lundi, janvier 29, 2007

LILO & STITCH : Entretien avec l'animateur Andreas Deja

L’expérience 626 n’aurait jamais pu devenir Stitch sans une petite hawaïenne au fort tempérament, mais au grand coeur nommée Lilo. Elle est la clef de la transformation incroyable de cette créature originellement programmée pour faire le mal. Il fallait le talent d’un très grand animateur pour réussir à donner une âme à cette petite fille si attachante et si complexe à la fois. Et c’est bien le cas d’Andreas Deja, véritable génie de l’animation qui, après avoir participé à des films comme BASIL, DETECTIVE PRIVE, OLIVER & COMPAGNIE, QUI VEUT LA PEAU DE ROGER RABBIT ? et LA PETITE SIRENE, est devenu superviseur de l’animation de Gaston, Jafar, Scar et Hercule, sans oublier ses contributions à FANTASIA 2000 ainsiqu’à MICKEY PERD LA TÊTE (RUNAWAY BRAIN), le cartoon présenté à l’époque en avant-programme de LILO & STITCH dans les cinémas. L’animation est un art, et Lilo fait partie des chefs-d’oeuvre d’Andreas Deja, à la fois fidèle à la tradition des Nine Old Men, mais dotée une personnalité unique dans le monde du dessin-animé. Rencontre avec un monument de l’animation, artisan du nouvel âge d’or de l’animation traditionnelle dans les années 90, et peut-être de son retour, dans les années à venir…

Dans quelles circonstances êtes-vous arrivé chez Disney ?
J’ai grandi en Allemagne, où j’ai suivi des cours de dessins sur les conseils de Disney. Lorsque j’avais dix ans, j’ai vu LE LIVRE DE LA JUNGLE, qui sortait à l’époque en Europe, et j’ai été totalement fasciné. J’ai voulu en savoir plus sur la fabrication de ce film et j’ai écrit une lettre aux studios Disney dans laquelle je leur posais des questions de base comme ‘comment devenir un animateur Disney ?’, ‘quelle formation faut-il suivre ?’. Ils m’ont répondu en me disant que je devais prendre des cours de dessins et devenir un artiste à ma façon avant tout, sans me focaliser sur Mickey ou Donald, mais plutôt en allant au zoo et en regardant les animaux, étudier leur anatomie, et dessiner beaucoup de personnages vivants. J’ai suivi ce conseil à la lettre, et vers la fin de mes études, je me suis de nouveau tourné vers Disney, en particulier l’un des vétérans de la compagnie, Eric Larson, qui s’occupait de la formation à l’époque, à la fin des années soixante-dix. Je lui ai envoyé quelques-unes de mes œuvres et il m’a répondu en m’invitant à rejoindre la compagnie. Ce qui fait que, juste après mon diplôme, je suis allé à Los Angeles où j’ai commencé à travailler pour Disney en 1980 : cela fait donc vingt-deux ans maintenant !


Vous avez déclaré que votre animateur favori était Milt Kahl. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Milt Kahl était en quelque sorte l’un des principaux designers graphiques de Disney pendant près de quarante ans. Il a conçu le design de la plupart des personnages. C’était un styliste. L’apparence des personnages Disney, et l’évolution de l’aspect visuel des films lui doivent beaucoup. C’était vraiment un maître, un véritable Michel Ange pour moi. Même étant enfant, je pouvais reconnaître les personnages qu’il avait dessinés, à commencer par le tigre du LIVRE DE LA JUNGLE. Il y avait également Madame Médusa dans BERNARD ET BIANCA ou, auparavant, certaines scènes de PETER PAN et de BAMBI. Je lui avais donc écrit une lettre d’admirateur dans laquelle je citais tous les personnages que, d’après moi, il avait conçus et animés. La seule erreur que j’ai faite était de penser qu’il avait animé Cruella D’Enfer (alors que c’était Marc Davis) ! Milt m’a alors répondu en me remerciant et en me montrant ma petite erreur ! Nous avons ensuite échangé un certain nombre de lettres et lorsque je suis venu à Los Angeles, il s’était déjà retiré à San Francisco. Je suis donc allé le voir une fois par an pour passer une journée avec lui et lui poser des milliers de questions. Cela me fut très utile, très profitable car c’est mon dessinateur préféré, probablement dans toute l’histoire de l’art. Il est si raffiné. Chacun des Nine Old Men était excellent, mais il était sans doute le meilleur.

Entre Gaston, Jafar, Scar et Hercule, vous avez animé principalement des personnages de comédies musicales. Dans votre travail, vous est-il arrivé de travailler avec un compositeur ?
Jamais directement. Mais j’ai animé un certain nombre de chansons, parmi lesquelles celle de Gaston dans la taverne. Les chansons sont toujours enregistrées en premier, avant la production de l’animation et je me base sur mon ‘exposure sheet’ ou feuille d’exposition, sur laquelle chaque temps est indiqué, avec le nombre de dessins pour chacun d’entre eux de façon très claire. J’ai donc pu animer très précisément les pas de danse, en l’occurrence une valse. Enfant, j’avais appris à valser dans une école de danse et je me souvenais des pas. A l’époque, ils étaient très mécaniques, mais cela m’a beaucoup aidé.



A partir de quelle version d’une chanson travaillez-vous ?
Nous avons habituellement la ‘démo’ car la version finale n’est généralement pas faite à ce stade. C’est pour cela que l’enregistrement final doit être fait avec beaucoup de soin afin de coller exactement au tempo de la version préliminaire car, à ce moment là, l’animation a été finalisée et on ne peut la corriger. Il y a certes quelques exceptions à ce processus, mais l’habitude, c’est de travailler à partir de la démo.

Quelle est l’importance de la chanson dans votre façon d’animer un personnage ?
J’aime beaucoup animer des chansons car le chant est une manière stylisée de jouer la comédie. Ce qui veut dire qu’on peut se permettre d’être moins réaliste. Cela dépend bien sûr de l’atmosphère de la chanson, s’il s’agit d’une ballade ou autre, mais en général, on peut se permettre plus de libertés dans la mise en scène et plus d’éxagération dans le geste qu’habituellement, en particulier pour les personnages humains, qui doivent normalement rester très crédibles. Dans une chanson, en particulier dansante, on peut vraiment s’abandonner à notre fantaisie !

Il ne s’agit pas seulement de suivre la chanson, mais de collaborer avec elle.
Tout-à-fait. On met toujours un peu de nous mêmes dans ce genre de scène car le jeu du personnage dépend vraiment de vous. C’est la même chose pour un acteur. Je pense notamment à Gene Kelly dansant sous la pluie. Il y a certes une chorégraphie de prévue, mais son interprétation de cette chanson dépend en grande partie de lui, de sa façon de la jouer. Nous, les animateurs, nous sommes en quelque sorte des acteurs, des interprètes. C’est une sorte de consensus avec le réalisateur. Il donne ses instructions, nous convenons de la ligne directrice, puis, partant de là, je m’assois à ma table de travail, je dessine de la façon dont je ressens la chanson dans mon propre corps, et je réalise la meilleure performance possible.

Dans ces cas-là, avez-vous plutôt recours à la technique dite « Straight Ahead Action » (l’animation d’un personnage du début à la fin d’une scène) ou bien celle dite « Pose to Pose » (dessiner uniquement les principales attitudes, le lien entre chaque étant réalisé par des intervallistes ou inbetweeners) ?
A l’époque où j’ai commencé, c’était une question importante car il s’agissait en fait de deux écoles différentes d’animation. Aujourd’hui, j’utilise un mélange des deux, sans trop y réfléchir. Je pense que mon approche de l’animation tend légèrement vers le « Straight Ahead ». Parfois, il est vrai, lorsque vous enchaînez les dessins l’un après l’autre sans avoir de dessin final bien déterminé, on doit parfois faire des corrections parce que vous avez dessiné de façon un peu trop libre. Mais il suffit de repositionner le dessin, on l’élargit un peu pour le corriger. Ce type d’animation permet une approche plus spontanée et crédible alors que le « Pose to Pose » est plus strict et plus technique.

Dans quelle mesure une chanson influence-t-elle l’animation, et plus précisément la personnalité animée d’un personnage ?
Une chanson peut véritablement suggérer le jeu du personnage, tout comme sa voix dans les dialogues. Ce fut par exemple amusant d’aller très loin avec Scar. Même si c’est un méchant, qu’il est très dangeureux et intelligent, pour Be Prepared (Soyez Prêtes), nous avons remarqué ce côté très maniéré, ce qui m’a montré en tant qu’animateur, qu’il aime vraiment être méchant. L’interprétation de Jeremy Irons nous a beaucoup inspirés, notamment à la fin de la chanson : il chante « Be prepa…reD » et nous avons repris ce mouvement de la tête qu’un autre interprète n’aurait certainement pas fait. Cela m’a donc donné l’idée de le rendre encore un peu plus maniéré que ce qui était prévu. Mais le fait est que je ne suis jamais seul à animer un personnage. Une équipe peut aller de trois à douze animateurs, ce qui fait que, si on peut se permettre quelques libertés, on doit malgré tout rester proche du concept original du personnage afin que toute l’équipe travaille sur une vision commune.

Que pensez-vous des chansons que vous avez animées ?
Si vous ne croyez pas dans ce que vous faites, vous ne ferez pas du bon travail. Les chansons d’Alan Menken sont vraiment extraordinaires et sont vraiment écrites pour le film. Ce sont de vraies histoires. Elles ne sont pas là pour faire joli. Cela aide considérablement.

Quelle est votre relation personnelle à la musique ?
J’aime toutes sortes de musiques : la musique classique, la musique pop, et en particulier le jazz depuis les cinq dernières années. Le seul style que je n’aime pas est le ‘hard acid rock’ ; cela ne me parle pas du tout. Mais j’aime tout le reste, je dirais d’Abba à Mozart !

Vous avez également participé à la séquence Rhapsody in Blue de FANTASIA 2000.
J’ai en effet eu cette chance. J’ai animé la scène avec le petit singe. Il ne s’agissait pas vraiment de danse, mais de jouer en fonction du tempo. J’ai vraiment aimé animer cette scène. Eric Goldberg est vraiment génial. Je me souviens, quand il a storyboardé cette séquence, on aurait dit que la musique avait été faite pour cette histoire ! Il a su faire correspondre la musique et l’image de façon incroyable.

Avant d’intégrer l’équipe de LILO & STITCH, vous travailliez sur KINGDOM IN THE SUN, le projet initial de KUZCO, L’EMPEREUR MEGALO. Pouvez-vous nous en parler ?
J’étais chargé de la méchante Yzma. Mais lorsque tout le film a été storyboardé, qu’une partie de l’animation a été produite et que cela a été été présenté aux responsables du studio, il a été décidé que le film devait avoir un ton différent car, tel quel, cela ne fonctionnait pas. Le projet a donc été repris depuis le départ. C’est à ce moment que j’ai entendu parler de LILO & STITCH et que j’ai été totalement séduit par cette ambiance et cette histoire. J’ai donc dit aux directeurs du studio que j’étais très intéressé par ce projet et que j’aimerais vraiment y travailler. Et il s’avère également que les réalisateurs de LILO & STITCH me voulaient sur le projet ! C’était donc le moment idéal pour changer de film puisque KINGDOM IN THE SUN rebaptisé THE EMPEROR’S NEW GROOVE repartait de toute façon de zéro. C’est ainsi que je suis parti pour la Floride.



L’un des éléments caractéristiques de Lilo, et ce depuis le tout début de sa conception, est sa passion pour Elvis Presley. Dans quelle mesure cela vous a-t-il inspiré ?
Le design de Lilo vient de Chris Sanders, qui a eu l’idée originale du film. Il a notamment imaginé tout le design du film et nous sommes tombés d’accord sur le fait qu’il ne fallait pas le changer. L’esthétique du film est Disney, mais elle est en même temps différente. Chris l’a dessinée de façon légèrement inconsistante dans ses esquisses, c’est pourquoi il m’a demandé de lui apporter une consistance dans mon animation, de lui trouver une gestique propre et de lui donner une âme. Musicalement, c’est un personnage très intéressant. On m’a demandé récemment pourquoi Lilo écoutait Elvis plutôt que des chanteurs de sa génération comme Britney Spears. En fait, ses parents ont disparu et tous ces disques leur appartenaient, c’était la musique de leur génération. Ecouter les chansons d’Elvis doit la réconforter parce qu’elles lui rappellent ses parents. C’est certainement la raison pour laquelle elle y est si attachée.

