vendredi, octobre 13, 2006

ANTARTICA EN DVD – Entretien avec le compositeur Mark Isham


Inspirée d’une histoire vraie, ANTARTICA –PRISONNIERS DU FROID est une des aventures les plus incroyables et les plus spectaculaires jamais contées. Au cœur des fascinants paysages du pôle Sud, dans une nature blanche et glacée que seuls quelques humains ont affrontée, le film, qui vient de sortir en DVD, raconte l’épopée de huit chiens de traîneau livrés à eux-mêmes et de l’homme qui, malgré le danger, n’a pas voulu les abandonner. Le récit d’une bouleversante histoire d’amitié et de courage, dans des conditions extrêmes, comme l’explique le réalisteur, Frank Marshall (également producteur de SIGNES, SIXIEME SENS et autres INDIANA JONES) : « J’ai immédiatement été touché par l’histoire. Elle avait un potentiel visuel et émotionnel rare. Cette aventure est une fable intemporelle, universelle, qui met en scène les sentiments les plus purs qui soient. Tout est essentiel et nous touche au plus profond. »
Et c’est justement cette universalité du sujet qui a touché le compositeur Mark Isham qui, après ET AU MILIEU COULE UNE RIVIERE ou encore UN HOMME PARMI LES LOUPS, signe ici la musique d’une nouvelle fresque naturaliste dont il a le secret.
En piste !


LE MIRACLE DES HUSKIES

Comment êtes-vous arrivé sur le projet ANTARTICA ?
C’est Frank Marshall, le réalisateur, qui m’a choisi pour faire la musique de son film. En fait, j’avais entendu parler de ce projet bien avant le tournage et j’ai trouvé que c’était une idée formidable. Je connaissais personnellement Frank, j’admire beaucoup son travail, mais je n’avais jamais travaillé avec lui auparavant. Je l’ai donc appelé pour lui parler de mon désir d’y participer et pour le convaincre que j’étais la meilleure personne pour sa musique. Et comme vous le voyez, nous nous sommes retrouvés sur la même longueur d’onde !

Connaissiez-vous le premier ANTARTICA (1983) du japonais Koreyoshi Kurahara et mis en musique par Vangelis?
Je savais qu’un tel film existait, d’autant plus que notre ANTARTICA se veut un hommage au film original, mais je ne l’ai jamais vu.

ANTARTICA - PRISONNIERS DU FROID est votre troisième film avec Disney avec UN HOMME PARMI LES LOUPS (1983) et MIRACLE (2004). Ces trois films ont en commun le fait qu’ils sont basés sur des histoires vraies. Cela a-t-il une importance dans votre choix de film et dans votre approche ?
Avant tout, ce qui a compté pour moi, c’est le fait que ces films devaient faire appel à un véritable orchestre. C’est probablement l’élément principal que je considère en premier dans ma décision : quel sera le vocabulaire de base de ce film ? Et ce choix est souvent motivé par la dimension universelle de ces histoires. Cela va au-delà des personnages. Prenez UN HOMME PARMI LES LOUPS. C’était un grand film sur les grands espaces, et cela m’a beaucoup inspiré à l’époque. Et quand j’ai appris que Frank Marshall préparait le même genre de film, je me suis dit que ce devrait être une nouvelle expérience musicale de cette ampleur ! De son côté, MIRACLE est un film sur le sport qui se situe dans les années 80, autour d’un groupe d’étudiants. Mais surtout, ce qui m’a attiré, c’est l’idée d’un affrontement entre David et Goliath. C’est une histoire que l’on peut raconter dans toutes sortes de contextes, avec toutes sortes de personnages, et au-delà du fait qu’il s’agit d’une histoire vraie, il s’agit avant tout d’une histoire mythique. Par conséquent, j’ai opté pour une musique ne soit pas liée directement aux personnages eux-mêmes, mais à l’idée générale du film. Et c’est ainsi que nous avons opté pour une approche orchestrale. Ce fut la même chose pour ANTARTICA. C’est une histoire de survie, d’amitié et de loyauté avec un côté épique qui appelait aussi une approche orchestrale traditionnelle.



L’EMPIRE DES HUSKIES

Quelle fut votre approche de la musique d’ANTARTICA ?
Il fallait trouver une stratégie originale pour rendre justice au film. C’est donc une partition très épique, avec une structure très thématique. Cependant Frank ne voulait pas d’une musique trop dramatique ou trop sentimentale. Il savait qu’il s’agissait d’une histoire universelle et ne voulait pas destiner son film à une catégorie d’âge en particulier. Nous sommes partis de l’idée que, si une histoire est bien racontée, alors elle plaira à tout le monde. Par conséquent, j’ai essayé d’éviter tout excès dans un sens ou dans l’autre en me concentrant sur les aspects artistiques et esthétiques dégagés par le film.

