samedi, février 17, 2007

PIRATES DES CARAÏBES : Entretien avec l'imagénieur Laurent Cayuela


Dès sa création, Pirates of the Caribbean fut un succès colossal. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que chaque parc Disney dans le monde possède sa propre version. Si l’original a vu le jour dans New Orleans Square en 1967, c’est en 1973, deux ans après l’ouverture de Walt Disney World qu’est inaugurée la version floridienne, cette fois sur Caribbean Plaza, permettant de faire la transition entre la partie Nord-Ouest, caraïbienne d’Adventureland et l’architecture hispanique du Sud-Ouest américain qui ouvre Frontierland. Mais la différence principale entre les deux attractions, c’est la durée de leur parcours : souhaitée plus efficace, amputée de la scène du Blue Lagoon et d’une partie non négligeable de la grotte, la version floridienne ne dure plus que 7’30 sur les 15 minutes de sa grande soeur californienne. Notons que le Pirates of the Caribbean de Disneyland a connu un certain nombre de modifications en 1997 : une augmentation du nombre de pirates et de scènes due à l’apport de nouveaux audio-animatroniques issus de la fermeture du pavillon World of Motion d’Epcot Center, ainsi qu’une nouvelle mise en scène de certaines vignettes, qualifiée de plus « politiquement correcte »...
Du côté de Tokyo Disneyland (1983), peu de différences par rapport à la version originale.
Mais il est naturel pour nous de nous intéresser plus particulièrement ici à « notre » version de l’attraction, sans doute la plus belle (sans chauvinisme, aucun !), tant à l’intérieur que à l’extérieur.
Pensez donc ! Une forteresse espagnole des Caraïbes du 18e siècle, protégée par une batterie de canons, un mât gigantesque arborant fièrement le Jolly Rogers marquant le passage vers l’entrée dérobée qui mène à l’arsenal : on rêve déjà avant même de prendre le bateau ! Puis c’est la rencontre avec les 119 personnages (64 humains, 55 animaux), l’étonnant duel de pirates, unique au monde, un incendie plus vrai que nature (à tel point que, lors de sa construction, l’un des ouvriers du parc appela les pompiers !), pas moins de 72 effets pour les 3,5 secondes que dure l’explosion de l’arsenal et un butin de 30 000 pièces d’or pour le trésor des pirates !
Une version passionnante que nous raconte l’imagénieur Laurent Cayuela.

Quelles sont les principales différences entre la version originale de l’attraction et celle de Disneyland Paris ?
Dans la mesure où la version parisienne de Pirates of the Caribbean est la dernière en date, la technologie était plus avancée. C’est pour cela que nous avons la seule attraction avec les deux audio-animatroniques pirates qui se battent en duel. Autrefois, il était trop difficile de faire interagir les audio-animatroniques entre eux, mais en 1992, c’était devenu possible. Mais surtout, contrairement aux autres versions de Pirates of the Caribbean, la version française est plus logique, plus chronologique, à savoir que l’on commence par l’ascension de la rampe. En même temps que vous remontez le courant, vous remontez le temps : vous voyez d’abord les pirates vivants et ensuite seulement sous forme de squelettes, alors que dans les autres versions, vous commencez par voir les pirates morts, puis vivants, avant de remonter et de débarquer. Notre attraction propose une histoire plus logique du point de vue narratif : on voit d’abord les méfaits des pirates, puis ce à quoi cela les a conduits.


C’est donc l’inverse de l’attraction originale, y compris du point de vue des montée et descentes du bateau.
En effet, dans ces conditions, la montée de la rampe est, à Disneyland Paris, plus dramatique, dans la mesure où l’on monte vraiment vers l’inconnu. Les personnes qui visitent notre attraction pour la première fois commencent à se poser des questions. On change radicalement d’atmosphère par rapport à la baie du Blue Lagoon. Alors que dans la version américaine, l’ascension mène juste au port pour la fin de l’attraction.

Une autre différence tient au fait qu’il n’y a pas de malédiction à Paris. Les squelettes apparaissent après l’explosion de l’arsenal.
Dans la version américaine, on commence par voir les pirates maudits, puis on explique pourquoi ils l’ont été. A Paris, nous nous plaçons dans une chronologie plus linéaire : introduire la malédiction à la fin aurait été moins compréhensible et moins dramatique. L’idée de malédiction a donc été retirée délibérément, considérant en plus le problème de la langue. Si elle est expliquée dans la narration américaine, on ne pouvait se permettre de le faire en 6 langues minimum en Europe. Au contraire, ici, cela nous permet d’avoir des scènes colorées que les gens comprennent à leur façon au fur et à mesure.

L’histoire est plus logique, mais reste très riche.
C’est un peu comme notre Phantom Manor : il y a beaucoup d’éléments et chaque visiteur voit les éléments qu’il veut et fait l’histoire qui l’intéresse. Il n’y a pas d’histoire plus vraie qu’une autre ; il y a plusieurs pistes et c’est au visiteur d’utiliser son imagination et de créer sa propre histoire. Concernant Pirates of the Caribbean, Walt disait que les gens pouvaient revenir plusieurs fois et découvrir à chaque fois de nouveaux détails. Il y a beaucoup de gens qui ont fait l’attraction plusieurs fois et qui nous disent : ‘tiens, vous avez rajouté un chat !’ En fait, nous n’avons rien rajouté. Simplement, à force de faire l’attraction, les gens voient des choses différentes.