Il est amusant de penser qu’un autre personnage que vous avez animé, Hercule, a, lui aussi, quelque chose d’Elvis !
Vous êtes le seul à l’avoir remarqué, mais vous avez raison ! Nous cherchions un visage grec idéalisé à travers des photos et des statues et quelqu’un a précisément pensé à Elvis. J’ai donc observé ses photos, et il est vrai qu’il avait un profil grec !

Contrairement à vos autres créations, Lilo ne chante pas. Cela fut-il un problème pour vous ?
Non. Vous savez, nous avons été en quelque sorte critiqués pour notre façon d’utiliser la musique dans nos films, toujours de la même façon, avec un personnage qui se met soudain à chanter. C’est ainsi que dans TARZAN, il a été décidé que ce serait Phil Collins qui chanterait les chansons en arrière-plan. Dans LILO & STITCH, c’est encore une façon différente d’utiliser la musique. Elle porte davantage sur la danse et je pense que c’est une approche très appropriée. Je ne suis pas sûr qu’une chanson triste sur la perte de ses parents aurait fonctionné. Finalement, ce genre de chanson ne fait pas défaut au film car la musique reste toujours une part importante de ce film, mais à sa façon.

Lilo exprime une très grande variété d’émotion, peut-être même davantage que d’autres héros Disney, de la colère au désespoir, alors qu’elle bouge moins que d’autres personnages.
Vous êtes très observateur ! C’était en effet le challenge de ce personnage. Lilo est une enfant très émotive, mais elle s’exprime souvent de façon très subtile. Parfois, elle peut rester immobile et ne fait que regarder Nani du coin de l’oeil. Ce sont des moments très expressifs, mais avec très peu de mouvements. Ce fut difficile car l’animation est un art du mouvement et lorsque votre dessin cesse de bouger, il perd très vite de sa vie. J’ai donc dû être très attentif à cet aspect en conservant des mouvements très légers, comme un battement de paupières ou un hochement de tête. Elle est souvent très triste et la tristesse est un sentiment que l’on n’exprime pas avec beaucoup de gestes. Je pense que c’était la façon la plus appropriée de l’animation, d’une façon très intériorisée. Il est vrai qu’elle sait également se mettre en colère, ce qui offre un contraste intéressant. Lorsqu’elle crie après sa soeur, elle agite beaucoup ses petits bras d’une façon très crispée, ce qui la rend également très expressive dans ce registre. Mais beaucoup de séquences, comme lorsqu’elle parle à Stitch de la famille, ne demandent pas vraiment de mouvement. C’est pour cela que j’ai dû chercher d’autres moyens de faire passer les sentiments.

C’est en effet une approche très originale. Devant une telle évolution, quel regard portez-vous sur le travail et l’héritage des Nine Old Men ?
Ce sont nos héros ! Ces gars sont des Maîtres et nous ne faisons qu’essayer de les approcher, à notre façon. Ils ont créé les bases de l’animation et pour moi, ce sont les Michel Ange, les Raphaël et les Leonard De Vinci américains. Ils ont conçu des standards incroyablement élevés. Quand les gens pensent à l’animation Disney, ils pensent immédiatement à LA BELLE ET LA BÊTE. Mais je pense que LA BELLE ET LE CLOCHARD ou BAMBI sont tellement meilleurs ! Leur influence est considérable. Quand je suis arrivé chez Disney en 1980, ils avaient pratiquement tous pris leur retraite, mais j’ai tenu à les rencontrer pour leur poser des questions. J’ai également beaucoup appris en allant à l’Animation Research Library, où sont conservés tous les dessins depuis le début. J’ai notamment étudié les dessins de CENDRILLON et PETER PAN. C’est la meilleure école que j’aie jamais eue.



Ollie Johnston, l’un de ces fameux Nine Old Men, avait l’habitude de dire « n’animez pas des dessins, animez des sentiments » (« Don’t animate drawings, animate feelings »). Qu’en pensez-vous ?
C’est une phrase très riche et cela m’a pris très longtemps pour vraiment comprendre ce qu’il voulait dire. Pour que votre animation soit sincère et authentique, vous devez vraiment comprendre le personnage et ses sentiments. Lorsque vous animez, vous devez penser à tout cela : quels sont les sentiments du personnage, qu’est-ce qui se passe dans sa tête, quels sont ses relations avec les autres personnages de la scène. Le point de départ de tout, ce sont les sentiments. Ce sont les sentiments qui vous disent comment animer, et non pas l’aspect technique ou à la beauté esthétique d’un geste. Tout cela est secondaire. On doit travailler d’une façon émotionnelle ; on doit analyser le personnage, et même le ressentir. Et lorsque c’est réussi, cela passe nécessairement à l’écran.

Le résultat de tous ces efforts et de tous ces talents est une petite merveille !
Nous sommes tous très fiers de LILO & STITCH. C’est certainement le meilleur film de notre génération. Nous venons de parler d’émotion, et ce film est fait de pure émotion. C’est pour cela que je l’aime !

Entretien publié originellement dans Dreams Magazine, été 2002

mercredi, janvier 24, 2007

LILO & STITCH : Entretiens avec les réalisateurs et le producteur

Il n’y aurait pas eu de LEROY & STITCH sans l’original, LILO & STITCH. Et avec la sortie de l’ultime opus de la saga, l’occasion était trop belle de revenir sur le film par lequel tout a (si magnifiquement) commencé.
Tout dans LILO & STITCH, que ce soit l’histoire, les personnages, les décors, la musique, et même la production, sort de l’ordinaire. Tel Stitch débarquant sur terre, le film est une sorte d’ovni dans la galaxie Disney. Le deuxième long-métrage d’animation sorti des -décidément remarquables- studios de Walt Disney Feature Animation Florida est une petite merveille extrêmement rafraîchissante et profondément émouvante, offrant un contrepoint -et un contrepoids- tout à fait fascinant aux grandes fresques de l’époque que furent DINOSAURE, ATLANTIDE : L’EMPIRE PERDU et LA PLANETE AU TRESOR. Conçu par une équipe délibérément restreinte et totalement dévouée à ce projet, LILO & STITCH se distingue par une approche intimiste et chaleureuse, à la fois novatrice et totalement ancrée dans l’univers de Disney : un souffle vivifiant venu des tropiques et ouvrant des perspectives encore insoupçonnées dans le monde de l’animation. Dans l’esprit de « Ohana », cette réussite est le fruit d’une véritable et magnifique collaboration, tant au niveau visuel que sonore, avec, en particulier, une musique originale et totalement impliquée dans l’histoire (et même dans le processus créatif du film). Une collaboration que les réalisateurs/auteurs/designers Chris Sanders (le papa de Mushu) et Dean DeBlois, ainsi que le producteur Clark Spencer ont accepté de nous relater avec passion.


CHRIS SANDERS & DEAN DEBLOIS’ HAWAIIAN ROLLER COASTER RIDE


Le premier concept de Stitch date de 1985. Mais comment est née Lilo et sa passion pour Elvis ?
CS) Nous avions besoin d’un personnage qui puisse réellement changer Stitch et il nous est apparu depuis le début que ce devait être un personnage féminin, qui pourrait apporter une note de douceur et de romantisme à cette créature terrifiante, ainsi que la notion de famille. L’idée qu’elle devait aimer la musique d’Elvis vient du fait que nous voulions la rendre vraiment unique. Nous nous sommes dits qu’elle pouvait avoir retrouvé les disques de sa mère, parce que, dans le film, elle n’écoute jamais de CDs, ce ne sont que des vinyles. Ce fut donc notre point de départ.

Cela correspond-il à vos goûts musicaux personnels ?
DDB) Nous avons des goûts très particuliers. Nous adorons tous les deux la musique. Chris est un grand fan d’Elvis. Je l’aime bien également, mais je préfère le rock alternatif, alors que Chris est plus proche de la musique pop. Mais nous nous rejoignons au niveau de nos goûts en matière de musique de film. Nous adorons la musique de film ! Quand est venu le temps de réfléchir à la façon dont nous allions faire ce film en fonction du petit budget que nous avions, nous avons décidé de faire des économies partout où c’était possible sauf sur la musique. Nous voulions le meilleur compositeur et au sommet de notre liste se trouvait Alan Silvestri parce nous sommes de grands fans de son travail et que nous avions utilisé sa musique en tant que musique temporaire. Nous sommes donc entrés en contact avec lui, nous lui avons parlé du film et nous avons eu la grande chance qu’il accepte d’y participer.

Comment avez-vous choisi les chansons d’Elvis qui seraient présentes dans le film ?
CS) Cela dépend de la situation dans laquelle Lilo et Stitch se trouvent. Il ne fut pas difficile de trouver des chansons qui pourraient illustrer les différentes parties du film dans lesquelles nous voulions qu’il y ait de la musique. Par exemple, quand ils passent leur première journée ensemble, ce fut un choix naturel de faire appel à Stuck on You.
DDB) Pour Heartbreak Hotel, nous avions besoin de paroles qui évoquent ce que Lilo ressent : elle se sent si seule qu’elle pourrait mourir. C’est une sorte d’accentuation comique de sa façon très théâtrale de réagir : elle s’enferme dans la maison et passe un disque d’Elvis. La plupart des chansons sont là pour apporter un effet comique à une séquence. En fait, si vous écoutez les paroles des chansons attentivement, vous vous rendez compte qu’elles n’ont pas grand’chose à voir avec ce qui se passe à l’écran, mais il y a toujours un petit quelque chose, une phrase ou un titre qui vient compléter l’image. Devil in Disguise parle en fait d’une femme qui s’avère n’être pas aussi formidable qu’Elvis le pensait, mais le titre s’applique bien à Stitch.

Pensez-vous qu’Elvis était un citoyen modèle ?
CS) (rires) Nous étions à Graceland il y a quelques jours et nous en avons appris plus à son propos que l’image idéalisée qui nous a été transmise. Il a fait énormément pour les gens autour de lui et a participé à de nombreuses actions caritatives. Mais il l’a toujours fait de façon très discrète, pour vraiment rendre service et non pas pour servir son image. Je pense que c’était vraiment quelqu’un de fantastique, et nous avons découvert de multiples traces de cela, notamment une plaque commémorative rappelant ce qu’il a fait pour Hawaii, comme élever des fonds lors du concert du 25 mars 1961 pour le mémorial USS Arizona de Pearl Harbor. Cela m’a beaucoup frappé.
DDB) J’ajouterais que Lilo est très jeune et qu’elle a une vision très romantique du monde. Pour elle, Elvis est un héros. Elle se focalise uniquement sur les aspects positifs de sa vie !


Le concept original situait le film dans une forêt, au milieu d’animaux. Comment en êtes-vous venus à Hawaii ?
CS) L’idée de situer l’action dans une forêt est contemporaine de la création de Stitch. Il était sensé mener une vie solitaire parmi les animaux. Mais presque immédiatement, nous nous en sommes éloignés, après en avoir discuté avec Thomas Shumacher, président de Walt Disney Feature Animation. Il nous a dit « vous savez, le monde des animaux nous est d’une certaine façon déjà étranger. En mettant Stitch dans le monde humain, vous obtiendrez un meilleur contraste et une meilleure histoire. » Nous avons donc cherché un endroit où déplacer notre histoire, un endroit éloigné et isolé. Nous avions besoin d’un endroit intime, sans foule. Nous venions de finir MULAN, dans lequel il y avait des centaines et des centaines de personnages. Nous voulions nous concentrer sur les personnages principaux. De plus, nous souhaitions aborder une culture que nous connaissions. Quelques semaines plus tard, nous avons vu une carte d’Hawaii et nous nous sommes dits que cet endroit avait toutes les qualités que nous recherchions. Il a tant à offrir, il est d’une telle beauté. A ce moment-là, nous ne nous doutions pas de tout ce qu’Hawaii avait également à nous offrir d’un point de vue culturel. Ce fut une décision capitale car elle a conduit à une complète réécriture de notre histoire, plus précisément lorsque nous avons découvert « Ohana ».

