lundi, octobre 02, 2006

LA PETITE SIRENE 2 EN DVD – Entretien avec les compositeurs des chansons, Patty & Michael Silversher

La magie Disney passe indéniablement par les chansons, et le choix des compositeurs est toujours crucial. De ce choix dépend non seulement le caractère des personnages, l'atmosphère, mais aussi le succès du film tout entier. C'est bien le chant, cette dimension magnifiée de la parole, qui va nous faire pénétrer le tréfonds de l'âme des personnages. C'est bien la chanson qui fait que le spectateur peut réellement appréhender et s'approprier l'univers du film. C'est bien la chanson qu'il va pouvoir fredonner dès sa sortie des salles obscures, ou dès après le visionnage de la vidéo. Et Disney ne s'est pas trompé en faisant appel à Michael et Patty Silversher, dont les émouvantes et inoubliables mélodies nous parlent directement au coeur. C'est avec la même sincérité qu'ils nous parlent de leur travail sur LA PETITE SIRENE 2 : RETOUR A L'OCEAN, qui vient de ressortir en dvd.

Nous ne vous connaissons pas bien en France. Pouvez-vous nous parler de votre parcours avant LA PETITE SIRENE 2?
PS) Cela fait 17-18 ans que nous travaillons pour Disney, en particulier dans le domaine des séries animées. Nous avons écrit la Title Song de SUPER BALOO, la Title Song des GUMMIES, la plupart des chansons de LA PETITE SIRENE-LA SERIE ainsi que des chansons pour des occasions spéciales. Nous avons été dernièrement nominés aux Emmy Awards pour une chanson que nous avons écrite pour un dessin-animé WINNIE L'OURSON spécial Saint-Valentin.
MS) En fait, nous avons été nominés trois fois, et les deux dernières fois se rapportaient à des chansons écrites pour des dessins-animés WINNIE L'OURSON spéciaux, destinés à des fêtes particulières. La première chanson était pour l'émission spéciale Halloween et s'appelait I Want To Scare Myself, chantée par Tigrou, and l'autre était pour la Saint Valentin intitulée Places In The Heart, chantée par Jean-Christophe et Winnie. Notre première nomination concernait une émission spéciale Noël avec Jim Henson et les Muppets et la chanson s'appelait Mr. Wallaby's Christmas Tree. Nous avons également composé la chanson d'ouverture d'ELMO IN GROUCHLAND [musique de John Debney, JN]. En ce qui concerne SUPER BALOO, je revenais d'un long séjour en Russie (c'était encore l'Union Soviétique), et au lieu de faire quelque chose de russe, j'ai décidé de faire quelque chose de complètement antillais!

Vos chansons prolongent vraiment ce que nous avions aimé sur LA PETITE SIRENE en 1989 : de belles mélodies, l'optimisme, la fantasie, l'humour, le sens du théâtre. Que représente ce premier film pour vous?
MS) C'est l'un de nos films préférés et nous avons adoré les chansons d'Howard Ashman et Alan Menken. Ce fut une sorte de guide. Nous voulions atteindre leur niveau tout en poursuivant dans ce sens. Leur musique fut un bon modèle pour nous.
PS) L'humour est très important pour atteindre tous les âges, des enfants aux adultes.
MS) ...et nous avons travaillé ensemble pour créer quelque chose qui soit à la fois beau et drôle pour tout le monde. En tout cas nous l'espérons.

On sent dans votre style l'influence de la comédie musicale.
MS) Absolument. Nous nous sommes constamment demandés ce que nous pouvions ajouter pour donner vie à ce projet, à la manière d'une comédie musicale. Je travaille dans ce milieu depuis 1970. J'ai été compositeur en résidence au Sundance Playride Club de Robert Redford. Je l'ai été pendant six ans. J'ai participé à un spectacle au Kennedy Center de Washington, DC, et je viens d'écrir un opéra pour l'Opéra de Los Angeles qui a ouvert la semaine dernière [la première semaine de novembre, JN]. C'est un opéra écrit chanté par des adultes, mais aussi par des enfants venus de différentes écoles et qui se sont beaucoup investis dans ce projet. C'est un petit opéra, mais très amusant.

Comment travaillez-vous l'un avec l'autre?
PS) J'écris les paroles, et Michael écrit la musique ainsi que les paroles. Habituellement, la musique vient en premier. Nous recevons un scénario qui, très souvent, n'est qu'une ébauche. Si Disney a une idée de l'endroit où ils désirent une chanson, nous partons de là et nous la traduisons en chanson. En fait, dans LA PETITE SIRENE 2, nous avons pris en charge toute l'ouverture et nous en avons fait une chanson. C'était très ambitieux, ce fut notre idée de débuter le film de cette façon.
MS) Nous avons écrit toute cette scène en musique et nous avons intégré les dialogues à la chanson.

Morgana ne chante pas.
PS) Nous avions écrit deux chansons pour Morgana, mais il fut décidé de supprimer la chanson et sa reprise à la fin du film, ce qui a changé la fin de l'histoire. Ce fut une décision de dernière minute.
MS) Elle s'appelait Gonna Get My Wish Tonight.
PS) Elle était très R&B et nous l'adorions.
Il aurait été intéressant d'avoir une chanson pour cette Méchante qui se démarque du style très "Cabaret" d'Ursula.
MS) Nous voulions faire quelque chose de différent de Kurt Weil. Cette chanson était dans le style R&B, mais également inspirée par la Louisiane, ce qui changeait vraiment l'ambiance proprement musicale.

