fait. Un seul personnage humain, un bébé. En fait, à cause de cette difficulté technique le résultat final n’était pas celui imagine par John. Chose ironique, puisque ce travail lui a rapporté un award ! Le bébé de Tin Toy était un peu laid, mais bien implanté dans l’histoire, et bien animé. En tant qu’animateur, j’étais enthousiasmé de voir les gestes et mouvements d’un petit bébé si réussis ! En réfléchissant à mon propre court métrage, j’ai pensé pourquoi ne pas visiter l’autre bout de la vie et parler d’un vieil homme ? Du point de vue de l’animation, il est fascinant d’étudier les mouvements lents et saccadés d’un vieillard. C’était excitant de voir cela s’animer sur nos écrans. Je souhaitais aussi que le court métrage soit une histoire d’acteur : gros plans, centré sur les expressions du visage de l’unique personnage. Pourquoi pas une histoire de vieux monsieur ? Que faire avec lui ? Ce sont les questions auxquelles il fallait répondre.
Il m’est venu trois idées d’histoire. La première sur un vieil homme jouant avec l’ascenseur de son immeuble. La deuxième sur un vieil homme partageant son sandwich avec un canard mignon mais agressif. La dernière sur un vieil homme jouant aux échecs contre lui-même dans un parc. Chacune avait un conflit, un développement jusqu’à un point culminant, et une conclusion. J’ai fait des planches pour les trois histoires, mais c’est la troisième qui a le plus attiré mon attention. L’idée m’est venue de mon grand-père, qui était un bon joueur d’échec, très opiniâtre. Il lui arrivait même de jouer contre lui-même quand il ne trouvait pas de partenaires, et ses parties pouvaient durer des heures.
Quand j’ai présenté l’idée d’une histoire passionnante sur un vieillard qui joue aux échecs dans contre lui-même dans un parc… disons que ça n’a pas été facile à vendre. J’ai beaucoup appris en travaillant sur ce projet, et j’en ai tiré beaucoup de fierté et de gratitude.

Pouvez-vous me parler des challenges artistiques et techniques de ce court-métrage?
Ed Catmull voulait faire un court métrage pour entraîner Pixar à faire des personnages humains. C’était un sujet dans lequel nous étions à la traine et John et Ed savaient que le studio avait besoin d’être libre d’inclure des humains dans nos histoires une fois que les jouets, les insectes, les poissons, les voitures et tout autre personnage fantastique (et plus facile à créer en informatique) auraient été réalisés.
Les humains portent des vêtements. Les vêtements étaient à l’époque très difficile à gérer. Il a fallu faire de la recherche et du développement sur le sujet.
Les humains ont une peau souple et des visages expressifs. Cela aussi nécessitait de nouvelles technologies. Pour moi, toute cette technologie était juste un moyen de faire ce petit film. Je voulais une histoire rigolote, entrainante, réaliste à propos d’un vieil homme un peu fou, et jouer sur ses talents d’acteur. C’était ce qui m’enthousiasmait.

Comment avez-vous trouvé l’équilibre entre le réalisme et la réalisation (caricature, étirement et compression des formes, etc.), qui représente un critère important dans l’esthétique chez Pixar ?
Le sujet du style et de la caricature est très intéressant. A l’époque de Geri’s Game, il y avait beaucoup de bruit dans les médias à propos du réalisme des personnages humains dans l’animation en images de synthèse. Les gens commençaient à essayer de faire des « synthepsians », des personnages très réalistes pour remplacer les acteurs dans les films, en particuliers pour les cascades et les effets spéciaux. C’est devenu réalité, et c’est quelque chose que le public connaît.
J’étais plus intéressé dans ce que l’animation fait le mieux: la caricature. Je voyais les personnages humains en animation 3D de synthèse comme des marionnettes stylisées. Comme en animation « image par image ». Mais avec un ordinateur, on peut faire bouger le personnage de façon plus complexe, et lui donner des expressions plus riches et subtiles qu’une quelconque marionnette.
Je suis Tchèque. Mes parents ont quitté la Tchécoslovaquie quand j’avais six ans, mais j’ai été élevé au Royaume-Uni entouré de livres thèques. Mon illustrateur de livres pour enfants préféré était les grand Jiří Trnka. C’était un artiste exceptionnel. Sensible, réfléchi et très prolifique. Il y a très peu de Tchèques, même à notre époque, qui n’ont pas été profondément influencés par le travail de Trnka dans leur petite enfance. Trnka venait de la tradition des théâtres de marionnettes d’Europe centrale. Son sens de la forme et du style lorsqu’il dépeint des personnages humains 3D en marionnettes est formidable. Naturellement, et presque de façon non intentionnelle, mes dessins de Geri ont été énormément influencés par mon exposition aux œuvres de Trnka. Il y toujours beaucoup à apprendre de la tradition des marionnettes.

