mardi, mai 29, 2007

PIRATES DES CARAÏBES - JUSQU'AU BOUT DU MONDE : Entretien avec le premier assistant réalisateur, Peter Kohn


Si Peter Kohn était un membre de l’équipage du Black Pearl, ce serait sans aucun doute Gibbs, le second du Capitaine.
Premier assistant du réalisateur de la trilogie Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski, il est celui qui accompagne au plus près tous les détails de la production, de la conception au tournage. Un premier assistant qui a pas mal bourlingué par les sept mers, avec un palmarès cinématographique impressionnant (Air Force One, K-PAX, La Maîtresse du Lieutenant Français...), et toujours le même regard émerveillé sur le cinéma.
Tous à bord pour une virée en pleine mer, à la poursuite des secrets des Pirates des Caraïbes !
“Drink Up, Me Hearties, Yo Ho !”


Comment avez-vous embarqué à bord de la saga Pirates des Caraïbes ?
Ce fut par le bouche à oreille. Le directeur photo, Dariusz Wolski, et moi avons travaillé ensemble sur de nombreux projets de vidéo clips, ce qui fait que nous nous connaissions depuis longtemps. De plus, il se trouve qu’il connaissait Gore Verbinski. Il a donc suggéré mon nom pour un entretien avec Gore. Vous savez, même si l’industrie du cinéma peut paraître énorme de l’extérieur, cela reste un milieu assez restreint et tous les techniciens, assistants réalisateurs, directeurs artistiques et autres ayant travaillé sur des films importants sont sur les listes des différents studios –liste A, liste B, liste C, selon l’ampleur du projet- et ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent. Dans la mesure où j’avais travaillé sur quelques films importants et, comme je vous le disais, par le bouche à oreille, j’ai pu être contacté pour faire partie du premier opus de Pirates des Caraïbes.

Comment s’est passée la rencontre avec Gore Verbinski ?
Je dois avouer que j’étais un peu nerveux quant à cette entrevue avec lui et ce pour une raison assez amusante. Il se trouve que nous avions déjà travaillé ensemble. J’ai été pm (production manager) sur le même projet que lui quand il a commencé, il y a pas mal années. Je produisais et j’étais assistant pour des clips vidéo tandis que lui débutait dans le département des effets spéciaux de la même compagnie. Ce qui fait que, avant de le rencontrer en tant que réalisateur de Pirates des Caraïbes, j’ai essayé de me rappeler si j’avais été assez sympa avec lui à l’époque ! Finalement, nous nous sommes très bien entendus et l’idée de faire un film historique avec des pirates m’a tout de suite intéressé. Il n’y a pas si souvent de projets comparables et réussir ce film de genre était un véritable défi. Il faut dire que, lors de notre entretien, nous avons évoqué plusieurs grands films du genre comme Cutthroat Island ou Pirates de Roman Polanski. Tous deux étaient très intéressants du point de vue visuel, mais n’ont pas vraiment marché sur le plan de la popularité. Ceci dit, même si le script n’était pas encore écrit, l’histoire qu’il m’a racontée, qu’il avait déjà en tête, la direction dans laquelle il voulait aller, sans compter la présence de Johnny Depp, tout cela m’a totalement séduit. Je pense qu’avec un projet de cette envergure, tout technicien du cinéma ne pouvait que sauter sur l’occasion !

Vous dites qu’il vous a raconté l’histoire avant que le scénario ne soit écrit ?
Le script définitif, prêt au tournage, n’était pas encore écrit en effet. Mais les grandes lignes de l’histoire étaient déjà fixées. Vous savez, les gens comme moi sont recrutés des mois avant le tournage proprement dit et la pré-production, a fortiori sur un film d’époque comme celui-là, prend énormément de temps. A cette époque, ce n’était qu’une idée générale.

Quel est exactement le rôle du premier assistant réalisateur ?
Il s’agit de partir du script et le « réaliser » en termes d’organisation du tournage. En règle générale, vous prenez un scénario et vous divisez chaque scène en jours de tournage en fonction des lieux de tournage, des disponibilités des acteurs, des structures disponibles pour le tournage, etc. Une autre partie de mon travail, plus spécifiquement sur Pirates des Caraïbes, a été de m’occuper du casting des figurants. Enfin, la troisième partie de mon travail consiste, pendant le tournage, à organiser le travail et à gérer l’ensemble des paramètres du tournage au jour le jour afin que le planning soit respecté.

Cela dépasse de beaucoup le travail habituel d’un premier assistant !
Cela va encore plus loin dans la mesure où j’ai vraiment participé à tous les niveaux à la conception de ce film. J’étais présent à toutes les réunions durant la pré-production, j’ai supervisé la construction du bassin artificiel dans lequel ont été tournées les principales scènes navales du 2 et du 3 et j’ai participé aux repérages, au casting des figurants et des rôles secondaires. Cela suppose une véritable relation de confiance avec le réalisateur, comme ce fut le cas sur Air Force One ou sur la saga des Pirates des Caraïbes. C’est la raison pour laquelle j’ai été souvent également crédité en tant que producteur associé.

Comment organise-t-on un tournage sans script, comme ce fut le cas sur ce film ? C’est précisément ce qui m’a plu dans le fait de travailler avec Gore Verbinski. Il a un sens visuel très fort et partant des grandes lignes de l’histoire ; il savait exactement ce qu’il voulait tourner et comment il voulait le faire. A partir de là, nous avons passé des semaines sans script, à storyboarder le film dans sa totalité avec des dessins très simples en bâtonnets. D’ailleurs, ce fut exactement la même chose sur les films 2 et 3. Nous n’avions pas de script au moment de commencer à travailler. Nous avions deux pièces, l’une pour Le Secret du Coffre Maudit et l’autre pour Jusqu'au Bout du Monde, et sur les murs nous avons créé la totalité de chaque film à partir de ces dessins très simples. L’ensemble a été amélioré plus tard par de véritables artistes de storyboard, mais en attendant, Gore savait exactement comment devait être chaque scène, tant du point de vue visuel que du point de vue du rythme, à partir de petites feuilles de papier épinglées sur les murs. Il ne partait que de deux ou trois paragraphes écrits, parfois moins, puis il nous décrivait comment il voulait tourner ces scènes, parfois il dessinait les angles de caméra et les prises de vue qu’il souhaitait. Et en dessous de cela, il épinglait le storyboard. C’est à partir de cet endroit que j’ai appelé « The Wall-Room » que j’ai organisé le tournage et que j’ai déterminé le nombre de jours qu’il faudrait pour tourner l’attaque du Karken, par exemple. Tout cela fait que le travail avec Gore est très différent de celui avec les autres réalisateurs dans la mesure où il visualise très tôt l’ensemble du film et qu’il apporte énormément à l’histoire à travers son approche très visuelle. En d’autres termes, c’est souvent sa vision, avant que le script soit écrit, qui a été intégrée dans le scénario et non l’inverse comme c’est plus généralement le cas ; un plan particulier ou encore une séquence qu’il a voulu insérer entre deux scènes pour mieux faire avancer l’histoire. Il parvient vraiment à embellir l’écriture scénaristique à travers sa propre vision.

C’est ce qui fait de Gore Verbinski un conteur hors-pair.
C’est très clair quand vous voyez ses films, en particulier des blockbusters comme ceux-là. Il a une approche suffisamment solide pour scotcher le public à son fauteuil. En ce sens, Jerry Bruckheimer et lui sont bien de la même veine. Vous trouvez une scène d’action toutes les dix ou douze minutes, tantôt un morceau de bravoure, tantôt un trait de comédie, tantôt une explosion : quelque chose qui vous tient en haleine et qui fait que le film vaut les euros que vous y avez mis pour payer votre place. On ne peut construire un film comme cela avec simplement un grand moment au début, un autre au milieu et un autre à la fin. Il faut régulièrement relancer l’attention par une surprise. Cela doit être comme une attraction à la fête foraine. C’est un mélange parfaitement équilibré entre la dimension comique apportée par les scénaristes, l’ampleur que Jerry Bruckheimer a apportée au projet et le talent des acteurs. Le résultat est une aventure épique inouïe, située à une époque passionnante, notamment du point de vue visuel et magnifiquement interprétée.

