CARS - QUATRE ROUES EN DVD : Entretien avec le compositeur Randy Newman
Symbole du désir d’une nation insatiable en quête de liberté et de sensations mécaniques, la Route 66 a été célébrée au cours des années par des auteurs comme Jack Kerouac (On The Road, écrit en 1957, l’année de naissance de John Lasseter) ou encore par des musiciens comme le fameux crooner Nat King Cole dans Get Your Kicks On Route 66. 80 ans après sa création, la « mère de toutes les routes » brille aujourd’hui dans son tout dernier rôle, en accueillant CARS –QUATRE ROUES, mis en scène par un de ses plus grands fans, John Lasseter.
Pour l’accompagner musicalement dans cette aventure, le nouveau gourou de l’animation Disney a fait appel à son compagnon de route habituel, Randy Newman. Et quand il affirme que « CARS est l’une des meilleures partitions que Randy ait jamais écrites », nous aquiessons sans détour.
Alors, en piste pour une rencontre exclusive avec Randy Newman, un compositeur qui en a sous le capot et qui met de la magie dans son moteur…
A vos marques… prêts… partez !
« LONG AGO, NOT SO VERY LONG AGO »
L’histoire de CARS, QUATRE ROUES touche John Lasseter de près à titre personnel. Il a grandi à Los Angeles, et lorsqu’il était enfant, il aimait aller chez le concessionnaire Chevrolet où son père dirigeait le service des pièces détachées. Il a lui-même travaillé aux stocks dès qu’il a eu 16 ans.
Il se souvient : « J’ai toujours adoré les voitures. Je dois avoir dans les veines un mélange de dessins animés Disney et d’huile de moteur… Aujourd’hui, j’ai enfin réussi à réunir mes deux passions : les voitures et l’animation. Lorsque Joe Ranft (co-réalisateur du film, et légende Disney décédé l’année dernière) et moi avons commencé à parler de ce projet en 1998, nous savions déjà que nous voulions créer une aventure dont les héros seraient des voitures. A peu près à la même époque, nous avons vu un documentaire, « Divided Highways », qui avait pour sujet une autoroute inter-états et la manière dont sa construction avait affecté les petites villes. Nous avons été émus par ce documentaire et avons commencé à songer à ce que cela devait être de vivre dans ces lieux que le passage de l’autoroute avait plongés dans l’oubli. C’est là que nous avons vraiment entamé nos recherches sur la Route 66. »
A cela s’ajoute une véritable aventure humaine et familiale, qui a donné au film toute sa substance. Durant l’été 2000, la femme de John Lasseter, Nancy, l’a convaincu de prendre des vacances bien méritées. Toute la famille s’est embarquée à bord d’un camping-car, et est partie pour deux mois sur les petites routes, loin des grands axes, entre le Pacifique et l’Atlantique. « Lorsque je suis rentré, j’avais resserré les liens avec ma famille, nous étions plus proches que jamais. J’ai soudain réalisé que je savais de quoi allait parler notre film… J’ai découvert que le parcours que l’on fait dans la vie contient sa propre récompense. C’est formidable de réussir à faire des choses, mais quand vous y parvenez, vous voulez avoir vos amis et votre famille avec vous pour fêter ça… Joe a aimé cette idée et notre histoire a vraiment commencé à prendre forme. Notre héros, Flash McQueen, ne s’intéresse qu’à une seule chose : être le plus rapide. Rien d’autre ne compte pour lui que sa victoire au championnat. C’était le personnage idéal pour qu’on le force à ralentir, comme moi j’ai dû le faire pour mon périple en camping-car. Pour la première fois de ma carrière, j’ai levé le pied, et c’était extraordinaire. Les histoires des films que nous faisons chez Pixar viennent toujours du cœur. Elles naissent de choses personnelles, de choses qui comptent pour nous et nous émeuvent. C’est cela qui leur apporte leur richesse d’émotion et leur donne un véritable sens. »
Quant à la collaboration de John Lasseter avec Randy Newman, c’est aussi une belle histoire humaine, une histoire d’amitié et de confiance entre deux hommes, deux artistes.