Les pirates sont d’ailleurs des personnages ambigus, insaisissables, entre le bien et le mal. Ils sont parfois comme des enfants qui font des bétises, et en même temps, ils peuvent apparaître comme des personnages négatifs qui finissent sous forme de squelettes. Ils offrent ainsi de multiples possibilités d’interprétation.
Justement, pour palier à ce côté négatif, nos pirates font tout cela en chanson, ce qui les rend plus sympathiques, et ils sont punis à la fin ! De plus, dans cette attraction, nos cast members sont habillés comme des pirates, mais ce sont de gentils pirates. On joue toujours sur le fait que les cast members sont toujours gentils. Les méchants sont forcément animatroniques !


La chanson Yo Ho (A Pirate’s Life for Me) revêt une importance toute particulière à Disneyland Paris.
La grande force des musiques Disney, c’est qu’on les retient très facilement. Même si l’on ne comprend pas les paroles, l’air est facilement mémorisable. C’est ce côté chantant et entraînant qui marque le plus, finalement, et qui donne son caractère à l’attraction. Elle permet également de s’en souvenir après le parcours. C’est un procédé très cinématographique. Walt était un homme de cinéma avant d’être un homme d’attraction et n’oublions pas qu’il a été le premier à créer des films avec du son synchronisé, puis FANTASIA, un film basé sur la musique et non sur l’histoire. Il avait compris la puissance et l’importance de la musique en liaison avec l’image. C’est particulièrement le cas à Disneyland Paris, qui accueille un grand nombre de nationalités différentes : la musique agit vraiment comme un langage universel.

Dans l’attraction, cette chanson apparaît, disparaît, revient sous différentes formes... Pouvez-vous nous parler de cette véritable mise en scène de la musique, particulièrement cruciale à Disneyland Paris, pour les raisons que vous évoquiez ?
En fait, tout commence dès avant l’attraction elle-même, dans la file d’attente. Vous passez sous la voile et après la file extérieure, vous arrivez à une grotte. A ce moment, les gens sont obligés de ralentir car tout devient sombre. On commence à plonger les gens dans l’histoire. Alors qu’à l’extérieur on peut entendre des musiques guillerettes comme celle de LA PETITE SIRENE, ici, on entend de la musique plus macabre, mais toujours dérivée de la chanson des pirates. Dans la mesure où la vue est un peu occultée, vous êtes obligé de faire plus attention à vos autres sens : le toucher, pour essayer de voir s’il y a une pente ou pas, et, bien sûr, à l’ouie, par la musique. C’est ainsi que c’est la musique qui vous plonge dans l’ambiance. Toute cette partie se déroule donc dans le fort. Les visiteurs sont seuls, ils rencontrent quelques squelettes accrochés aux murs, et la musique va les mettre dans l’ambiance en les mettant sur leurs gardes et en leur disant qu’ils entrent dans un lieu très particulier. Puis on arrive à l’embarcadère, qui est une sorte de petit port peuplé de cast members, donc de gentils pirates, avant de prendre le bateau. Là, la musique est plus enjouée. A partir de là, on va jouer sur la musique macabre, toujours liée à une baisse de la luminosité. C’est encore un effet très cinématographique. Puis, dans le fort immergé, il s’agit plutôt d’effets sonores, des chiens qui aboient, des chats qui miaulent, des tirs de canon... Quant à la chanson proprement dite, elle apparaît dans les scènes de pillage, dans le village, après l’attaque du fort par le bateau et juste avant l’explosion de l’arsenal. Et pour la conclusion dans la caverne, ce sont surtout des effets sonores macabres, comme le fameux ‘les morts ne parlent pas !’.


En tant qu’imagénieur et grand connaisseur de l’attraction, quelle fut votre attitude par rapport aux films ?
Au début j’étais très sceptique, et finalement j’ai été agréablement surpris. Dans la mesure où, dans nos attractions, on laisse au visiteur la possibilité de se faire sa propre histoire, j’avais peur que le fait de créer une histoire à partir de l’attraction casse le mythe et cette ouverture. Et les scènes de l’attraction reprises dans le film sont en fait des clins d’oeil très pertinents qui n’entachent ni l’attraction ni le film. Ils ont leur place dans l’histoire et ce, sans avoir besoin de connaître l’attraction. D’ailleurs, le film en lui même se tient et est proprement somptueux, sans parler de l’étonnante composition de Johnny Depp. Au contraire, ceux qui connaissent l’attraction auront un petit plus, un petit clin d’oeil comme on aime les faire chez Disney. En fait, le scénario ajoute encore une nouvelle histoire à l’attraction. Ce qui est amusant, c’est qu’à l’origine, les attractions de Disneyland étaient basées sur des films, et aujourd’hui la boucle est bouclée : l’attraction Pirates of the Caribbean a été conçue à l’origine comme une attraction isolée et on en a finalement tiré un film.

mercredi, février 14, 2007

PIRATES DES CARAÏBES : Entretien avec l'imagénieur X. Atencio

Chez WED (l'ancêtre de Walt Disney Imagineering), qui dit attraction dit cinéma, et qui dit cinéma dit scénario. Or, qui dit Disney dit aussi dessin-animé, et qui dit dessin-animé dit chanson. Un scénario, une chanson : c’est comme cela que Francis Xavier ‘X.’ Atencio a débuté sa carrière d’imagénieur. Véritable légende de Disney, partenaire et grand ami de Buddy Baker, on lui doit un certain ‘Yo Ho’ qui a fait le tour de la terre...
C'est un privilège pour Media Magic d'accueillir une véritable légende vivante dans ses colonnes!

