mercredi, janvier 24, 2007

LILO & STITCH : Entretiens avec les réalisateurs et le producteur

Il n’y aurait pas eu de LEROY & STITCH sans l’original, LILO & STITCH. Et avec la sortie de l’ultime opus de la saga, l’occasion était trop belle de revenir sur le film par lequel tout a (si magnifiquement) commencé.
Tout dans LILO & STITCH, que ce soit l’histoire, les personnages, les décors, la musique, et même la production, sort de l’ordinaire. Tel Stitch débarquant sur terre, le film est une sorte d’ovni dans la galaxie Disney. Le deuxième long-métrage d’animation sorti des -décidément remarquables- studios de Walt Disney Feature Animation Florida est une petite merveille extrêmement rafraîchissante et profondément émouvante, offrant un contrepoint -et un contrepoids- tout à fait fascinant aux grandes fresques de l’époque que furent DINOSAURE, ATLANTIDE : L’EMPIRE PERDU et LA PLANETE AU TRESOR. Conçu par une équipe délibérément restreinte et totalement dévouée à ce projet, LILO & STITCH se distingue par une approche intimiste et chaleureuse, à la fois novatrice et totalement ancrée dans l’univers de Disney : un souffle vivifiant venu des tropiques et ouvrant des perspectives encore insoupçonnées dans le monde de l’animation. Dans l’esprit de « Ohana », cette réussite est le fruit d’une véritable et magnifique collaboration, tant au niveau visuel que sonore, avec, en particulier, une musique originale et totalement impliquée dans l’histoire (et même dans le processus créatif du film). Une collaboration que les réalisateurs/auteurs/designers Chris Sanders (le papa de Mushu) et Dean DeBlois, ainsi que le producteur Clark Spencer ont accepté de nous relater avec passion.


CHRIS SANDERS & DEAN DEBLOIS’ HAWAIIAN ROLLER COASTER RIDE


Le premier concept de Stitch date de 1985. Mais comment est née Lilo et sa passion pour Elvis ?
CS) Nous avions besoin d’un personnage qui puisse réellement changer Stitch et il nous est apparu depuis le début que ce devait être un personnage féminin, qui pourrait apporter une note de douceur et de romantisme à cette créature terrifiante, ainsi que la notion de famille. L’idée qu’elle devait aimer la musique d’Elvis vient du fait que nous voulions la rendre vraiment unique. Nous nous sommes dits qu’elle pouvait avoir retrouvé les disques de sa mère, parce que, dans le film, elle n’écoute jamais de CDs, ce ne sont que des vinyles. Ce fut donc notre point de départ.

Cela correspond-il à vos goûts musicaux personnels ?
DDB) Nous avons des goûts très particuliers. Nous adorons tous les deux la musique. Chris est un grand fan d’Elvis. Je l’aime bien également, mais je préfère le rock alternatif, alors que Chris est plus proche de la musique pop. Mais nous nous rejoignons au niveau de nos goûts en matière de musique de film. Nous adorons la musique de film ! Quand est venu le temps de réfléchir à la façon dont nous allions faire ce film en fonction du petit budget que nous avions, nous avons décidé de faire des économies partout où c’était possible sauf sur la musique. Nous voulions le meilleur compositeur et au sommet de notre liste se trouvait Alan Silvestri parce nous sommes de grands fans de son travail et que nous avions utilisé sa musique en tant que musique temporaire. Nous sommes donc entrés en contact avec lui, nous lui avons parlé du film et nous avons eu la grande chance qu’il accepte d’y participer.