Pouvez-vous me parler de la recherche et développement réalisée sur les logiciels qui ont permis ces progrès, et comment cela a aidé Pixar dans ses réalisations à venir.
Pendant le développement de Geri’s Game, ma formation en informatique m’a été très utile dans mon rôle de réalisateur. Je pouvais comprendre un minimum les concepts de certains détails techniques du travail de développement et je pouvais me rendre compte de ce qu’il était raisonnable de demander à l’équipe technique. Je pouvais me rendre compte des moments où nous étions au pied du mur et de quand cela valait le coup d’insister pour obtenir plus et mieux.
Heureusement, nous avions d’excellents esprits techniques sur ce projet. La technologie qui a créé et simulé les vêtements a été développée par Michael Kass et a pris environ un an à affiner. Il était l’une des seules personnes à travailler sur le sujet des vêtements à cette époque. C’était un procédé compliqué et ardu, avec de nombreux revers et résultats inattendus. Parfois la veste de Geri était comme du béton, parfois comme du gel ou du caoutchouc, enfin elle a ressemblé à un vêtement… pour finir, après beaucoup de travail et d’affinement, à ressembler à LA veste. Aujourd’hui, la simulation des vêtements est une chose acquise, sur laquelle on peut compter pour créer des personnages.
La technologie “flexible skin” a été développée par Tony Derose, en utilisant une autre technique appelée surfaces de subdivision. C’est l’évolution d’une technique initiée par Ed Catmull il y a pas mal d’années. Elle a été si efficace que les studios l’ont immédiatement adoptée pour travailler sur 1001 Pattes qui était en production à l’époque. Cela a été la méthode de base pour construire touts les modèles numériques de Pixar depuis.

Maintenant, venons-en à Ratatouille. Pouvez-vous me dire comment le projet est né?
Après Geri’s Game, j’ai fait de l’animation sur 1001 Pattes, un peu de story-board sur Monsters, Inc. et Toy Story 3. J’avais toujours beaucoup d’idées d’histoires que je voulais réaliser, surtout des courts métrages. Quand John Lasseter m’’a demandé de créer et développer un film d’animation pour Pixar, j’ai sauté sur l’occasion. J’entends encore John dire “Jan, tu une sensibilité très Européenne”. Ca me fait rire rien que d’y repenser.
On m’a donné un peu de temps pour écrire un plan pour trois histories. Lors d’un voyage en Angleterre avec ma femme et mon fils, je me suis mis au travail et j’ai été tout de suite absorbé par une idée unique. J’ai écrit une longue présentation de cette histoire et l’ai présentée à mon retour. J’ai travaillé dessus pendant environ un an, avec l’aide de quelques personnes, mais en final cela ne rendait pas comme je l’espérais. Le monde entourant l’histoire était super. Mais l’histoire en elle-même n’étais pas bonne et le projet a été stoppé (J’espère revenir dessus dans le futur).
On m’a demandé de recommencer, et j’ai finalement trouvé trois idées fortes.



