PIRATES DES CARAÏBES : Entretien avec l'imagénieur X. Atencio
C'est un privilège pour Media Magic d'accueillir une véritable légende vivante dans ses colonnes!
C’était l’un des tout premiers animateurs, ceux que Walt appelait les Nine Old Men. Avec lui j’ai appris les bases du métier, le timing, etc. Mais en fait je ne suis jamais devenu animateur à part entière, même si ce fut ma formation à la base. Très vite, je me suis orienté vers la conception de l’histoire, le design et le layout.
Pouvez-vous nous parler de votre première rencontre avec Walt Disney ?
C’est assez amusant ! J’attendais l’ascenseur pour monter au deuxième étage et Walt est arrivé. Je lui ai dit ‘Hello Walt !’ et il m’a répondu ‘Hello X. !’ Il connaissait mon nom, et même mon surnom, alors que je pensais qu’il ne savait même pas qui j’étais ! J’étais tellement aux anges que je serais tombé à ses pieds ! Je l’ai toujours beaucoup admiré car c’était un homme remarquable et un merveilleux conteur.
Après la guerre, vous êtes retourné chez Disney où vous avez travaillé cette fois avec Bill Justice.
C’est Bill qui m’a demandé de travailler avec lui. Il avait pu progresser et devenir un animateur à part entière car lui n’avait pas fait l’armée. Nous nous connaissions déjà depuis un certain temps et il m’a dit qu’il avait besoin de moi, ce que j’ai accepté avec plaisir. Ensemble, nous avons travaillé à un certain nombre de courts-métrages dont certains, comme NOAH’S ARK (1959), ont été nominés aux Academy Awards. Nous avons donc été partenaires pendant plusieurs années durant lesquelles nous avons notamment travaillé sur le stop motion, comme par exemple pour la scène du rangement de la chambre des enfants dans MARY POPPINS (1964).
Jusqu’à ce que Walt fasse de vous un imagénieur, en 1965.
C’est une histoire amusante. Un jour, il nous a demandé à Bill et à moi de concevoir un court-métrage basé sur le griffonnage car Bill griffonnait beaucoup, notamment lors des réunions avec Walt. C’est pour cela qu’il nous a suggéré de faire un film là-dessus. Nous nous sommes donc mis au travail, avec l’aide de Larry Clemmons, un autre grand storyman. Nous avions participé à trois réunions sans arriver à quoi que ce soit. Je suis donc allé voir Walt pour lui dire que nous ne pensions pas y arriver. Il m’a alors regardé un moment et je me suis dit qu’il allait probablement me renvoyer ! Puis il m’a répondu : ‘je pense que vous avez raison. Je pense qu’il est temps pour vous de rejoindre désormais les imagénieurs.’ J’ai donc rassemblé mes affaires et me suis rendu à WED. C’était à 3 miles du studio. Là-bas, personne ne savait ce que j’étais sensé faire. Le studio me manquait terriblement. J’y revenais tous les jours pour le déjeuner et je passais également devant tous les soirs pour rentrer chez moi. J’y avais passé 27 ans, j’y avais un beau bureau et à WED je n’avais même pas un endroit pour accrocher mon chapeau ! Or, un mois plus tard, Walt m’a appelé et m’a dit : ‘je voudrais que vous écriviez le script de Pirates of the Caribbean.’ Je n’avais jamais écrit de scénario auparavant, j’avais juste faire du storyboarding. Mais j’ai dit ‘d’accord, je vais essayer’. Je me suis alors mis à faire des recherches et j’ai revu des films comme L’ÎLE AU TRESOR afin de capter l’esprit du jargon des pirates. La première scène que j’ai conçue fut celle de la vente aux enchères. Je l’ai présentée à Walt et il m’a dit : ‘c’est bon, continuez’. C’est donc ce que j’ai fait. De leur côté, Marc Davis et Claude Coat travaillaient également à cette attraction et ils avaient fait une maquette à travers laquelle on pouvait se promener pour voir les différentes scènes, et pour chacune d’entre elles, c’était à moi de déterminer ce que les pirates allaient faire ou dire.
Justement, il y a beaucoup de dialogues dans cette attraction, en particulier dans la version américaine.