Comment avez-vous choisi les chansons d’Elvis qui seraient présentes dans le film ?
CS) Cela dépend de la situation dans laquelle Lilo et Stitch se trouvent. Il ne fut pas difficile de trouver des chansons qui pourraient illustrer les différentes parties du film dans lesquelles nous voulions qu’il y ait de la musique. Par exemple, quand ils passent leur première journée ensemble, ce fut un choix naturel de faire appel à Stuck on You.
DDB) Pour Heartbreak Hotel, nous avions besoin de paroles qui évoquent ce que Lilo ressent : elle se sent si seule qu’elle pourrait mourir. C’est une sorte d’accentuation comique de sa façon très théâtrale de réagir : elle s’enferme dans la maison et passe un disque d’Elvis. La plupart des chansons sont là pour apporter un effet comique à une séquence. En fait, si vous écoutez les paroles des chansons attentivement, vous vous rendez compte qu’elles n’ont pas grand’chose à voir avec ce qui se passe à l’écran, mais il y a toujours un petit quelque chose, une phrase ou un titre qui vient compléter l’image. Devil in Disguise parle en fait d’une femme qui s’avère n’être pas aussi formidable qu’Elvis le pensait, mais le titre s’applique bien à Stitch.

Pensez-vous qu’Elvis était un citoyen modèle ?
CS) (rires) Nous étions à Graceland il y a quelques jours et nous en avons appris plus à son propos que l’image idéalisée qui nous a été transmise. Il a fait énormément pour les gens autour de lui et a participé à de nombreuses actions caritatives. Mais il l’a toujours fait de façon très discrète, pour vraiment rendre service et non pas pour servir son image. Je pense que c’était vraiment quelqu’un de fantastique, et nous avons découvert de multiples traces de cela, notamment une plaque commémorative rappelant ce qu’il a fait pour Hawaii, comme élever des fonds lors du concert du 25 mars 1961 pour le mémorial USS Arizona de Pearl Harbor. Cela m’a beaucoup frappé.
DDB) J’ajouterais que Lilo est très jeune et qu’elle a une vision très romantique du monde. Pour elle, Elvis est un héros. Elle se focalise uniquement sur les aspects positifs de sa vie !


Le concept original situait le film dans une forêt, au milieu d’animaux. Comment en êtes-vous venus à Hawaii ?
CS) L’idée de situer l’action dans une forêt est contemporaine de la création de Stitch. Il était sensé mener une vie solitaire parmi les animaux. Mais presque immédiatement, nous nous en sommes éloignés, après en avoir discuté avec Thomas Shumacher, président de Walt Disney Feature Animation. Il nous a dit « vous savez, le monde des animaux nous est d’une certaine façon déjà étranger. En mettant Stitch dans le monde humain, vous obtiendrez un meilleur contraste et une meilleure histoire. » Nous avons donc cherché un endroit où déplacer notre histoire, un endroit éloigné et isolé. Nous avions besoin d’un endroit intime, sans foule. Nous venions de finir MULAN, dans lequel il y avait des centaines et des centaines de personnages. Nous voulions nous concentrer sur les personnages principaux. De plus, nous souhaitions aborder une culture que nous connaissions. Quelques semaines plus tard, nous avons vu une carte d’Hawaii et nous nous sommes dits que cet endroit avait toutes les qualités que nous recherchions. Il a tant à offrir, il est d’une telle beauté. A ce moment-là, nous ne nous doutions pas de tout ce qu’Hawaii avait également à nous offrir d’un point de vue culturel. Ce fut une décision capitale car elle a conduit à une complète réécriture de notre histoire, plus précisément lorsque nous avons découvert « Ohana ».

Justement, comment avez-vous découvert ce magnifique concept ?
DDB) C’est arrivé à l’époque de notre voyage d’étude à Hawaii. Cela faisait pratiquement une année que nous travaillions à l’histoire et nous avions storyboardé une grande partie du film. Mais nous avions toujours des problèmes avec le personnage de Stitch qui était supposé subir une transformation importante, sans savoir encore précisément ce qui allait causé cette transformation. Nous pensions déjà à l’idée de famille, mais cela reste vague, et trop universel. Quand nous sommes arrivés à Hawaii, un guide nous a fait faire le tour de l’île et, où qu’il aille, il semblait connaître tout le monde. Nous lui en avons parlé et il nous a expliqué qu’il ne connaissait pas la plupart de ces gens, mais que c’était simplement la manière hawaïenne de saluer les gens, comme s’ils étaient votre frère ou votre sœur. C’est cela, Ohana. Il ne s’agit pas de liens du sang, mais plutôt de faire partie d’une plus grand communauté familiale. C’était-là une idée que Stitch pouvait comprendre, c’est pourquoi nous l’avons abondamment utilisée dans le film. Nous sommes donc partis d’une idée très spécifique pour aller vers un concept suffisamment large pour qu’il puisse en faire partie.

