mardi, novembre 28, 2006

LE MONDE DE NARNIA - EDITION ROYALE : Entretien avec le producteur Douglas Gresham

C’est à l’âge de huit ans que le jeune Douglas Gresham fait la connaissance de l’auteur des livres qui l’ont fait rêver, C.S. Lewis. Après avoir quitté un père alcoolique, violent et volage, le petit américain suit sa mère en Angleterre pour rencontrer l’auteur anglais avec lequel elle correspondait depuis un certain temps et qu’elle épousera quelques temps plus tard. Déception pour le jeune garçon qui s’imaginait rencontrer un chevalier en armure à l’image du Roi Peter et non un universitaire bonhomme. Malgré tout, le courant passe avec ce gentleman finalement drôle et chaleureux à la renommée duquel il vouera bientôt sa vie. Aujourd'hui pasteur, Douglas Gresham s'occupe en même temps de la préservation et du développement du patrimoine culturel et spirituel laissé par C.S. Lewis, avec passion et dévotion. Un attention de tous les instants envers un héritage dont il supervise toutes les manifestations : écrits, films et même jeux vidéo…

Comment avez-vous découvert le monde de Narnia?
C'est d'abord ma maman qui m'a lu L'Armoire Magique peu de temps après sa publication, en 1950. J'étais un petit garçon à l'époque et je me suis mis ensuite à lire chacune des autres Chroniques à mesure qu'elles sortaient.

Vous qui avez vécu avec C.S. Lewis, savez-vous si l'Armoire Magique existe réellement?...
Pour ce que j'en sais, je pense malheureusement qu'il ne s'agit que d'un artifice littéraire pour faire passer quatre enfants de notre monde à celui de Narnia. Il se trouve que deux universités américaines se targuent chacune de posséder la véritable Armoire Magique, mais il ne s'agit en fait que d'armoires bien banales qui se trouvaient dans notre maison à Oxford!...


Vous participez avec la C.S. Lewis company à valoriser et pérenniser l'héritage littéraire de votre beau-père. Pouvez-vous nous en parler?
Jack est décédé alors que je n'avais que 18 ans et son héritage ne faisait pas vraiment partie de mes préoccupations à cet âge. Mais lorsque son frère nous a quittés dix ans plus tard, l'agent littéraire en charge des droits des œuvres de C.S. Lewis a commencé à me consulter sur différents aspects, et c'est ainsi que je me suis de plus en plus investi dans ce travail. Très vite, au vu de l'évolution de nos sociétés, je me suis rendu compte qu'il fallait fonder une véritable compagnie dont le rôle serait de promouvoir l'ensemble de l'œuvre littéraire de Jack, ses Chroniques, bien sûr, mais également tous ses autres écrits, afin de les rendre accessibles au plus grand public. Mon ambition personnelle était aussi depuis le départ de faire en sorte que ces histoires puissent passer sur grand écran. Comme vous le savez, cela est bien partie, et je pense que cela va me tenir occupé pour le restant de mes jours!

On comprend mieux votre investissement sur le film produit par Disney et Walden Media.
C'est un projet que je nourris depuis de très nombreuses années, et je pense que Dieu m'a fait attendre autant pour faire en sorte que la technologie soit enfin là pour faire justice à ces histoires magnifiques. J'ai eu aussi de la chance qu'il mette sur mon chemin Walden Media, une compagnie qui produit des films dans le même esprit que nous, des films familiaux qui éduquent et distraient en même temps.

Les Chroniques de Narnia sont considérées par certains comme une véritable métaphore biblique. Qu'en pensez-vous?
Je pense que c'est inévitable pour quelqu'un comme Jack qui a consacré sa vie si profondément au Christ. Tout ce vous écrivez ne peut qu'être inspiré par votre foi.

Mais ce ne fut pas toujours le cas. On se souvient notamment de discussions qu'il a eues avec Tolkien, qui lui reprochait la froideur de sa foi.
Jack a été élevé dans une famille chrétienne, mais ses différentes expériences, et notamment durant la première guerre mondiale, ont fait qu'il a très tôt perdu la foi. Il ne pouvait concevoir un dieu d'amour qui puisse permettre ces atrocités dans les tranchées. Or, il en est venu à en vouloir à Dieu de ne pas exister, et ce cheminement lui a permet de retrouver le sens de sa foi. Ses collègues à l'université, et parmi eux Tolkien, étaient chrétiens, et ils l'ont beaucoup aidé sur cette voie. Ces hommes n'avaient pas peur de parler ouvertement de leur foi et, étant un homme d'honnêteté et de vérité, cela a touché Jack et ne pouvait que lui permettre de retrouver le Christ.

Dans ces conditions, comment expliquez-vous ce mélange inédit entre christianisme et mythologie païenne qui parcourt les Chroniques ?
Pour le comprendre, je pense qu’il faut revenir aux sources de ce qu’est un mythe. Ce mot ne signifie pas « quelque chose qui n’existe pas ». Les grandes mythologies se rejoignent en un point : la tentative d’expliquer ou de trouver une raison aux merveilles qui l’entourent. L’homme a toujours cherché à trouver l’origine des choses et des miracles qui se produisent chaque jour sous nos yeux : l’arbre qui naît d’une simple graine, le changement des saisons, etc. En ce sens, la Bible est sans doute le livre le plus essentiel dans l’explication de l’origine des choses, depuis Abraham jusqu’à aujourd’hui. Jack avait étudié tous ces mythes fondateurs et il aimait ces histoires car elles tendaient toutes vers la vérité de Dieu. Dans ces conditions, pour lui, elles avaient leur place au cœur de la littérature chrétienne. C’est la raison pour laquelle il les a intégrées dans l’Armoire Magique. De son côté, Tolkien a fermement désapprouvé cela. C’était un puriste dans sa vision des mythes et il n’aimait pas ce mélange. Cela n’a pas empêché Jack de le faire et de persister dans cette approche en créant un monde où tous les mythes pouvaient cohabiter : Narnia.