Les premières paroles du film sont celles d'Ariel qui, dans Down to the Sea, chante "You are my world" à Mélodie. C'est vraiment le prolongement de Part of Your World (Partir Là-Bas). [Cette allusion se ressent également dans la version française de Ce Grand Moment, magnifiquement traduite par Luc Aulivier].
PS) C'était là notre but.
MS) Cette relation apparaît dans la conduite des voix de cette chanson. La mélodie de Part of Your World ne fait que monter sans cesse parce qu'Ariel vit sous l'eau et qu'elle veut aller sur la terre. Dans Down to the Sea, nous voulions que la musique fasse l'inverse. Une opposition que l'on retrouve dans For A Moment (Ce Grand Moment) avec le thème de Mélodie, toujours ascendant.

En harmonie, les mouvements contraires témoignent de la complémentarité des voix. Ainsi Ariel et Mélodie sont-elles à la fois opposées et unies. Toute l'histoire est contenue dans cette opposition des conduites vocales.
MS) Vous avez exactement saisi ce que nous voulions faire passer.


Tip & Flash s'inspire nettement de Richard Wagner. Au début, on reconnaît Le Vaisseau Fantôme, puis c'est La Walkyrie qui est citée dans la seconde partie, mais vous changez la mesure par rapport au refrain et tout devient instable pour renforcer l'aspect comique de ces personnages.
MS) Absolument. En fait, ce fut la première chanson que nous avons écrite pour ce projet. Une sorte d'expérience pour voir comment cela fonctionnerait avec des personnages entièrement nouveaux. Leurs rêves ne correspondent pas à leur véritable nature, et j'ai pensé que Wagner serait une bonne idée.

Mais tout cela dénote malgré tout une grande tendresse pour ces deux personnages.
PS) Ce sont des personnages extrêmement touchants. Ils essaient d'être braves en dépit de leur insécurité et de leurs craintes, un peu commme des enfants qui, lorsqu'ils jouent, cherchent à se montrer les plus forts alors qu'à l'intérieur ils sont dans l'incertitude et ont conscience de leur vulnérabilité.
MS) Lorsque nous écrivons, Patty et moi, nous écrivons à partir de nos propres expériences en tant qu'humains et les chansons nous viennent de ce que nous pensons être le coeur de ces personnages. Parce que nous sommes tous comme cela, nous cherchons tous à nous montrer braves alors que nous avons peur. Nous avons écrit cette chanson à partir de cette partie de nous. Notre démarche est autant intellectuelle qu'émotionnelle.

En qualifiant le pingouin de "Titanic Tip", ne feriez-vous pas référence à un célèbre bateau qui a eu des problèmes face à un iceberg?
(rires)
PS) En fait, le nom "titanic Tip" nous a été donné par Disney.
MS) Dans une des versions prélimaires du film, les deux compères plongent dans les profondeurs et découvrent le fameux bâteau. Le pingouin en voit le nom, il lui plaît et il l'adopte immédiatement! Le film est passé par vingt versions différentes. Nous avons commencé à écrire la musique à partir de la septième version. Nous avions une chanson complètement différente pour Mélodie. Il y avait tant de possiblités avant de se faire une idée précise du caractère du personnage et de lui écrire la chanson qui lui conviendrait le mieux.
PS) Vingt-et-une versions du scénario et deux réalisateurs différents.
MS) Le premier réalisateur est parti vers la version 17. Ce fut très compliqué et cela a pris plus de temps que prévu.


Sébastien est vraiment très important dans ces chansons, à tel point que c'est une reprise de sa chanson à lui qui clôt le film, et non pas Sous le Soleil et l'Océan, qui célèbre la rencontre du peuple de la mer et des gens de la terre.
MS) Sébastien est important de toute façon, pas seulement musicalement! A l'origine, nous voulions que cette dernière chanson soit plus dans l'esprit d'union de la première...
PS) ...et, en fait, c'est ce que nous avions écrit au départ. Mais elle fut supprimée car Disney voulait conclure le film avec Sébastien.
MS) Ils voulaient lui donner un numéro rythmé supplémentaire. Comme vous le savez, la musique de cette chanson se trouve au milieu de la scène d'ouverture et ils nous ont demandé de la développer.

Vous vous décrivrez comme des mélodistes émotionnels. Pouvez-vous nous en parler plus précisément?
MS) Il y a un an, nous nous trouvions à une conférence avec des gens du monde de l'animation, et quelqu'un m'a demandé : "Ecrivez-vous pour les enfants?". J'ai répondu : "Non." Et Patty sera d'accord avec moi : les premières personnes à qui nous voulons plaire, c'est nous-mêmes. J'écris ce que j'aime. Parce que je recherche la vérité émotionnelle, parce que nous recherchons une sincérité émotionnelle pour que cette sincérité trouve écho chez le public. Vous savez, je suis un autodidacte. J'ai commencé à jouer de la musique étant enfant et j'écris de la musique depuis que j'ai huit ans, ce qui veut dire depuis quarante ans. C'est mon expérience en tant qu'être humain. Ce que je recherche, c'est quelque chose en quoi je puisse croire. Patty et moi travaillons dans cet esprit. Nous croyons vraiment en tout ce que nous écrivons.
PS) Michael a vraiment un grand sens de la mélodie et je pense que c'est très important aujourd'hui car il a beaucoup de productions pour les enfants, mais peu font appel à de vrais compositeurs.
PS) J'ai grandi avec Irving Berlin et Rogers & Hammerstein, avec des comédies musicales pleines de mélodies. La mélodie a toujours été primordiale.