Dans la mesure où une partie de la production a eu lieu simultanément, on associe souvent Le Secret du Coffre Maudit et Jusqu'a Bout du Monde. Est-ce aussi votre sentiment à vous qui avez vécu cette aventure de l’intérieur ?
Pas vraiment. Pour moi, ce sont vraiment trois films différents. Le fait de tourner le 2 et le 3 en même temps a rendu les choses compliquées du point de vue des décors, des maquillages, des costumes, des coiffures, des acteurs et des figurants, bref du point de vue de la logistique en générale. Et je pense que les créateurs des films ont tout fait pour les rendre différents. Dans le 3, vous voyez toute l’évolution des personnages et les changements dans le ton du film. Le premier était très léger et drôle, le deuxième était plus impressionnant et a apporté une dimension épique, tandis que le troisième est arrivé à une dimension plus mature et plus sombre du point de vue des personnages. J’adore cela. C’est d’autant plus intéressant pour le public de pouvoir découvrir une telle évolution, de telles différences. Cela se ressent notamment à travers le personnage d’Orlando Bloom. Dans le 1, c’était un jeune garçon et la saga raconte d’un certain côté son passage à l’âge adulte. Cela se ressent également dans la lumière de ce troisième opus, plus sombre, comme pour montrer que, progressivement, on s’achemine vers la fin d’une époque, celle des pirates.

Comment s’est passée votre collaboration avec les deux principaux scénaristes du film, Ted Elliott et Terry Rossio ?
Au début de la production de POTC 2 et 3, nous avions nos bureaux à côté les uns des autres. Nous nous amusions de la pression qu’il régnait à cette époque de la part de la production et du département « écriture » afin de faire en sorte que tout soit prêt pour le tournage. Je rentrais dans leur bureau et je leur disais : « j’ai besoin de la prochaine scène ! Où est-elle ? ». Je regardais alors leur tableau noir avec leurs petites cartes et j’avais une idée de ce qui allait suivre. D’une certaine façon, nous nous « espionnions » les uns les autres. Eux venaient voir comme j’organisais le tournage de leurs scènes, et moi je venais les voir pour prévoir les futurs tournages. Parfois, nous venions leur demander d’écrire une scène qui devait se trouver en plein milieu du film, simplement parce qu’elle devait être tournée dans les mêmes conditions de scènes antérieures. Ils abandonnaient alors la continuité de leur histoire pour se concentrer sur cette nouvelle scène. Ce fut un véritable partenariat. Nous avons travaillé main dans la main afin de respecter les délais.

Pouvez-vous nous parler de la direction artistique du film ?
En fait, le designer a changé entre le 1 et le 2. Chacun avait son style, mais les deux ont eu un point commun, Port Royal. Nous sommes retournés à St Vincent, où se trouvaient les décors, et en dépit de quelques ouragans, la majeure partie de la ville était toujours là après un an et demi. Il a naturellement fallu reconstruire certains éléments, en dépoussiérer d’autres, mais nous avons retrouvé nos marques avec grand plaisir. Pour le reste, je suis toujours ébloui par la qualité du travail réalisé en la matière, toujours plus riche. C’est ainsi que dans le 3 on explore toutes sortes de pays qui furent l’occasion de construire toutes sortes de décors, parmi les plus impressionnants qu’il m’ait été donné de voir !

L’argument du premier film était de rendre hommage à l’attraction légendaire de Disneyland. Comment cela a-t-il évolué d’un film à l’autre ?
Une fois qu’on a rendu hommage une fois, il est difficile de recommencer encore et encore. Le premier opus était véritablement un coup de chapeau à l’attraction et je pense que Gore a vraiment essayé de rester fidèle à son esprit à travers le chien, les clefs, etc. Il ne faut pas oublier que c’est le fondement de la saga. De fait, il y a toujours des références comme la bagarre dans la taverne tandis que l’orchestre joue du violon. Ce fut un grand plaisir de créer ce genre de scène et de renouer, en ce qui me concerne, avec l’époque où j’ai découvert l’attraction, quand j’avais six ans. Mais cela n’a jamais été fait avec lourdeur ce qui fait qu’il a été possible de continuer dans cet esprit sans pour autant rester prisonnier de l’histoire de l’attraction.

L’un des décors les plus impressionnants est celui de Singapour, construit aux studios Universal. Pouvez-vous nous en parler ?
Je suis totalement d’accord avec vous : c’est l’un des décors les plus incroyables dans lesquels il m’a été donné de travailler ! Depuis les premiers concepts, nous savions que le film devait se dérouler pour partie à Singapour : Gore et son directeur artistique avaient situé là le fait que nos héros viennent secourir l’un des leurs et nous nous sommes dits que ce contexte oriental devait être spectaculaire. Nous nous sommes alors demandés comment créer un tel décor et où. Il faut savoir que Singapour, tout comme un grand nombre de villes de cette région, sont contruites sur des rives. Il fallait donc construire notre ville sur pilotis pour pouvoir avoir de l’eau sur a peu près la moitié des décors. S’est alors posée la question de savoir où il serait possible de créer notre Singapour : à l’extérieur ? près d’un lac ? d’une retenue d’eau ? d’un réservoir ? Fallait-il inonder un studio ? Dans ces conditions, il fallait un studio assez grand pour pouvoir supporter également toutes les explosions que nous avions prévues. Après avoir réfléchi et exploré toutes les manières de développer les séquences de Singapour, nous avons décidé de les tourner dans les deux plus grands studios d’Universal, où il est possible de relever le sol et où il y a un réservoir. Nous avons même approfondi ce réservoir, construit nos décors en hauteur, puis inondé le studio. De son côté, Rick Heinrichs, le designer du film, s’est occupé de réaliser tous les détails de ces décors. C’était incroyable : les bâtiments, les toits, tout était fait avec une telle profusion de détails qu’on se croyait vraiment à cette époque à Singapour. Nous y avons notamment tourné la scène où l’on rencontre le pirate asiatique, Sao Feng, dansun établissement de bains de vapeur. Ce fut une scène terriblement difficile à filmer à cause de la chaleur. Souvent, au cinéma, pour simuler la vapeur, on utiliser de la fumée mais ce n’est pas toujours satisfaisant, cela donne une ambiance de brouillard assez confuse. Nous devions avoir des centaines de figurants assis dans des baignoires, et pour ce faire, nous ne pouvions les faire tourner plusieurs jours d’affilée dans de l’eau froide. Nous avons donc dû chauffer l’eau, comme pour un jacuzzi. Ce qui fait que nous avons travaillé littéralement dans un hammam pour cette séquence. Imaginez alors les barbes postiches qui se décollent, le maquillage qui coule, la chaleur des perruques et des costumes. Sans compter que nous avions également un énorme combat à l’épée suivi d’une fuite au milieu des explosions !

On imagine à peine le travail logistique !
Pour toutes ces raisons, la sécurité de ce plateau a été une préoccupation majeure pour moi. Rendez-vous compte qu’une grande partie des structures était en bambou, ce qui donnait l’impression que le sol pouvait s’effondrer à tout moment sous nos pieds ! Fort heureusement, nous sommes à Hollywood et cette fragilité n’était que factice : toutes les structures étaient renforcées. Mais c’était tellement bien fait, tellement bien camouflé qu’il nous semblait que le pont pouvait s’effondrer en moins de deux. Les acteurs arrivaient, voyaient tous ces trous dans le sol et avaient peur de tomber. C’est pourquoi mon travail a notamment été de les rassurer. Il faut dire qu’avec cette chaleur et cette vapeur en permanence, vous ne pouviez même par repérer la sortie. Le village que nous avons créé est un véritable labyrinthe, avec des passages de partout. Impossible de trouver la sortie. Nous avons donc dû faire des exercices d’évacuation chaque semaine. On sonnait l’alarme et tout le monde devait se rendre vers la sortie la plus proche !