Justement, comment avez-vous découvert ce magnifique concept ?
DDB) C’est arrivé à l’époque de notre voyage d’étude à Hawaii. Cela faisait pratiquement une année que nous travaillions à l’histoire et nous avions storyboardé une grande partie du film. Mais nous avions toujours des problèmes avec le personnage de Stitch qui était supposé subir une transformation importante, sans savoir encore précisément ce qui allait causé cette transformation. Nous pensions déjà à l’idée de famille, mais cela reste vague, et trop universel. Quand nous sommes arrivés à Hawaii, un guide nous a fait faire le tour de l’île et, où qu’il aille, il semblait connaître tout le monde. Nous lui en avons parlé et il nous a expliqué qu’il ne connaissait pas la plupart de ces gens, mais que c’était simplement la manière hawaïenne de saluer les gens, comme s’ils étaient votre frère ou votre sœur. C’est cela, Ohana. Il ne s’agit pas de liens du sang, mais plutôt de faire partie d’une plus grand communauté familiale. C’était-là une idée que Stitch pouvait comprendre, c’est pourquoi nous l’avons abondamment utilisée dans le film. Nous sommes donc partis d’une idée très spécifique pour aller vers un concept suffisamment large pour qu’il puisse en faire partie.

C’est en effet une vision nouvelle, plus large du concept de famille cher à Disney.
DDB) C’était notre intention. Disney est célèbre pour ses films familiaux et nous voulions faire un film qui s’intègre dans cette pensée, tout en l’actualisant en y intégrant toutes les familles éclatées, monoparentales, en présentant des groupes qui se considèrent comme faisant partie de la même famille, sans pour cela avoir des liens de parenté. Nous voulions dire que c’est ce que vous faites, vos propres choix, et non pas votre naissance qui comptent.

Pouvez-vous nous parler de la séquence de surf, Hawaiian Roller Coaster Ride ?
CS) A ce moment du film, nous sommes au coeur de l’acte II, et beaucoup de choses se sont passées. Nous nous sommes alors rendu compte que nous avions besoin d’un moment pour se relaxer. Cette séquence en remplace plusieurs qui devaient être très intenses et lourdes. Après avoir vu le film, nous avons réalisé qu’il devenait vraiment sombre dans cet acte II et que nous avions besoin d’un break. Nous avons donc recherché un morceau de musique temporaire afin de fixer les choses, avec l’esprit, l’atmosphère et le rythme dont nous avions besoin. Nous avons donc trouvé une pièce tahitienne que nous avons superposée à cette séquence de surf. Cette séquence raconte en fait peu de choses, si ce n’est que Stitch vient voir Lilo, David et Nani surfer, mais il s’agit surtout de s’amuser. Nous nous sommes alors tournés vers notre contact hawaïen, Mark Keali’i Ho’omalu. Ce sont ses danseuses que nous avons filmées, afin être aussi authentiques que possible dans la séquence de hula du générique. Alan Silvestri et Mark ont eu une merveilleuse collaboration. Ils ont écouté la musique temporaire que nous avions choisie, avec le sentiment et le rythme que nous voulions. Puis Mark a écrit une pièce originale avec le même esprit, mais dans le style hawaïen, avec des choeurs d’enfants. C’est donc ainsi que nous avons conçu cette parenthèse dans l’histoire, tout en lui donnant de l’énergie et une dimension hawaïennes. C’était l’occasion de mieux plonger le public dans l’ambiance et la culture de l’archipel. Cette expérience a été pour nous l’un des moments forts de la production de ce film.


Comment concevez-vous le rôle des chansons dans votre film
CS) Les chansons d’Elvis apportent une ambiance unique au film, mais je pense que son véritable coeur réside dans les chansons hawaïennes. L’identité hawaïenne du film vient principalement de ces deux chansons.

Pouvez-vous nous parler du rôle de la musique d’Alan Silvestri ?
CS) Nous avons voulu qu’entre les chansons hawaïennes et la musique il y ait le même équilibre que nous avons recherché dans l’histoire, c’est-à-dire une alternance entre des moments comiques, légers, pleins de fantaisie, et des moments plus profonds. Nous avions donc besoin d’un compositeur qui sache aller au coeur de ces instants émouvants. Mais il nous fallait également une musique héroique. Nous connaissions Alan Silvestri pour sa participation à RETOUR VERS LE FUTUR ou CONTACT, et c’est ce que nous voulions retrouver dans notre film. Nous avons donc remis une liste de compositeurs à Chris Montan avec Alan Silvestri en numéro 1, Alan Silvestri en numéro 2, etc !
DDB) Une autre qualité d’Alan est qu’avec sa musique, il est un véritable narrateur, avec un point de vue très spécifique. Par exemple, pour la fin de la séquence dans laquelle Stitch est déguisé en Elvis et tout le monde le photographie, nous avions choisi une musique temporaire qui allait dans le sens de sa colère et du désordre qu’il sème. Mais Alan a préféré composer une musique à la fois douce et triste par dessus cette frénésie. Cela montre bien qu’il apporte son propre point de vue au film : pour lui, il s’agissait davantage de la déception de Lilo et Nani et de la tristesse de leur situation. Il savait exactement ce qui devait être accentué par la musique, et il nous aidé à identifier ces moments qui n’apparaissaient pas nécessairement à l’écran. Un autre exemple est le passage dans lequel Lilo vient d’être enlevée par le capitaine Gantu et Nani vient de réaliser qu’elle vient de perdre sa soeur. C’est alors que Stitch revient vers elle et lui répète les mots que Lilo lui a appris à propos d’Ohana. Mais le moment du revirement émotionnel de Stitch ne figurait pas dans le film. Alan Silestri nous a demandé où se trouvait la scène dans laquelle Stitch prenait cette décision, et en fait, ce moment n’était pas présent visuellement.
CS) Il nous a alors dit : « je peux faire cela pour vous ». Nous aimions et connaissions bien la musique de film, mais à ce moment précis, j’ai vraiment appris ce que la musique pouvait faire, qu’elle pouvait vraiment être un instrument de la narration. C’est ainsi que nous avons rajouté cette scène dans laquelle Stitch fait demi-tour, et qu’Alan l’a mise en musique. Ce fut un véritable collaborateur d’un point de vue narratif.

Si la partie héroique de la musique est très proche de RETOUR VERS LE FUTUR, la partie émotionnelle est, elle, très proche d’A NOUS QUATRE.
DDB) Nous voulions prendre nos distances par rapport à l’approche traditionnelle de la musique de dessin-animé, dans le style des comédies musicales. Nous ne voulions pas de personnages qui chantent leurs rêves, leurs désirs ou leurs problèmes. Nous avons plutôt essayé d’exprimer cela à travers des moments de silence [au niveau des dialogues, JN], avec un jeu plus subtil des personnages. Nous avions donc besoin d’un compositeur qui pouvait contrebalancer cette absence de chansons, car Chris et moi pensons que la partition peut tout aussi bien raconter une histoire. Si nos personnages ne chantent pas, mais s’expriment de façon subtile, cela peut se révéler tout aussi efficace.
CS) C’est pour cela que nous pouvions économiser sur tous les aspects du film, mais pas sur la musique. Pour moi, elle participe à 50% à la narration. C’est la raison pour laquelle nous avions besoin d’un grand professionnel.

A l’image de l’histoire, la musique semble se focaliser davantage sur les émotions que sur l’action.
DDB) C’est tout-à-fait vrai car je pense que la musique est là en tant que complément du jeu des acteurs. Il fallait donc une partition qui communique principalement au niveau des émotions.
CS) LILO & STITCH a été écrit et construit comme un film en prises de vue réelles, en dépit du fait qu’il s’agit d’un dessin-animé. Et il en est de même pour la musique. Il était d’ailleurs très important que tous les paramètres du film convergent dans une même approche. C’est un même discours ; aucun paramètre ne doit l’emporter sur les autres. Ce n’est que de cette manière que l’on peut réellement impliquer le public.

LILO & STITCH est un film très intime. Quelle est votre relation personnelle à ce film ?
DDB) Chris et moi-même voulions vraiment transmettre une nouvelle idée de la famille, plus appropriée au monde actuel. Il n’est pas question d’avoir une famille parfaite, ce qui compte c’est d’avoir la vôtre.
CS) L’une des idées de départ était d’opérer un grand changement dans le format classique du conte, avec un méchant détruit et un héros victorieux. Stitch est un méchant qui va devenir un héros comique. Il était important pour moi de dire que, si vous n’êtes pas un héros, vous n’êtes pas nécessairement un méchant, et inversement. On peut faire des erreurs, comme Stitch, mais il faut savoir continuer et dépasser cela. C’est un message très original, en particulier pour un dessin-animé.




CLARK SPENCER’S BURNING LOVE FOR LILO & STITCH

Pouvez-vous nous parler de votre travail chez Disney avant de devenir producteur de LILO & STITCH ?
Mon parcours est assez original. J’ai commencé chez Disney dans le domaine financier. Je venais d’avoir mon MBA (Master of Business Administration) à Harvard quand je suis entré au Financial Strategy Planning. J’ai travaillé pour différentes divisions de la compagnie comme Disney Channel, ou les films en prises de vue réelles [Miramax]. J’ai participé à un projet pour WD Feature Animation au cours duquel j’ai pu rencontrer les présidents de cette division, Thomas Shumacher et Peter Schneider qui m’ont employé comme CFO (Chief Financial Officer). C’est ce que j’ai fait pendant plusieurs années avant qu’ils ne viennent me demander si j’étais d’accord pour aller diriger les studios d’animation d’Orlando en Floride. C’était l’occasion pour moi de prendre mes distances de la finance et de me tourner vers le management. J’ai accepté, et six mois après on m’a demandé si je voulais produire ce film, LILO & STITCH, dont la production allait venir de Californie jusqu’ici. J’ai toujours rêvé de produire un film, c’est pourquoi j’ai accepté avec joie. C’était il y a trois ans.

Il ne s’agit donc plus seulement de finances, mais également de créativité.
La chose la plus intéressante que j’ai découverte est cette merveilleuse et positive tension entre finance (tout ce qui concerne le budget et la production) et la créativité. Le côté créatif prend du temps. Il est très important de prendre le temps de donner corps à une histoire et à des personnages, d’envisager tous les aspects du film. Le côté production a davantage de contraintes car il y a un budget et des délais à tenir pour finir le film. Cela demande beaucoup d’attention. Le travail de production consiste donc à faire le lien entre les deux car on ne peut permettre aux créateurs de réfléchir indéfiniment –ils doivent avoir des échéances-, et de l’autre côté, on ne peut demander à quelque d’être créatif sur commande, immédiatement. La solution d’un problème peut venir demain, ou le lendemain… Il s’agit donc de manoeuvrer, de garder un équilibre entre ces différents impératifs. Du point de vue créatif, j’ai travaillé en tant que partenaire de Chris Sanders et Dean DeBlois. Ce sont eux qui ont développé cette histoire et écrit le scénario, mais ils ont toujours eu la gentillesse de me faire participer à leurs discussions ; la porte était toujours ouverte. Mais c’est surtout leur vision que l’on voit à l’écran.

Comment et pourquoi a-t-il été décidé de produire LILO & STITCH en Floride ?
Notre travail dépend en grande partie des studios et du personnel disponibles. La Floride venait juste de terminer MULAN, leur tout premier long-métrage, et ils attendaient leur prochain film au moment où LILO & STITCH était prêt à entrer en production. J’ajouterais qu’il y a une dynamique très intéressante à Orlando. C’est un lieu merveilleux pour la production parce qu’il est petit –environ 350 personnes-, et tout le monde travaille sur le même film. Le résultat est que toute l’énergie est focalisée sur ce seul film, ce qui suscite la plus grande passion et le plus grand désir de créer le meilleur film possible. A tous les niveaux, des réalisateurs aux assistants, tout le monde travaille dur afin de faire un film fabuleux. Tout le monde est impliqué au maximum. Les studios de Californie sont plus importants. Il y a autour d’un millier de personnes, travaillant à des projets différents. Ce qui fait qu’il est plus difficile d’avoir la même énergie et les mêmes préoccupations. Cette production en Floride a donc vraiment été une bénédiction.