Nous avions construit une maquette grandeur nature de la scène des enchères à l’arrière du bâtiment ainsi qu’un chariot dans lequel nous faisions avancer Walt à la même vitesse que celle à laquelle les bateaux devraient avancer. Il y avait du bruit partout avec la vente d’un côté de la rivière et les pirates de l’autre et je lui ai dit : ‘je suis désolé, je crois qu’on ne peut pas comprendre ce qu’ils disent tous.’ Mais il a répondu : ‘si vous vous assistez à un cocktail, vous captez des bribes de conversation ici, puis d’autres là-bas. Chaque fois qu’on fera cette attraction, on découvrira ainsi quelque chose de nouveau.’ Je me suis alors dit qu’il avait parfaitement raison.
Vous avez vous-même prêté votre voix à cette attraction.
En effet. Dans la scène des enchères, le capitaine crie : ‘What be I offered for this winsome wench’ (Faites votre offre pour cette charmant jeune femme) et je réponds : ‘Six bottles o’ rum !’ (six bouteilles de rhum), ce à quoi le capitaine rétorque : ‘I’m not spongin’ for rum ! It be gold I’m after !’ (garde ton rhum ! C’est de l’or que je veux !). C’est aussi moi qui mets en garde les visiteurs au tout début de l’attraction : ‘ Ye come seekin’ adventure and salty old pirates, aye ? Sure ye’ve come to the proper place !’ (Vous cherchez de l’aventure et des pirates, n’est-ce pas ? Vous êtes au bon endroit !) C’est une sorte de version ‘pirate’ des recommandations d’usages lorsqu’on pénètre dans une attraction, en plus de garder bras et main à l’intérieur du bateau. En fait, c’est une tête de mort pirate qui vous dit cela ! Nous avions enregistré les voix principales, parmi lesquelles celle de Paul Frees, et il manquait encore quelques voix. Je me suis proposé pour un essai, et cela a fonctionné. Depuis, à chaque fois que nous créons une attraction, les imagénieurs cherchent à toute force à se faire enregistrer pour pouvoir dire à leur famille : ‘c’est ma voix qu’on entend !’ !
Aviez-vous des instructions particulières de la part de Walt Disney ?
Non, il m’a laissé toute liberté. Quand je suis arrivé, il existait déjà une version préliminaire du scénario, mais il s’agissait d’une narration très simple.
Comment travailliez-vous avec Marc Davis et Claude Coats ?
Marc était aussi un brillant conteur et un remarquable designer. Nous nous entendions très bien. Claude a réalisé le design de l’attraction alors que Marc s’est occupé des détails des pirates, leur visage, leur costume, etc. Tout cela était déjà fini quand je suis arrivé, puis ils m’ont vraiment laissé faire ce que j’avais envie de faire du point de vue de l’histoire.
Dans la version originale de l’attraction, après le Blue Lagoon qui les fait passer de la Nouvelle Orléans aux Caraïbes, les visiteurs pénètrent dans la grotte des pirates squelettes. Là, ils sont mis en garde par le narrateur et apprennent que le trésor est maudit : « No fear have ye of evil curses, sez you... Harrrr hu hummm... Properly warned ye be, sez I. Who knows when that evil curse will strike the greedy beholders O’ this bewitched treasure... » (Vous dites que vous n’avez pas peur des malédictions... Harrrr hu humm.... Vous voilà avertis, je vous dis. Qui sait quand cette malédiction frappera les détenteurs cupides de ce trésor ensorcelé...). Puis une autre voix ajoute : « Perhaps ye know too much. Ye’ve seen the cursed treasure... Ye know where it be hidden... Now proceed at yer own risk. These be the last friendly words ye’ll hear. Ye may not survive to pass this way again. » (Vous en savez peut-être trop. Vous avez vu le trésor maudit... Vous savez où il est caché... Maintenant, vous continuez à vos risques et péril. Ce sont les dernières paroles amicales que vous entendrez. Vous ne survivrez peut-être pas pour revenir ici). Comment cette malédiction est-elle apparue ?
Nous ne l’avions pas prévue. Cette idée est venue d’elle-même. Il y avait tout ce trésor : pourquoi les pirates ne l’ont pas emporté avec eux ? Parce qu’il est maudit ! C’est précisément sur cet aspect qu’ont joué les créateurs du film. On sait où est le trésor, mais il reste où il est précisément à cause de la malédiction. Cela a d’ailleurs été particulièrement bien rendu.