Les séquences du délire schyzophrénique de Jack dans l'antre de Davey Jones ont été tournées à Bonneville Salt Flats, dans l’Utah.
C’est un lieu que je connais bien pour y avoir tournée pas mal de publicités. Il suffit que vous vous vous avanciez d’un kilomètre dans ce désert et vous avez l’horizon à 360° autour de vous. C’est comme une sorte de mirage. On y fait tous les tests pour les records de vitesse. Le sol est totalement blanc. C’est comme si on se trouvait sur la Lune. C’est la raison pour laquelle on y a tourné les scènes sensées se passer aux tréfonds de l'océan.

Un autre lieu de tournage célèbre : les chutes du Niagara.
Cela a été fait, tout comme les séquences que nous évoquions juste avant, a la fin de la production du 3. Mais ce n’est pas la première équipe qui y est allé, plutôt celle des effets spéciaux pour apporter aux effets aquatiques de la plongée dans l'antre de Davey Jones.

Pouvez-vous nous parler de l’aspect humain du tournage ?
Quand vous participez à un projet aussi long que la saga Pirates des Caraïbes, vous développez forcément une relation avec les acteurs et l’équipe. Tous, nous devenons une sorte de grande famille. Parce que, sur ce genre de film, vous n’avez plus de temps pour votre véritable famille. Normalement, la production d’un film dure de quatre à cinq mois. Sur Pirates des Caraïbes, cela a duré plus d’un an, avec plus de 125 jours de tournage. C’est énorme. Et j’ai des collègues qui y ont travaillé encore plus longtemps que moi. Cela crée des liens, une relation de confiance. Les acteurs savent qu’ils peuvent compter sur vous pour assurer leur confort, leur sécurité, leur information à propos de ce qu’ils doivent faire chaque jour.

Avec-vous des anecdotes de tournages ?
Pour vous dire la vérité, Pirates des Caraïbes a représenté un travail incroyablement difficile pour chacun d’entre nous. Pour le premier assistant réalisateur, les meilleurs souvenirs sont des souvenirs de travail, quand tout fonctionne comme cela a été prévu. D’autres membres de l’équipe comme les acteurs, les maquilleurs, les costumiers, ne passent pas nécessairement autant de temps sur un plateau. Pour moi, c’était 14 heures par jour, six jours par semaine. De par cette énorme quantité de travail, il n’était pas matériellement possible de partager beaucoup d’expériences annexes avec eux sur le tournage. Quand vous êtes assis au beau milieu de la jungle à attendre qu’on vous maquille ou qu’on vous appelle pour tourner, vous avez des moments de pause. Mon travail est tellement intense, le souci de faire en sorte que la journée de tournage se passe bien, la sécurité de 400 personnes qui travaillent sur l’eau, la coordination du département des effets, de l’équipe des caméras pour les combats, du département des bateaux, des cascades, des accessoires, tout cela est tellement énorme que je laisse tout le monde s’amuser. C’est là que je vois que mon travail porte ses fruits. J’essaie toujours d’apporter une atmosphère légère quand je travaille mais moi, je suis toujours sous pression ! Au final, ma fierté, c’est de voir tout ce que nous avons réussi à accomplir au quotidien. Quand je revois ce combat à l’épée sur cette langue de sable au beau milieu de l’océan dans Le Secret du Coffre Maudit, tout comme les pour-parlers avec Lord Beckett dans Jusqu'au Bout du Monde et que je repense que cela a impliqué la présence de 400 personnes réparties dans plusieurs hôtels, 400 personnes qui doivent prendre des bus qui doivent les transporter vers des bateaux qui vont eux-mêmes les transporter vers des cargos sur lesquels se trouve tout le matériel, qui doivent alors reprendre des bateaux pour les amener sur cette petite bande de sable, et tout cela pendant plusieurs jours, je suis toujours impressionné. C’est phénoménal, ce que nous avons accompli ! Pour répondre à votre question, les moments les plus drôles ont plutôt eu lieu lors de la pré-production, à l’époque où nous étions à la recherche de ces lieux incroyables pour notre tournage. Nous sommes allés d’îles en îles avec Gore, le designer du film et les gens du studio pour chercher où tourner l’attaque du Kraken ou les séquences d’attaque des chinois dans Pirates des Caraïbes 3. Je me souviens que nous avions repéré une plage qui nous semblait parfaite, comme vierge. Nous avons pris le bateau, accosté et avons sauté du bateau dans la mer pour nous y rendre, puis le soir, nous sommes retournés à l’hôtel où nous avons raconté notre voyage. C’est à ce moment que les gens là-bas nous ont dit : « vous êtes allés sur cette plage ?!! La baie est truffée de requins ! » Et nous n’en savions rien. C’est ainsi que se sont passés nos repérages. Un jour, nous marchions dans la jungle et on nous a dit qu’il y avait des gorges magnifiques qu’il nous fallait voir, un peu plus loin. C’était une journée très chaude. Nous avons trouvé de l’eau qui venait d’une chute dans la montagne. Nous avons tous ôté nos vêtements, sauté dans l’eau et nagé au milieu de ces gorges. Et c’est devenu une scène de Pirates des Caraïbes 2, quand les prisonniers des cannibales s’échappent, poursuivis par les indigènes qui leur lancent leurs sagaies. Cette scène ne figurait même pas dans le script. Nous avions simplement envie de nous rafraîchir et quand Gore a vu cela en nageant, il a trouvé qu’il fallait absolument que l’on tourne quelque chose dans ce cadre splendide. Une séquence supplémentaire inspirée tout simplement par un lieu fantastique trouvé par hasard. Et c’est ainsi que nous avons passé deux jours à tourner cette scène dans l’eau ! Quelque part, nous avons réellement vécu l’histoire de Pirates des Caraïbes, nous avons réellement vécu cette aventure. « Regardez, une plage déserte !... Allons-y !... de l’eau fraîche ! Allons jeter un coup d’œil !... » Si cela avait été sur une autre production, nous aurions construit ces gorges ; là, nous avons filmé dans les conditions réelles, et je peux vraiment vous assurer que c’était pour de vrai !

Le processus a-t-il été le même sur Jusqu'au Bout du Monde ?
La Malédiction du Black Pearl et Le Secret du Coffre Maudit proviennent vraiment de ces expériences, de ces recherches de lieux étonnants. Les Cannibales, cette séquence, la façon dont ils sont accoutrés, les lieux, tout cela vient d’une île bien particulière. C’est parce que, sur l’île de la Dominique, vous trouvez un groupe de gens qui descendent réellement de tribus indigènes, et qui ont une apparence très spécifique, très caribéenne. Ils ont des traits indiens, ils vivent dans les Caraïbes, ils ont les cheveux roux, l’île a des pitons et autres pics très caractéristiques. Tout cela a fait que les Cannibales de Le Secret du Coffre Maudit ne sont pas stéréotypés. Ils sont basés sur des données réelles. D’ailleurs, cela fut assez difficile de convaincre ces gens très timides, de tourner dans notre film. Mais nous voulions vraiment quelque chose d’authentique et d’unique. Il a fallu leur montrer que nous ne voulions en aucun cas nous moquer de leur histoire, que nous faisions un film de fiction et que cela nous intéressait tout particulièrement qu’ils puissent y participer. Ils avaient très peur d’être stigmatisés en tant que descendants de cannibales, mais nous avons fait très attention à ce que ce ne soit pas le cas. Le résultat de cette démarche est la couleur inimitable de ces films, grâce à l’authenticité de leurs participants et des lieux de tournage. Il n’était pas possible de retrouver le même type d’expérience sur Pirates des Caraïbes 3 car, en dehors de Singapour, une grande partie de l’histoire se déroule en mer, en bateau. On y trouve toujours des lieux incroyables comme l'antre de Davey Jones (on y retrouve également Port Royal et Tortuga), mais le sujet du film se focalise davantage sur les pirates et sur l’évolution des personnages qui ont été créés depuis le début de la saga. Il s’agit vraiment de l’éradication des pirates par les Anglais.