Avant d’aborder Pirates of the Caribbean, nous voudrions évoquer votre carrière avant d’arriver chez WED. Vous êtes entré chez Disney en 1938 en tant qu’animateur apprenti, aux côtés de Woolie Reitherman sur PINOCCHIO et DUMBO.
C’était l’un des tout premiers animateurs, ceux que Walt appelait les Nine Old Men. Avec lui j’ai appris les bases du métier, le timing, etc. Mais en fait je ne suis jamais devenu animateur à part entière, même si ce fut ma formation à la base. Très vite, je me suis orienté vers la conception de l’histoire, le design et le layout.

Pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec Walt Disney ?
C’est assez amusant ! J’attendais l’ascenseur pour monter au deuxième étage et Walt est arrivé. Je lui ai dit ‘Hello Walt !’ et il m’a répondu ‘Hello X. !’ Il connaissait mon nom, et même mon surnom, alors que je pensais qu’il ne savait même pas qui j’étais ! J’étais tellement aux anges que je serais tombé à ses pieds ! Je l’ai toujours beaucoup admiré car c’était un homme remarquable et un merveilleux conteur.

Après la guerre, vous êtes retourné chez Disney où vous avez travaillé cette fois avec Bill Justice.
C’est Bill qui m’a demandé de travailler avec lui. Il avait pu progresser et devenir un animateur à part entière car lui n’avait pas fait l’armée. Nous nous connaissions déjà depuis un certain temps et il m’a dit qu’il avait besoin de moi, ce que j’ai accepté avec plaisir. Ensemble, nous avons travaillé à un certain nombre de courts-métrages dont certains, comme NOAH’S ARK (1959), ont été nominés aux Academy Awards. Nous avons donc été partenaires pendant plusieurs années durant lesquelles nous avons notamment travaillé sur le stop motion, comme par exemple pour la scène du rangement de la chambre des enfants dans MARY POPPINS (1964).

Jusqu’à ce que Walt fasse de vous un imagénieur, en 1965.
C’est une histoire amusante. Un jour, il nous a demandé à Bill et à moi de concevoir un court-métrage basé sur le griffonnage car Bill griffonnait beaucoup, notamment lors des réunions avec Walt. C’est pour cela qu’il nous a suggéré de faire un film là-dessus. Nous nous sommes donc mis au travail, avec l’aide de Larry Clemmons, un autre grand storyman. Nous avions participé à trois réunions sans arriver à quoi que ce soit. Je suis donc allé voir Walt pour lui dire que nous ne pensions pas y arriver. Il m’a alors regardé un moment et je me suis dit qu’il allait probablement me renvoyer ! Puis il m’a répondu : ‘je pense que vous avez raison. Je pense qu’il est temps pour vous de rejoindre désormais les imagénieurs.’ J’ai donc rassemblé mes affaires et me suis rendu à WED. C’était à 3 miles du studio. Là-bas, personne ne savait ce que j’étais sensé faire. Le studio me manquait terriblement. J’y revenais tous les jours pour le déjeuner et je passais également devant tous les soirs pour rentrer chez moi. J’y avais passé 27 ans, j’y avais un beau bureau et à WED je n’avais même pas un endroit pour accrocher mon chapeau ! Or, un mois plus tard, Walt m’a appelé et m’a dit : ‘je voudrais que vous écriviez le script de Pirates of the Caribbean.’ Je n’avais jamais écrit de scénario auparavant, j’avais juste faire du storyboarding. Mais j’ai dit ‘d’accord, je vais essayer’. Je me suis alors mis à faire des recherches et j’ai revu des films comme L’ÎLE AU TRESOR afin de capter l’esprit du jargon des pirates. La première scène que j’ai conçue fut celle de la vente aux enchères. Je l’ai présentée à Walt et il m’a dit : ‘c’est bon, continuez’. C’est donc ce que j’ai fait. De leur côté, Marc Davis et Claude Coat travaillaient également à cette attraction et ils avaient fait une maquette à travers laquelle on pouvait se promener pour voir les différentes scènes, et pour chacune d’entre elles, c’était à moi de déterminer ce que les pirates allaient faire ou dire.

Justement, il y a beaucoup de dialogues dans cette attraction, en particulier dans la version américaine.
Nous avions construit une maquette grandeur nature de la scène des enchères à l’arrière du bâtiment ainsi qu’un chariot dans lequel nous faisions avancer Walt à la même vitesse que celle à laquelle les bateaux devraient avancer. Il y avait du bruit partout avec la vente d’un côté de la rivière et les pirates de l’autre et je lui ai dit : ‘je suis désolé, je crois qu’on ne peut pas comprendre ce qu’ils disent tous.’ Mais il a répondu : ‘si vous vous assistez à un cocktail, vous captez des bribes de conversation ici, puis d’autres là-bas. Chaque fois qu’on fera cette attraction, on découvrira ainsi quelque chose de nouveau.’ Je me suis alors dit qu’il avait parfaitement raison.