C’est en effet une vision nouvelle, plus large du concept de famille cher à Disney.
DDB) C’était notre intention. Disney est célèbre pour ses films familiaux et nous voulions faire un film qui s’intègre dans cette pensée, tout en l’actualisant en y intégrant toutes les familles éclatées, monoparentales, en présentant des groupes qui se considèrent comme faisant partie de la même famille, sans pour cela avoir des liens de parenté. Nous voulions dire que c’est ce que vous faites, vos propres choix, et non pas votre naissance qui comptent.

Pouvez-vous nous parler de la séquence de surf, Hawaiian Roller Coaster Ride ?
CS) A ce moment du film, nous sommes au coeur de l’acte II, et beaucoup de choses se sont passées. Nous nous sommes alors rendu compte que nous avions besoin d’un moment pour se relaxer. Cette séquence en remplace plusieurs qui devaient être très intenses et lourdes. Après avoir vu le film, nous avons réalisé qu’il devenait vraiment sombre dans cet acte II et que nous avions besoin d’un break. Nous avons donc recherché un morceau de musique temporaire afin de fixer les choses, avec l’esprit, l’atmosphère et le rythme dont nous avions besoin. Nous avons donc trouvé une pièce tahitienne que nous avons superposée à cette séquence de surf. Cette séquence raconte en fait peu de choses, si ce n’est que Stitch vient voir Lilo, David et Nani surfer, mais il s’agit surtout de s’amuser. Nous nous sommes alors tournés vers notre contact hawaïen, Mark Keali’i Ho’omalu. Ce sont ses danseuses que nous avons filmées, afin être aussi authentiques que possible dans la séquence de hula du générique. Alan Silvestri et Mark ont eu une merveilleuse collaboration. Ils ont écouté la musique temporaire que nous avions choisie, avec le sentiment et le rythme que nous voulions. Puis Mark a écrit une pièce originale avec le même esprit, mais dans le style hawaïen, avec des choeurs d’enfants. C’est donc ainsi que nous avons conçu cette parenthèse dans l’histoire, tout en lui donnant de l’énergie et une dimension hawaïennes. C’était l’occasion de mieux plonger le public dans l’ambiance et la culture de l’archipel. Cette expérience a été pour nous l’un des moments forts de la production de ce film.


Comment concevez-vous le rôle des chansons dans votre film
CS) Les chansons d’Elvis apportent une ambiance unique au film, mais je pense que son véritable coeur réside dans les chansons hawaïennes. L’identité hawaïenne du film vient principalement de ces deux chansons.