M. Newman, votre partition pour CARS – QUATRE ROUES carbure magnifiquement !
Merci beaucoup. J'espère seulement que mon travail aide le film. C'est toujours un plaisir de collaborer avec les gens de Pixar. Ils font un travail tellement remarquable… ce qui n'est pas si fréquent de nos jours!
Depuis MONSTRES ET Cie, cela fait un certain temps que nous n'avons pas eu le plaisir de vous retrouver sur un dessin-animé. L'animation vous a-t-elle manquée?
A vrai dire… pas vraiment! Je crois que j'ai pas mal donné en la matière, et c’est un genre beaucoup difficile à manier, beaucoup plus complexe qu'un film en prises de vue réelles. Pour me décider, il me fallait vraiment quelque chose de nouveau, quelque chose que je n'avais jamais fait auparavant. Avec CARS, j'ai pu expérimenter en matière de musique bluegrass et de fanfare. Le jeu en valait vraiment la chandelle! Et puis, ce film a été beaucoup moins fatigant que les autres dessins-animés que j'ai faits car les personnages n'ont pas de pieds, ce qui fait qu'il y a moins de pas à accompagner, moins de doubles croches, et donc moins de notes!…
Quel a été le facteur décisif de votre retour ?
Tout simplement le fait que John Lasseter me l’ait demandé. Je n’ai eu que des bonnes expériences avec lui, et avec les gens de Pixar en général. J’ai fait quatre films avec eux, et ce fut un immense plaisir car les quatre étaient excellents. Sans compter les deux autres. Six grands films d’affilée, c’est rarissime. C’est la raison pour laquelle je retravaillerai toujours avec John Lasseter, tout comme avec Jay Roach, le réalisateur de MON BEAU-PERE ET MOI et de sa suite. Même si j’ai plus d’attirance pour le drame que pour la comédie, Jay est quelqu’un de si exceptionnel que je referais n’importe quoi avec lui. Certes, il faut que le projet soit intéressant sur le plan musical, mais la personne qui le dirige est capitale. Je suis prêt à faire tout ce qu’un réalisateur me demandera de faire si tant est que nous sommes sur la même longueur d’onde sur le plan humain.
MY HEART WOULD KNOW
Pour John Lasseter, « Personne ne sort d’une salle de cinéma en disant ‘wow, la technologie était géniale’. Personnellement, j’aime les films qui me font pleurer, parce qu’ils dégagent une émotion vraie. C’est ce que j’ai souhaité pour CARS – QUATRE ROUES. Je voulais que les gens s’amusent et rient. Mais je voulais aussi faire vibrer leur corde sensible. »
C’est bien dans cet esprit qu’a travaillé Randy Newman, qui s’y entend quand il s’agit de faire vibrer les cordesde l’orchestre… et la nôtre.
À la première écoute de votre score, la première impression n'a rien à voir avec le monde de l'automobile. Au contraire, votre partition témoigne d'une grande humanité.
Je suis ravi que vous ayez remarqué cet aspect. Au-delà des images, c'est une histoire humaine qui nous est racontée. Il ne s'agit finalement ni de mécanique, ni de machines. Le film raconte l'aventure de quelqu'un qui vient d'un monde qui vit à cent à l'heure et obsédé par la célébrité, et qui découvre un monde totalement contraire, marqué par la lenteur.
C'est cette opposition qui semble avoir structuré votre partition toute entière.
En effet. Le pendant musical à cette opposition visuelle et narrative était inévitable. Vous avez d'un côté la vitesse et le tape-à-l'œil avec la guitare électrique et des cuivres puissants, et de l'autre un univers sonore qui tourne autour de la guitare acoustique. Il fallait que ce choc des cultures vous saute aux oreilles. C’est de là que naît la force émotionnelle du film.