Vous avez vous-même prêté votre voix à cette attraction.
En effet. Dans la scène des enchères, le capitaine crie : ‘What be I offered for this winsome wench’ (Faites votre offre pour cette charmant jeune femme) et je réponds : ‘Six bottles o’ rum !’ (six bouteilles de rhum), ce à quoi le capitaine rétorque : ‘I’m not spongin’ for rum ! It be gold I’m after !’ (garde ton rhum ! C’est de l’or que je veux !). C’est aussi moi qui mets en garde les visiteurs au tout début de l’attraction : ‘ Ye come seekin’ adventure and salty old pirates, aye ? Sure ye’ve come to the proper place !’ (Vous cherchez de l’aventure et des pirates, n’est-ce pas ? Vous êtes au bon endroit !) C’est une sorte de version ‘pirate’ des recommandations d’usages lorsqu’on pénètre dans une attraction, en plus de garder bras et main à l’intérieur du bateau. En fait, c’est une tête de mort pirate qui vous dit cela ! Nous avions enregistré les voix principales, parmi lesquelles celle de Paul Frees, et il manquait encore quelques voix. Je me suis proposé pour un essai, et cela a fonctionné. Depuis, à chaque fois que nous créons une attraction, les imagénieurs cherchent à toute force à se faire enregistrer pour pouvoir dire à leur famille : ‘c’est ma voix qu’on entend !’ !

Aviez-vous des instructions particulières de la part de Walt Disney ?
Non, il m’a laissé toute liberté. Quand je suis arrivé, il existait déjà une version préliminaire du scénario, mais il s’agissait d’une narration très simple.

Comment travailliez-vous avec Marc Davis et Claude Coats ?
Marc était aussi un brillant conteur et un remarquable designer. Nous nous entendions très bien. Claude a réalisé le design de l’attraction alors que Marc s’est occupé des détails des pirates, leur visage, leur costume, etc. Tout cela était déjà fini quand je suis arrivé, puis ils m’ont vraiment laissé faire ce que j’avais envie de faire du point de vue de l’histoire.

Dans la version originale de l’attraction, après le Blue Lagoon qui les fait passer de la Nouvelle Orléans aux Caraïbes, les visiteurs pénètrent dans la grotte des pirates squelettes. Là, ils sont mis en garde par le narrateur et apprennent que le trésor est maudit : « No fear have ye of evil curses, sez you... Harrrr hu hummm... Properly warned ye be, sez I. Who knows when that evil curse will strike the greedy beholders O’ this bewitched treasure... » (Vous dites que vous n’avez pas peur des malédictions... Harrrr hu humm.... Vous voilà avertis, je vous dis. Qui sait quand cette malédiction frappera les détenteurs cupides de ce trésor ensorcelé...). Puis une autre voix ajoute : « Perhaps ye know too much. Ye’ve seen the cursed treasure... Ye know where it be hidden... Now proceed at yer own risk. These be the last friendly words ye’ll hear. Ye may not survive to pass this way again. » (Vous en savez peut-être trop. Vous avez vu le trésor maudit... Vous savez où il est caché... Maintenant, vous continuez à vos risques et péril. Ce sont les dernières paroles amicales que vous entendrez. Vous ne survivrez peut-être pas pour revenir ici). Comment cette malédiction est-elle apparue ?
Nous ne l’avions pas prévue. Cette idée est venue d’elle-même. Il y avait tout ce trésor : pourquoi les pirates ne l’ont pas emporté avec eux ? Parce qu’il est maudit ! C’est précisément sur cet aspect qu’ont joué les créateurs du film. On sait où est le trésor, mais il reste où il est précisément à cause de la malédiction. Cela a d’ailleurs été particulièrement bien rendu.

Cette malédiction, c’est un peu la morale de l’aventure, la punition des pirates pour leur cupidité.
Je le pense. A Disneyland, on commence en fait par descendre dans la cache du trésor, avec les squelettes, et ce n’est qu’ensuite qu’on remonte vers le monde des vivants. Et, malgré tous leurs efforts, les pirates ne réussiront jamais à l’emmener avec eux et à atteindre la rampe qui les mènera vers la sortie.

Comment la chanson Yo Ho (A Pirate’s Life For Me) est-elle née ?
Quand le travail sur l’histoire fut fini, à la fin du dernier storymeeting, j’ai suggéré à Walt qu’il serait peut-être bon d’avoir une chanson. J’avais des idées pour les paroles et une mélodie en tête, et je lui ai chanté une ébauche de Yo Ho, et il a dit ‘bon, allez voir George pour faire la musique’. Après le succès d’It’s A Small World à la Foire Internationale de New York, j’étais sûr qu’il allait me dire de demander aux frères Sherman d’écrire une chanson. Au lieu de cela, à ma grande surprise, il m’a demandé à moi de le faire ! George Bruns était quant à lui directeur musical à cette époque. Il a donc composé la musique et c’est ainsi que je suis devenu auteur de chanson ! Ce fut l’un des jours les plus heureux de ma vie ! Ma carrière a pris un tour totalement différent en très peu de temps, de l’animation à l’écriture et à la création de chansons, ce que j’aimais faire par-dessus tout. C’était le début de quelque chose de passionnant, de nouveaux challenges. A partir de ce moment, chaque attraction à laquelle j’ai participé posséderait une chanson. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’a commencé mon association avec Buddy, avec Grim Grinning Ghosts, pour la Haunted Mansion. Nous formions une bonne équipe !

Comment s’est passée votre collaboration avec George Bruns ?
Très brièvement, malheureusement puisque Buddy a pris très rapidement la direction musicale des attractions. Ce fut d’ailleurs une collaboration très heureuse !

Avez-vous une formation musicale ?
Pas la moindre ! J’ai simplement fredonné quelques idées et George est parti de là.