Cette « intimité » est d’autant plus intéressante qu’elle se retrouvait également au niveau des concepteurs du film. Au contraire des autres films, qui font appel à des équipes importantes et distinctes pour la création de l’histoire, du scénario, du design, ce sont Chris Sanders et Dean DeBlois qui se sont occupés de toutes ces questions à eux deux, ce qui est très original.
C’est en effet très inhabituel. Nous avons eu la chance d’avoir une équipe en Floride très talentueuse et très ouverte à l’idée de faire ce film d’une façon différente, ce qui fait que tout a bien fonctionné. Dans la mesure où Chris et Dean se sont chargés de l’écriture, de la mise en scène, du storyboard, du design des personnages et de la voix de Stitch pour Chris, nous avons dû donner plus d’autorité à différentes personnes du studio. C’est ainsi que le responsable des décors, le directeur artistique et le responsable du layout ont pris beaucoup de décisions concernant leur domaine respectif afin de permettre aux réalisateurs de se concentrer sur l’histoire. Ce fut une pression supplémentaire pour les responsables de département que d’être en phase avec la vision des réalisateurs et de prendre des décisions sans pouvoir forcément les consulter le jour-même. De l’autre côté, si cela a mis plus de pression sur le film, cela a rendu les choses plus simples car vous avez deux personnes, Chris et Dean, qui savaient exactement le film qu’ils voulaient, et ce depuis le tout début. Le film n’a jamais dévié, précisément parce qu’il était dans les mains de deux personnes seulement, au lieu de vingt. Ce qui fait que leur vision a toujours été claire et nous a toujours gardés concentrés. Nous n’avons jamais eu de ces grandes réunions pour savoir à quoi sert tel élément de l’histoire et comment il allait fonctionner : ils savaient tout cela.

L’équipe de Walt Disney Feature Animation Paris était également impliquée.
En fait, deux animateurs du studio parisien, Stephane Sainte Foi et Bolhem Bouchiba [tous deux animateurs de Tarzan, JN] sont venus à Orlando pour superviser l’animation de Nani et de Jumba. Ils ont vécu à Orlando pendant deux ans, puis, à la fin de la production, ils sont retournés à Paris parce qu’ils avaient fini leur travail sur le film. C’est alors que nous avons pensé ajouter cette nouvelle fin, avec Stitch prenant la guitare pour chanter Burning Love, avec ces petites vignettes. Stephane et Bolhem ont donc animé cette scène depuis Paris.

Comment Andreas Deja a-t-il été choisi pour Lilo ?
Nous avons eu beaucoup de chance. Il a vu les premiers concepts du film et il a adoré. Il est donc venu trouver Chris et Dean pour leur demander de faire partie de ce projet, peu importe le lieu où il serait produit. Nous lui avons dit « pourquoi ne regarderiez-vous pas tous les personnages afin de choisir celui que vous aimeriez animer ». Il a donc fait des essais sur Lilo, sur Stitch et sur Nani puis est revenu nous voir en disant « j’aimerais vraiment animer Lilo. Ce serait pour moi une toute nouvelle expérience en matière de personnage car je me suis davantage occupé de méchants. » C’était parfait pour nous, et il est venu passer deux ans également à Orlando avant de retourner tout récemment à Los Angeles. Quel talent ! Il est fantastique !

Pouvez-vous nous parler de l’héritage de Walt Disney dans LILO & STITCH, pas seulement en matière de design et de décors (les décors à l’aquarelle nous renvoyant tout naturellement aux premiers classiques, en particulier DUMBO et BAMBI), mais surtout en matière de narration et de valeurs ?
Nous voulions vraiment renouer avec les premiers films de Walt Disney, des films qui nous ont vraiment marqués étant enfants comme BAMBI et DUMBO. Et ce qui était le plus important pour nous, c’était la dimension émotionnelle de ces films. Nous savions que nous voulions de la comédie et de l’action parce que ce sont des éléments-clefs pour faire un grand film. Mais nous trouvions que cette dimension émotionnelle avait été un peu délaissée dans nos derniers films, et qu’il fallait renouer avec elle, dans un film qui parlerait avec le coeur et qui vous émeuve jusqu’aux larmes. Nous voulions également faire un film unique dans la mesure où il ne serait pas basé sur l’opposition traditionnelle du Bien et du Mal. Il s’agit davantage d’une rédemption dans laquelle le méchant devient le héros. Enfin, nous voulions que le film parle de la famille car, dans le monde actuel, c’est un élément très important. Mais la dynamique de la famille a changé. Elle n’est plus ce qu’elle était il y a trente ou quarante ans, à l’époque où elle se définissait généralement à travers un père, une mère et deux enfants. Aujourd’hui, la définition de la famille est différente dans le monde entier dans la mesure où de nombreuses familles sont brisées à cause du divorce ou de la disparition des parents. Nous voulions parler de tout cela de façon positive à travers l’idée que tout le monde a une famille quelque part et que vous devez juste découvrir qui elle est. Stitch est une sorte d’orphelin. Il ne réalise pas qu’il a une famille, mais il le découvre au cours du film à travers « Ohana », et Lilo et Nani.



Comment se sont passées vos relations ave RCA, qui détient les droits des chansons d’Elvis Presley ?
Là aussi, nous avons eu beaucoup de chance. Au départ, nous n’avions pas l’intention d’utiliser la moindre chanson d’Elvis dans le film. C’était juste une idée lancée lors de la création de l’histoire : une petite hawaïenne de six ans qui transporte toujours avec elle un tourne-disques, parce qu’elle n’a pas de CD, et qu’elle aime la musique d’Elvis. Et chaque fois que l’on évoquait Elvis, les gens trouvaient que c’était une idée vraiment intéressante et originale. Un jour, Dean a imaginé la séquence dans laquelle Lilo est rejetée par ses amies, elle rentre chez elle très déprimée et elle passe le disque de Heartbreak Hotel, et tout le monde a craqué ! Nous nous sommes rendus compte que nous avions là quelque chose d’unique et que nous devions l’incorporer dans le film. Nous en avons discuté un certain temps et nous avons pensé que ce serait formidable de glisser la musique d’Elvis dans LILO & STITCH. Cela impliquait d’aller voir RCA. Au début, nous étions un peu inquiets, tant au sujet de l’utilisation des chansons d’Elvis que de son image, puisque nous voulions que Stitch porte à un moment son fameux costume et que Lilo montre une vraie photo de lui. Nous avons pensé que le mieux serait de nous asseoir autour d’une table avec RCA et les responsables de l’image d’Elvis pour leur présenter le concept du film tout entier et en discuter. Nous leur avons dit : « nous voudrions faire de ce film, y inclure six chansons d’Elvis dans leur forme originale, habiller Stitch avec le costume blanc qu’Elvis portait pour son concert d’Hawaii, etc ». Et ils ont été vraiment enthousiasmés par cette idée. La négociation fut donc très facile car les deux parties savaient que ce serait formidable : nous le pensions pour le film, et ils ont pensé que ce serait une merveilleuse façon de faire connaître la musique d’Elvis Presley à une nouvelle génération (tant à travers le film que le CD). Ils ont été extraordinaires et nous ont autorisés à faire un grand nombre de choses qui sortaient de l’ordinaire.

Même la version originale de Devil in Disguise a été modifiée en ce qui concerne le solo de guitare !
En effet. Nous leur avons dit que, pour cette séquence, nous avions besoin que le solo de guitare apparaisse après le premier couplet et non après le deuxième. De plus, Stitch devait jouer du yukulele par dessus le solo d’origine ! Ce sont des choses qu’on ne fait pas d’habitude parce qu’on doit changer le master original. Mais quand nous leur avons montré la séquence, ils ont bien vu que ce que nous voulions faire n’était pas au détriment de la musique. Ils ont trouvé cela drôle et nous ont autorisés à modifier la chanson.

Dans l’une des bandes-annonce du film, lorsque Lilo utilise Stitch comme « tourne-disques », on peut entendre Hound Dog, et pour la même séquence dans le film, c’est Suspicious Mind. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Beaucoup de gens ont en effet été surpris de ne pas retrouver la même chanson dans le film ! Nous avons utilisé Hound Dog dans la bande-annonce parce que la fin de la chanson, la partie de batterie après « And you ain’t no friend of mine », offrait une conclusion nette pour le spot de publicité. Nous avions bien pensé utiliser Suspicious Mind, mais elle ne présentait pas les mêmes qualités à la fin.

Le CD de la musique du film est étonnamment court, en particulier pour ce qui est de la partition d’Alan Silvestri.
Lorsqu’on produit un CD, la question des droits d’auteur est abordée très tôt. Nous avons donc décidé il y a longtemps du nombre de pistes qui seraient présentes et à cette époque, nous ne pensions pas que nous pourrions y faire figurer autant de chansons originales d’Elvis. De plus, nous n’avions pas les deux chansons hawaïennes. Une fois que le nombre de pistes a été décidé, on ne peut revenir dessus, et une fois qu’on a mis toutes les chansons du film sur le CD, il ne restait que trois pistes pour la musique et il a fallu faire un montage de trois-quatre minutes pour chaque. C’est une partie compliquée de la production de disques.

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la musique hawaïenne dans LILO & STITCH ?
Dans le film, au moment où l’on passe de la séquence dans l’espace, assez froide, aux couleurs d’Hawaii, nous voulions marquer encore davantage la différence à travers une belle musique hawaïenne. Nous travaillions avec Mark Keali’i Ho’omalu, qui nous a aidés à chorégraphier la séquence de hula et nous avons remarqué qu’il avait une très belle voix. Nous lui avons donc parlé de musique car nous n’avions pas encore envisagé la chanson de cette séquence et il nous a interprété deux chants traditionnels hawaïens. Nous les avons aimés tous les deux et nous lui avons demandé de combiner les deux. Il a donc travaillé avec Alan Silvestri sur ce mélange et a chanté la version que vous entendez dans le film. Puis nous sommes allés à Hawaii pour enregistrer le choeur d’enfants des écoles de Kamehameha, quarante enfants de neuf à treize ans, afin qu’ils chantent avec Mark dans cette séquence. Ce fut merveilleux pour nous car nous voulions vraiment une chanson qui évoque la musique traditionnelle hawaïenne, et ce fut fantastique de la faire chanter par des artistes authentiquement hawaïens. Quand nous en sommes venus à la séquence de surf, nous avons demandé à Mark une autre chanson qui pourrait fonctionner dans ce cadre et il nous a dit qu’il n’y avait aucun chant spécifique à cette situation, mais qu’il avait l’idée d’une chanson qui pourrait correspondre, et qui aurait des paroles à la fois hawaïennes et anglaises, ce qui permettrait aux enfants de la comprendre. Il a donc composé Hawaiian Roller Coaster Ride avec Alan Silvestri, une chanson originale, cette fois, mais écrite dans le style de la musique traditionnelle d’Hawaii.

Les deux chansons sont très belles, et ce qu’il y a de remarquable, c’est que la transparence des voix d’enfants renvoie à la transparence des décors en aquarelle.
C’est tout à fait vrai. Il y a quelque chose de merveilleusement angélique et de profondément beau dans les voix d’enfants. Ils ont une telle innocence dans la voix. Et nous avons eu de la chance. Nous n’avons pas eu à chercher très loin un tel choeur, ou à le former. L’école de Kamehameha à Hawaii avait tout cela : seuls les hawaïens d’origine y ont accès et leur choeur est véritablement phénoménal. Ils chantent tout le temps et avec un immense talent. Nous avons juste eu la chance de les rencontrer. Ils se sont beaucoup investis pour ce film. A la fin de chaque année scolaire, ils donnent un concert de chansons traditionnelles hawaïennes, mais ils choisissent également à chaque fois une chanson Disney tirée d’un dessin-animé car ce sont de grands fans. Vous imaginez leur joie quand nous les avons appelés pour leur dire que nous souhaitions qu’ils chantent dans un dessin-animé Disney !

On les comprend !
Devant le succès du film –et de sa bande originale !-, quel bilan tirez-vous ?Nous sommes très fiers de ce film dans la mesure où nous avons essayé de dépasser certaines conventions en animation en créant une histoire originale et actuelle, sans manichéisme. Nous voulions vraiment que le public apprécie cette nouveauté tout en renouant avec les grands classiques de Walt Disney.