Comment a réagit John Lasseter à la présentation? A-t-il été tout de suite enthousiaste?
Quant j’ai présenté les trois histoires aux têtes pensantes de Pixar, John Lasseter, Pete Docter, Andrew Stanton, Joe Ranft et d’autres, Ratatouille était clairement le favori. Dès que j’ai prononcé “C’est l’histoire d’un rat qui veux devenir chef”, tout le monde a éclaté de rire. John a adore l’idée autant que moi.


Comment est venu le titre Ratatouille?
Ratatouille a toujours été le titre, depuis le tout début. Ce choix s’est imposé comme incontournable. Ce film parle d’un rat, de nourriture, de la France. Quel autre mot possède ces trois idées à lui tout seul, tout en sonnant si mélodieusement ? L’idée d’avoir la ratatouille comme plat important au point culminant de l’histoire était également tout naturel.
Des années plus tard, le film était en pleine réalisation, le plan de promotion se mettait en place et certaines personnes du studio s’inquiétaient que le mot soit un peu trop étrange (pour le public américain), trop étranger, trop difficile à épeler et à prononcer. Mais tout effort pour trouver un titre alternatif à Ratatouille fut vain. Pour la majorité du public, le mot est étrange et compliqué. Mais le son reproduit bien la bizarrerie de l’idée du film. Et si Pixar et Disney ne parviennent pas à apprendre au public un nouveau mot, qui le pourra!


Quels étaient les challenges techniques de Ratatouille, et comment les avez-vous gérés?
Techniquement, le film était une collection des plus durs challenges auxquels le studio a du faire face. Il y avait beaucoup d’humains, des vêtements complexes, beaucoup de fourrure, eau et nourriture pour n’en citer que quelques uns. Tous incroyablement compliqués à réussir. Cela prendrait des chapitres pour rendre justice aux succès techniques du film. C’est réellement grâce au talent de l’équipe de Michael Fong que le rendu est si beau. Rien que la création des modèles numériques était un travail de titan. Les humains et les vêtements représentaient un terrain connu. Depuis Geri’s Game, beaucoup de progrès ont été faits, mais même pour Les Indestructibles, la simulation des vêtements a été un lute acharnée. Au moment ou nous finissions la pré production de Ratatouille, les vêtements avaient été apprivoisés en tant qu’outil. La fourrure en était un autre. Sur Monsters, Inc., il y avait un personnage très poilu, Sulley. Pour Ratatouille, il nous fallait des centaines de rats. Il a fallu un grand bond dans la technique de gestion de fourrure, une toute nouvelle discipline pour designer les poils. Parvenir à autant de poils rendus par ordinateur, avec un bel aperçu et de beaux mouvements était un grand succès. Tout le feu, l’eau, la fumée et la vapeur qui rendaient la cuisine si réaliste ont également demandé des innovations techniques et du développement.
Peut-être que le plus gros challenge a été de réussir la nourriture. Stylée, pas réelle, mais appétissante quand même. Cela a demandé une combinaison complexe de modélisation, simulation physique, dessins, transparence sophistiquée et effets de texture avec une lumière subtile et cinématographie régie par une profonde compréhension de ce qui rend la nourriture appétissante sur un écran.
Un sujet qui est peu abordé est le travail sur le contact: des choses touchant d’autres choses. J’ai voulu dès le début donner aux animateurs de meilleurs outils pour réussir le rendu du monde réel où les personnages peuvent s’appuyer les uns contre les autres, ou contre des objets. Nous voulions que le public voie et sente plus que jamais la connexion physique entre les choses. Ca n’est pas évident à faire, surtout pour un casting de rats souples et flexibles.
De tout le monde de l’animation de synthèse, ceux qui créent la technologie rendant les images que l’on voit sur l’écran possible, et ceux qui utilisent cette technologie pour réaliser ces si belles images, sont les héros méconnus du monde du film.