Et pour ce qui est des paroles ?
Il est difficile d’écrire une chanson pour une attraction car elle ne peut avoir ni début ni fin. Chaque couplet doit se suffire à lui-même car vous ne pouvez savoir exactement à quel moment les visiteurs vont pénétrer à l’intérieur d’une scène. On ne peut donc pas illustrer une scène en particulier, que ce soit celle de l’embarquement ou celle du puits par exemple car les paroles qu’on entend pourraient ainsi correspondre à une partie de l’attraction différente de celle qu’on est en train de visiter. Il fallait donc rester large et parler de ce que font les pirates en général : ils extorquent, chapardent, chipent, saccagent, boivent, maraudent, et même détournent de l’argent (« We extort and pilfer, we filch and sack. Drink up me ‘earties, yo ho. Maraud and embezzle and even highjack. Drink up me ‘earties, yo ho. »)

Les paroles nous présentent les pirates comme de mauvais garçons, mais la musique nous les rend finalement sympathiques.
Ils ne sont pas réellement méchants. Ils aiment surtout s’amuser. Le seul problème qui s’est présenté est venu de gens qui se sont plaints du fait que des pirates courent après des femmes ; ils trouvaient cela politiquement incorrect. Mais ce sont des pirates ; c’est ce qu’ils font ! Et mes paroles sont bien innocentes !

Quel est le rôle de la chanson à l’intérieur de l’attraction ?
Il s’agit d’abord de rendre le parcours plus léger, plus drôle. Je me suis également dit que ce serait sympathique que les gens la fredonnent en sortant de l’attraction. Et c’est ce qui s’est passé ! Je me souviens, un jour que j’étais à la plage, il y avait des enfants qui s’amusaient dans un petit bateau pneumatique et ils chantaient justement cette chanson. C’était vraiment touchant !

Comment avez-vous trouvé les films ?
Je les ai trouvés très bons même si je les ai trouvés un peu longs. Je pense qu’ils auraient pu les faire plus court d’une demi-heure, mais globalement il est très intéressant. Johnny Depp campe un merveilleux pirate! J’ai été très flatté que ma chanson soit citée en plusieurs endroits!

vendredi, février 09, 2007

BIOGRAPHIE DE VASILE SIRLI

Après de nombreuses demandes de fans, voici la biographie complète de Vasile Sirli, publiée avec l'accord du compositeur :


Le grand public le connaît pour être le compositeur et le producteur d’une grande partie des musiques originales de Disneyland Resort Paris
Mais Vasile Sirli n’est pas que le Directeur de la Musique du parc à thème parisien. Ses créations, résonnant de la Norvège à l’Italie, et de l’Angleterre à sa Roumanie natale, témoignent avec éloquence de la richesse de son parcours et de la diversité de ses influences. Autant de vertus propices à des rencontres artistiques inédites et passionnantes qui sont l’apanage de sa personnalité.

Né à Varias en Roumanie, il fait ses classes à Timisoara et à l'Académie de Musique de Bucarest. Fidèle à l’esprit d’ouverture qui le caractérise, il dédie son oeuvre tant au théâtre qu’au cinéma, à la danse et à la chanson, permettant d'exprimer son art dans des styles très variés -non seulement la chanson pop/rock et le jazz, mais aussi la musique contemporaine.

Il reçoit de nombreux prix nationaux et internationaux de musique : des prix de l'Association des Compositeurs Roumains, des prix de Musique de Films, des Prix de La Chanson, des prix à Dresde, Brastislava, Sotch, Tokyo, etc…

Il devient également éditeur à la Maison d'Editions Musicale de Roumanie pendant 8 années et sera, pendant 4 années, le Directeur Artistique de la Maison Nationale de Disque de Roumanie (Electrecord).

Son goût pour le théâtre et la littérature le conduit à composer et produire des musiques pour des metteurs en scène parmi lesquels Lucian Pintilie (La Mouette et Arden de Faversham), Petrika Ionesco (Le Monstre Turquin), Dan Micu (Les Frères Karamazov, Comme Il Vous Plaira).
Il travaille plus particulièrement Silviu Purcarete, pour lequel il écrira les musiques de ses pièces, produites à travers toute l'Europe :
Richard III, Il Campiello, La Tempête, Le Songe d’une Nuit d’Eté (2 versions), Dom Juan, De Sade, La Femme qui Perd ses Jarretières, Pilafs et Parfum d’Ane et Tête d’Afarit Grillées sur Lit de Mort et de Poivron (inspiré par Les Contes des 1001 Nuits), Le Conte d’Hiver, Orestia, La Cousine de Pantagruel (Hommage à Rabelais), La Nuit des Rois, Les Fourberies de Scapin, Troilus et Cressida.

En tant que compositeur de musique de films, il travaille notamment pour Mircea Daneliuc (Glissando), Nicu Stan (Singapore - Grand Prix de la Musique) et Constantin Chelba (Astfel - Prix de Musique de Film de l'Association des Compositeurs Roumains).

Résidant à Paris depuis 1986, il compose pour différentes productions françaises, que ce soit pour la télévision (52 sur la Une sur TF1, Seconde B sur France 2), le cinéma (Un Otage de Trop, Comme des Rois) ou le théâtre. Il est toujours éditeur et producteur pour l'industrie de la musique.

Depuis décembre 1990, il est Directeur de la Musique à Disneyland Resort Paris, pour lequelle il a produit de nombreuses musiques de spectacles et écrit des musiques originales et des arrangements.