Avez-vous participé à la post-production des trois films?
Non. Le travail du premier assistant réalisateur s’arrête à la fin du tournage. C’est alors que les producteurs comme Jerry Bruckheimer prennent les choses en main et s’occupent de la post-production.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de cette saga ?
Vraiment, c’était de me retrouver à bord du Black Pearl. Le moment où les voiles sont déployées, que vous avez une centaine de personnes en costumes d’époque jouant leur scène devant trois cents membres de l’équipe dans l’eau : c’est incroyable ! Quand vous pensez que nous avons tourné sur un bateau d’époque construit de neuf de la proue à la poupe ! Il n’y a rien dans ce film qui ait été simplement emprunté à un accessoiriste ou loué. J’ai eu la chance, pour le premier film, de pouvoir aller à Londres avec Gore Verbinski pour réaliser des castings pour certains des rôles principaux. L’accessoiriste est aussi venu avec nous car il voulait chercher des accessoires d’époque, chose introuvable dans un pays neuf comme les Etats-Unis. Dans la mesure où j’ai passé ma jeunesse à Londres, je savais où l’emmener et nous sommes ainsi allés chez des antiquaires dans le centre et la périphérie de la ville, ainsi qu’à Greenwich. C’est là où nous avons trouvé l’épée, le compas et le télescope du film. Pour moi, cela restera également un moment unique : Entrer dans ce magasin d’antiquités et trouver l’épée la plus ancienne et la plus cool qu’on puisse trouver. Nous sommes immédiatement allés la montrer à Gore et nous sommes tombés d’accord. C’était l’épée de Johnny ! Ce pommeau noir, cette lame courte couverte de poussière découverte dans un vieux coffre. C’était fabuleux ! La découverte fut fantastique et après le film, voir comment ces objets sont devenus des icônes pour tant de spectateurs, c’est une grande satisfaction. Dire que c’est mon métier ! Quand j’ai débuté, j’étais simplement assistant sur Star Wars, passant la majeure partie du temps dans les bureaux, mais j’ai suivi toute la production et notamment en Tunisie. A l’origine, les décors et les accessoires n’étaient qu’un montage à partir de matériaux de récupération. Je me rappelle avoir vu pour la première fois dans un atelier ce qui ne semblait qu’un assemblage bien anodin de pièces de casse. J’étais à mille lieues de penser que cela serait un objet que le monde entier voudrait voir et toucher, l’un des accessoires les plus mythiques dans l’histoire du cinéma : le premier sabrolaser ! Je considère que j’ai beaucoup de chance !

Quels sont vos derniers projets ?
Je viens de finir deux films d’affilée. L’un est une comédie hilarante avec effets spéciaux sur le milieu du patin à glace, Blades of Glory, l’autre est un film appelé Rendition, un thriller politique réalisé Gavin Hood, qui a remporté l’Oscar pour Tsotsi, et pour lequel je viens juste de rentrer du Maroc.

samedi, mai 26, 2007

LA PARADE DES RÊVES A DISNEYLAND RESORT PARIS : Entretien avec l'orchestrateur et chef d'orchestre Steve Sidwell

Que ce soit pour une musique de film ou pour une musique de parade, c'est la même chose. C'est le fruit d'une collaboration plus ou moins étroite entre un compositeur, ses thèmes, son style, ses esquisses, et d'un orchestrateur, chargé de mettre tous ces éléments en forme, c'est-à-dire effectivement jouable par un orchestre, au besoin en y glissant une petite touche personnelle.
C'est ce qui s'est passé entre Vasile Sirli, Directeur de la Musique de Disneyland Resort Paris et Steve Sidwell, pour la Parade des Rêves Disney.
Le concepteur de cette fantastique architecture musicale a ainsi demandé à l'arrangeur et chef d'orchestre britannique bien connu (Moulin Rouge, Le Monde de Némo -Beyond The Sea-, etc) d'apporter de nouvelles couleurs aux orchestrations du parc.
Une rencontre au sommet entre deux très grands artistes que nous raconte Steve Sidwell.

Comment définiriez-vous le rôle d’un orchestrateur ?
Mon rôle est de créer des textures musicales et d’embellir des morceaux de musiques préexistants. J’apporte des couleurs et des émotions particulières en jouant sur l’orchestration, que ce soit avec un orchestre symphonique ou un synthétiseur.

Vous avez également dirigé la musique de la Parade des Rêves Disney. En quoi consiste le travail d’un chef d’orchestre ?
Il s’agit de donner à l’orchestre une idée de la vitesse, des sentiments, des émotions et de la dynamique souhaitée. Pour moi, c’est un peu comme être le capitaine d’un bateau. Il faut faire en sorte que tout le monde travaille ensemble, dans le même tempo, représenter la dynamique d’un morceau à travers votre langage corporel et s’assurer que le texte (notes et phrasés) est respecté. En bref, c’est vous qui êtes en charge de l’orchestre et qui devez le guider à travers la partition.


Comment en êtes-vous venu à cette carrière ?
J’ai fait des études musicales à Londres. J’ai principalement appris la trompette, mais nous devions maîtriser à peu près tous les aspects de la musique dans notre cursus. Puis j’ai travaillé avec un certain nombre de groupes pop. J’ai commencé par écrire des arrangements pour cuivres, puis pour cordes, avant qu’on me demande d’arranger des morceaux dans leur totalité. Ce fut progressif et en aucune façon une progression délibérée… ma maman continue de souhaiter que j’aie un vrai métier !

Vous êtes connu, notamment, pour votre participation à Moulin Rouge. Pouvez-vous nous en parler ?
En fait, je n’ai pas eu un rôle si important que cela. J’ai arrangé quelques chansons. J’avais déjà travaillé avec Craig Armstrong par le passé et il a pensé que j’étais la bonne personne pour s’occuper de l’écriture des cuivres. Ce fut un processus très intense dans la mesure où le réalisateur, Baz Luhrmann, s’implique dans chaque aspect de ses films. Il m’a donné certaines orientations en termes d’atmosphère et d’enthousiasme. C’est quelqu’un de très dynamique et qui m’a beaucoup inspiré. Il y avait beaucoup de monde impliqué dans ce film, mais il est très fort pour obtenir le bon résultat de la bonne personne.




Vasile Sirli a fait appel à vous après avoir entendu vos arrangements pour l’album de jazz de Robbie Williams, Swing when you’re winning. Comment les avez-vous conçus ?
Je n’ai pas révolutionné l’orchestration du swing. Elle existait sous cette forme depuis longtemps déjà. Mais j’ai adapté la musique d’une façon qui corresponde à Robbie qui était connu uniquement en tant qu’artiste rock. J’ai été très inspiré par sa personnalité et par son énergie. J’ai essayé de mettre la même énergie dans ma façon d’orchestrer, mais aussi de diriger l’orchestre.