A l’instar des héros du court-métrage Disney de 1952, SUSIE, THE LITTLE BLUE COUPE (qui a beaucoup inspiré John Lasseter), une grande partie de l'émotion passe par ces grands yeux qu'ont tous les personnages, véritable "pare-brise" de l'âme. Quelle fut votre source d'inspiration quant à la dimension humaine et émotionnelle de CARS?
Il se trouve que chacun de ces héros a une personnalité très marquée, tout comme des humains dans un film en prises de vue réelles. Les situations qu'ils rencontrent sont aussi très réalistes et très humaines. Ce n'est dont pas nécessairement les personnages eux-mêmes qui m'inspirent, mais plus largement ces situations dans lesquelles ils se retrouvent impliqués. Ma réponse est déterminée par ce que je vois, et de ce point de vue, je ne m’intéresse pas tant à la personnalité d’un personnage en particulier qu’à l’interaction entre ces personnalités. C’est ainsi que Flash McQueen est un petit gars très vif qui pense qu’il n’a besoin de personne. Au début du film, il est incroyablement égocentrique. Or, ce n’est pas lui qui m’a intéressé mais bien le fait qu’il se retrouve coincé malgré lui à Radiator Springs, une ville aux antipodes de sa vie, une ville oubliée du reste du monde au milieu de nulle part, peuplée d’excentriques qui vivent à deux à l’heure ! Ce sont des ruraux, et le fossé qui les sépare de Flash a été une grande source d’inspiration pour moi. Il y a aussi la nature d’une scène. Prenez une poursuite. Il y en a une dans le film impliquant une immense machine agricole. Machine agricole + poursuite : musicalement, cela a donné banjos et guitares + orchestre. Il faut dire que j’ai eu la chance de bénéficier de superbes musiciens, à commencer par les guitaristes Dean Parks and George Doering.
McQUEEN AND SALLY
De Woody à Buzz, en passant par Tilt, Atta, Sulli, Bob, Boo et bien d’autres, chaque film Disney-Pixar est un réservoir impressionnant de personnages plus attachants les uns que les autres. Aujourd’hui, avec Flash McQueen, Doc Hudson, Sally, Mater, Fillmore, Sarge, Ramone, Flo et les autres (sans oublier Luigi et Guido !), CARS-QUATRE ROUES est un monde foisonnant de personnalités hautes en couleur, touchantes et inoubliables. Un bonheur à haut indice d’octane !
Comme toujours dans les films Disney-Pixar; on trouve énormément de personnages. Comment avez-vous construit votre thématique par rapport à ce nombre considérable de protagonistes ?
Comme vous le sous-entendez, on ne peut envisager d'avoir un thème pour chacun des personnages tant ils sont nombreux. Cependant, certains personnages sont tellement bien campés qu'ils ressortent par rapport à l'ensemble. Je pense à Luigi et Guido, dans leur magasin de pneus, mais également à Mater, avec cette lenteur toute rurale, ou encore à Sally, la Porsche 911. Cette dernière a son propre thème qui apparaît la première fois qu'on la voit, mais surtout, je lui ai écrit un thème d'amour, pour elle et Flash McQueen. Ensuite, je me suis dit qu'il serait intéressant d'avoir un thème pour la ville de Radiator Springs elle-même, un motif dérivé de la chanson. Car, plus important que les personnages, c'est le lieu où ils vivent qui m'a inspiré. Chaque personnage est d'une certaine façon conditionné par son lieu d'origine, et c'est ainsi que j'ai organisé mon orchestration : fanfare et guitare électrique d'un côté, timbres doux et acoustiques de l'autre.
Est-ce la raison pour laquelle Flash n'a pas vraiment de thème?
Absolument. Ce qui le définit au début du film, c'est le monde dont il est issu : un monde moderne et tape-à-l'œil. Flash a bien un motif pour lui, lorsqu'il est dans la course, mais ce n'est qu'un dérivé de la fanfare et du rock'n roll de cet univers.