Cette malédiction, c’est un peu la morale de l’aventure, la punition des pirates pour leur cupidité.
Je le pense. A Disneyland, on commence en fait par descendre dans la cache du trésor, avec les squelettes, et ce n’est qu’ensuite qu’on remonte vers le monde des vivants. Et, malgré tous leurs efforts, les pirates ne réussiront jamais à l’emmener avec eux et à atteindre la rampe qui les mènera vers la sortie.
Comment la chanson Yo Ho (A Pirate’s Life For Me) est-elle née ?
Quand le travail sur l’histoire fut fini, à la fin du dernier storymeeting, j’ai suggéré à Walt qu’il serait peut-être bon d’avoir une chanson. J’avais des idées pour les paroles et une mélodie en tête, et je lui ai chanté une ébauche de Yo Ho, et il a dit ‘bon, allez voir George pour faire la musique’. Après le succès d’It’s A Small World à la Foire Internationale de New York, j’étais sûr qu’il allait me dire de demander aux frères Sherman d’écrire une chanson. Au lieu de cela, à ma grande surprise, il m’a demandé à moi de le faire ! George Bruns était quant à lui directeur musical à cette époque. Il a donc composé la musique et c’est ainsi que je suis devenu auteur de chanson ! Ce fut l’un des jours les plus heureux de ma vie ! Ma carrière a pris un tour totalement différent en très peu de temps, de l’animation à l’écriture et à la création de chansons, ce que j’aimais faire par-dessus tout. C’était le début de quelque chose de passionnant, de nouveaux challenges. A partir de ce moment, chaque attraction à laquelle j’ai participé posséderait une chanson. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’a commencé mon association avec Buddy, avec Grim Grinning Ghosts, pour la Haunted Mansion. Nous formions une bonne équipe !
Comment s’est passée votre collaboration avec George Bruns ?
Très brièvement, malheureusement puisque Buddy a pris très rapidement la direction musicale des attractions. Ce fut d’ailleurs une collaboration très heureuse !
Avez-vous une formation musicale ?
Pas la moindre ! J’ai simplement fredonné quelques idées et George est parti de là.
Et pour ce qui est des paroles ?
Il est difficile d’écrire une chanson pour une attraction car elle ne peut avoir ni début ni fin. Chaque couplet doit se suffire à lui-même car vous ne pouvez savoir exactement à quel moment les visiteurs vont pénétrer à l’intérieur d’une scène. On ne peut donc pas illustrer une scène en particulier, que ce soit celle de l’embarquement ou celle du puits par exemple car les paroles qu’on entend pourraient ainsi correspondre à une partie de l’attraction différente de celle qu’on est en train de visiter. Il fallait donc rester large et parler de ce que font les pirates en général : ils extorquent, chapardent, chipent, saccagent, boivent, maraudent, et même détournent de l’argent (« We extort and pilfer, we filch and sack. Drink up me ‘earties, yo ho. Maraud and embezzle and even highjack. Drink up me ‘earties, yo ho. »)
Les paroles nous présentent les pirates comme de mauvais garçons, mais la musique nous les rend finalement sympathiques.
Ils ne sont pas réellement méchants. Ils aiment surtout s’amuser. Le seul problème qui s’est présenté est venu de gens qui se sont plaints du fait que des pirates courent après des femmes ; ils trouvaient cela politiquement incorrect. Mais ce sont des pirates ; c’est ce qu’ils font ! Et mes paroles sont bien innocentes !
Quel est le rôle de la chanson à l’intérieur de l’attraction ?
Il s’agit d’abord de rendre le parcours plus léger, plus drôle. Je me suis également dit que ce serait sympathique que les gens la fredonnent en sortant de l’attraction. Et c’est ce qui s’est passé ! Je me souviens, un jour que j’étais à la plage, il y avait des enfants qui s’amusaient dans un petit bateau pneumatique et ils chantaient justement cette chanson. C’était vraiment touchant !
Comment avez-vous trouvé les films ?
Je les ai trouvés très bons même si je les ai trouvés un peu longs. Je pense qu’ils auraient pu les faire plus court d’une demi-heure, mais globalement il est très intéressant. Johnny Depp campe un merveilleux pirate! J’ai été très flatté que ma chanson soit citée en plusieurs endroits!
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