Qu’est-ce qui vous a intéressé dans le projet de la musique de la Parade des Rêves Disney ?
J’ai été contacté par le biais de mon agent par Vasile Sirli. Il m’a dit qu’il avait apprécié le nouvel album de Robbie et qu’il pensait que mon style correspondrait bien aux ambitions de la nouvelle parade de Disneyland Resort Paris. J’ai été très honoré d’être contacté par Disney. Je suis depuis longtemps un fan. J’ai vu presque tous les films et j’ai visité les parcs à thème de Paris et de Californie avec mes enfants. Ce qui me plaît chez Disney, c’est qu’ils savent travailler. Leur niveau de qualité est toujours très élevé. En termes de musique, cela sonne toujours bien et les compositeurs Disney comptent parmi mes préférés. J’ai donc été honoré d’avoir l’occasion de m’associer à ce niveau d’exigence et ce fut un véritable défi que d’essayer de l’atteindre. De plus, Vasile savait exactement ce qu’il voulait et nous avons appris à travailler ensemble. Ce fut un processus complexe mais très intéressant.

Comment avez-vous travaillé avec Vasile Sirli (photo ci-dessous)?
Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois pendant ce processus d’orchestration. Nous nous sommes téléphonés plusieurs fois par semaine et envoyé des emails plusieurs fois par jour. Il avait un plan d’ensemble remarquable et très précis et je n’ai eu qu’à mettre ses idées sous forme orchestrale et donner vie à toutes les couleurs qu’il avait imaginées. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui. Il m’a aussi très gentiment demandé d’être moi-même dans les arrangements que j’allais faire. Ce fut donc une véritable collaboration entre lui et moi, chacun apportant un peu de sa propre personnalité.


Quels sont les moments les plus caractéristiques de votre style ?
Je dirai la musique du char des Rêves de l’Amitié. J’aime beaucoup apporter de l’énergie à mes orchestrations, notamment en mariant l’orchestre symphonique et l’orchestre pop. Et je m’en suis donné à cœur joie tout particulièrement sur ce char !

A partir de quel matériel avez-vous travaillé ?
Vasile m’a envoyé des fichiers audio piano ainsi que des esquisses très précises de toutes les musiques de la parade.

Si vous le voulez bien, nous pouvons détailler les musiques de chaque car. Commençons par celui des Rêves de l’Imagination.
Je dois dire que j’ai été très inspiré par toutes les images que m’ont envoyé Vasile Sirli et la metteur en scène Katy Harris. De fait, j’ai conçu ce char de façon très classique, un peu comme une marche, avec un esprit un peu royal, notamment pour Minnie’s Yoo-Hoo.

Vient alors celui des Rêves de Joie et de Folies avec Alice et Pinocchio.
Globalement, j’ai essayé de faire une orchestration qui soit à la fois amusante et magique. Pour cela, j’ai utilisé beaucoup de cloches d’orchestre (« tubular bells ») afin de mieux définir les contours des différentes musiques des différents personnages. De plus, pour Pinocchio, j’ai eu l’idée d’utiliser des marimbas, qui ont un son quelque part très boisé, et d’autres instruments en bois, sans oublier une pointe d’accordéon. Et pour Alice, j’ai plutôt misé sur la beauté à travers des cordes lyriques et de grands traits de harpe. Pour toutes les musiques de cette parade, je dois dire, je me suis beaucoup inspiré des personnages eux-mêmes et ce sont eux, pour une bonne part, qui m’ont suggéré l’utilisation de tel ou tel instrument spécifique.

Pour le char des Rêves de l’Amitié, comment êtes-vous parvenu à donner des couleurs jazzy à Winnie l’Ourson sans toucher à son identité musicale ?
L’idée a été de partir des couleurs musicales du Toy Story de Randy Newman et de le prolonger dans l’univers de Winnie l’Ourson en restant joyeux et clair. Ce genre de jazz est plein d’énergie et sautillant et cela se mariait très bien avec le personnage de Tigrou.

Peter Pan et Mary Poppins, les deux histoires rassemblées sur le char des Rêves de Fantaisie, ont des origines très britanniques. Comment avez-vous traité cet aspect du point de vue de l’orchestration ?
Je suis tout principalement retourné vers les cloches, à cause de Big Ben, qui est un son très « british » et qui convenait parfaitement au décor du char, inspiré des toits de Londres. Mais je me suis également intéressé au côté « fantaisiste » de ce char en faisant notamment appel au ukulélé. Cela apportait à la fois la touche d’humour qui allait avec l’esprit du char et en même temps cela permettait une allusion à la scène de claquettes sur les toits de Londres, Step in Time, dans le film de Walt Disney.

Un autre instrument inattendu dans ce contexte est l’accordéon, pour l’arrangement de Supercalifragilistic.
C’est toujours ce côté « fantasiste » du char. En même temps, cette chanson a un côté très « music hall » de par son écriture et de par son interprétation dans le film original. Or, à l’époque, il y avait souvent un accordéon dans les orchestres de music hall et j’ai voulu en quelque sorte renouer avec cet esprit très sympathique. Cela permettait également de faire le lien avec l’autre histoire du char, Peter Pan, dont la musique originale renferme aussi une partie d’accordéon.

Dans la musique du char des Rêves de Pouvoir, vous avez souligné la mélodie de Poor Unfortunate Souls, la chanson d’Ursula, avec un cymbalum. Comment vous est venue cette idée ?
Pour moi, Ursula a un petit côté russe/Europe de l’Est et je me suis souvenu que les espions russes dans les « James Bond » étaient souvent mis en musique avec cet instrument. L’idée a donc été d’apporter cette couleur particulière à ce personnage.

Pour ce même char, on retrouve la musique de Modeste Moussorgski, Une Nuit sur le Mont Chauve, pour l’évocation du Chernobog de Fantasia. On passe ainsi carrément à la musique classique.
Exactement, et pour ce faire, je me suis retourné à la partition originale du compositeur pour être le plus fidèle possible sa remarquable orchestration. Ce fut une pièce assez difficile à jouer à cause de sa virtuosité et de sa tonalité, notamment du point de vue des cordes. Mais le Royal Philharmonic Orchestra s’en est magnifiquement sorti, comme à son habitude !

Le char des Rêves d’Aventure réunit l’exotisme et l’humour à travers ses deux histoires. Qu’en est-il du point de vue musical ?
Pour Le Roi Lion, nous avons utilisé des flûtes ethniques pour signifier cet exotisme. Quant au Livre de la Jungle, il faut dire que le film renfermait déjà cet humour à travers une couleur très jazzy. Nous avons donc renoué avec ce style, très « New-Orleans », en faisant appel à des musiciens spécialistes en dehors de l’orchestre. C’est une pratique courante pour le RPO lorsqu’il s’agit d’intégrer des styles très spécifiques. Le challenge était également de trouver une approche de ces deux univers qui puisse intégrer les tam-tams africains qui sont embarqués à bord du char et qui jouent tout le long. Ce fut très intéressant.

L’exotisme est de nouveau de mise avec l’évocation d’Aladdin du char des Rêves d’Amour et de Romance.
Andy Findon, notre flûtiste, est un grand spécialiste de son instrument. Il possède entre cinquante et soixante flûtes en bois qu’il a collectées à travers le monde et pour nos enregistrements, il a puisé dans sa collection les instruments qui correspondaient le mieux au son que nous recherchions et aux tonalités dans lesquelles étaient écrits nos morceaux. Il a donc utilisé une flûte ethnique pour Le Roi Lion, et une autre pour A Whole New World, extrait d’Aladdin. Quand on écrit et qu’on enregistre en studio comme nous l’avons fait, il est très agréable de pouvoir penser certains interprètes en particulier, qui joueront ce que vous avez écrit. J’ai d’excellentes relations avec les musiciens de Londres et c’est en pensant à eux que j’ai écrit certaines parties instrumentales. Je pense notamment à Julian Stringle, le clarinettiste de l’orchestre. J’avais sa sonorité et son style de jeu en tête au moment d’écrire pour son instrument.

Sur le dernier char, la guitare apporte une douceur et une poésie inédites à La Belle et la Bête.
J’aime beaucoup ce moment. Je trouve que la guitare convient très bien à cette mélodie. Vous savez, les gens de Disney ont été très impliqués et très détaillés dans leur préparation. Ils m’ont fait parvenir toutes sortes de dessins des chars avec des descriptions très élégantes, et cela m’a beaucoup inspiré.