SH-BOOM
En 2001, John Lasseter, Joe Ranft, la productrice Darla Anderson, les créateurs des décors Bob Pauley et Bill Cone, et plusieurs autres membres clés de l’équipe de production se sont rendus à Oklahoma City. De là, ils sont partis dans quatre Cadillac blanches pour un voyage de neuf jours sur la Route 66. L’historien et écrivain Michael Wallis a dirigé cette petite expédition, leur a fait découvrir les lieux et présenté les gens qui rendent cette route si spéciale.A chaque étape du trajet, l’équipe a d’abord observé la « patine » des villes, et la richesse des textures et des couleurs. Ils ont étudié les publicités peintes sur les côtés des bâtiments, passées par les intempéries ou recouvertes en partie. Ils ont observé les formations rocheuses et les nuages, la végétation, tout ce qui fait l’univers de ces petites villes à l’écart des grandes routes.
Ils se sont fait également des amis avec les personnages atypiques et irrésistibles qui vivent sur les bords de cette route. C’est ainsi que le personnage de Mater a été créé par Joe Ranft d’après une vieille dépanneuse à l’abandon, déocuverte à Galena, Kansas, et à la suite de sa rencontre avec un certain Dean Walker, figure locale au fort accent du Sud, tout fier de pouvoir tourner ses pieds à 180 degrés !
Chaque visite, chaque rencontre a apporté un regard, une couleur supplémentaire au film et à son histoire, tout comme les multiples expériences musicales de Randy Newman lui ont permis de nous offrir un voyage sonore à nul autre pareil…
L’un des secrets de Pixar réside dans les recherches approfondies qu’ils ont réalisées avant de faire le film, que ce soit au niveau documentaire ou au cours de voyages sur la Route 66. Quel fut votre mode d’approche de l’univers du film.
J’ai fait des recherches, moi-aussi. Je suis allé voir du côté des premiers orchestres de swing de l’Ouest, de Bob Wills (1905-1975) et autres Milton Brown (1903-1936, CF) : un jazz très primitif et très intéressant, et parmi les toutes premières expériences en matière de guitare électrique. J’ai également écouté Flatt & Skruggs et d’autres albums dans le genre. J’ai toujours aimé ce type de musique et j’ai beaucoup appris en faisant ces recherches. D’un autre côté, je me suis plongé dans les grandes œuvres orchestrales du répertoire classique : Aaron Copland, Richard Strauss, Witold Lutoslawki et Richard Wagner.
Qu’est-ce que Richard Wagner vient faire dans la Piston Cup ?
C’est un orchestrateur tellement remarquable ! Songez au NOUVEAU MONDE, le dernier film de Terence Malick. On y trouve une longue citation de L’OR DU RHIN, quelque chose comme 25 minutes. Pour moi, c’est le meilleur moment du film ! (rires). Pour CARS, je n’ai pas repris directement ses orchestrations comme sa façon d’utiliser les cors ou les tubas, mais c’est toujours utile de se replonger dans son œuvre. Cela vous permet de trouver de nouvelles solutions.
Il poussait les instruments dans leurs derniers retranchements, dans les limites de leur tessiture, et c’est un peu ce que vous faites par moments.
C’est aussi ce que faisait Gustav Mahler. C’est une technique que j’ai beaucoup utilisée dans mes précédents films pour Pixar, beaucoup moins sur ce dernier car je devais surtout tenir compte de la façon dont les moteurs des voitures sonnent. Ma préoccupation principale était plutôt de me faire entendre en passant outre leur bruit qui se situe plutôt dans le médium, ce qui fait que je me suis davantage concentré sur l'énergie et la puissance des timbres que sur les tessitures. C’est certainement ma partition la plus présente de tous mes Pixar. Sur les autres films, la musique était très en retrait. C’est tout le contraire ici.