A propos de la réalisation artistique, comment avez vous imaginé ce film? Et comment avez-vous travaillé dessus avec le directeur artistique Harley Jessup ?
Parmi mes plus grands plaisirs de travailler sur Ratatouille sont mes nombreuses conversations avec Harley Jessup sur le rendu et le look du film. C’était comme si on se comprenait parfaitement. La sensibilité et l’esprit fertile de Harley nous ont offert une énorme base de travail: tous les visuels à partir desquels le film a été fait. Encore une fois, j’ai été inspiré des marionnettes et des modèles statiques d’animation. Il y a beaucoup d’attrait dans la qualité des travaux faits main à petite échelle. Si vous regardez disons un poêle taille réelle, et ensuite un modèle miniature de ce même poêle, il y a une différence magique dans les émotions ressenties en regardant ces deux choses. Nous étions tous les deux excités d’apporter un peu de cette émotion dans un film. Nous voulions qu’il ait de la chaleur.
Le simple procédé de faire des modèles miniatures des choses semble être tout à fait comme la procédure intuitive de caricature : Tout dans la simplification et l’exagération. Quand vous faites quelque chose de petit, vous devez omettre certains détails et faire en sorte que le principal reste. C’est un peu comme faire bouillir une sauce pour obtenir une saveur plus concentrée. Ajoutez à ça d’éventuelles irrégularités et des textures un peu grossières dans les gros plans, et quelque chose de spécial ressort.
Harley a rapporté quelques éléments de dinette pour que ses artistes les étudient. Il les a encouragé à utiliser la technique de dessiner tout petit, et d’agrandir à la photocopie. Il s’enthousiasmait d’utiliser des motifs trop grands, comme si de petites choses avaient été faites à partir d’un vêtement de taille réelle. Nous l’avons expérimenté avec le tissu et la couture des blouses de cuisinier, en réglant les plis et rides comme s’il s’agissait de petits modèles. L’imperfection et l’instabilité faisaient partie de chaque scène. Ce genre de détail a été utilisé partout.

Pouvez-vous me parler de l’histoire initiale que vous aviez imaginée?
Dans les grandes lignes, le plan de l’histoire que j’avais prévu est proche du résultat final. Bien sûr, tant de personnes ont contribué au développement de l’histoire et des personnages au fur et à mesure des années qu’il est devenu impossible de différencier les ingrédients entre eux. C’est un procédé collaboratif. On peut citer beaucoup d’idées et de scènes qui étaient prévues, d’une façon ou d’une autre, dès le début. Par exemple, l’arrivée de Rémy dans les cuisines, sa récupération de la soupe ratée, le fait qu’il se fasse prendre et devienne le mentor de Linguini jusqu’au succès, leur chute, la double vie de Rémy, le flashback dans l’enfance (de Gusteau dans l’histoire originale) après avoir gouté à la ratatouille, l’aversion de la famille du rat envers la nourriture saine, la révélation de Rémy et le départ des cuisiniers, la cuisine pleine de rats au point culminant de l’histoire. Tout ça constitue la surface de l’histoire. Là où le film diffère le plus de l’histoire que j’avais imagine, c’est dans le ton, dans l’idée principale de l’histoire et dans le personnage de Rémy. Peut-être en partie tout ce qui est “sensibilité européenne”.