Comment avez-vous traité la chanson de la parade, Just Like We Dreamed It de Sunny Hilden, qui apparaît plusieurs fois dans les musiques de déplacement des chars ?
Elle apparaît sous trois ou quatre formes différentes au cours de la parade. Nous l’avons traité de façon délibérément plus orchestrale que la version « single ». Certaines versions sont plus animées que d’autres ; nous nous sommes adaptés à chaque fois à l’atmosphère des différents chars.

Avez-vous utilisé des sons électroniques ?
Tout-à-fait. Pour le cymbalum, par exemple. En fait, nous avons l’avons enregistré en deux fois, une fois normalement, une autre fois en le désaccordant un peu, afin d’obtenir cette sonorité très spéciale. De même, pour le char des Rêves de Joie et de Folies, Vasile a écrit un motif ascendant très léger destiné au piano et nous avons utilisé un synthétiseur analogique afin de lui ajouter des effets magiques et rêveurs.

Comment s’est passée la direction de l’orchestre lors de l’enregistrement ?
Le monde de Disney est tellement connu que les musiciens savaient exactement de quoi je parlais quand je leur expliquais les détails de la parade. Ils ont immédiatement mis leur immense talent au service de cette musique. C’est très important dans la mesure où il ne s’agissait pas de répétitions de concert, mais bien d’un enregistrement de studio, avec tout ce que cela implique au niveau financier. Il fallait donc être très efficace et travailler de façon « raisonnablement rapide ». C’est l’avantage de travailler avec des musiciens du niveau de ceux du RPO. D’autant plus que j’avais déjà travaillé plusieurs fois avec eux. Nous nous connaissions, donc, et cela nous a fait gagner du temps. L’enregistrement s’est passé dans les studios Angel de Londres. C’est un studio assez petit et nous étions un peu serrés, mais l’acoustique du lieu est remarquable et a été magnifiquement captée par l’ingénieur du son Steve Price. Tout c’est très bien passé !

A tel point que les musiciens ont demandé à Vasile Sirli s’il était d’accord pour qu’ils jouent un arrangement de sa musique lors d’un de leurs concerts, le 1er juin prochain, au Royal Albert Hall (photos) !
Chaque année, le RPO joue en concert certaines pièces qu’il a enregistrées dans les mois précédents. Cela s’appelle la « Filmharmonic Night ». Ils m’ont donc demandé si nous pouvions réaliser un arrangement de 12 minutes des musiques de la parade. C’est sur quoi je travaille actuellement et je dirigerai cette pièce. Le concert proposera des œuvres pour le cinéma et la télévision composées par cinq ou six compositeurs différents qui se succèderont au pupitre pour jouer leurs œuvres. C’est un très grand honneur d’en faire partie !



Photos (c) Disney ainsi que Luc et Krystof, avec nos remerciements.

mercredi, mai 23, 2007

PIRATES DES CARAÏBES - LA MALEDICTION DU BLACK PEARL EN BLU-RAY : Entretien avec le compositeur Klaus Badelt

Aujourd’hui où sort le troisième opus de la saga PIRATES DES CARAÏBES, Buena Vista Home Video nous invite à nous replonger dans les origines de cette aventure hors du commun en sortant LA MALEDICTION DU BLACK PEARL (ainsi que LE SECRET DU COFFRE MAUDIT) en Blu-Ray. Le film qui a radicalement dépoussiéré le genre du film de pirates, lui apportant une modernité inédite et passionnante.
C’est justement à cette modernité que tenait Jerry Bruckheimer dans sa vision du monde des pirates, et il n’a pas hésité à demander 2 millions de dollars supplémentaires afin de refaire la musique dans cet esprit qu’on lui connaît, renonçant au symphonisme d’Alan Silvestri pour mieux retrouver le style « Media Ventures », en la personne de Klaus Badelt.
Compositeur d'origine allemande (TATORT) né en 1968, il rejoint l'équipe de Hans Zimmer, le studio "Media Ventures", en 1997, dans le cadre duquel il participe à LA LIGNE ROUGE, MISSION : IMPOSSIBLE 2, PEARL HARBOR ou encore LA MACHINE A REMONTER LE TEMPS. Il fonde ensuite son propre studio, Wunderhorn Music, où il poursuit une carrière riche et originale.
Avant de parler de PIRATES DES CARAÏBES - LA MALEDICTION DU BLACK PEARL, nous voudrions évoquer avec vous un autre film Disney auquel vous avez participé (en tant que compositeur de musique additionnelle pour Harry Gregson-Williams), LES AVENTURES DE TIGROU.
Je n’ai fait que très peu de choses en fait. Seulement, il y avait dans ce film une partie avec big band. Il s’agissait de la séquence dans laquelle tous les amis de Tigrou sont déguisés en tigres et viennent le voir. J’adore écrire pour cette formation, alors qu’Harry Gregson-Williams est moins à l’aise par rapport à cela. J’ai donc écrit un arrangement pour big band de la chanson Whoop-de-Dooper Bounce des frères Sherman. Ce fut très amusant. Nous avions fait appel aux meilleurs musiciens de jazz de Los Angeles pour enregistrer cette pièce, et je peux vous dire que j’étais au paradis !



Votre musique pour PIRATES DES CARAÏBES : LA MALEDICTION DU BLACK PEARL est très différente des musiques traditionnelles de films de pirates.
Quand nous avons commencé à travailler, les créateurs du film m’ont dit qu’ils ne voulaient pas faire un film de pirates traditionnel. Par conséquent, il ne devait pas y avoir de cliché de musique de film de pirates. La première fois que j’ai visionné le film, j’ai vu l’entrée de Johnny Depp dans le port de Port Royal. Il incarnait en fait un anti-pirate, une rock star ! Je me suis alors demandé quel genre de musique je pouvais bien mettre sur ces images et j’ai pensé à quelque chose de très rock’n roll également, à mille lieues d’une musique d’époque. C’est bien en découvrant cette image que le style du film m’est venu.


Vous êtes arrivé très tard sur le projet, après le départ d’Alan Silvestri.
Tout s’est passé de façon très rapide. Je n’ai disposé que de 30 jours pour tout écrire, quand les créateurs ont réalisé qu’ils ne voulaient pas d’une partition classique. Par exemple, d’une certaine façon, les combats navals sont un peu les poursuites en voiture de ce film ! C’est pour cela que le producteur Jerry Bruckheimer et le réalisateur Gore Verbinski sont venus me voir et m’ont dit qu’ils pensaient que je pouvais faire cela pour eux. Je ne comprends pas pourquoi cela n’a pas fonctionné avec Alan. Je ne sais pas ce qu’il avait fait, mais je pense qu’il était le compositeur idéal pour ce film.

En tout cas, votre partition témoigne d’un grand enthousiasme !
Il est vrai que tout cela s’est passé dans l’excitation. Quand on m’a proposé ce film, je n’ai disposé que de 2 heures pour me décider. Je savais qu’il fallait beaucoup de musique -c’est un film assez long- et que j’aurai très peu de temps pour l’écrire. Ce fut une telle précipitation, entre la première projection et l’enregistrement, que je dois vous avouer que j’en ai encore le tournis. Imaginez ne pouvoir dormir que deux heures par nuit pendant un mois… vous comprenez ce que je veux dire ! Mais quand j’ai vu le film, je me suis vraiment enthousiasmé pour lui, et l’on n’a pas si souvent l’occasion de faire un film de pirates. Et puis, il y a ces personnages, avec en particulier Johnny Depp en rock star à la fois brillante et drôle. Enfin, c’était un film Bruckheimer. Pour toutes ces raisons, je devais vraiment le faire.