Acteur infatigable de la vie culturelle, Vasile Sirli a encore de nombreux projets en développement à travers toute l’Europe.

mardi, février 06, 2007

PIRATES OF THE CARIBBEAN : Souvenirs de l'imagénieur Marc Davis

La création de l’attraction Pirates of the Caribbean est une aventure en elle-même. L’idée en remonte à la fin des années cinquante, mais le projet ne prit corps que lorsque le regretté Marc Davis, l’un des fameux Nine Old Men, prit le projet en main en compagnie de Claude Coats. Tous deux venaient de l’animation. Si l’on doit à Claude Coats parmi les plus beaux décors de Disney, de BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS à LA BELLE ET LE CLOCHARD, on connaît Marc Davis pour son animation éblouissante de Fleur dans BAMBI, et d’Alice (« La Partie de Thé »), mais surtout de Clochette (PETER PAN), Aurore et Maléfique (LA BELLE AU BOIS DORMANT) et Cruella (101 DALMATIENS). Débutant en 1935 chez Disney, il devient imagénieur en 1962, date à laquelle Walt lui demande de repenser certaines attractions de Disneyland comme le Mine Train Through Nature’s Wonderland. Il travaille également à la conception des personnages sur G.E.’s Carousel of Progress, Great Moments With Mr. Lincoln et It’s A Small World pour la New York’s World Fair de 1964-1965. Mais ses créations les plus célèbres demeurent à tout jamais Pirates of the Caribbean et The Haunted Mansion.


Dans son ouvrage Walt Disney’s Nine Old Men and the Art of Animation, John Canemaker nous rapporte que Walt disait de lui en 1965 : « Je n’ai pas utilisé Marc comme je l’aurais dû. J’ai là-bas tout un bâtiment rempli d’animateurs qui ne savent faire que ça. Marc, lui, sait inventer des histoires et des personnages, il sait animer et il sait concevoir le design des attractions pour moi. Je n’ai qu’à lui dire ce que je veux et c’est fait. C’est mon homme de la Renaissance. »
Pour le Pirates of the Caribbean original, au New Orleans Square de Disneyland, il a réalisera des dizaines de dessins de pirates définissant la plupart des personnages hauts en couleurs que l’on retrouve dans l’attraction, de la mouette rieuse aux trois prisonniers qui essaient d’amadouer le chien qui a les clefs de leur cellule, en passant par la vente aux enchères. On lui doit également la conception de la version de Walt Disney World (1973), mais surtout l’humour délicieux qui parcourt toutes ces attractions, d’Anaheim à Tokyo, en passant par Paris.

Voici comment il racontait cette aventure :
« Quand j’étais à WED (aujourd’hui Walt Disney Imagineering, JN), un jour, Walt est venu me voir et m’a dit ‘Dis-moi, Marc, il y a quelque chose que j’aimerais faire, une attraction sur les pirates’. Et il ajouta : ‘Pourquoi pas les pirates des Caraïbes ?’ A cet instant, il avait trouvé le nom ! Je travaillais alors sur d’autres choses, mais je me suis alors dit : ‘ hey, c’est vraiment intéressant !’. C’est ainsi que j’ai commencé à travailler là-dessus. Pendant que je travaillais, Walt venait dans mon bureau, mais je n’arrivais pas à lui faire regarder mes esquisses. Il venait et me parlait, c’est tout. Cela a duré un certain temps et c’était extrêmement frustrant. Mais Walt se promenait beaucoup dans les bureaux et je suis sûr qu’il avait vu ces concepts en dehors des heures de travail. Il a toujours fait cela.



A l’origine, l’attraction devait être une promenade sous New Orleans Square qu’on était en train de creuser à cette époque. J’ai donc conçu une promenade et fait un dessin de ce à quoi l’ensemble aurait pu ressembler. » L’attraction, alors nommée Thieves Market (le marché des voleurs) était sensée se composer de personnages de cire et de scènes diverses réparties à l’intérieur des maisons entourant deux places de village reliées par un bateau pirate.


« Puis il y eut la Foire Internationale de New York ». C’est à cette occasion que Walt Disney et WDE eurent l’occasion de concevoir et de réaliser les attractions les plus innovantes du moment, basées sur le dernier cri en matière d’audio-animatroniques comme Great Moments with Mr. Lincoln, le Carousel of Progress et bien sûr It’s A Small World, qui se doublait d’un parcours en bateau. Walt ne pouvait manquer de faire appel à cette nouvelle technologie et à ces nouvelles idées pour ses futures attractions.


« Quand elle fut finie, Walt savait exactement ce qu’il voulait faire. Il est donc revenu me voir -c’était après que j’eus conçu toute la promenade souterraine- et m’a dit : ‘ Mets un bâtiment au-delà du ponton et on fera un voyage jusque là’. Cela réduisait tout ce que j’avais fait à néant, et c’est là que les squelettes sont apparus. Ce devait être une sorte de reconstitution historique ainsi que quelque chose de magique. Le parcours devenait plus étroit et finalement, on accédait au ponton. On devait partir et bang, c’était gigantesque ! Vous n’aviez aucune idée d’où vous étiez -c’était le point important- puis vous deviez faire le tour de tout cela.
Claude Coats, qui était diplomé en architecture de USC, était très bon pour réaliser les layouts d’un parcours et ce genre de choses. C’est ainsi qu’il fit partie du projet. Il y avait aussi beaucoup d’autres personnes qui étaient expertes chacune dans sa spécialité.
J’ai imaginé chaque scène à mesure que nous progressions et créé chaque personnage.
Il est probable qu’aucune attraction de ce type, ou qu’aucune attraction en général n’ait été visitée par autant de gens que Pirates of the Caribbean. Je suis très flatté d’y avoir participé.
»