Pouvez-vous nous parler du rôle de la musique d’Alan Silvestri ?
CS) Nous avons voulu qu’entre les chansons hawaïennes et la musique il y ait le même équilibre que nous avons recherché dans l’histoire, c’est-à-dire une alternance entre des moments comiques, légers, pleins de fantaisie, et des moments plus profonds. Nous avions donc besoin d’un compositeur qui sache aller au coeur de ces instants émouvants. Mais il nous fallait également une musique héroique. Nous connaissions Alan Silvestri pour sa participation à RETOUR VERS LE FUTUR ou CONTACT, et c’est ce que nous voulions retrouver dans notre film. Nous avons donc remis une liste de compositeurs à Chris Montan avec Alan Silvestri en numéro 1, Alan Silvestri en numéro 2, etc !
DDB) Une autre qualité d’Alan est qu’avec sa musique, il est un véritable narrateur, avec un point de vue très spécifique. Par exemple, pour la fin de la séquence dans laquelle Stitch est déguisé en Elvis et tout le monde le photographie, nous avions choisi une musique temporaire qui allait dans le sens de sa colère et du désordre qu’il sème. Mais Alan a préféré composer une musique à la fois douce et triste par dessus cette frénésie. Cela montre bien qu’il apporte son propre point de vue au film : pour lui, il s’agissait davantage de la déception de Lilo et Nani et de la tristesse de leur situation. Il savait exactement ce qui devait être accentué par la musique, et il nous aidé à identifier ces moments qui n’apparaissaient pas nécessairement à l’écran. Un autre exemple est le passage dans lequel Lilo vient d’être enlevée par le capitaine Gantu et Nani vient de réaliser qu’elle vient de perdre sa soeur. C’est alors que Stitch revient vers elle et lui répète les mots que Lilo lui a appris à propos d’Ohana. Mais le moment du revirement émotionnel de Stitch ne figurait pas dans le film. Alan Silestri nous a demandé où se trouvait la scène dans laquelle Stitch prenait cette décision, et en fait, ce moment n’était pas présent visuellement.
CS) Il nous a alors dit : « je peux faire cela pour vous ». Nous aimions et connaissions bien la musique de film, mais à ce moment précis, j’ai vraiment appris ce que la musique pouvait faire, qu’elle pouvait vraiment être un instrument de la narration. C’est ainsi que nous avons rajouté cette scène dans laquelle Stitch fait demi-tour, et qu’Alan l’a mise en musique. Ce fut un véritable collaborateur d’un point de vue narratif.

Si la partie héroique de la musique est très proche de RETOUR VERS LE FUTUR, la partie émotionnelle est, elle, très proche d’A NOUS QUATRE.
DDB) Nous voulions prendre nos distances par rapport à l’approche traditionnelle de la musique de dessin-animé, dans le style des comédies musicales. Nous ne voulions pas de personnages qui chantent leurs rêves, leurs désirs ou leurs problèmes. Nous avons plutôt essayé d’exprimer cela à travers des moments de silence [au niveau des dialogues, JN], avec un jeu plus subtil des personnages. Nous avions donc besoin d’un compositeur qui pouvait contrebalancer cette absence de chansons, car Chris et moi pensons que la partition peut tout aussi bien raconter une histoire. Si nos personnages ne chantent pas, mais s’expriment de façon subtile, cela peut se révéler tout aussi efficace.
CS) C’est pour cela que nous pouvions économiser sur tous les aspects du film, mais pas sur la musique. Pour moi, elle participe à 50% à la narration. C’est la raison pour laquelle nous avions besoin d’un grand professionnel.

A l’image de l’histoire, la musique semble se focaliser davantage sur les émotions que sur l’action.
DDB) C’est tout-à-fait vrai car je pense que la musique est là en tant que complément du jeu des acteurs. Il fallait donc une partition qui communique principalement au niveau des émotions.
CS) LILO & STITCH a été écrit et construit comme un film en prises de vue réelles, en dépit du fait qu’il s’agit d’un dessin-animé. Et il en est de même pour la musique. Il était d’ailleurs très important que tous les paramètres du film convergent dans une même approche. C’est un même discours ; aucun paramètre ne doit l’emporter sur les autres. Ce n’est que de cette manière que l’on peut réellement impliquer le public.

LILO & STITCH est un film très intime. Quelle est votre relation personnelle à ce film ?
DDB) Chris et moi-même voulions vraiment transmettre une nouvelle idée de la famille, plus appropriée au monde actuel. Il n’est pas question d’avoir une famille parfaite, ce qui compte c’est d’avoir la vôtre.
CS) L’une des idées de départ était d’opérer un grand changement dans le format classique du conte, avec un méchant détruit et un héros victorieux. Stitch est un méchant qui va devenir un héros comique. Il était important pour moi de dire que, si vous n’êtes pas un héros, vous n’êtes pas nécessairement un méchant, et inversement. On peut faire des erreurs, comme Stitch, mais il faut savoir continuer et dépasser cela. C’est un message très original, en particulier pour un dessin-animé.