Les délais très courts dont vous disposiez constituaient en eux-mêmes un challenge de taille !
Dans ces conditions, on fonctionne beaucoup à l’instint. Quand on a aussi peu de temps, on ne peut jamais regarder en arrière, on n’a pas le droit à l’erreur. C’est un peu comme une improvisation pendant un concert. On ne peut se permettre de tenter des choses risquées, il faut toujours privilégier une approche sécurisée car on n’a pas le temps d’y revenir. Et encore ! Nous avons quand même pu faire des corrections, adoucir un thème, renforcer une émotion, et l’avant-dernier jour, nous réenregistrions encore certaines parties. Ce fut un grand luxe ! Je ne sais pas si j’aurais fait les choses autrement si j’avais eu plus de temps, mais en tout cas, cela m’aurait permis de mieux me sentir ! C’est comme un roller coaster : pas le temps de réfléchir et conceptualiser, il faut y aller ! En tout cas, je n’ai jamais rendu quelque chose que je considérais comme insatisfaisait ou inachevé.


Comment s’est passée votre collaboration avec Gore Verbinski ?
Ce fut fantastique ! C’est quelqu’un de très proche de la musique, un musicien lui-même. Il était très précis dans ses indications car il a une idée précise de ce que cela peut donner avec la musique. Il était très exigeant, mais pour de bonnes raisons. Il me poussait jusqu’à mes dernières limites. Ce fut génial ! Nous avons travaillé tout particulièrement sur l’idée de malédiction et tout le mystère qui l’entoure. Au départ, je voulais faire un grand thème, très musical et très élaboré, mais cela n’a jamais vraiment marché jusqu’à ce que nous en venions à quelque chose de très petit et simple : un woodblock et un petit motif à la flûte ethnique. Nous avons donc beaucoup travaillé ensemble afin d’éviter au maximum les clichés et de faire en sorte que ce film soit unique, avec une approche musicale nouvelle, à laquelle on ne s’attend pas dans un tel film.


et avec Jerry Bruckheimer ?
Nous nous connaissions déjà puisque j’avais participé à PEARL HARBOR. J’ai beaucoup de respect pour lui. Ce n’est pas quelqu’un qui se prend pour plus qu’il n’est. C’est seulement quelqu’un qui fait du très bon boulot. Il a été très honnête, direct et m’a laissé faire. Il a été fantastique.

Cette fois, Hans Zimmer n’était crédité que comme producteur.
Ce fut très pénible ! Non, je plaisante ! Quand j’ai accepté de faire ce film, je suis allé voir Hans et je lui ai dit que cela allait être un véritable cauchemar. Pas de temps et tant de musique à composer. Je paniquais. J’avais besoin de son aide, non pas en termes d’écriture, mais en termes de gestion de tout cela. Il avait déjà travaillé avec Gore Verbinski, et beaucoup avec Jerry Bruckheimer. Ce fut à la fois un manager et un producteur dans la mesure où il m’a permis de garder une certaine distance entre eux et moi. Il me traduisait ce qu’ils voulaient et m’a donné beaucoup de conseils. Il est la principale raison pour laquelle j’ai finalement accepté de faire ce film. Je n’ai que des bons souvenirs avec Hans, à la fois quand c’était moi le compositeur, comme ici, et lorsque c’était lui, comme sur GLADIATOR.

Il nous a confié avoir quand même composé les thèmes principaux du film.
« Le succès a plusieurs pères », comme on dit !


Si l’on compare PIRATES DES CARAÏBES : LA MALEDICTION DU BLACK PEARL à vos précédentes partitions comme K-19 ou LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS, on constate qu’elle est plus proche du style traditionnel de Media Ventures.
C’est la faute de Jerry ! Cela sonne comme il le souhaitait. Ce que l’on appelle le son Media Ventures, c’est le son qu’il a créé avec Hans. Il adore ce type de musique et la plupart du temps, ses films vont dans ce même sens. Mais nous avons ajouté quelques petites choses dans cette dernière partition qui ne viennent pas de Jerry. Par exemple, pour l’attaque du village, nous avons ajouté des flûtes piccolos et des tubas jouant le thème : c’est le genre de choses qui lui donnent habituellement la migraine ! Mais il a écouté et il a dit : ‘oui, c’est bon, mais très surprenant !’.


Malgré cette flûte, il semble que vos orchestrations occultent souvent les bois (flûtes, hautbois, clarinettes, bassons…).
Je fais cela assez souvent, en effet. D’une certaine manière, les bois –à l’exception des solos occasionnels- apportent un petit côté « rétro » à mes orchestrations. Je dis souvent qu’ils « mozartisent » le son. De ce fait, j’ai tendance à les supprimer totalement la plupart du temps, pour garder un côté moderne.



Au milieu de ce foisonnement typique de l’équipe MediaVentures (le studio de Hans Zimmer, aujourd’hui renommé Remote Control), quels sont les autres passages plus authentiquement badeltiens ?
C’est une bonne question ! Tout d’abord, j’aime particulièrement la séquence du duel entre Jack Sparrow et Will Turner au début du film. C’est comme une chorégraphie, un ballet. J’en ai composé la musique avec l’aide de Ramin Djawadi (PRISON BREAK), qui est un ami. Il faut dire que, pour ce film, j’ai pu bénéficier de l’aide de tout le monde à Media Ventures en raison des délais ! Pour cette scène, nous avons utilisé chaque ligne de dialogue et chaque coup d’épée comme un rythme, une percussion. En plus de cet élément rythmique, il y avait une dimension comique, mais j’ai voulu davantage lui donner de la gravitas, du poids, un sentiment de danger : après tout, c’est un duel ! L’autre scène, parmi mes préférées, est très courte. C’est le moment où Will Turner est fait prisonnier et où deux pirates lui racontent l’histoire de son père. Il y avait un thème que nous n’avions pas vraiment réutilisé dans le film. Je me demandais avec anxiété s’il allait pouvoir fonctionner dans cette scène. Dieu merci, ce fut le cas, et plutôt bien ! Quant à ma troisième scène préférée, il s’agit du moment où la malédiction est conjurée. Les pirates baissent leurs armes et la lune redevient normal, elle n’exerce plus son pouvoir sur eux. Ici, j’ai écrit une sorte de Requiem pour les pirates. C’est une scène sincère ; on ne s’amuse plus. L’action fait place à de vrais sentiments.

Dans votre partition, on ne retrouve aucun élément musical de l’attraction.
Je dois avouer que je ne suis jamais allé à Disneyland si ce n’est le jour de la première du film, qui a eu lieu là-bas. Avant cela, je n’avais jamais rien entendu de la musique du parc, je n’avais aucune idée de l’attraction. Ce n’est que pour la première que je l’ai découverte et que j’ai compris toutes les allusions du film. On m’en avait bien parlé, mais il était difficile de se faire une idée précise. Et c’était d’ailleurs mieux ainsi. Nous ne voulions pas d’allusions musicales. C’est un film, c’est différent. C’était beaucoup plus subtil de se contenter de bribes de la chanson au début, par Elizabeth enfant, et à la fin, par Jack.

L’organisation narrative et thématique de l’album est très différente de celle du film. Quel genre d’expérience avez-vous souhaité susciter au disque ?
J’ai souhaité que l’album soit indépendant du film et que l’on s’intéresse à la musique en tant que telle. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé à Big Al Clay de compiler l’album pour moi. Je jetais un oeil régulièrement à son travail, mais l’important était de faire appel à quelqu’un qui n’avait rien à voir avec le film. A ce moment, il ne l’avait même pas vu. Il a donc organisé la musique de telle sorte qu’elle vive par elle-même, que l’album soit musicalement intéressant.