De fait, votre partition est extrêmement cuivrée, en particulier dans les séquences de courses. Cela a-t-il un rapport avec l’aspect métallique des héros de cette histoire ?
Ce ne fut pas tant un effet de style qu’une nécessité pratique. Dans le tumulte de la course, avec le bruit des moteurs, deux flûtes n’auraient pu passer. Il fallait beaucoup plus de puissante. Lorsque les effets sonores sont très bruyants et que vous voulez être entendu – c’est-à-dire que vous pensez que la musique a vraiment quelque chose d’unique à apporter à cette scène-, il est presque inévitable de songer aux cuivres, aux cordes à l’unisson, ou bien core aux bois écrits très aigus, avec beaucoup de trilles. Aujourd’hui, la jeune génération comme Hans Zimmer ou, par moments, James Newton Howard, privilégient les graves, et chargent l’orchestre dans ce sens. Dans CARS, cela n’aurait pas marché. J’ai donc opté pour les cuivres. J’ai eu le sentiment que c’était ce que le film demandait, c’est ce dont il avait besoin.
En parlant de couleurs musicales, que pensez-vous de ce qu’a fait votre cousin, Thomas Newman, sur LE MONDE DE NEMO ?
NEMO est encore un film très différent dans la mesure où il se situe sous l’eau. En conséquence, Thomas a choisi une approche plutôt atmosphérique. Et tout en ayant cette approche, il a réussi à impliquer la musique dans l’action. Car j’estime que, même si les personnages du film vont plutôt lentement, comme s’ils flottaient dans l’espace, on ne peut pour autant les laisser bouger sans commentaire musical. Cela ne veut pas dire pour autant refaire du Carl Stalling, mais trouver un juste milieu. En ce sens, je trouve que sa musique aide beaucoup le film, ce qui est, je pense, essentiel. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons beaucoup apprécié son approche coloriste et contemporaine de la musique de dessin-animé.
Je crois que c’est une bonne définition. Il a un style bien à lui qui s’est très bien intégré dans le monde de Nemo. Cela fonctionne très bien, tout comme l’approche jazzy de Michael Giacchino pour LES INDESTRUCTIBLES.
THE BIG RACE / DIRT IS DIFFERENT
« La musique que Randy a écrite pour CARS-QUATRE ROUES reflète les deux mondes du film, explique John Lasseter. Le monde moderne où tout ce qui compte, c’est d’aller vite, et celui de Radiator Springs, où la seule chose qu’ils ont, c’est du temps. Tout est plus lent là-bas, et Randy traduit cela par un mélange de bluegrass, de jazz et de pure Americana. Le monde de la course, lui, est surtout illustré par le rock. » Une opposition entre la ville et la campagne qui gouverne tout le film, moteur de l’histoire, moteur de la musique…
Lors des séquences de course, vous avez intégré des éléments issus du rock, guitare électrique et batterie. Comment les avez-vous sertis à l’intérieur de l’orchestre ?
Il existe une véritable tradition d’intégration du rock dans l’orchestre symphonique, remontant probablement aux Moody Blues. Cette fusion est notamment possible à travers les basses, électrique et acoustiques, qui peuvent aisément se doubler. Avec la guitare électrique, c’est un petit peu différent. Une seule guitare peut sonner comme deux orchestres. Mais en même temps, cela ouvre toutes sortes de possibilités de dialogue : avec les cuivres ou avec les violoncelles. Vous savez, les courses de stop-cars ici aux Etats-Unis, sont toujours retransmises sur un fond de Heavy Metal. Il est vrai que cela passe très bien. Mais on n’entend jamais d’orchestre symphonique. Je me suis donc dit qu’on devait essayer. Or, cela pose des problèmes si on veut faire quelque chose d'un peu dramatique -au sens théâtral du terme-, notamment à cause du fait que l'orchestre ne peut être aussi présent, du point de vue de l'enregistrement, qu'un synthétiseur ou une guitare électrique, qui prennent tout de suite le devant de la scène et qui vous sautent immédiatement aux oreilles. C'est ainsi que, dans le film, la première course commence par la chanson de Sheryl Crow. Puis les moments d'action pure sont repris par la guitare électrique. Enfin, les moments dramatiques sont joués par l'orchestre, lorsqu'on suit ces personnages dans leurs exploits, dans leurs aventures ou leurs mésaventures. C'est le genre de choses qu'on ne peut pas exprimer avec une grille de rock'n roll basée sur une structure répétitive et immuable de quatre mesures. La musique d'animation demande beaucoup plus de flexibilité, afin de suivre au plus près ce qui se passe à l'écran.