Propos de Marc Davis reproduits avec l’aimable autorisation de Rick West (Theme Park Adventure).

samedi, février 03, 2007

PIRATES DES CARAÏBES 2 EN DVD : Entretien avec le compositeur Hans Zimmer

En vingt ans de carrière, Hans Zimmer s’est fait une véritable place au soleil d’Hollywood en imposant un style bien à lui, mêlant l’orchestre à des influences pop et électroniques. Que l’on aime ou pas, force est de constater que le style Zimmer ou « Mediaventures » (du nom du studio qu’il a fondé dans les années 90, où il a formé bon nombre de ses poulains, de John Powell –X Men 3, L’âge de glace 2- à Harry Gregson-Williams -Shrek, Narnia-, en passant par Trevor Rabin -Armageddon, Benjamin Gates- et Mark Mancina –Tarzan- est désormais un incontournable de la musique de film. Notamment grâce à son partenariat récurrent avec un autre incontournable du monde du cinéma : Jerry Bruckheimer, avec lequel il travail pratiquement depuis ses débuts. Témoin ce dernier Pirates des Caraïbes : Le Secret du Coffre Maudit qui vient de sortir en dvd, prélude à un troisième opus fort attendu.
Media Magic a eu le privilège de pouvoir approcher le « Captain »…


Votre nom est souvent associé à celui de Jerry Bruckheimer. Votre complicité s’étale sur de très nombreux films.
Je crois que le premier film de Jerry dont j’ai fait la musique était Days of Thunder. Puis j’ai travaillé en tant que compositeur, mais j’ai donné quelques coups de main, notamment sur The Rock. Il y a eu quelques rumeurs infondées selon lesquelles j’aurais composé deux thèmes pour Armageddon. Je me souviens également de La Chute du Faucon Noir, mais c’était davantage un film de Ridley Scott qu’une production Bruckheimer.

Comment expliquez-vous cette alchimie ?
C’est difficile à dire. Je pense que j’ai inventé très tôt un son qui lui plaise. A l’époque, il était connu pour éviter d’utiliser l’orchestre symphonique. Ce que je lui ai apporté, c’est une nouvelle approche de l’orchestre qui ne lui semble pas « ancienne ». Je ne sais pas si l’on peut parler d’alchimie. J’ai simplement trouvé un langage musical assez puissant qui lui convienne.

Quelle place tiennent ces films dans votre carrière, et dans votre évolution personnelle ?
Je dois dire dire que j’ai davantage évolué sur des films autres que les productions Bruckheimer. L’une de mes partitions les plus représentatives dans ce sens est, pour moi, celle de La Ligne Rouge. C’est un film aux antipodes de ce que fait Jerry, et pourtant, il a adoré cette musique, et m’a demandé si je pouvais faire quelque chose dans le même esprit pour Pearl Harbor.

Peut-on parler d’une évolution vers une approche de plus en plus orchestrale ?
En fait, tout dépend du film sur lequel vous travaillez. Prenez La Chute du Faucon Noir. Il s’agit bien d’un orchestre, même s’il est très accidenté. De la même façon, des confrères comme Steve Jablonski, pour la série Desperate Housewives, composent chaque semaine des musiques orchestrales. C’est assez incroyable. J’aime cette idée d’écrire des musiques pour des musiciens, et pas simplement bidouiller sur son synthétiseur seul dans son coin. Dans le même temps, les deux partitions de Pirates des Caraïbes font largement appel à des synthétiseurs, et le résultat est aussi formidable.

Quel fut exactement votre rôle sur le premier opus de Pirates des Caraïbes ?
En fait, je connaissais Gore Verbinski, le réalisateur, depuis The Ring. La musique prévue originellement pour le film (composée par Alan Silvestri, DNLR) ne lui convenait pas, ce qui fait que j’ai repris les choses en main. Seulement, je m’étais lancé dans un autre film quand la production de La Malédiction du Black Pearl a commencé. Je n’ai pu y participer pour des raisons contractuelles, mais cela ne m’a pas empêché d’en écrire les thèmes principaux. J’y ai d’ailleurs passé un jour et une nuit entiers. Klaus a ensuite pris les rennes. Il faut dire que nous n’avions que très peu de temps : trois semaines seulement ! Une fois les thèmes composés, j’ai construit l’architecture générale de la façon dont ils devraient être arrangés. J’y ai travaillé pratiquement toutes les nuits pendant cette période, comme un producteur : j’arrangeais, je corrigeais, je mixais. En fait, toute la musique du film découle de ces thèmes écrits entre le jour et la nuit !


Le thème de Jack Sparrow dans Le Secret du Coffre Maudit fait largement appel au violoncelle solo. Comment en êtes-vous venu à cette association inattendue entre le célèbre Captain et cet instrument ?
Tout simplement parce que j’ai écrit cette musique pour mon ami Martin Tillman, un violoncelliste avec lequelle je travaille beaucoup. Je savais que je pouvais transformer Martin en un véritable pirate, lui inspirer beaucoup d’humour, d’énergie ou d’émerveillement. Je savais que je pouvais lui faire jouer de son instrument d’une manière qui ferait dresser les cheveux sur la tête de son professeur de violoncelle ! La manière idéale pour ce film !

Je crois même savoir qu’il a carrément écrit un morceau pour le film.
En effet, il a composé une musique atmosphérique de son cru, quelque chose de typique de son univers, quelque chose de mortel !