Quelles furent vos influences musicales pour ce film?
Je m’intéresse beaucoup à l’école minimaliste, et notamment à John Adams. La musique de film, en particulier chez Disney, se doit d’être tonale. Les minimalistes ont su apporter un sang neuf à la tonalité, et c’est ce qui m’intéresse chez eux.

La nature est un véritable personnage du film. Comment l’avez vous abordée ?
ANTARTICA est en effet une sorte d’épopée naturaliste qui se situe dans une nature sauvage et indomptée. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu ajouter certains éléments originaux à cette partition qui lui apportent une dimension exotique sans pour autant tomber dans l’ethnique. J’ai rassemblé un petit groupe d’instruments que j’ai intégrés à l’orchestre, et quand ils émergent, cela affecte l’orchestre dans sa couleur et sa normalité. Par exemple, j’ai remplacé le piccolo par le penny whistle. J’ai aussi fait appel à des marimbas.

En quoi affectent-ils l’orchestre ?
En fait, l’orchestre doit leur faire une place. Parfois, leur intonation peut paraître étrange ou bien surtout on ne les entendrait pas si on n’altérait pas la masse orchestrale en leur ménageant une place. Cela va jusqu’à supprimer l’orchestre par moment. C’est le cas avec le penny whistle, qui est utilisé seul. Les chiens ont une ouie beaucoup plus développée que la nôtre, et ils peuvent capter des sons beaucoup plus aigus que nous. C’est sur cette base que j’ai imaginé l’utilisation de cet instrument car c’est en particulier en pleine nature que les chiens utilisent leurs sens à fond. Le penny whistle renforce cette idée liée à cette nature, au fait que nous sommes très loin, dans l’inconnu, que les chiens communiquent entre eux et avec la nature et que nous pouvons les rejoindre. C’est ainsi devenu une forme de question réponse entre le penny whistle et l’orchestre.



DANSE AVEC LES HUSKIES

Les chiens sont sans doute les véritables stars de ce film.
C’est aussi un aspect qui m’a beaucoup attiré. D’autant plus qu’ils sont traités de façon réaliste. Ils ne parlent pas. On ne voit qu’eux pendant à peu près un tiers du film, et il n’y a pas de dialogue. C’est donc à la musique d’apporter de la vie à ces passages et d’assurer la communication orale et sonore avec le public. De ce fait, la musique devient à son tour un personnage principal du film, tenant une part importante dans la vision des cinéastes. C’était un défi passionnant !

Dans ces scènes muettes, quelle fut votre approche du point de vue de l’histoire et des émotions ?
J’ai essayé de mêler les deux. A l’évidence, les chiens vivent leur propre aventure. Ils chassent un phoque-léopard, ils découvrent une aurore boréale, l’un d’entre eux tombe d’une falaise, autant de scènes d’action pour les chiens, que j’ai abordé quasiment de la même façon que je l’aurais fait pour des êtres humains. Il y a également des moments d’émotion comme la mort de l’un d’eux, que j’ai traité de manière presque rituelle. Les chiens vivent leur vie, comme chacun de nous, à la seule différence qu’il n’y a pas de dialogue.

Pouvez-vous nous parler de cette scène-clef du film dans laquelle les chiens sont abandonnés. L’avion de leur maître décolle tandis qu’ils hurlent leur détresse, mais sans qu’on les entende car on n’entend en fait que la musique?
C’est le résultat de multiples expériences réalisées par Frank Marshall au moment de l’élaboration de la partition temporaire. Il m’a montré ce qu’il avait fait et m’a demandé ce que je pouvais maintenant faire à partir de là. Cela participe toujours de cette idée selon laquelle nous ne voulions pas en faire trop. Il fallait que cela sonne juste, sans jouer sur la corde sensible. Il se trouve que j’avais écrit quelque chose qui me satisfaisait bien pour la mort de l’un des chiens et je me suis dit que peut-être ce thème fonctionnerait aussi pour cette scène. J’ai donc réarrangé cette pièce en la rendant un peu plus consistante avant de la montrer à Frank. Et comme cette idée a fait l’unanimité, je n’ai pas eu besoin de chercher plus avant.