CLARK SPENCER’S BURNING LOVE FOR LILO & STITCH

Pouvez-vous nous parler de votre travail chez Disney avant de devenir producteur de LILO & STITCH ?
Mon parcours est assez original. J’ai commencé chez Disney dans le domaine financier. Je venais d’avoir mon MBA (Master of Business Administration) à Harvard quand je suis entré au Financial Strategy Planning. J’ai travaillé pour différentes divisions de la compagnie comme Disney Channel, ou les films en prises de vue réelles [Miramax]. J’ai participé à un projet pour WD Feature Animation au cours duquel j’ai pu rencontrer les présidents de cette division, Thomas Shumacher et Peter Schneider qui m’ont employé comme CFO (Chief Financial Officer). C’est ce que j’ai fait pendant plusieurs années avant qu’ils ne viennent me demander si j’étais d’accord pour aller diriger les studios d’animation d’Orlando en Floride. C’était l’occasion pour moi de prendre mes distances de la finance et de me tourner vers le management. J’ai accepté, et six mois après on m’a demandé si je voulais produire ce film, LILO & STITCH, dont la production allait venir de Californie jusqu’ici. J’ai toujours rêvé de produire un film, c’est pourquoi j’ai accepté avec joie. C’était il y a trois ans.

Il ne s’agit donc plus seulement de finances, mais également de créativité.
La chose la plus intéressante que j’ai découverte est cette merveilleuse et positive tension entre finance (tout ce qui concerne le budget et la production) et la créativité. Le côté créatif prend du temps. Il est très important de prendre le temps de donner corps à une histoire et à des personnages, d’envisager tous les aspects du film. Le côté production a davantage de contraintes car il y a un budget et des délais à tenir pour finir le film. Cela demande beaucoup d’attention. Le travail de production consiste donc à faire le lien entre les deux car on ne peut permettre aux créateurs de réfléchir indéfiniment –ils doivent avoir des échéances-, et de l’autre côté, on ne peut demander à quelque d’être créatif sur commande, immédiatement. La solution d’un problème peut venir demain, ou le lendemain… Il s’agit donc de manoeuvrer, de garder un équilibre entre ces différents impératifs. Du point de vue créatif, j’ai travaillé en tant que partenaire de Chris Sanders et Dean DeBlois. Ce sont eux qui ont développé cette histoire et écrit le scénario, mais ils ont toujours eu la gentillesse de me faire participer à leurs discussions ; la porte était toujours ouverte. Mais c’est surtout leur vision que l’on voit à l’écran.

Comment et pourquoi a-t-il été décidé de produire LILO & STITCH en Floride ?
Notre travail dépend en grande partie des studios et du personnel disponibles. La Floride venait juste de terminer MULAN, leur tout premier long-métrage, et ils attendaient leur prochain film au moment où LILO & STITCH était prêt à entrer en production. J’ajouterais qu’il y a une dynamique très intéressante à Orlando. C’est un lieu merveilleux pour la production parce qu’il est petit –environ 350 personnes-, et tout le monde travaille sur le même film. Le résultat est que toute l’énergie est focalisée sur ce seul film, ce qui suscite la plus grande passion et le plus grand désir de créer le meilleur film possible. A tous les niveaux, des réalisateurs aux assistants, tout le monde travaille dur afin de faire un film fabuleux. Tout le monde est impliqué au maximum. Les studios de Californie sont plus importants. Il y a autour d’un millier de personnes, travaillant à des projets différents. Ce qui fait qu’il est plus difficile d’avoir la même énergie et les mêmes préoccupations. Cette production en Floride a donc vraiment été une bénédiction.