Martin Tillman a aussi bien joué du violoncelle acoustique que du violoncelle électrique. En fonction de quoi avez-vous opéré ces choix d’instruments ?
Le violoncelle électrique a été utilisé pour toutes les scènes impliquant le personnage de Davey Jones. Pour ce personnage, j’ai demandé des choses horribles à l’orchestre ! Je l’ai associé à des guitares électriques très puissantes, diffusées à fond à travers la salle d’enregistrement ! Déjà, le personnage de Jack Sparrow a ce côté « Keith Richard », et j’ai pensé développer une approche similaire pour Davey Jones, un comme comme Lenny de Motorhead.

Un pas de plus est en effet franchi ici dans la modernisation de la musique de films de pirates, avec cette attitude vraiment rock !
Je ne parlerai pas vraiment de « rock attitude ». Pour que ce soit le cas, il faudrait une véritable partie de batterie, et l’un des aspects de cette partition sur lequel j’ai beaucoup travaillé, c’est de tout faire pour ne pas avoir à en utiliser. Il s’agissait plus pour moi de trouver une attitude dans l’écriture, mais également dans l’exécution, chez les musiciens. C’est ainsi que j’ai demandé aux musiciens de jouer de façon bien plus « rock’n roll », en particulier les sections de violoncelles et de basses. Vous pouvez l’entendre dans la b.o. : ils jouent beaucoup plus haut sur le chevalet, beaucoup plus serré et de façon beaucoup plus agressive. Rien qu’on ne puisse retrouver dans une partition de Prokofiev ou autre, mais cela dans un contexte bien spécifique.



De par cette attitude vis à vis du violoncelle acoustique, votre partition se présente comme une association passionnante de l’ancien et du moderne ! Un aspect que l’on retrouve également, d’une manière différente, dans votre partition pour le Da Vinci Code, associant des violes de gambe à l’orchestre symphonique.
C’est pour moi une façon d’étendre mon paysage musical, et de jouer là-dessus. Rien que du point de vue du plaisir sonore, et de sa pertinence du point de vue intellectuel, il est toujours intéressant d’associer petits et grands ensembles, l’ancien et le nouveau, etc. C’est toujours très inspirant de se dire qu’on dispose d’autant de couleurs avec lesquelles peindre. De par la nature-même des deux Pirates des Caraïbes, leurs thèmes devaient être très simples. On ne pouvait s’éloigner d’une certaine tradition de la musique populaire. Alors que pour le Da Vinci Code, j’ai pu être plus aventureux et plus rafiné dans mes harmonies et tous les mouvements internes de la musique. J’adore ajouter de nouvelles couleurs à ma palette !

Alors que la plupart des compositeurs attribuent un thème à chaque personnage et le varient en fonction de la situation, vous semblez attribuer plusieurs thèmes pour un même personnage, comme Jack.
Oui et non. Si vous prenez le thème de Jack présent sur l’album, malgré le fait qu’il semble y avoir plusieurs thèmes, tout n’est en fait qu’un développement du même motif, celui du premier film… mais partant dans tous les sens ! (rires) Mon problème, c’est que j’écris des thèmes extrêmement longs. Ils n’ont pas seulement une partie A et une partie B comme la plupart des thèmes, mais une partie C, une partie D, etc, etc. Et je choisis l’une de ces parties en fonction de la situation dans laquelle se trouve le personnage.

Le thème de Jack a donc évolué depuis le premier opus : il utilise davantage de demi-tons. Est-ce pour vous un moyen de le rendre plus drôle ou plus inquiétant ?
Je dirai plutôt roublard, farceur. Je me suis inspiré de la façon dont Jack tient ses conversations. Il utilise des tas de mots, des tas d’expressions insensées, et je voulais faire de même dans la musique. Et je n’ai pas beaucoup à me forcer. Je développe tellement que j’arrive presque toujours à quelque chose de totalement différent de ce que j’avais prévu, en violant toutes les règles de l’écriture classique !

Pouvez-vous nous parler de votre utilisation de l’orgue ?
Tout est parti du fait qu’ils voulaient que Davey Jones joue de l’orgue, et qu’ils voulaient que je compose une pièce avant le tournage pour pouvoir tourner en synchronisation parfaite avec la musique. C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Ce fut d’ailleurs assez spécial de faire jouer ce morceau sur l’orgue de Davey Jones car c’est un très vieil instrument, et ses touches ne sont pas très orthodoxes ! Mais j’ai surtout voulu qu’il y ait de l’orgue pour Davey Jones et pour le Kraken car tous deux sont liés, c’est pourquoi il y a cet intermède à l’instrument à tuyaux au milieu de son thème orchestral. C’est une couleur sonore qui n’apparaît plus dans le films aujourd’hui, et c’est dommage.



Avez-vous commencé à travailler sur le troisième opus ?
Absolument, et ce depuis plusieurs mois déjà.

Votre musique semble plus émotionnelle dans Le Secret du Coffre Maudit que dans la Malédiction du Black Pearl.
Tout à fait, et ce fut totalement délibéré. Et ce n’est rien par rapport au troisième film. Il sera encore plus émotionnel.

Est-ce que les mini Z (les enfants de Hans Z.) ont aimé le film ?
Totalement. L’une de mes filles est d’ailleurs venue assister à la première à Disneyland. Ce fut colossal. Elle a adoré !



Remerciements particuliers à Wailing Kui (EMI)