vendredi, février 29, 2008

RATATOUILLE EN DVD : Entretien avec le compositeur Michael Giacchino

Michael Giacchino est un grand chef. Un grand chef en musique! Alors n'allez pas lui demander la recette d'une bonne musique: il ne sait faire que de l'EXCELLENTE musique!

Comme le dit Rémy, un bon plat commence par de bons ingrédients. Et Michael Giacchino s'y entend comme pas deux pour sélectionner les différentes saveurs de son orchestre, tant par un choix méticuleux des instruments que des musiciens.

Et avec lui, c'est pas du réchauffé. Ses musiques sont servies telles quelles, avec les défauts mais surtout les qualités humaines et artistiques de la spontanéité. C'est le secret d'une musique pleine de parfums et de surprises.
Car s'il est bien une partition surprenante, c'est bien celle de Ratatouille.

Pas de musiquette franchouillarde ici. Mais plutôt un plat aux épices venus des quatre coins du monde, inspirés par une histoire vraiment pas comme les autres. Les critiques ne s'y sont d'ailleurs pas trompés : un Golden Globe, un Grammy, un Annie, plus tout un tas de nominations, à commencer par les Oscars! Excusez du peu!

Alors, après s'être révélé "extra-terrien" en nous invitant à scruter le ciel, Michael Giacchino nous plonge maintenant le nez dans l'assiette et le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un régal!...




Vous étiez à Paris pour la Première mondiale de Ratatouille. Comment c’était de se retrouver dans la ville de Rémy ?
Ce fut fantastique d’être à Paris ! Je me suis éclaté ! C’était vraiment le meilleur endroit pour voir ce film. J’y ai donc amené toute ma petite famille ! Voir Ratatouille dans ces conditions avec mes enfants, c’était vraiment quelque chose. En Français, sans sous-titres, c’est-à-dire sous sa forme idéale. J’ai aussi adoré travailler avec la chanteuse française Camille pour la chanson du film, Le Festin. Elle a été merveilleuse ! Au fait, vous savez comment je l’ai découverte ? C’est une histoire assez originale !

Racontez-nous !
J’ai tout simplement tapé «female French vocalist » sur Google. Des centaines et des centaines de noms se sont alors affichés et je me suis mis à écouter différentes choses. C’est alors que je suis tombé sur son site et que j’ai adoré sa voix et les chansons qu’elle a écrites. Elle m’est tout de suite apparue comme une personne extrêmement créative. Je l’ai donc appelée pour lui demander si elle serait intéressée par le fait de chanter la chanson du film. Comme vous le voyez, cela s’est fait de façon totalement spontanée, comme ça !




Comment avez-vous travaillé avec elle ?
Ce fut vraiment génial. Il est très agréable de travailler avec elle. Elle est très créative, et très sérieuse dans ce qu’elle fait. Ce qui ne l’empêche pas non plus de savoir s’amuser !

Qu’a-t-elle apporté à la création de la chanson ?
En fait, quand nous sommes entrés en studio, le cadre général de la chanson était déjà prêt. Ceci dit, elle a apporté des choses très intéressantes quant à la manière de l’interpréter, sur la façon de phraser certains passages. Elle a vraiment des idées excellentes ! Puis nous avons travaillé ensemble sur les harmonies, les passages à plusieurs voix. Cela n’était pas écrit et nous avons créé tout cela ensemble, sur place, lors de l’enregistrement.

Où cela s’est-il passé ?
A Vancouver.

Camille a également fait la voix française de Colette.
Absolument. Lors de l’enregistrement, les gens de Disney ont adoré sa voix et lui ont proposé une audition pour la voix de Colette. Et c’est comme cela qu’elle a eu le rôle !




En général, les films de Brad Bird n’ont pas vraiment de chansons. Comment se fait-il que Ratatouillle y fasse exception ?
Ce fut très intéressant. Au départ, il voulait une vieille chanson typiquement française pour cette section du film et je me suis dit que peut-être nous pouvions envisager quelque chose de différent, quelque chose qui soit propre à ce film. Parce le film en lui-même est tellement différent, tellement spécial. Il lui fallait quelque chose qui ne sonne pas cliché par rapport à l’image que le grand public se fait de la France. Simplement une bonne chanson dont on pourrait, je l’espère, se souvenir et apprécier longtemps, car le film est tellement bon qu’il a de quoi durer pour l’éternité ! En fait, le thème de la chanson provient du thème principal du film. C’est l’une des premières choses que j’ai écrites. Au moment d’écrire cette chanson, j’ai essayé plusieurs choses puis je me suis dit que, finalement, adapter le thème principal du film serait la meilleure solution. C’est à Brad que l’on doit cette idée de mettre une chanson au milieu du film et de la terminer à la fin comme un résumé, et de fait, elle s’est très bien intégrée dans l’histoire. Brad voulait par dessus-tout une chanson qui puisse incarner le film.