Comment vous êtes-vous organisé pour les enregistrements?
En fait, la plupart du temps, le groupe de rock a été enregistré à part, avant l'orchestre. Ce n'est qu'ensuite que nous avons rajouté l'ensemble.
Pouvez-vous nous parler de l'autre aspect du film, celui plus populaire de Radiator Springs?
Compte tenu du fait que la Route 66 traverse tous les Etats-Unis d'Est en Ouest, Flash McQueen aurait pu atterrir n'importe où. Seulement, le fait est que John Lasseter a voulu que la population de Radiator Springs soit empreinte de la culture texane et du style de vie de l'Ouest américain. Cela s'entend par exemple dans la façon de parler des habitants. Si Flash avait débarqué dans une ville de l'Arizona, cela aurait été aussi intéressant de se tourner vers la culture hispanique avec bongos et autres. Mais ces gens sont vraiment des gens de l'Ouest, des gens de la campagne pour la plupart, vivant dans une ville typiquement américaine. A partir de là, le bluegrass était naturel.
La mandoline fait partie intégrante du folklore américain, et vous êtes passé de façon très amusante du bluegrass à l'Italie pour Luigi et Guido!
C'est un duo d'Italiens un peu stéréotypé, mais extrêmement drôle. Je crois d’ailleurs que ce sont mes personnages préférés dans le film. Tony Shalhoub (MONK) fait la voix originale de Luigi : il est irresistible! Lui et Guido ne s'intéressent qu'à une chose : les Formule 1. C'est vraiment un duo de dessin-animé. Leur humour est tellement exagéré qu'on ne pourrait l'imaginer dans un film en prises de vue réelles. Et finalement, musicalement, ce fut assez délicat car il ne fallait rien dénaturer. Je me suis donc d'abord orienté vers le CAPRICCIO ITALIEN de Piotr Illitch Tchaïkovski. Cela m'a beaucoup plus, et les gens de Pixar ont bien aimé, eux aussi. Puis j'ai également pensé à la mandoline, plus simple et plus directe. Il fallait bien doser l'ensemble car l'exagération est finalement plus délicate qu'on le pense.
De même que pour le rock, comment s'est passée l'intégration du bluegrass dans l'orchestre symphonique, comme par exemple dans le très beau New Road?
Les solistes, guitares et mandolines, sonnent naturellement très bien avec l'orchestre symphonique. J'ai donc procédé comme pour un concerto, avec les solistes d'un côté, et les cordes et les bois de l'autre.
Cela donne une profondeur inédite et magnifique à la musique traditionnelle américaine.
C'est exactement ce que m'ont dit les gens de Pixar, et c'est exactement ce qu'ils désiraient : montrer cette profondeur dans cet univers populaire. Personnellement, je trouve que la musique bluegrass avait déjà, à sa façon, cette profondeur. Mais ils ont vraiment voulu la souligner pour la rendre accessible à tous, même à ceux qui ne sont pas familiers de ce style.
Votre traitement des bois dans les séquences de Radiator Springs est à ce titre très délicat : comme quoi les habitants de Radiator Springs ne sont pas si rustres!