Il y avait des personnages dans la meute de rats, comme la mère de Rémy, Désirée, ou d’autres. Pouvez-vous me dire comment vous avez travaillé avec le créateur des personnages, Carter Goodrich ?
Rémy avait un père, Django, une mère, Désirée, des centaines de frères et sœurs inconnus, et un frère en particulier, Emile. La communauté des rats a été imaginée très bruyante et remuante, avec beaucoup de chamailleries et de bagarres, et tous les pièges d’une vie au jour le jour. Il y avait aussi un groupe de musique. Ils survivaient en volant et leur cible préférée était la poubelle des restaurants du voisinage. Il y avait un petit groupe de voleurs, dans lequel seul Git, le gros rat de laboratoire, demeure dans la version finale. Carter Goodrich a accompli de grandes choses avec ces idées. Il était notre principal créateur de personnages durant le développement du film. J’ai beaucoup aimé le travail qu’il a fait pour Pete Docter dans les prémices de Monsters, Inc. Si certains des monstres qu’il avait créés étaient restés dans la version finale du film, cela aurait été vraiment effrayant. J’ai été très chanceux d’avoir Carter pour travailler sur Ratatouille. On lui donnait une description des personnages, il répondait par de superbes dessins. C’était tout. Parfois il proposait des versions différentes selon le retour qu’on lui donnait. Parfois, comme pour le personnage d’Emile, son premier jeu de dessin a tout de suite été parfait. Ces dessins formaient la base des modèles réduits, qui ont été sculptés par Greg Dykstra ou Jerome Ranft.

A voir les concepts de Dominique Louis, il semblait y avoir beaucoup plus de scènes se déroulant dans les égouts. Pouvez-vous m’en parler?
L’histoire initiale parlait beaucoup plus de la double-vie de Rémy, qui était plus déchiré entre sa nouvelle vie dans les cuisines et sa vie de rat, avec sa famille. Naturellement, ils vivaient dans les égouts sous les rues de Paris. Il y avait des scènes de vie familiale avec les parents de Rémy et son frère Emile, et aussi des scènes où la communauté des rats se rassemblait sur une sorte de place du village. La plupart des scènes d’égout se plaçaient dans cette place, où plusieurs tunnels convergeaient. Nous voulions que les égouts semblent misérables, pour Rémy, mais quand même attirants. Une façon amusante de contourner ces environs un peu mornes était la réutilisation par les rats d’objets et d’ordures pour construire leurs maisons. Le grand sens de l’atmosphère de Dominique, et son étonnante maîtrise de la lumière dans ses dessins pastel ont vraiment donné de la vie à ces endroits.

Etait-ce intentionnel de votre part de faire appel à des artistes d’origine européenne (comme vous): Enrico Casarosa (Italie), Dominique Louis (France), etc. Qu’ont-ils apporté au film de particulier ?
Et voila encore cette histoire de sensibilité européenne! Non, nous ne sommes pas allés chercher des européens. Pixar est rempli de personnes qui viennent des quatre coins du monde, certains d’Europe. Nous avons été chanceux d’avoir des talents comme Dominique et Enrico à la production. Dominique a créé de fabuleux dessins pastel pour visualiser les scènes sur papier, et plus tard en numérique. Je l’appelait le « maître de la lumière » (en français dans le texte) pour sa facilité de représenter la lumière de façon très riche. Le style de Dominique est plein d’émotion, il est théâtral et contemporain. Peut-être pas si européen que cela. Je dois l’avouer, j’ai un penchant pour les artistes italiens. Enrico est arrivé à Pixar en provenance de Blue Sky à New-York, et a été l’un des premiers employés sur Ratatouille. C’était un bon soldat. Comme beaucoup de gens avec son parcours, il est fortement influencé par les artistes japonais, Miyazaki en particulier. J’adore les dessins d’Enrico. C’est un génie Génois. Ses premiers dessins pour le film ont été très influant pour mettre en place le ton de l’histoire.
Je voulais vraiment que le film ait ce petit parfum de Paris, tout en sachant qu’il serait fait principalement par des américains, aux USA. Un de mes films Disney préféré est les 101 dalmatiens. C’est la première chose que j’ai vu au cinéma en Angleterre après que ma famille a quitté la Tchécoslovaquie. Elevé en Angleterre, j’ai réalisé plus tard que le gout de Londres que les artistes Disney ont mis dans ce film n’était pas la réalité, mais plutôt la perspective américaine de Londres, influencée d’une authentique affection pour l’endroit et ses habitants. Cette sympathie se ressent dans le film, et a donné à son Londres une qualité toute particulière. J’espérais faire quelque chose de similaire avec Paris.