Entretiens réalisés originellement pour Dreams Magazine- Eté 2002

samedi, janvier 20, 2007

LEROY ET STITCH EN DVD : Entretien avec le compositeur JAC Redford


On connaît le formidable compositeur d’Oliver & Compagnie, ou même l’orchestrateur de James Horner (sur Stalingrad par exemple...), mais J.A.C. Redford est bien plus que cela. Musicien complet, on lui doit près de 80 musiques de films et de séries TV. Ajoutons une cinquantaine d’oeuvres classiques allant de l’air pour soliste à la symphonie en passant par l’oratorio et la musique de chambre, qui ont été interprétées par des ensembles prestigieux. Il est également le chef d’orchestre (il a dirigé entre autres La Petite Sirène et L’Etrange Noël de Mr. Jack), éditeur de musique, auteur du livre « Welcome All Wonders : A Composers Journey » (1997), dans lequel il parle de son parcours musical et spirituel, et collabore avec le comité musical de la fameuse Academy of Motion Picture Arts and Sciences.
Son oeuvre pour Disney représente donc une seulement partie de son activité, mais elle est suffisamment riche pour que nous nous y intéressions de près. Oliver & Compagnie, Newsies, Les Petits Champions 2 et 3, George de la Jungle 2, et aujourd’hui Leroy & Stitch : autant de noms éloquents qui témoignent d’un travail de premier plan pour la maison de Mickey. L’oeuvre d’un maître, un poète, un artiste, qui brille autant par son talent et son éclectisme que par sa simplicité.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours musical ?
J’ai été élevé dans une famille d’artistes. Mon père est acteur et metteur en scène. Il a enseigné le théâtre à l’université de l’Utah pendant de nombreuses années. Quant à ma mère, elle est cantatrice, c’est une soprano. J’ai grandi en entendant de la musique symphonique, de l’opéra et de la musique de comédie musicale. C’est pourquoi la musique est venue tout naturellement à moi, en particulier la musique dramatique, du fait de cet héritage. J’ai suivi mes premiers cours de solfège au lycée. A cette époque, je jouais du trombone et avant tout du jazz. J’ai écrit ma première oeuvre à 16 ans et je n’ai jamais cessé d’écrire depuis. J’ai passé deux ans à l’université, puis j’ai laissé tomber parce que cela ne me correspondait pas. Par la suite, j’ai donc étudié par moi-même. J’ai appris la direction d’orchestre et le contrepoint, puis je suis venu à Los Angeles pour apprendre la musique de film avec différents compositeurs. J’ai travaillé en premier lieu pour la télévision. J’ai commencé avec des films éducatifs et des documentaires pour la télévision de l’Utah avant de venir à Los Angeles où ma première contribution pour la télévision nationale fut la musique de Starsky & Hutch. Cela fait à peu près 25 ans que je travaille dans la musique de film et de télévision. Pendant ce temps, j’ai également composé de la musique classique pour des ensembles de chambre, des ensembles chorals et le théâtre.


Comment le projet Leroy & Stitch a-t-il débuté pour vous ?
J’ai beaucoup travaillé pour Disney par le passé, et nous avons toujours eu d’excellents rapports, que ce soit avec Matt Walker, le vp de la musique pour Disney Toon Studios ou avec Monica Zierhut, qui s’occupe des musiques de films. C’est donc sur cette base qu’ils ont fait appel à moi.

Qu’est-ce qui vous a conduit à accepter cette proposition ?
Avant de démarrer sur Leroy & Stitch, je dois avouer que je ne connaissais rien de l’univers de Lilo & Stitch. Mais j’ai découvert que beaucoup d’enfants de mon entourage l’adoraient. De fait, je suis devenu en un instant une célébrité pour eux : quand ils ont appris que je participais au dernier Lilo & Stitch, ils n’en sont pas revenus ! J’ajoute que, dès que les gens de Disney m’ont présenté ce projet, je l’ai trouvé formidable. C’est un film d’animation –ce que j’adore- qui a en plus beaucoup de cœur. Il y avait beaucoup à faire sur les relations entre Lilo et ses amis, et entre Lilo et sa sœur. C’était aussi un film qui permettait de jouer sur deux tableaux très différents : des scènes grandioses et d’autres plus intimes. J’aime cette diversité. Ce fut un véritable défi que d’avoir à créer un thème qui puisse être varié de façons aussi opposées.

Quels sont les grands axes de votre partition ?
C’est une partition orchestrale, classique sur le plan formel, qui essaie d’apporter une dimension supplémentaire à cette histoire et à ces images, en fonctionnant comme une sorte de pont entre ce qui se passe à l’écran et les émotions du public. J’ai donc développé une approche très traditionnelle, qui ne fait que renforcer le contraste avec les chansons d’Elvis. Personne n’a d’ailleurs remis en question cet aspect traditionnel car c’est justement ce contraste qui nourrit le film.

Avec tous ces cuivres, et ces débordements de harpes, votre partition sonne vraiment comme un classique de la musique Disney.
Merci, c’est un grand compliment. Ce fut en effet mon intention de me rapprocher le plus possible de la grande tradition musicale de Disney. Les partitions de La Belle au Bois Dormant, de Blanche-Neige, de Pinocchio, ou encore de Cendrillon (dont j’ai dirigé un nouvel enregistrement pour Walt Disney Records en 1995) sont des musiques extraordinaires que j’ai toujours admirées. Je n’ai pas cherché à reproduire le son Disney per se, mais plutôt de renouer avec la sophistication de ces partitions. J’ai aussi cherché à composer une musique qui soit aussi sophistiquée que touchante sur le plan émotionnel.

Vous avez tenu à composer votre propre arrangement de Quand on prie la Bonne Etoile pour le logo Disney : une autre façon se rester fidèle à la tradition ?
J’ai fait cela car je voulais donner le même sentiment que les ouvertures des classiques Disney. A la différence que, dans la plupart des musiques du logo Disney, on ne peut entendre que la première phrase de la chanson et que j’avais assez de place pour me permettre d’en glisser deux avant de plonger dans le film. Je n’ai pas résisté à ce plaisir !



Comment avez-vous travaillé avec les trois créateurs du film, Tony Craig, Bob Gannaway et Jess Winfield ?
J’ai produit des maquettes pour tous les morceaux de la partition et ils faisaient des commentaires sur ces ébauches. Globalement, nous étions vraiment sur la même longueur d’onde, et de fait, je n’ai pas eu beaucoup de choses à réécrire. Leur courtoisie, leur respect de ma musique et leurs grandes qualités humaines ont fait qu’il était très facile de travailler avec eux. C’est toujours très appréciable quand on part pour un si long voyage ensemble. Nous avons vraiment passé de très bon moments ensemble.

Saviez-vous que Tony Craig jouait du cor ?
Oui, je le savais. J’aime beaucoup cet instrument moi-même, mais cette fois, c’était un peu particulier car chaque fois que j’écrivais une ligne de cor, je pensais à Tony !

Pouvez-vous nous parler des thèmes que vous avez utilisés ?
C’est un mélange de thèmes originaux que j’ai écrits pour ce film et de musique pré-existante, créée par Alan Silvestri pour le tout premier film. Les créateurs de Leroy & Stitch voulaient une continuité entre les différents films. Ce qui fait qu’à certains moments, la partition temporaire collait parfaitement à l’image et il suffisait de réutiliser la musique d’origine, alors qu’à d’autres moments, il a fallu soit la ré-arranger soit utiliser mes propres thèmes. Parmi ces thèmes, il y a celui de la cérémonie qui ouvre le film. C’est une grande marche, la première chose que j’ai écrite pour le film, que j’ai également utilisée dans des scènes plus intimes, notamment lorsque Lilo est découragée. J’ai conçu ce thème de telle sorte qu’il ait cette flexibilité qui permet de l’utiliser dans des situations aussi différentes.

A quel personnage ce thème se rapporte-t-il ?
Il ne s’agit pas d’un personnage en particulier, mais plutôt de l’unité, du lien qui unit les quatre personnages principaux. Il peut se rapporter tout aussi bien à l’unité gagnée qu’à l’unité perdue. Dans ces moments-là, je le passe dans le mode mineur. Je pense notamment à la scène dans laquelle Lilo souffre du fait que ses amis sont désormais loins d’elle. C’est donc un thème qui parle de ces quatre amis en tant que groupe. Lilo avait déjà un thème, celui composé par Alan Silvestri, ce qui fait que je n’avais pas à composer quelque chose de nouveau pour elle. Ce qui était nouveau, c’est cette relation que Lilo, Stitch, Jumba et Pleakley ont noué progressivement au cours de leurs aventures et qui culmine dans cet ultime épisode. Pour bien comprendre cela, les créateurs du film m’ont parlé de cette relation dans la série et les différents films, mais j’en ai encore plus appris auprès des enfants !

Comment avez-vous traité les méchants du film : le Dr. Jacques von Hamsterviel et ses comparses ?
Je voulais un thème qui soit une sorte de marche sardonique afin de souligner le côté factice de cette quête de pouvoir qui les anime et de leur assurance dans leur entreprise pour contrôler la galaxie. Ils se prennent vraiment au sérieux, et une partie de l’humour du film provient de l’ironie que la musique peut apporter à leur portrait. Hamsterviel est un personnage pompeux et ridicule à la fois, et la musique est là pour souligner ce trait. Comme pour le thème de l’unité, ce thème, que j’ai appelé « March of the idiots », n’est pas nécessairement le motif d’un seul personnage. C’est de nouveau un thème sur les relations entre les personnages, ici entre les méchants, et les circonstances qui les unissent. C’est une façon un peu différente d’utiliser les leitmotive, mais il m’a semblé que cela fonctionnait mieux ici, en fonction de l’histoire et des films qui l’ont précédée.

Le seul personnage a avoir son propre thème semble être Pleakley.
L’une des premières maquettes que j’ai soumises aux créateurs du film se rapportait à cette longue séquence dans laquelle chacun des héros retourne vers sa planète d’origine, loin de Lilo : Jumba retrouve son laboratoire, Stitch gagne son nouveau vaisseau, etc. A cet effet, j’ai voulu reprendre le thème de l’unité et l’adapter à chaque personnage tandis qu’il découvre ou redécouvre l’endroit où il va vivre désormais. Pleakley, lui, arrive dans son université, et il y a ce débalage de tous les avantages de sa nouvelle situation. La musique temporaire choisie par les réalisateurs pour cette séquence était A Holiday for Strings, c’est à dire une musique semblable à celle d’un jeu télévisé. C’était à mourir de rire. Je me suis alors demandé comment conserver cet humour, et l’associer au thème de l’unité. Ce que vous entendez finalement dans le film est une combinaison des deux, avec une musique dans le style de Holiday for Strings sur le dessus, et le thème de l’unité dessous, joué aux violoncelles. Or il se trouve que cette parodie fonctionnait tellement bien que je me suis dit que je pourrais l’utiliser en d’autres endroits en tant que thème de Pleakley, simplement en enlevant le thème de l’unité. Je l’ai un peu ralenti, je l’ai fait jouer sur différentes harmonies et le tour était joué !



Vos thèmes semblent très marqués par la musique classique.
Je ne me suis pas penché sur Pomp and Circumstance en particulier pour la cérémonie qui ouvre le film, mais à chaque fois qu’on traite ce genre de manifestation, on ne échapper à certaines références. En ce qui concerne la March of the Idiots, je dirai que mon inspiration principale, quand j’y réfléchis a posteriori, a été Prokofiev, car il a composé beaucoup de marches ironiques dans ce genre. Par contre, une des mes sources les plus objectives a été Star Wars. Vous savez, quand on compose pour un film de ce genre, se déroulant dans l’espace, on ne peut que rendre hommage à cette référence absolue. De fait, j’ai fait quelques clins d’œil humouristiques à la musique de John Williams ici et là. Il n’y a rien dans Leroy & Stitch qui tombe sous le coup d’un copyright. Il faut savoir que la partition de Star Wars s’inpire largement des Planètes de Gustav Holst, et j’ai suivi le même processus, sauf que je l’ai fait ici de façon ironique pour dépeindre Hamsterviel. Je n’aurais sans doute pas pu le faire dans un film dramatique, mais ce genre de comédie me l’a permis et je dois avouer que je me suis plaisir car je suis un très grand admirateur de John Williams.

Comment avez-vous abordé le personnage de Leroy ?
Leroy est un peu le jumeau maléfique de Stitch. C’est un personnage totalement fou, complètement incontrôlable. J’ai donc voulu que ma musique soit aussi folle, sans jamais sonner dangereuse. N’oublions pas qu’il s’agit avant tout d’une comédie pour les enfants. J’ai donc conduit les choses aussi loin que possible, mais sans jamais dépasser une certaine limite.

Comment les références à la partition du Lilo & Stitch original ont elles été élaborées ?
Les producteurs m’ont demandé d’utiliser certains extraits de cette musique en certains endroit bien spécifiques. Disney m’a donc fourni la partition originale, ainsi que l’autorisation d’utiliser tout ce que je voulais de cette musique. Je n’ai jamais parlé directement avec Alan Silvestri ; tout s’est passé via Disney.