L’album commence par Fog Bound, une danse étrange, aux accents celtiques, jouée tantôt au violoncelle, tantôt à l’alto, et non pas au fiddle comme c’est plus traditionnellement le cas.
Cette musique a été écrite par un de mes amis, Craig Eastman, avec Bruce Fowler, pour Tortuga, l’île où tous les pirates se retrouvent et s’amusent. En fait, personne ne sait vraiment ce qu’est Tortuga ! C’est pourquoi il fallait une musique qui ne soit ni d’une époque ni d’un lieu précis, qu’on ne puisse savoir d’où elle vient. Nous n’avons pas fait appel au fiddle car cela aurait donné une voix trop irlandaise et innocente, alors que les pirates sont des personnages sombres : après tout, ce sont des voleurs ! Cette musique, c’est un peu leur idée du divertissement.

Pouvez-vous nous parler du thème principal de Jack Sparrow, qui apparaît dans The Medallion Calls ?
C’est un thème typique des héros à la Jerry Bruckheimer, justement parce que ce n’est pas un pirate comme les autres. C’est un thème sur mesure pour lui !

Or, la première fois qu’on l’entend dans le film, c’est lors de l’arrivée de Jack dans le port de Port Royal, tandis qu’il arrive fièrement aux commandes d’un bateau qui prend l’eau !
Exactement ! C’est une décision que nous avons prise de ne pas traiter cette scène musicalement par l’humour. Il y a une chose importante à propos de Jack : il pense toujours qu’il a totalement raison. En un sens, il vit dans une bulle, dans son propre monde. Il ne songe jamais qu’il pourrait avoir tort. Utiliser un thème héroïque pour cette scène, c’est la voir avec ses yeux à lui, de son point de vue. Il n’a jamais de problème. Le monde peut s’écrouler autour de lui, il reste toujours le même. C’est tout Jack !


Plus généralement, la musique de PIRATES DES CARAÏBES ne va presque jamais dans le sens de l’humour, qu’il soit verbal ou visuel.
Il ne fallait pas d’une musique de comédie. Elle devait soit accentuer le danger soit se placer du point de vue de Jack qui, jamais, ne s’imaginerait être comique. Pour vous, il peut paraître bizarre, mais pour lui, il n’y a rien de plus normal : ‘c’est quoi votre problème ?’ Si vous lui dites qu’il est drôle, il vous répond : ‘non. Comment ça ?’ La musique ne commente pas les gags, mais suit plutôt la vie de Jack.



Le son du thème des pirates de Barbossa est extrêment élaboré, avec des sonorités électriques et technos (Swords Crossed).
Nous avons beaucoup cherché avant de trouver la bonne musique pour les représenter. En fait, pour cette séquence, Gore m’a demandé ‘Cendrillon à un concert de Metallica’ ! Ce thème est très différent du reste du film et il n’apparaît en fait que deux fois tel quel.



Pouvez-vous nous parler de votre traitement des choeurs, enregistrés en Angleterre.
J’avais un son choral très particulier à l’esprit lors de la composition. Car, la plupart du temps, je n’utilise pas les choeurs en tant que chanteurs, mais plutôt pour créer des souffles et des sons gutturaux sombres et démoniaques. De ce point de vue-là aussi je ne voulais pas retourner aux ‘hey ho hey’ classiques des films des pirates. Il fallait donc autre chose que du chant traditionnel.

Parfois, comme dans Walk the Plank, vous faites appel à des figures polyrythmiques, la superposition de rythmes binaires et de rythmes ternaires.
La relation entre Jack et Barbossa est ambigue. Il y a à la fois du respect, de la crainte et de la haine entre eux deux. C’est la raison pour laquelle j’ai pensé à exprimer cette relation complexe à travers de tels rythmes.

Toutes ces musiques n’excluent pas un peu de sentiment, comme dans Moonlight Serenade.
C’est un beau compliment ! J’ai voulu apporter une touche romantique à ce film car c’est cela aussi qui fait avancer le film, la relation entre Will et Elizabeth, même si chacun d’eux accumule les maladresses à chaque fois !


Avec K-19, on a vu quel soin vous apportiez à la réalisation sonore de vos musiciens grâce à un choix très avisé de vos interprètes. C’est encore le cas ici avec des musiciens comme Emil Richards aux percussions, ce dernier ayant joué avec Charlie Mingus, Ray Charles, Frank Zappa, Jerry Goldsmith, John Williams, Elmer Bernstein, Henri Mancini, Lalo Schifrin, Michel Legrand et bien d’autres encore...
Une partition n’est rien sans de grands musiciens pour la jouer. Comme vous le savez, je préproduis toutes mes musiques sur ordinateurs au moyen d’échantillons. Cela permet au réalisateur de se faire une idée précise de ce que cela pourra donner. Mais c’est tellement différent quand des artistes de ce niveau les jouent ! C’est irremplaçable. Ils apportent une telle profondeur émotionnelle. Vous parlez d’Emil. C’est une vraie légende. Il a été fantastique. Il a joué à merveille ces percussions très sombres. Parfois, il en jouait même de deux instruments à la fois, ce qui donnait un son proprement incroyable : d’un côté, le gong et de l’autre l’immense taiko ! Je demande souvent aux artistes de faire des suggestions, à apporter leurs propres idées et à jouer à leur manière, de façon totalement libre.

Quel souvenir garderez-vous de cette expérience ?
Ce fut incroyable. Tout s’est passé si vite, comme à la vitesse de la lumière. Mais j’insiste sur le fait que j’ai bénéficié de beaucoup d’aide sur ce film. Nous sommes une équipe, et une excellente équipe. C’est ce qui fait la force de Media Ventures. Quand on a un travail comme celui-là à faire, vous ne pouvez vous en sortir seul. J’ai donc fait appel à tous ces gens que nous avons formés. J’ai moi-même formé Ramin. Il y a aussi Steve Jablonsky, Jim Dooley ainsi que Blake Neely, que je viens de découvrir (et je peux vous dire qu’il va faire de plus en plus partie de mes films !) et qui s’est également occupé de la direction d’orchestre. Ils ont été fantastiques ! J’en oublie, mais tous vont très bientôt démarrer leur propre carrière. C’est ce que Hans a fait pour moi et j’espère pouvoir le remercier en l’aidant en retour. En tout cas, c’est une vraie communauté artistique. Je profite donc de cette occasion que vous m’offrez pour leur dire tout simplement merci !

Quel regard portez-vous sur votre évolution depuis lors ?
Il me semble précisément que j’ai beaucoup évolué et, en quelque sorte, mûri, depuis ce film, que je considère comme faisant partie de mes premières expériences. Bien que je pense avoir réalisé une partition qui fonctionne bien, j’ai beaucoup changé et j’ai passablement affiné mon écriture en prenant mes distances du style « maison » pour aller vers quelque chose de plus créatif et un endroit plus adéquant pour moi tant sur le plan professionnel que personnel. C’est fantastique d’avoir un tel succès à son actif, à la condition de s’appuyer dessus pour être toujours plus créatif sur chaque film et ne jamais se répéter. C’est ce que j’ai essayé de faire avec des réalisateurs comme Chen Kaige, Richard Donner, Wolfgang Peterson ou encore Michael Mann. Je viens d’ailleurs de terminer un certain nombre de films très différents mais tout aussi intéressants. TMNT LES TORTUES NINJAS a été très amusant à faire, un film famillial avec beaucoup d’action avec une partition basée sur la rencontre entre l’orchestre classique et le rock, mixée avec des éléments ethniques. Le rêve pour un compositeur ! PREMONITION était quant à lui un thriller subtil avec un excellent jeu d’acteurs et un équilibre parfait entre la tension et l’émotion. Je suis en train de terminer SKID ROW, mon premier documentaire, avec Pras et les Fugees. Un projet dans lequel je crois vraiment, sur un sujet –la situation des sans-abris à Los Angeles- qui nous touche tous, tant au niveau local qu’international. Je produis aussi actuellement un auteur/compositeur/interprète de Londres, James Carrington et je construis mes propres studios à Santa Monica cet été. Je ne pourrais pas être plus heureux avec autant de projets aussi divers !

Remerciements particuliers à Christine Blanc!