Cette ville est abandonnée depuis si longtemps que l'arrivée d'une nouveauté est comme une renaissance pour eux. Chaque instrument à vent est un peu comme un personnage qui renaît tout doucement. C'est un aspect dont je suis très fier pour sa belle fusion entre l'histoire et la musique.
WHEN SOMEBODY LOVED SONGS
Si Disney a pu insister auprès de Pixar pour qu’il y ait trois chansons dans TOY STORY, force est de constater que la nouvelle génération d’animateurs par ordinateur n’est pas très encline à inclure des airs dans ses films (LE MONDE DE NEMO, LES INDESTRUCTIBLES). Et pourtant, toute règle a ses exceptions, et CARS-QUATRE ROUES possède son lot de mélodies, originales ou reprises.
Du côté des nouveautés, Sheryl Crow transmet toute la fièvre de la course dans la séquence d’ouverture du film avec Real Gone, une nouvelle chanson qu’elle a écrite avec le producteur John Shanks, tandis que Brad Paisley, grand nom de la country, a écrit deux chansons pour le film, Find Yourself et Behind the Clouds.
Côté, reprises, on peut entendre deux classiques. Le célèbre groupe de country Rascal Flatts chante une nouvelle version de la chanson de Tom Cochran, Life Is A Highway, alors que le chanteur et guitariste John Mayer, lauréat de plusieurs Grammy Awards, a repris le standard de Bobby Troup de 1946, Route 66. La bande originale du film comprend aussi des chansons de Hank Williams (My Heart Would Know), Chuck Berry (Route 66) et The Chords (Sh-Boom).
Sans oublier la sensible et nostalgique Our Town, composé par le grand Randy…
CARS présente beaucoup plus de chansons que les précédents Pixar. Pouvez-vous nous parler de votre contribution en la matière?
Il est vrai que beaucoup d'artistes issus de la country ont participé à ce film : Rascal Flatts, Sheryl Crow, Brad Paisley… C'est inhabituel, mais ce n'est pas une mauvaise idée dans ce cas. Les créateurs du film ont pris beaucoup de précautions afin que les chansons ne ralentissent pas l'action et n'interfèrent pas avec elle. Il arrive qu'elles apparaissent par-dessus un dialogue, mais sans jamais altérer la compréhension. Our Town, la chanson que j'ai écrite pour ma part, est une sorte d'évocation de ce qu'était Radiator Springs dans le passé, une façon d'expliquer la situation à McQueen et au public en même temps. Ce qu'elle était autrefois et ce qu'elle est devenue aujourd'hui. Ce phénomène doit aussi exister en France. Quand ils ont construit l’autoroute de Nashville, certains villages ont été contournés et ont dépéri. Les commerces, qui sont le cœur d’une communauté, ont fermé. C’est ainsi que certaines villes sont florissantes et d’autres se meurent, comme Radiator Springs. Au début, John m’a fait un tableau très précis de ce qu’ils voulaient, j’ai composé en fonction de leurs descriptions, et les gens de Pixar ont animé en fonction de la chanson. Cela se passe exactement de la même façon à chaque fois et je suis toujours émerveillé du résultat à l’image. Je me rappelle notamment de When Somebody Loved Me dans TOY STORY 2. J’étais inquiet à propos du fait du fait que les plus jeunes, les enfants de 3 à 5 ans, puissent ne pas se sentir concernés par ce genre de ballade lente, et par les problèmes d’une adolescente qui oublie progressivement sa poupée. Et pourtant, ça a marché ! Ce sont de tels professionnels, et John Lasseter a un tel instint pour la musique. J’avais peur d’écrire une ballade, mais comme ils me l’ont demandé, je l’ai fait parce que je savais qu’ils savaient exactement où ils voulaient en venir, ils étaient sûrs de la force de leur histoire.
Si CARS possède son propre univers musical, beaucoup de gestes musicaux de sa partition nous renvoient avec tendresse et nostalgie aux précédents Pixar que vous avez faits.