Cette « intimité » est d’autant plus intéressante qu’elle se retrouvait également au niveau des concepteurs du film. Au contraire des autres films, qui font appel à des équipes importantes et distinctes pour la création de l’histoire, du scénario, du design, ce sont Chris Sanders et Dean DeBlois qui se sont occupés de toutes ces questions à eux deux, ce qui est très original.
C’est en effet très inhabituel. Nous avons eu la chance d’avoir une équipe en Floride très talentueuse et très ouverte à l’idée de faire ce film d’une façon différente, ce qui fait que tout a bien fonctionné. Dans la mesure où Chris et Dean se sont chargés de l’écriture, de la mise en scène, du storyboard, du design des personnages et de la voix de Stitch pour Chris, nous avons dû donner plus d’autorité à différentes personnes du studio. C’est ainsi que le responsable des décors, le directeur artistique et le responsable du layout ont pris beaucoup de décisions concernant leur domaine respectif afin de permettre aux réalisateurs de se concentrer sur l’histoire. Ce fut une pression supplémentaire pour les responsables de département que d’être en phase avec la vision des réalisateurs et de prendre des décisions sans pouvoir forcément les consulter le jour-même. De l’autre côté, si cela a mis plus de pression sur le film, cela a rendu les choses plus simples car vous avez deux personnes, Chris et Dean, qui savaient exactement le film qu’ils voulaient, et ce depuis le tout début. Le film n’a jamais dévié, précisément parce qu’il était dans les mains de deux personnes seulement, au lieu de vingt. Ce qui fait que leur vision a toujours été claire et nous a toujours gardés concentrés. Nous n’avons jamais eu de ces grandes réunions pour savoir à quoi sert tel élément de l’histoire et comment il allait fonctionner : ils savaient tout cela.

L’équipe de Walt Disney Feature Animation Paris était également impliquée.
En fait, deux animateurs du studio parisien, Stephane Sainte Foi et Bolhem Bouchiba [tous deux animateurs de Tarzan, JN] sont venus à Orlando pour superviser l’animation de Nani et de Jumba. Ils ont vécu à Orlando pendant deux ans, puis, à la fin de la production, ils sont retournés à Paris parce qu’ils avaient fini leur travail sur le film. C’est alors que nous avons pensé ajouter cette nouvelle fin, avec Stitch prenant la guitare pour chanter Burning Love, avec ces petites vignettes. Stephane et Bolhem ont donc animé cette scène depuis Paris.

Comment Andreas Deja a-t-il été choisi pour Lilo ?
Nous avons eu beaucoup de chance. Il a vu les premiers concepts du film et il a adoré. Il est donc venu trouver Chris et Dean pour leur demander de faire partie de ce projet, peu importe le lieu où il serait produit. Nous lui avons dit « pourquoi ne regarderiez-vous pas tous les personnages afin de choisir celui que vous aimeriez animer ». Il a donc fait des essais sur Lilo, sur Stitch et sur Nani puis est revenu nous voir en disant « j’aimerais vraiment animer Lilo. Ce serait pour moi une toute nouvelle expérience en matière de personnage car je me suis davantage occupé de méchants. » C’était parfait pour nous, et il est venu passer deux ans également à Orlando avant de retourner tout récemment à Los Angeles. Quel talent ! Il est fantastique !

Pouvez-vous nous parler de l’héritage de Walt Disney dans LILO & STITCH, pas seulement en matière de design et de décors (les décors à l’aquarelle nous renvoyant tout naturellement aux premiers classiques, en particulier DUMBO et BAMBI), mais surtout en matière de narration et de valeurs ?
Nous voulions vraiment renouer avec les premiers films de Walt Disney, des films qui nous ont vraiment marqués étant enfants comme BAMBI et DUMBO. Et ce qui était le plus important pour nous, c’était la dimension émotionnelle de ces films. Nous savions que nous voulions de la comédie et de l’action parce que ce sont des éléments-clefs pour faire un grand film. Mais nous trouvions que cette dimension émotionnelle avait été un peu délaissée dans nos derniers films, et qu’il fallait renouer avec elle, dans un film qui parlerait avec le coeur et qui vous émeuve jusqu’aux larmes. Nous voulions également faire un film unique dans la mesure où il ne serait pas basé sur l’opposition traditionnelle du Bien et du Mal. Il s’agit davantage d’une rédemption dans laquelle le méchant devient le héros. Enfin, nous voulions que le film parle de la famille car, dans le monde actuel, c’est un élément très important. Mais la dynamique de la famille a changé. Elle n’est plus ce qu’elle était il y a trente ou quarante ans, à l’époque où elle se définissait généralement à travers un père, une mère et deux enfants. Aujourd’hui, la définition de la famille est différente dans le monde entier dans la mesure où de nombreuses familles sont brisées à cause du divorce ou de la disparition des parents. Nous voulions parler de tout cela de façon positive à travers l’idée que tout le monde a une famille quelque part et que vous devez juste découvrir qui elle est. Stitch est une sorte d’orphelin. Il ne réalise pas qu’il a une famille, mais il le découvre au cours du film à travers « Ohana », et Lilo et Nani.