Dans la mesure où le film a été initié par Jan Pinkava puis repris par Brad Bird, à quel moment de la production êtes-vous arrivé ?
Quand je suis arrivé, Jan était toujours là. Il a un talent fou et c’est l’une des personnes les plus gentilles qu’il m’a été donné de rencontrer. Ceci dit, je n’étais pas présent quand il a décidé de quitter Pixar. Mon interlocuteur a toujours été Brad. Jan avait plutôt choisi Marc Shaiman comme compositeur. Mais sur ce genre de projets, les choses changent souvent. Il n’y avait rien contre Marc non plus car c’est un musicien remarquable. Ce fut juste une question de circonstances. J’ai donc accepté de faire la musique de Ratatouille parce que c’était Brad qui me le demandait. C’est un de mes meilleurs amis et je m’étais déjà éclaté avec lui sur Les Indestructibles.





Chaque histoire revisitée par Brad Bird devient unique. C’est aussi comme cela que vous fonctionnez avec lui ?
C’est comme cela qu’il fonctionne. Il ne fait rien s’il ne peut pas en faire quelque chose d’original et de différent, s’il ne peut pas raconter une histoire connue de façon inédite. C’est la même chose en matière de musique. Il me permet de faire tout ce que je veux, de proposer mes propres idées. Il ne vous oblige à rien. Il a ses propres idées, il m’en fait part, mais après, il me laisse les mains libres pour mettre tout cela en place, ce qui est très appréciable ! Ensuite, nous travaillons ensemble sur les détails. Ce que j’ai par dessus tout, ce sont les moments passés avec lui en studio d’enregistrement. C’est une véritable collaboration. Il suggère des choses et on les intègre sur place. C’est toujours très amusant ! Il parvient toujours a tirer le meilleur de ses collaborateurs et de son côté, il sait comment apporter de l’énergie et de l’enthousiasme à son équipe. Il est avec nous comme avec lui-même.



Avait-il mis sur pied une partition temporaire pour vous guider ?
Pas vraiment. C’était quelque chose de très vague parce que le film devait avancer le plus rapidement possible. Quand Brad a repris les choses en main, il fallait que tout soit bouclé en un an et demi : la ré-écriture du scénario, le nouveau storyboard, ect. Dans ces conditions, il a bien mis des musiques sur certaines images, mais c’était plus pour lui, pour saisir une ambiance, que pour me guider. Au contraire, il me disait lui-même qu’il ne savait pas comment devait sonner son film. Et je dois avouer que moi non plus au départ ! C’était un film si différent. Au final, la musique de Ratatouille est un mélange de toutes sortes de choses qui, miraculeusement, fonctionnent très bien ensemble. C’est comme le jazz et comme la cuisine : on jette des tas de choses dans la casserole et on voit ce qui fonctionne. On fait des essais. Ce qui rend ce genre d’approche à la fois très compliquée, mais très amusante !

Quand on pense au concept du film –un rat qui cuisine à Paris- on ne songe pas un instant à tous les styles que vous avez mariés dans votre partition, du jazz à la musique sud-américaine en passant par Gerswhin. Comment avez-vous réalisé cette recette unique ?
Euh… en fait, je ne sais pas ! Il y a une grande part d’intuition dans tout cela, en y mettant le meilleur de moi-même. J’ai parlé avec Brad de notre vision de Paris. D’habitude, quand on pense à la France, on image un accordéon et d’autres clichés du même ordre. Mais la réalité, c’est que Paris est elle-même un mélange de toutes sortes de choses, des gens différents, de toutes origines, et donc des musiques de toutes origines. C’est ainsi qu’on retrouve dans ma musique un peu de big band ici, un peu d’orchestre là, un peu de musique de café, intime, ailleurs, etc. Tout est là. Tout ce qui est dans le film vient vraiment de la ville elle-même. Cela aurait été facile de prendre un accordéon, un violon jazz et une guitare jazz et puis basta ! Mais le film est beaucoup plus profond que cela et demandait quelque chose de beaucoup plus riche. Car cette histoire traite avant tout de personnages. C’est ainsi que Brad l’a écrite. Et c’est cela qui m’a guidé.


Ratatouille est aussi un film sur le « bon goût ». Comment met-on ce concept en musique ?
En soit, il n’y a rien de mal à utiliser un accordéon, par exemple. Tout le secret est dans la façon de le faire : quand et comment. Vous avez parfaitement raison de souligner cet aspect des choses. Il ne s’agit pas simplement de mélanger différents éléments, il s’agit également de savoir doser tout cela ! Ce fut une de nos principales préoccupations.