Il est vrai que l'aspect "western" de Radiator Springs n'est pas sans rappeler l'univers cowboy de "Western Woody" et ses amis ("Woody's Roundup"). De plus, s'il y a de l'héroïsme dans CARS, il y en a dans tous les autres films, quand les choses se passent bien pour les différents personnages. Mais le parallèle s'arrête là. Certes, QUATRE ROUES est truffé de références visuelles aux autres Pixar, et notamment à TOY STORY (le "Lightyear" sur les roues de Flash, ou encore le « 95 » -l’année de sortie du film- qu’il arbore). Mais le fait que les TOY STORY se passent majoritairement en intérieur alors que CARS se passe majoritairement en extérieur a changé beaucoup de choses dans mon approche. Cela m'a demandé d'élaborer un tout autre univers sonore. Par exemple, moi qui suis très attaché au piano, je me suis dit que ce n'était pas une bonne idée ici car le piano me semble évoquer davantage l'intérieur que l'extérieur.
THE FINISH LINE
Toute bonne histoire a sa morale, et CARS n’y fait pas exception, comme nous l’explique John Lasseter : « Dans QUATRE ROUES, il s’agit avant tout de s’amuser avec un film plein de couleur et de bonne humeur. Mais c’est aussi une histoire très émouvante dont le propos est de dire que ce qui compte dans la vie, c’est le voyage lui-même. Cela n’a rien à voir avec la destination. L’essentiel, c’est de profiter de ce qu’on a ici et maintenant. » Une philosophie qui n’a pas laissé Randy Newman insensible…
La morale du film est que « l’important n’est pas où tu arrives, mais comment tu y arrives ». Qu’en pensez-vous?
Je suis tout à fait d’accord avec cette philosophie en ce qui concerne le travail. Vous vous levez le matin et déjà vous vous sentez mal en pensant à tout le boulot qui vous attend. Vous croyez que vous n’avez pas d’inspiration et que vous allez attendre toute la journée que ça se passe…Et puis soudain, arrive la lumière, une surprise, l’inspiration. Et peu importe comment les choses évolueront, le meilleur moment du processus de création d’une musique, c’est celui-ci. C’est quelque chose que j’ai appris au cours du temps. Cela ne change rien au fait que j’ai toujours une sainte horreur du travail (rires) ! Et pourtant composer, résoudre des problèmes reste ce qui me plaît dans le métier. Une chose encore : songez un instant que CARS est un film familial, donc un film destiné notamment aux enfants et que le propos de ce film est de dire : prenez votre temps, faites-vous plaisir, c’est là que vous toucherez à l’essentiel. C’est une philosophie très sophistiquée, très adulte et très ambitieuse. Je suis très curieux de voir ce que cela donnera auprès des enfants. Je pense que la plupart d’entre eux n’y verront qu’un film amusant. Mais il n’en reste pas moins que le film possède un véritable contenu, incarné notamment par le personnage de Mater. C’est à la fois l’un des plus drôles jamais créés par Pixar, mais aussi celui qui incarne toutes ces valeurs.
Randy Newman : rat des villes ou rat des champs ?
Je préfère de beaucoup lorsque les choses vont doucement. J’ai toujours apprécié les lieux un peu reculés et isolés comme Radiator Springs. J’aime la pêche, les rivières et les forêts. Je ne supporte plus Los Angeles. Je préfère me retirer, à l’écart, pour profiter de choses simples.
Quel type de voiture possédez-vous actuellement ?
J’ai une BWV. Mais plus que la marque, je dois avouer que j’apprécie beaucoup le fait que ce soit une voiture hybride… pour le silence absolu du moteur ! L’idéal pour un musicien !
Tendres remerciements à Christine Blanc.
Special thanks to Randy Newman and Maria Kleinman.
1 Comments:
ce film est grandiose, superbe j'aime beaucoup la musique et les personnage, ils sont vraiment extraordinaire vivement la sotie d'un deuxième Cars!!!
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