Mike Tavera est aussi crédité dans le générique de fin.
C’est le compositeur de Stitch : le film ainsi que de la majeure partie de la série télé. Après la scène de la bataille finale, les créateurs du film avaient choisi un extrait de Stitch : le film dans leur partition temporaire et ils m’ont demandé de le réutiliser dans la version finale, car ils souhaitaient faire une allusion à toutes les musiques de la saga. Mais surtout, lorsque toute la maquette de la scène du stade avec toutes les expériences a été conçue, ils m’ont fait savoir qu’ils n’étaient finalement pas sûr de l’utiliser dans leur film. C’était quasiment le dernier morceau de la production et il ne me restait plus beaucoup de temps pour recomposer quelque chose. C’est alors que les créateurs du film ont suggéré de demander à Mike Tavera de composer une musique selon une approche totalement différente de la mienne, de sorte qu’ils puissent choisir entre les deux. Ce fut une situation quelque peu « inhabituelle » de travailler, même si je comprends les raisons de timing qui les ont poussés à agir de la sorte. Nous avons donc enregistré les deux versions de la bataille finale, et c’est celle de Mike qui a finalement été choisie pour le film.

Avez-vous été en contact d’une façon ou d’une autre avec Mike Tavera ?
Nous nous sommes parlés au téléphone. C’était une situation assez délicate. J’aurais pu en prendre offense. Mais j’ai pris le parti de mettre mon ego de côté, et d’essayer de servir le film autant que possible. J’en ai donc parlé avec Mike. Nous étions aussi embarrassés l’un que l’autre. Nous avons dépassé tout cela, il n’y a jamais eu de sentiment négatifs entre nous et tout s’est bien terminé.

Pouvez-vous nous parler de la musique de la séquence de montage : la citation du générique d’Hawaï Police d’Etat ?
Pour cela, j’ai fait appel à un arrangeur extérieur car j’avais déjà fort à faire avec la partition originale. Nous avions besoin que cette version soit la copie exacte de la version originale, que nous avons enregistrée en commençant par les percussions. Les créateurs du film ont précisément minuté leur montage à partir de la musique de la série, et le résultat est irrésistible !



Comment se fait-il que vous avez enregistré votre partition avec l’orchestre philharmonique de Prague ?
Tout simplement parce qu’on m’a dit que c’était ainsi que cela devrait se passer ! (rires) Il y a fort à penser que cela a été décidé pour des raisons de budget, mais mon sentiment est qu’il y a eu tout un faisceau de raisons pour lesquelles Disney a envisagé d’enregistrer la partition à l’étranger. Et finalement, peu importe, car les choses se sont très bien passées. C’est un orchestre qui a fait beaucoup de progrès depuis qu’il travaille dans le milieu du cinéma, et ses musiciens ont fait du très beau travail.

Comment se sont passés les enregistrements ?
Je suis allé à Prague pour cela. Mais je n’ai pas dirigé l’orchestre, comme je le fais d’habitude. Ils ont un chef d’orchestre local qui est vraiment remarquable, et pour une fois, je me suis dit que je serais mieux en cabine pour faire mes commentaires. J’adore diriger des orchestres, mais dans la mesure où il n’était pas possible de communiquer directement avec les musiciens pour des raisons de langue, il était plus facile de ne parler qu’au chef, qui parlait très bien l’anglais, pour transmettre mes consignes. Je garde un excellent souvenir de Prague. Nous enregistrions l’après-midi et le soir, ce qui nous a permis à mon épouse et moi de profiter de cette ville magnifique. Nous avons visité le quartier juif, le château, etc. C’était merveilleux. J’aimerais ajouter une chose importante pour moi. La partition de Leroy & Stitch a été enregistrée par John Timperley, qui est depuis décédé d’une leucémie. C’était un ingénieur du son anglais qui avait enregistré un grand nombre de musiques classiques. Ce fut un honneur de travailler avec lui, et une grande tristesse quand il nous a quittés. Il a vraiment fait en sorte que cette musique sonne de façon fantastique. Après les enregistrements, nous avons quelques jours dans son studio, dans les faubourgs de Londres. Vous savez, mixer une musique, c’est à 90% fastidieux (l’occasion pour moi de faire des mots croisés entre les différentes décisions artistiques que je dois prendre), et à 10% une vraie terreur. Et John est parvenu à rendre ces moments très agréables. C’est une grand perte.

Pouvez-vous nous parler de vos dernières productions ?
Il y a surtout One Night with the King, un film de Michel O. Sajbel, et la sortie d’un album regroupant des œuvres chorales de ma composition, Evening Wind, chez Clarion.



Pouvez-vous nous parler des circonstances de la création de la musique de One Night with the King ?
Ce fut vraiment un projet de dernière minute, et je ne suis arrivé sur le projet qu’à la fin de la production. Ils avaient quelqu’un d’autre, mais cela n’a pas fonctionné. J’ai alors été contacté par un producteur qui, lui aussi, est arrivé en fin de parcours pour finir le film, et c’est lui qui a fait appel à moi. Je n’avais jamais travaillé avec lui auparavant, nous ne nous étions vus que brièvement lors d’une audition pour un film que je n’ai finalement pas fait. Je n’aurais jamais imaginé qu’il me contacte un jour, mais il se souvenait de moi et m’a demandé de finir ce film avec lui. Ce fut une tâche incroyablement difficile car il a fallu fournir deux heures de musique en un temps record ! Mais j’ai aimé le film et ses créateurs ont aimé mes thèmes.

Cela fut-il un moyen pour vous de concilier votre foi et la musique de film ?
C’est vrai que ce film est inspiré de la Bible, de la vie d'Esther, mais ce n’est pas pour autant que je dirai que sa musique est une expression très profonde de ma foi. Ce n’était pas comme The Trip to Bountiful. Ici, l’approche tenait plutôt du péplum à la Cecil B. DeMille, et ils m’ont demandé de composer une musique dans cet esprit.

Vous avez également composé les chansons du film, et notamment la très belle I Saw the Stars.
C’est une chanson intéressante, composée pour une scène de mariage, se déroulant en Perse. Pour l’interpréter nous avons auditionner un grand nombre de chanteuses, mais personne ne semblait correspondre à ce que nous attendions. Finalement, j’ai eu l’idée de faire appel à une chanteuse perse, et de la faire chanter dans sa langue d’origine. J’ai pu trouver une telle chanteuse ici à Los Angeles, ainsi qu’un parolier pour traduire les idées que nous avions pour le texte. Elle chante donc en persan, tandis que les choristes chantent essentiellement des alleluias.


Pouvez-vous nous parler maintenant d’Evening Wind ?
Il se trouve que je connais Peter Rutenberger et les Los Angeles Chamber Singers depuis un certain temps, et nous parlions depuis longtemps de la possibilité de faire un album ensemble. Ce fut possible l’année dernière, et j’ai pu ainsi rassembler quelques pièces chorales que j’avais composées ces dix dernières années. Parmi celles-ci, la dernière pièce de l’album, Love Never Fails, a été écrite pour le mariage de ma fille en 1997. Pour ce faire, nous avons dû enregistrer en studio et non dans un lieu public comme une église comme nous le souhaitions en raison du bruit occasionné par le trafic automobile.

Comment décririez-vous votre style choral ?
Au-delà de la qualité de la voix chantée, il y a un autre aspect de la musique vocale que j’aime tout autant : le mariage unique qu’elle permet de la musique et des mots. Dans le panthéon des arts, la poésie est tout aussi importante pour moi que la musique. Ce qui fait que, lorsque je compose une œuvre de ce type, le choix du texte est essentiel pour moi. Mon but est toujours d’ « enluminer » les mots, de la même façon que les moines du moyen-âge enluminaient leurs manuscrits, de telle sorte que le public comprenne mieux le poème après l’avoir entendu chanté. Pour ce faire, j’essaie de laisser les accents naturels et les rythmes du texte parlé influencer les rythmes de la musique. C’est un peu comme écrire de la musique à partir d’images en musique de film, avec une harmonie et un contrepoint en symbiose avec ce qu’on voit à l’écran. J’essaie de faire la même chose avec les textes que je choisis. Mon style musical résulte de l’association d’un lyrisme naturel et d’une harmonie et d’un contrepoint rigoureux. J’adore les rythmes de danse et les mesures inégales, les orchestrations colorées et les formes narratives qui emmènent l’auditeur dans leur voyage. Pour moi, la musique n’est pas seulement un mode d’expression personnel, mais un moyen de communication, et ce que je recherche avant tout, c’est que la musique que j’écris parle à la personne toute entière : au cœur et à l’intellect, au corps et à l’esprit.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je travaille sur un certain nombre de commandes : un thème et variations pour piano, une pièce vocale, une autre en musique de chambre et une enfin pour orchestre. Il se peut également que j’aille à Kiev en octobre pour enregistrer quelques pièces classiques.

Nous vous laissons conclure cet entretien.
Je suis personnellement très touché de l’intérêt que manifestent les passionnés de musique de film pour cette discipline particulière. La diminution de la passion pour les arts de la part du public en général me cause beaucoup de tristesse, mais ce manque d’intérêt n’est heureusement pas partagé par les afficionados de la musique de film ! Ils semblent au contraire de plus en plus passionnés et c’est une chose merveilleuse ! Je suis très reconnaissant du fait qu’il y a plus qu’un simple intérêt pour cette musique, qu’elle est considérée avec sérieux, et je pense que cela fait une réelle différence, cela nous donne de la joie, de l’émotion, c’est un grand bonheur. Je suis heureux de savoir que la musique que j’écris n’est pas juste jetée comme ça, sans signification. Quand nous les compositeurs avons fini le travail, nos partitions sont stockées un peu comme à la fin des Aventuriers de l’Arche Perdue. Elles sont ainsi archivées et ne nous appartiennent plus, excepté les rares cas où elles sont publiées. On s’investit totalement dans un projet pour le voir ensuite disparaître. Mais vous qui aimez ces musiques, vous êtes les gardiens de la flamme, vous conservez toujours votre intérêt. Cela me fait énormément plaisir. J’apprécie toujours énormément des conversations de ce type avec des gens qui s’intéressent réellement à l’art. C’est une chose formidable et je voudrais vraiment vous en remercier !

dimanche, janvier 14, 2007

LEROY ET STITCH EN DVD : Entretien avec le réalisateur Tony Craig


« En remerciement de leur aide précieuse pour avoir retrouvé les 625 expériences, Lilo, Stitch, Jumba et Pleakley se sont vus récompensés par des séjours de rêve aux quatre coins de la galaxie. Mais leur repos est de courte durée. Le sinistre Docteur Hamsterviel s’est en effet échappé de prison et a contraint Jumba à créer une nouvelle expérience du nom de Leroy, un frère jumeau maléfique de Stitch. Pour couronner le tout, Hamsterviel s’est mis en tête de cloner son dernier-né afin de monter sa propre armée. Bref, les ennuis recommencent… »
Dernier opus de la saga, Leroy & Stitch conclut en apothéose les aventures de la petite hawaïenne et de son extraterrestre pas comme les autres, en renouant avec toutes les productions de la franchise, des suites en vidéo à la série télé.
Et pour ce faire, Disney a fait de nouveau appel à Tony Craig pour réaliser, en compagnie de son éternel compère Bob Gannaway, ce film toujours plein d’humour et de tendresse.
Rencontre avec l’artiste qui nous a offert non seulement ce film et la série Lilo & Stitch, mais également Timon & Pumbaa, Les 101 Dalmatiens et Mickey : Tous en Boîte.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Après le lycée, j’ai envoyé un port folio au California Institute of the Arts, qui a été refusé, puis je suis allé passer un an dans un Collège en Caroline du Sud pour approfondir ma pratique des arts. A la suite de quoi, comme je voulais cela très fort, je me suis représenté à Cal Arts et j’ai été accepté dans le département animation. C’était en 1980.

Qui furent vos professeurs à Cal Arts ?
Il y eu Chris Buck, l’un des réalisateurs de Tarzan, et Mike Giaimo, qui fut mon professeur d’écriture d’histoire, qui malheureusement nous a quitté l’année dernière. J’ai également suivi des cours de layout, ainsi que des cours de design avec un ancien collaborateur de Mary Blair.

Qu’avez-vous fait après vos études là-bas ?
Après deux ans à Cal Arts, j’ai eu l’occasion de travailler un peu avec Don Bluth, puis j’ai rencontré des artistes qui travaillaient sur les Tiny Toons. C’est ainsi que j’ai participé à cette série aux côté de Ken Boyer. C’était l’un des plus jeunes réalisateurs qu’ils avaient sur la série (il avait dans les 25 ans à l’époque !). Il avait le sentiment que les anciens du métier avaient pris un certain nombre de mauvaises habitudes, et il avait envie de rassembler quelques jeunes pour inventer des choses différentes. J’ai ainsi passé quatre ans le département de Ken, mais avec le secret espoir de pouvoir un jour travailler chez Disney.