Vous êtes vous rendu à Paris? Quels souvenirs conservez-vous de ce voyage ?
Nous sommes allés à Paris, plus d’une fois. Avec notre guide Roberto, nous avons pu voir les cuisines des plus grands restaurants, comme Guy Savoy, Taillevent, Lassere, La Tour d’Argent, nous avons parlé aux équipes, interviewé les chefs, et bien sûr nous avons mangé. Je n’oublierai jamais un diner de canard en particulier. Parfois, il faut souffrir pour être un artiste ! En dehors des restaurants, nous voulions avoir un aperçu de la ville d’un point de vue différent, comme un rat pourrait le voir. Nos visites des égouts, catacombes, canal Saint-Martin nous ont ouvert les yeux. Nous avons fait des découvertes excitantes : quelques unes n’ont pas été retenues dans le film, comme l’aube, au marché de Rungis. D’autre sont restées, comme le fameux magasin exterminateur aux Halles, avec ses rats momifiés qui pendent aux fenêtres. Il y a des choses qu’on ne peut pas inventer.

Au début, Ratatouille devait être le premier film de Pixar à être sorti en dehors de l’accord avec Disney. Est ce que cela à changé quelque chose par rapport au film que vous aviez imaginé? Avez-vous eu plus de liberté ou est-ce que cela n’a rien changé?
Ratatouille était le premier film en dehors de l’accord de coproduction Disney/Pixar. Cela a eu un impact sur le film et la façon dont il a été conçu. Initialement, du point de vue de Disney, le film était hors-limite. Pixar payait 100% du développement du film. Disney n’était pas consulté, pas prévenu de l’état d’avancement. Le processus de validation, qui a été approfondi et continu, a été totalement interne à Pixar. En fait, dans la pratique, cela n’a pas été très différent des films qui ont précédé. A l’époque, Disney connaissait quelques troubles et bouleversements, et Pixar grimpait de plus en plus. La réelle autorité des films pour les films Pixar était John Lasseter, et non Disney.
Alors que la fin de l’accord entre Disney et Pixar approchait, deux choses se sont produites. La presse a commencé à spéculé de plus en plus sur la façon dont Pixar allait s’en sortir sans Disney, et comment le futur projet allait se dessiner. Au sein de Pixar, le projet post-Disney devenait de plus en plus un outil de négociation avec Disney. Tout cela a mis plus de pressions sur Ratatouille que les autres films Pixar n’en ont eue. Cela a forcément eu un impact.

Que garderez-vous de votre expérience sur Ratatouille et de votre expérience chez Pixar?
Ratatouille a été une expérience exceptionnelle pour mon premier film d’animation. Je suis très fier de beaucoup de ce qu’il comporte, et ravi pour tous ceux qui y ont contribué que le succès soit au rendez-vous. J’aurai aimé le terminer, mais Brad Bird a été capable de le continuer, le faire sien et conduire l’équipe à un final très réussi. J’ai appris bien plus que je ne l’aurai pensé, et j’ai hâte de bénéficier de cette expérience sur mon prochain projet.
Je suis venu aux US pour travailler chez Pixar en 1993. Cela a été un plaisir et un privilège de travailler avec des personnes extraordinaires pendant mes 13 ans dans les studios. Je suis fier d’avoir fait partie du développement et de l’avènement des studios à travers les années. Ca a été une époque formidable pour laquelle je serai toujours reconnaissant.

Quels sont vos projets actuels?
Je travaille sur une belle histoire pour un film d’animation. C’est une histoire qui remonte à une expérience dans mon enfance qui est à la fois personnelle, et, je l’espère, universelle. Tout le monde peut s’y reconnaître. Cela fait partie de la vie de tout un chacun. Il ya un personnage très particulier dans l’histoire. Je n’ai encore jamais vu quelque chose du genre sur un écran.

Un TRES GRAND MERCI à Angeline pour sa très belle traduction!