Que pensez-vous du traitement des Chroniques par Andrew Adamson ?
Si vous parler de l’approche du film, je dirai qu’il s’agit d’un mélange entre mon approche des Chroniques et celle d’Andrew. J’étais à la fois le spécialiste de Narnia, mais aussi le spécialiste de sa dimension chrétienne en tant que co-producteur. De son côté, je pense qu’Andrew a eu raison de mettre des réserves à cette approche purement religieuse. C’est ma conception personnelle des Chroniques. Cependant, l’ambition première du film était plutôt de proposer une adaptation fidèle du livre. De fait, si l’on trouve un symbolisme chrétien dans le livre, on le retrouvera naturellement dans le film. Mais il ne fallait en aucun cas forcer le trait.

Avez-vous parlé de votre approche avec le compositeur Harry Gregson-Williams ?
Non, et ce justement pour les raisons d’honnêteté intellectuelle dont je vous parlais à l’instant. Je pense qu’il est essentiel de laisser les artistes libres d’interpréter un livre ou un film à leur façon. Et cela me semble encore plus crucial avec un musicien qu’avec n’importe quel autre artiste. C’est la raison pour laquelle je ne l’ai rencontré qu’après qu’il a fini d’écrire sa musique –que je trouve remarquable. C’est un artiste exceptionnellement talentueux et j’ai eu grand plaisir à discuter avec lui.

La partition du MONDE DE NARNIA correspond-elle à vos goûts musicaux ?
J’ai des goûts très éclectiques. J’aime toutes les musiques à conditions qu’elles soient faites avec le cœur. Cela va du vieux rock’n roll à la musique pop, en passant par la country et le classique, en particulier Mozart, Vivaldi et Beethoven. En cela, la partition du MONDE DE NARNIA ne pouvait que m’enchanter, comme elle a enchanté le monde entier !



Vous avez également participé à l’élaboration du jeu vidéo de Narnia.
Comme sur le film, j’ai agi en tant que consultant. C’est un processus de création très intéressant que la fabrication d’un tel jeu. D’un côté, on essaie d’être le plus fidèle au film possible, tout en introduisant des innovations liées à l’interactivité. Avant tout, j’ai essayé d’influencer et de stimuler les concepteurs du jeu à propos de la façon d’y jouer et des effets qu’il pourrait avoir sur le ou les joueurs. Et je pense que nous y sommes parvenus notamment à travers l’idée de coopération entre les personnages, ce qui est assez rare et assez innovant dans le monde du jeu vidéo. Vous pouvez incarner tour à tour chacun des quatre enfants Pevensie, et votre succès dépend précisément de la façon dont ils vont interagir et s’entraider.

Pensez-vous qu’un jeu vidéo peut véhiculer ou promouvoir les valeurs profondes du livre et du film ?
Je ne suis pas sûr que le jeu vidéo soit porteur de valeurs morales pour le moment car la technologie n’est pas encore suffisamment évoluée pour nous permettre de faire ce que nous avions prévu de faire originellement avec ce médium, mais les choses évoluent très rapidement dans cette direction. Cependant, je pense que le jeu vidéo est une aide puissante dans la promotion des valeurs éthiques et morales contenues dans le livre en l’incitant à lire l’ouvrage qui a inspiré ce jeu.

Comment expliquez-vous le succès phénoménal rencontré par LE MONDE DE NARNIA. En d’autres termes, selon vous, qu’est-ce que Narnia a à nous apporter dans nos vies, aujourd’hui ?
Beaucoup de choses essentielles. Avant tout, Narnia nous permet de retrouver quelque chose de capital que nous avons perdu. Jack était un homme du 19e siècle. La majeure partie de sa culture et de sa formation a été forgée à cette époque. Aujourd’hui, nous avons perdu ces valeurs comme le sens de la responsabilité, l’investissement personnel, l’honnêteté, le courage et le sens du devoir : autant de valeurs que chérissaient les hommes du 19e siècle et dont nous nous sommes détournés. Aujourd’hui, nous devons réaliser que nous devons retrouver et faire nôtres ces valeurs sans lesquelles nos sociétés sont vouées à l’échec. Ces valeurs sans prix dont le bien fondé est précisément démontré dans les Chroniques de Narnia, et tout particulièrement dans l’Armoire Magique. C’est pourquoi je pense que l’intérêt pour le film, la lecture des livres et l’études de Narnia sont des actes d’une importance et d’une portée bien plus grandes pour nos sociétés qu’on le pense.

En ce sens, la production de PRINCE CASPIAN doit être pour vous une source d’espoir et de joie.
En effet, et j’y travaille précisément en ce moment. Nous n’en sommes qu’au début. Nous sommes repartis pour une grande aventure !…