Comment avez-vous rejoint la maison de Mickey ?
Je leur ai envoyé mon porte folio, et ils m’ont pris en tant que clean-up artist sur Bernard et Bianca au Pays des Kangourous. Je me suis occupé de Joanna, le gros lézard de McLeach. Ce passage à Walt Disney Feature Animation a duré cinq mois, et s’est arrêté brusquement car il n’y avait plus rien à faire. C’est alors que je suis retourné chez Warner pour la deuxième saison des Tiny Toons, avant de me mettre aux Animaniacs. Nous avons pris neuf mois pour développer cette nouvelle série, puis j’ai eu la chance de réaliser le storyboard du tout premier épisode de Minus & Cortex ! Et après sept mois comme cela, j’ai pris la décision de m’arrêter pour démarrer une carrière en free lance. C’était l’été 1992. En 1993, l’un de mes copains de promo à Cal Arts, Donovan Cook (qui a notamment réalisé Mickey – Les Trois Mousquetaires dernièrement), a lancé une série appelée Two Stupid Dogs et il m’a demandé de rejoindre son équipe de storyboard. Or il se trouve que le seul bureau disponible devait être partagé avec un certain Bob Gannaway. Nous nous sommes tellement bien entendus que nous nous sommes mis à développer notre propre série durant notre temps libre, et à la proposer à tous les studios. Rien ne s’est vraiment passé si ce n’est que nous avons attiré l’attention de Walt Disney Television Animation. Nous ne savions pas qu’à l’époque où nous sommes passés pour vendre notre série, ils cherchaient un duo d’artistes pour diriger une série dérivée du Roi Lion, mettant cette fois en vedette Timon & Pumbaa.

Tony Craig (assis) et Bob Gannaway

Comment furent les débuts de la série ?
En fait, nous n’avons disposé que de deux semaines pour développer le concept de cette série et un mois après notre présentation aux exécutifs de Disney, nous entrions en production !

Pouvez-vous nous expliquer le concept de la série Timon & Pumbaa ?
Bob et moi sommes de grands fans des cartoons de la Warner, et nous nous sommes dits que si Bugs Bunny pouvait surgir de partout et prendre tous les rôles possibles et imaginables, alors notre duo Timon & Pumbaa pouvait aussi débarquer n’importe où dans le monde. C’est ainsi que la série devait originellement s’appeler Around The World with Timon & Pumbaa. Mais au bout du compte, les gens de Disney ont voulu davantage coller au film d’origine, et la série s’est finalement appelée The Lion King’s Timon & Pumbaa. L’idée était de les faire arriver dans n’importe quel coin de la planète et de les faire interagir avec ce qu’on pouvait y trouver : toutes sortes d’animaux, d’environnements, etc.

Puis on vous retrouve aux commandes de la série Les 101 Dalmatiens.
En effet. A cette époque, Disney Television Animation s’est doté d’un nouveau président et l’une des premières choses qu’il a faites a été de racheter un studio d’animation de New York appelé Jumbo, dirigé par Jim Jenkins, le papa de Doug. De fait, Nikelodeon a perdu la franchise de Doug, et Disney l’a récupérée pour diffuser la série dans leur émission hebdomadaire du samedi matin, 1 Saturday Morning, aux côtés de la Cour de Récré. Ainsi que du film en prises de vue réelle Les 101 Dalmatiens. C’est à partir de ce film qu’est née l’idée d’une série animée. Ils ont mis les gens de Jumbo sur le projet, mais ils se sont très vite rendus compte qu’il était très difficile de superviser quatre équipes de production, soit 120 personnes, depuis New York. C’est ainsi que Disney nous a demandé à Bob et à moi de devenir producteurs exécutifs de cette série, et ainsi de superviser la production depuis Los Angeles, en collaboration avec Jim Jenkins et David Campbell. Nous avons ainsi produit 65 épisodes d’une demie heure sur un an seulement, avec l’aide de neuf studios étrangers travaillant en même temps sur le projet ! C’était une série intéressante du point de vue artistique. Je pense notamment à l’artiste Alphonse Mucha, du mouvement « art-nouveau », qui avait su donner une qualité toute particulière à ses affiches. Cette qualité se caractérise par une ligne extérieure plus épaisse et des lignes intérieures plus fines, et c’est ce que j’ai voulu adapter pour Les 101 Dalmatiens. Ce style permettait également de favoriser l’homogénéité des dessins de tous les studios impliqués dans la production de la série, que ce soit le Japon, la Corée, l’Australie et l’Europe de l’Est.

Cette multiplicité des studios, si elle constitue un avantage certain du point de vue économique, pose en effet un grand nombre de problèmes logistiques et artistiques.
Absolument. Tenir les délais dans ces conditions a certainement été le travail le plus difficile de toute ma carrière ! Mais ce fut aussi très stimulant !

Cela a-t-il posé problème de vous éloigner ainsi du style visuel du film original ?
J’ai lu sur internet qu’un certain nombre de personnes n’étaient pas contentes du fait d’avoir changé le design original, mais je pense sincèrement que les studios étrangers avec lesquels nous travaillions n’auraient pas été capables de reproduire ces lignes brutes photocopiées de façon homogène et dans les conditions que demandait la série. Je pense vraiment que le style graphique pour lequel nous avons opté était une bonne solution dans ce contexte. A l’époque, peu de studio pratiquaient ce style, si ce n’est pour la série Daria. Et aujourd’hui, la majorité des séries animées sont faites ainsi. Nous avons un peu été des précurseurs !

Puis vous êtes passé à House of Mouse (Mickey - Tous en Boîte).
Cela s’est passé très vite. Bob et moi étions devant le bureau du président de Walt Disney Television Animation d’alors, Barry Blumberg, et il y avait un concept art de Mickey accroché au mur, ce qui montrait qu’ils étaient en train d’envisager quelque chose là-dessus et j’ai demandé sans arrière-pensée qui devait développer cette série. Et il a répondu : « vous, les gars ! ». Nous avons donc commencé avec la série Mouseworks. A ce propos, Roy Disney nous a dit : « pourquoi ne prendriez-vous pas ces cartoons pour ce qu’ils sont : des cartoons, justement. Vous n’avez pas besoin de venir avec un grand concept. Ce sont des personnages de cartoon, alors faisons des cartoons : c’est ce que nous savons faire le mieux ! » Et tout le monde a aimé cette idée. Puis Peter Schneider nous a dit qu’il trouvait que ces cartoons partaient un peu dans tous les sens et qu’il aimerait bien qu’ils aient un fil conducteur, quel qu’il soit. Nous avons donc fait une pause dans la fabrication de cartoons et nous nous sommes penchés sur un concept pour unifier tous cela. C’est ainsi que nous sommes arrivés à l’idée de House of Mouse, Mickey-Tous en Boîte, qui a aussi permis de rendre Mickey plus actuel, de moderniser son image.


Il est toujours délicat de toucher à l’icône de Disney. Est-ce que cette nouvelle attitude de Mickey a fait l’objet de beaucoup de discussions ?
Pas tant que cela. Notre principale source d’inspiration a été le Muppet Show, avec Mickey à la place de Kermit la Grenouille, présentant le show à tous ses amis Disney, et essayant de tenir la boutique. Un gros travail pour une petite souris. Il fait du mieux qu’il peut, et il sait qu’il peut compter sur l’aide de ses amis, Donald, Daisy, Dingo et Minnie. Ce fut aussi l’occasion de retrouver des personnages que l’on ne voit plus guère, comme Horace et Clarabelle.

On y retrouve ainsi tous les personnages Disney, des premiers cartoons en noir et blanc aux films les plus récents.
Je crois que nous avons balayé toute l’histoire de Disney jusqu’à Atlantide.

Il est d’ailleurs étonnant de voir ces personnages se mélanger, en dehors de leur univers respectif, une pratique d’habitude refusée par Disney .
C’est vrai, mais nous avons d’abord fait des tests auprès des gens de Disney, et tous ont trouvé que cela fonctionnait très bien ainsi et que c’était finalement très drôle. Tout ce qu’on nous a demandé, c’est que la personnalité de chaque personnage ne change pas par rapport au dessin-animé d’origine, et que nous ne nous moquions pas des moments d’émotion des films originaux. A part cela, nous pouvions tout faire ! Il y a bien eu un ou deux gags que nous n’avons pas été autorisés à faire car ils franchissaient la limite, mais globalement, tout le monde s’est bien amusé ! Cette façon de réunir des personnages connus et appréciés de tous permet de rassembler toutes les générations, et de fait, la série a autant marché auprès des jeunes enfants que des adultes. Cela fonctionne un peu comme les Disney Princesses aujourd’hui.

On imagine le plaisir de pouvoir travailler avec les voix originales de tous ces personnages !
Et comment ! Nous avons eu la joie de rencontrer des artistes allant de Katherine Beaumont, la voix originale d’Alice et de Wendy, à James Wood / Hadès. Nous avons été aidés en cela par le département Disney Character Voices, qui s’occupe de superviser toutes les voix Disney pour toutes les divisions de la compagnie, afin de garder toujours la même voix à chaque personnage.

Afin de rester fidèle à la personnalité de chaque personnage, avez-vous revu tous les films Disney ?
C’est quelque chose que je fais régulièrement, sans avoir à travailler sur un projet en particulier ! J’ai d’ailleurs une collection assez importante des premiers cartoons, notamment des Silly Symponies, ce qui m’a permis de faire ressurgir quelques-uns de leurs personnages dans House of Mouse. Ce fut très spécial pour moi de pouvoir puiser dans ce répertoire, car, comme je vous l’ai dit, j’ai toujours voulu travailler chez Disney. Je connais tous ces personnages par cœur, et là, je les avais tous à ma disposition !

Comment avez-vous envisagé la musique de la série ?
Nous voulions quelque chose d’actuel, mais qui ne sonne pas vieillot dans les quatre à cinq ans qui allaient suivre. Nous nous sommes donc tournés vers le swing et le rock, et c’est ainsi que nous avons fait appel à Brian Setzer. Il a su très bien marier le swing des années 40 au rock’n roll dans le générique de la série. Et à partir de là, le ton était donné.


Comment êtes-vous arrivé sur la franchise Lilo & Stitch ?
Après la série House of Mouse, nous avons fait deux films pour la vidéo, House of Villains, et Snowed In at the House of Mouse, et il fut temps alors de réfléchir à d’autres projets. Il était question de développer une série basé sur le film Lilo & Stitch et Disney avait demandé à plusieurs équipes de réfléchir à un concept. Ils nous ont tous réunis pour mettre en commun nos idées, et la série a fini par naître de l’association entre nos idées à Bob et moi, et celle de Jess Winfield.

Quels étaient vos relations avec Lilo & Stitch avant de diriger la série ?
Chris Sanders sort, comme moi, de Cal Arts. Je connaissais déjà ses films d’étudiant que je trouvais fantastiques et j’ai suivi avec intérêt sa progression chez Disney, depuis ses dessins pour Bernard & Bianca au Pays des Kangourous et Mulan. J’ai été ravi pour lui quand on lui a offert la possibilité de diriger son propre film, que j’ai trouvé merveilleux. J’ai beaucoup aimé le fait qu’il s’agisse d’un film très actuel, très différent de tout ce qu’on a pu voir par le passé. Le style visuel était aussi très intéressant : cette idée de renouer avec l’aquarelle des années 30 dans un film d’aujourd’hui.

Quelle fut votre approche de la série Lilo & Stitch ?
Du point de vue artistique, nous avons voulu coller le plus possible au design du film original. Dans cette optique, nous avons formé tous nos décorateurs à l’aquarelle. La plupart d’entre eux avaient l’habitude de peindre leurs décors par infographie, mais nous leur avons appris à peindre à l’aquarelle sur un papier destiné à cet effet. Je suis moi-même un grand adepte de cette technique et j’ai eu grand plaisir à peindre un ou deux décors comme cela. Cependant, si les décorateurs de Lilo & Stitch, le film, ont eu le temps de peindre tous leurs décors au pinceau, nos studios n’avaient pas les mêmes impératifs de temps, et ils ont trouvé le moyen de reproduire cette technique informatiquement, sur Photoshop. C’était étonnant !
Du point de vue des personnages, nous savions que Stitch était l’expérience 626. Il fallait donc imaginer une façon de faire émerger les autres expériences. C’est ainsi que nous avons songé à le faire par l’eau, qui activerait les capsules dans lesquelles ils sont tous enfermés. Et pour expliquer tout cela, nous avons pensé à faire un film à part entière, qui serait en quelque sorte l’introduction de la série et de ses 65 épisodes (nous avons fort heureusement trouvé le moyen d’organiser le retour des expériences précédentes de cette façon, car sinon, nous aurions dû produire 625 épisodes !).