Comment se sont passées vos relations ave RCA, qui détient les droits des chansons d’Elvis Presley ?
Là aussi, nous avons eu beaucoup de chance. Au départ, nous n’avions pas l’intention d’utiliser la moindre chanson d’Elvis dans le film. C’était juste une idée lancée lors de la création de l’histoire : une petite hawaïenne de six ans qui transporte toujours avec elle un tourne-disques, parce qu’elle n’a pas de CD, et qu’elle aime la musique d’Elvis. Et chaque fois que l’on évoquait Elvis, les gens trouvaient que c’était une idée vraiment intéressante et originale. Un jour, Dean a imaginé la séquence dans laquelle Lilo est rejetée par ses amies, elle rentre chez elle très déprimée et elle passe le disque de Heartbreak Hotel, et tout le monde a craqué ! Nous nous sommes rendus compte que nous avions là quelque chose d’unique et que nous devions l’incorporer dans le film. Nous en avons discuté un certain temps et nous avons pensé que ce serait formidable de glisser la musique d’Elvis dans LILO & STITCH. Cela impliquait d’aller voir RCA. Au début, nous étions un peu inquiets, tant au sujet de l’utilisation des chansons d’Elvis que de son image, puisque nous voulions que Stitch porte à un moment son fameux costume et que Lilo montre une vraie photo de lui. Nous avons pensé que le mieux serait de nous asseoir autour d’une table avec RCA et les responsables de l’image d’Elvis pour leur présenter le concept du film tout entier et en discuter. Nous leur avons dit : « nous voudrions faire de ce film, y inclure six chansons d’Elvis dans leur forme originale, habiller Stitch avec le costume blanc qu’Elvis portait pour son concert d’Hawaii, etc ». Et ils ont été vraiment enthousiasmés par cette idée. La négociation fut donc très facile car les deux parties savaient que ce serait formidable : nous le pensions pour le film, et ils ont pensé que ce serait une merveilleuse façon de faire connaître la musique d’Elvis Presley à une nouvelle génération (tant à travers le film que le CD). Ils ont été extraordinaires et nous ont autorisés à faire un grand nombre de choses qui sortaient de l’ordinaire.

Même la version originale de Devil in Disguise a été modifiée en ce qui concerne le solo de guitare !
En effet. Nous leur avons dit que, pour cette séquence, nous avions besoin que le solo de guitare apparaisse après le premier couplet et non après le deuxième. De plus, Stitch devait jouer du yukulele par dessus le solo d’origine ! Ce sont des choses qu’on ne fait pas d’habitude parce qu’on doit changer le master original. Mais quand nous leur avons montré la séquence, ils ont bien vu que ce que nous voulions faire n’était pas au détriment de la musique. Ils ont trouvé cela drôle et nous ont autorisés à modifier la chanson.

Dans l’une des bandes-annonce du film, lorsque Lilo utilise Stitch comme « tourne-disques », on peut entendre Hound Dog, et pour la même séquence dans le film, c’est Suspicious Mind. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Beaucoup de gens ont en effet été surpris de ne pas retrouver la même chanson dans le film ! Nous avons utilisé Hound Dog dans la bande-annonce parce que la fin de la chanson, la partie de batterie après « And you ain’t no friend of mine », offrait une conclusion nette pour le spot de publicité. Nous avions bien pensé utiliser Suspicious Mind, mais elle ne présentait pas les mêmes qualités à la fin.