Le film s’ouvre sur une large pièce orchestrale très héroïque, et juste après cette introduction, la caméra se pose sur les chiens, avec une musique beaucoup plus intime, et en quelque sorte scintillante.
Pour moi, il s’agissait tout d’abord de présenter l’ambiance générale du film, de dire en musique que le public va voir un film d’aventure, avec des personnages courageux. Pour la deuxième partie, vous avez raison de dire « intime », car c’est exactement l’atmosphère que je voulais associer à ces huit chiens exceptionnels. Mais dans le même temps, il me semblait qu’il fallait quelque chose qui contienne l’idée de mouvement car ces derniers ne restent pas longtemps en place dans ce film ! Ils adorent courir et jouer, ce qui fait qu’il fallait aussi quelque chose d’amusant et de percussif. Pour cela, j’ai rassemblé un petit nombre d’instruments, dulcimer, piano, harpes et autres instruments à cordes pincées, que j’utilise pour les chiens seuls, pour tous les moments où ils ne tirent pas de traineau. On retrouve cet ensemble notamment quand ils viennent de se libérer et qu’ils se mettent ensemble pour chasser l’oiseau.

En peu de temps, toutes les règles musicales du film sont fixées.
En effet. Ce début du film se comporte vraiment comme une ouverture d’opéra dans le sens classique du terme, avec l’exposition des thèmes et des sonorités de cette partition, même si, ici, l’histoire a déjà commencé. On y retrouve donc le thème de l’aventure, le thème des chiens et celui de la romance naissante avec Katie, mais sous forme d’allusions : par exemple, le thème de l’aventure ne fait que quatre mesures ici ! Tout ce matériel sera développé au cours du film.



Quelle relation avez-vous conçue musicalement entre les humains et les chiens ?
Il y a une certaine séparation entre les deux mais ce n’est pas aussi tranché. Chacun a son thème, mais il y a des aspects de l’aventure communs aux deux que j’ai soulignés par l’usage d’un même thème. C’est le cas par exemple du thème de la solitude des chiens, que j’ai repris pour Jerry quand lui-même se sent seul car c’est la même émotion que vivent chiens et homme. Pour moi, un thème ne concerne pas tant un individu qu’une idée. La différence entre chiens et humains se situe plutôt au niveau de l’instrumentation. A un moment, Jerry regarde par la fenêtre et c’est le penny whistle qui nous informe qu’il pense à ses chiens. L’exclusivité en matière de thème ne fonctionne pas ; ce qu’il faut à mon sens, c’est se situer au niveau des idées car cela apporte une plus grande liberté dans l’exploitation thématique.

Avez-vous considéré les chiens individuellement ou uniquement comme un groupe ?
Généralement, je les ai traités en tant que groupe. Cependant, ce jeu sur les thèmes tel que je vous l’ai décrit permet en même temps un traitement individuel des chiens. Prenez Old Jack. Il sait qu’il est trop vieux pour se lancer dans cette aventure, et abandonne la lutte pour se laisser mourir. A un autre moment, lorsque Dewey tombe de la falaise, on ne sait pas s’il est inconscient ou mort. C’est la musique, en reprenant le thème de la mort de Jack, qui nous informe, sans le secours des mots, de la mort de Dewey. Sans être spécifique musicalement, on peut malgré tout avoir une approche individualisée et signifiante des personnages. A l’inverse, l’amour de Jerry pour ses chiens s’exprime la plupart du temps à l’écran à travers sa relation à Maya ou Max. Mais la musique se rapporte davantage à un amour qui unit le maître à tous ses chiens, sans exception.

Comment s’est passée la production de cette musique ?
J’ai eu la chance d’avoir pas mal de temps. J’ai pu travailler une bonne partie de l’automne, et comme ils ont retourné certaines scènes juste avant Noël, je m’y suis remis juste après les fêtes pour composer et enregistrer la musique de la dernière bobine. Pour ce faire, j’ai bénéficié d’un merveilleux orchestre allant de 55 à 90 musiciens. En tout, je dirais que cela représente pas loin de trois mois.

Nous avons été déçus de ne pas trouver d’album de votre musique pour ANTARTICA.
La déception fut aussi ma première réaction. Puis la colère. Ma partition est bien sortie, mais uniquement par téléchargement sur iTunes. Ce fut une décision marketing de Disney. Telle qu’ils me l’ont expliquée, la vente de cds de musique de film est un véritable cauchemar et c’est la raison pour laquelle ils envisagent maintenant de ne vendre leurs b.o. qu’online. ANTARTICA est donc la première musique à être diffusée de cette manière.

Que garderez-vous de cette expérience ?
Je considère qu’ANTARTICA fait partie des plus grands moments de ma carrière. Frank est une personne d’une grande élégance, qui sait s’entourer d’une équipe extrêmement compétente. De plus, le film possède en lui-même des qualités uniques qui m’ont beaucoup intéressé et qui m’ont permis d’en apprendre toujours plus sur la musique. C’est cela que j’aime dans ce métier. Chaque projet est l’occasion de toujours mieux comprendre ce qu’est la musique.