Avez-vous participé à l’écriture des histoires ?
Non, j’ai laissé ce soin à Bob Gannaway et Jess Winfield, de la même façon que je les ai laissés s’occuper de la direction artistique des enregistrements des voix. Je savais qu’ils se débrouilleraient à merveille (Bob s’en occupait déjà sans moi au milieu de la production de House of Mouse), et qu’il est toujours meilleur de ne pas multiplier les opinions en cabine.

Comment avez-vous choisi le compositeur de la série, Mike Tavera ?
Nous avions déjà travaillé avec lui sur House of Mouse -il nous avait été présenté par les gens du département musique de notre division- et nous aimions ce qu’il avait fait. Il y avait d’autres compositeurs qui étaient envisagés, mais cela avait tellement bien fonctionné sur Tous en Boîte que avions envie de continuer dans ce sens. Nous avons pas eu à chercher ailleurs !

Lilo & Stitch est une franchise riche et complexe, associant un film cinéma, trois suites en vidéo (Stitch, le film ; Lilo & Stitch 2 : Hawaï, nous avons un problème et Leroy & Stitch).
Vous avez raison de souligner cette complexité. A cette époque, Walt Disney Television Animation s’occupait de tout ce qui se rapportait aux séries télé, tandis que Disney Toon Studios, qui faisait aussi partie de notre division, s’occupait des suites comme Le Roi Lion 2, Cendrillon 2, etc. Et ces derniers travaillaient sur Lilo & Stitch 2 presque indépendamment de notre travail sur la série. Le problème est que, pour des raisons de timing et de date de sortie, les choses n’ont pu se passer comme elles auraient dû. Lilo & Stitch 2 se situe immédiatement après la fin du film original, et pourtant il n’est sorti qu’après notre suite à nous, Stitch : le film, et deux saisons de notre série. Toute l’histoire des autres expériences était ainsi connue de tous, alors qu’il n’en est fait aucune référence dans le 2 ! A cela, vous pouvez également rajouter le court-métrage racontant les origines de Stitch, envisagé à la dernière minute. Tout cela a fait qu’on se mélange un peu les pinceaux et cela aurait bien mieux fonctionné du point de vue chronologique si on ne s’était pas autant précipité. Enfin, aujourd’hui, on peut remettre toutes les pièces dans le bon ordre : Lilo & Stitch, Lilo & Stitch 2, puis Stitch : le film, notre série, et finalement Leroy & Stitch.

Comment s’est passée la production de Stitch : le film ?
Ce fut assez compliqué car à cette époque, il nous fut très difficile d’obtenir des informations à propos du film original dans la mesure où il n’était pas encore sorti. S’il y avait eu plus d’échange entre les différentes équipes, je crois que notre travail n’en aurait été que meilleur.

Est-ce que votre rôle est différent entre la direction d’un long-métrage et celle d’une série ?
Pas vraiment, dans la mesure où, dans les deux cas, il faut s’assurer que toutes les énergies vont dans la même direction.

Comment est née l’idée de Leroy & Stitch ?
A lieu de finir tout simplement la série, nous avons eu envie de faire un film qui apporte une sorte de conclusion sur les activités du Dr. Hamsterviel, l’évolution de Gantu et des autres personnages. Bob et Jess ont donc mis sur pied une histoire qui rassemblerait toutes les intrigues de la saga et l’ont présenté à notre président, qui a l’habitude de faire confiance à ses artistes. Et c’est ce qu’il a fait. Vous savez, lorsque vous vous lancez dans un projet collectif comme tout ce que nous faisons chez Disney, vous partez avec votre propre idée en tête, et le résultat final ne correspond pas toujours à ce que vous vous imaginiez. Mais là, je dois dire que le film correspond vraiment bien à ce que j’avais envie de faire.

Comment le travail a-t-il été réparti ?
Sur Stitch : le film, nous travaillions sur trois studios : un à Los Angeles et deux en Corée, alors sur Leroy & Stitch, il y avait deux studios, L.A. et un studio à Taïwan avec lequel j’étais en contact très étroit. Cela a amélioré la qualité du film car, avec deux studios différents à l’étranger, les choses ne peuvent être parfaitement homogènes, même si le superviseur de l’animation là-bas fait tout son possible pour faire des allers-retours constants entre les deux. Cette fois, nous avons eu une vraie continuité.



Comment avez-vous choisi JAC Redford pour la musique ?
En fait, c’est une suggestion du département musique de Disney Toon Studios. Je ne le connaissais pas vraiment, mais quand j’ai vu son parcours, tant en matière de films que de dessins-animés, j’ai été vraiment ravi de pouvoir travailler avec lui. D’autant plus que je suis un grand fan de James Horner, le compositeur de Titanic et de Cocoon (c’est d’ailleurs la musique que j’ai utilisée comme partition temporaire sur Leroy & Stitch), et quand j’ai su que JAC était l’un des principaux orchestrateurs de James Horner, j’étais aux anges !

Que lui avez-vous demandé ?
Avant tout, de rester fidèle au film original. C’est ainsi qu’il a réutilisé six ou sept musiques qu’Alan Silvestri avait composée pour Lilo & Stitch. Il fallait aussi qu’Elvis fasse partie de notre film. Nous avons donc demandé à JAC d’unifier tout cela afin que Leroy & Stitch soit aussi une conclusion musicale à toute la saga, en utilisant des éléments tirés de chaque film et de la série. Et au delà de tout cela, il a su composer un thème qui traite spécifiquement les émotions de notre film, le thème qui ouvre le film, lors de la cérémonie, et qu’il a su varier de toutes sortes de façons merveilleuses et touchantes.

Les chansons d’Elvis s’intègrent toujours aussi bien dans la trame du film.
Et pourtant, ce ne fut pas chose aisée. Prenez par exemple I’m so lonesome I could cry. Cela correspondait exactement à la situation des personnages, seuls, éloignés les uns des autres. Or, la seule version existante de cette chanson est une version live. Eh bien, qu’à cela ne tienne, nous l’avons intégrée telle quelle, et c’est devenu le disque de Jumba fait jouer dans son laboratoire. Il était important que tout ait un sens dans notre film Bob y tenait beaucoup. Tenez, je vais vous révéler un petit secret : lorsque Hamsterviel envoie Stitch, Jumba et Pleakley vers le trou noir, il entre les coordonnées : 12-21-9-7-9. En fait, il s’agit d’une date : le 21 décembre 1979, le jour de la sortie du film Le Trou Noir !

Et comment vous est venue l’idée d’utiliser le générique d’Hawaï Police d’Etat ?
En fait, nous avions envie de l’utiliser depuis Stitch : le film car cela fait partie de l’image qu’on se fait d’Hawaï, mais l’histoire ne s’y prêtait pas. Or, ici, ce montage convenait parfaitement, et apporte un second degré assez drôle à l’ensemble !

Vous semblez avoir beaucoup d’affinités avec la musique.
Il faut dire que mes deux parents sont professeurs de musique. Et lorsque j’ai fini mes études générales, j’ai dû choisir entre mes deux passions, l’animation et la musique –car je joue du cor. Vous connaissez la suite. Mais cette autre passion s’exprime sans cesse dans mon travail. C’est ainsi que dans House of Mouse, j’ai imaginé plusieurs épisodes basés uniquement sur la musique, comme les Silly Symphonies ou certains cartoons de la Warner.

Je me souviens même d’épisodes de Timon & Pumbaa parodiant Fantasia !
Bumble in the Jungle, en effet ! Une version « jungle » du Vol du Bourdon, qui était initialement prévu par Walt Disney pour la suite de Fantasia. En fait, nous avons suivi la musique en dessinant spontanément les mouvements que nous inspiraient les notes. Pour ce faire, le compositeur Stephen James Taylor a écrit une partition temporaire au synthétiseur, et avait ajouté un click, comme un métronome, afin de donner aux animateurs le timing exact qu’ils devaient suivre. Nous avons ainsi créé notre propre méthode de travail. J’ignore si c’est celle qui a été suivie dans les premiers cartoons mais cela a fonctionné pour nous !

Quels sont vos personnages préférés parmi tous ceux avec qui vous avez travaillé ?
Je dirai Timon & Pumbaa et Mickey. Même si je me suis beaucoup amusé, je n’ai pas eu la même relation avec les dalmatiens et avec Lilo & Stitch. Je suis particulièrement fier du travail effectué sur Leroy & Stitch, mais Mickey garde une place à part dans mon cœur. J’ai vraiment eu un coup de blues quand il a fallu arrêter House of Mouse !

Les suites Disney sont toujours critiquées pour leur côté mercantile. Partagez-vous ce sentiment ?
C’est un fait que la Walt Disney Company cherche toujours à gagner de l’argent avec les personnages qu’elle a créés. Mais pour les gens qui ont créé ces personnages, l’argent est bien la dernière chose à laquelle ils pensent. Nous, les artistes, nous essayons simplement de produire quelque chose de bon et de divertissant, en fonction des conditions dont nous disposons, notamment du temps.

Parlons un peu de vous maintenant. Vous êtes un artiste indépendant. Pouvez-vous nous présenter votre travail ?
J’ai toujours été très attaché à l’état où je suis né, la Caroline du Nord. Je n’ai jamais considéré que mes racines se trouvaient à Los Angeles. Je me suis donc mis à voyager à travers mon pays, en photographiant et en peignant. Quand Bob a vu mon travail, il m’a suggéré de me concentrer maintenant sur un aspect bien précis. C’est ainsi que je me suis focalisé sur les panneaux publicitaires et autres signes lumineux que l’on peut trouver tout au long de la Route 66, et c’est devenu une véritable obsession ! Je dois avoir autour de 70 000 photos ! Et sachant que ce patrimoine tend à disparaître avec le temps, je suis ravi de pouvoir aider à le préserver à ma façon. C’est devenu plus qu’un hobby. J’imprime ces photos, je les retravaille sur Photoshop, je les expose…

En tant qu’amoureux de la Route 66, avez-vous apprécié Cars – Quatre Roues ?
Oh absolument ! Et je dois avouer qu’avant de voir le film, j’avais l’idée d’une histoire qui prônait à peu près le même message. Aujourd’hui, je dois mettre ce projet de côté, mais je suis heureux que le message ait porté. Je suis également heureux que les gens de Pixar aient rendu hommage de la sorte à cet environnement, avec ce respect. Il est tellement bien fait qu’on dirait qu’il a été filmé : les néons, les panneaux, les bâtiments…

De Leroy & Stitch à la Route 66, la route est longue…
Oui, mais si vous prenez la majorité des animateurs, vous vous apercevez qu’ils produisent des œuvres personnelles à mille lieues de ce qu’ils font pour Disney. C’est d’ailleurs ce qui fait la richesse de l’animation : réunir des artistes venus d’horizons totalement différents et les faire travailler autour d’une même vision. C’est ce qui fait que les artistes d’animation ont une telle faculté d’adaptation. Entre le style graphique des 101 Dalmatiens et celui, plus disneyen de Lilo & Stitch, il y a un monde, mais le pont est vite franchi.

Des projets ?
Pour l’instant, je suis un homme libre. Je viens de passer les fêtes avec mes parents. Je vais probablement ouvrir ma propre galerie art, et lorsque quelque chose se présentera dans le monde de l’animation, je mettrai quelqu’un pour diriger la galerie durant mon absence et je retournerai en Californie.

Vous n’avez travaillé qu’en 2D jusqu’à présent. Seriez-vous prêt à vous lancer dans un projet en 3D ?
Pour moi, le débat entre la 2D et la 3D est sans intérêt car on peut faire des choses fantastiques dans les deux cas. Personnellement, j’ai une petite préférence pour la 2D car elle permet de faire des choses plus artistiques, tandis que la 3D est pour moi comme du stop-motion, comme la manipulation d’une figurine. Je crois d’ailleurs qu’il est temps d’aller plus loin en 3D car les films commencent à se ressembler aujourd’hui au niveau du visuel. J’attends avec impatience de voir ce que Glen Keane va pouvoir en faire dans son prochain film, Rapunzel.