Le CD de la musique du film est étonnamment court, en particulier pour ce qui est de la partition d’Alan Silvestri.
Lorsqu’on produit un CD, la question des droits d’auteur est abordée très tôt. Nous avons donc décidé il y a longtemps du nombre de pistes qui seraient présentes et à cette époque, nous ne pensions pas que nous pourrions y faire figurer autant de chansons originales d’Elvis. De plus, nous n’avions pas les deux chansons hawaïennes. Une fois que le nombre de pistes a été décidé, on ne peut revenir dessus, et une fois qu’on a mis toutes les chansons du film sur le CD, il ne restait que trois pistes pour la musique et il a fallu faire un montage de trois-quatre minutes pour chaque. C’est une partie compliquée de la production de disques.

Pouvez-vous nous parler de l’importance de la musique hawaïenne dans LILO & STITCH ?
Dans le film, au moment où l’on passe de la séquence dans l’espace, assez froide, aux couleurs d’Hawaii, nous voulions marquer encore davantage la différence à travers une belle musique hawaïenne. Nous travaillions avec Mark Keali’i Ho’omalu, qui nous a aidés à chorégraphier la séquence de hula et nous avons remarqué qu’il avait une très belle voix. Nous lui avons donc parlé de musique car nous n’avions pas encore envisagé la chanson de cette séquence et il nous a interprété deux chants traditionnels hawaïens. Nous les avons aimés tous les deux et nous lui avons demandé de combiner les deux. Il a donc travaillé avec Alan Silvestri sur ce mélange et a chanté la version que vous entendez dans le film. Puis nous sommes allés à Hawaii pour enregistrer le choeur d’enfants des écoles de Kamehameha, quarante enfants de neuf à treize ans, afin qu’ils chantent avec Mark dans cette séquence. Ce fut merveilleux pour nous car nous voulions vraiment une chanson qui évoque la musique traditionnelle hawaïenne, et ce fut fantastique de la faire chanter par des artistes authentiquement hawaïens. Quand nous en sommes venus à la séquence de surf, nous avons demandé à Mark une autre chanson qui pourrait fonctionner dans ce cadre et il nous a dit qu’il n’y avait aucun chant spécifique à cette situation, mais qu’il avait l’idée d’une chanson qui pourrait correspondre, et qui aurait des paroles à la fois hawaïennes et anglaises, ce qui permettrait aux enfants de la comprendre. Il a donc composé Hawaiian Roller Coaster Ride avec Alan Silvestri, une chanson originale, cette fois, mais écrite dans le style de la musique traditionnelle d’Hawaii.

Les deux chansons sont très belles, et ce qu’il y a de remarquable, c’est que la transparence des voix d’enfants renvoie à la transparence des décors en aquarelle.
C’est tout à fait vrai. Il y a quelque chose de merveilleusement angélique et de profondément beau dans les voix d’enfants. Ils ont une telle innocence dans la voix. Et nous avons eu de la chance. Nous n’avons pas eu à chercher très loin un tel choeur, ou à le former. L’école de Kamehameha à Hawaii avait tout cela : seuls les hawaïens d’origine y ont accès et leur choeur est véritablement phénoménal. Ils chantent tout le temps et avec un immense talent. Nous avons juste eu la chance de les rencontrer. Ils se sont beaucoup investis pour ce film. A la fin de chaque année scolaire, ils donnent un concert de chansons traditionnelles hawaïennes, mais ils choisissent également à chaque fois une chanson Disney tirée d’un dessin-animé car ce sont de grands fans. Vous imaginez leur joie quand nous les avons appelés pour leur dire que nous souhaitions qu’ils chantent dans un dessin-animé Disney !

On les comprend !
Devant le succès du film –et de sa bande originale !-, quel bilan tirez-vous ?Nous sommes très fiers de ce film dans la mesure où nous avons essayé de dépasser certaines conventions en animation en créant une histoire originale et actuelle, sans manichéisme. Nous voulions vraiment que le public apprécie cette nouveauté tout en renouant avec les grands classiques de Walt Disney.

Entretiens réalisés originellement pour Dreams Magazine- Eté 2002