En parlant d’accordéon, nous avons parlé à Frank Marocco, qui a fait un travail formidable sur Ratatouille !
Il est incroyable ! Frank Marocco peut tout jouer sur un accordéon ! Prenez Le Festin. Nous avions essayé différents sons, de l’harmonica à l’accordéon de base, puis il est venu et nous a présenté un accordéon dont le son était à mi-chemin entre les deux, quelque chose d’inattendu. On pense à une clarinette, mais ce n’est est pas ; on pense à un accordéon classique, mais ce n’en est pas non plus. De fait, le son qu’il a apporté à la chanson ne la situe plus seulement dans un Paris de cliché, mais bien dans le monde.


A présent, j’aimerais évoquer avec vous certaines séquences en particulier. Déjà, le début du film. On se retrouve dans la campagne française, dans un univers champêtre, calme et paisible, et finalement il n’en est rien quand on voit cette mamie-gâteau pas comme les autres, chassant les rats de sa maison à coup de tromblon !…
C’est vrai que j’aurais très bien pu me focaliser sur ce petit coin de campagne française, mais j’ai préféré me concentrer sur Rémy et sur ce qu’il fait. Et ce qu’il fait la plupart du temps, c’est penser « cuisine », penser à la nourriture, penser à toutes les choses qu’il aimerait faire. Par conséquence, la plupart du temps, ma musique est dans cet état d’esprit. Puis, quand la grand-mère débarque, j’ai voulu faire un virage à 180 degrés ! D’un seul coup, c’est du grand orchestre ; une grande musique d’action symphonique qu’on ne s’attend pas à trouver associée à une mamie comme ça ! C’est comme quand elle se met à tirer avec son fusil de chasse. On ne s’attend vraiment pas à cela ! C’est pourquoi ma musique déborde un peu ici et en rajoute au moment où les rats tombent du plafond et se mettent à courir dans tous les sens pour évacuer la maison. J’ai imaginé quelque chose d’aussi frénétique et déjanté que le film ! Puis, quand elle met ce masque, j’ai mis de mon côté un accord de vrai méchant de cinéma ! Je me suis régalé !

De façon assez surprenante, il n’y a pas de musique quand Rémy descend les rapides dans les égouts.
J’ai bien écrit une musique pour ce passage, mais très tôt, même avant l’enregistrement, je me savais que je ne l’utiliserais pas. Mais nous l’avons quand même enregistrée, simplement pour l’avoir. On ne sait jamais. Mais nous avons délibérément recherché des moments dans le film où nous pourrions nous dispenser de musique et je crois que c’était le parfait exemple où vous n’avez pas besoin d’en rajouter pour comprendre la scène ou ressentir plus de choses. Le propos était parfaitement clair, tout était déjà là. Vous savez, il y a toujours en risque qu’en dramatisant à l’extrême on en arrive à l’effet inverse de ce qu’on recherche et à faire décrocher le public. Juste après cette scène, on retrouve Rémy seul et désemparé. Là, la musique apporte vraiment. Si j’avais fait quelque chose du genre « danger, danger, danger », puis « solitude, solitude, solitude », cela aurait fait trop. J’ai laissé l’action parler pour elle-même pour mieux souligner le fait que Rémy se retrouve tout seul.

Pour moi, l’un des plus beaux morceaux de Ratatouille, c’est celui qu'on entend au moment où Rémy passe des égouts aux toits de Paris.
C’est une scène très intéressante musicalement car elle commence de façon très intime : le quatuor à cordes et une flûte, tandis qu’il évolue entre les murs. Et à mesure qu’il se rapproche du toit, je rajoute des instruments. Ce que j’essaie toujours de faire, c’est de commenter ce qui se passe à l’écran tout en essayant de rester invisible. C’est comme si on prenait un morceau de musique, qu’on le collait à une image et qu’on s’aperçoive qu’il convient parfaitement. Je ne cherche pas à me faire remarquer. Si vous faites trop de Mickey Mousing, la musique en devient segmentée, comme éclatée. Il faut au contraire que la musique soit naturelle. Taillée pour le film mais intéressante pour elle-même également. J’aime ce genre de défi. Et puis, il y a la découverte de Paris, de ce dont il a toujours rêvé, avec la première apparition de son thème avec l’orchestre au grand complet.



C’est vrai que dans cette séquence, on comprend que Rémy a deux thème, en fait. Un pendant l’ascension et un au moment de la découverte de Paris.
Exactement. Le premier représente qui Rémy est et l’autre qui il voudrait être. Le premier, c’est sa réalité, son thème de rat, le second, plus nostalgique, ce sont ses rêves et ses espoirs.


Pour autant, un peu plus tard dans le film, au moment où Rémy « répare » la soupe de Linguini, c’est son thème de rat que l’on entend, alors qu’il est bel et bien en train de cuisiner.
J’ai choisi d’utiliser le thème de la réalité car Rémy est en quelque sorte coincé dans cette cuisine. Et même s’il ne lui faudrait qu’une second pour s’échapper, il est bel et bien dans cette cuisine, au risque d’être découvert en tant que rat d’une second à l’autre. Avant de descendre dans la cuisine, il a bien conscience de n’être qu’un rat. Ce n’est qu’ensuite qu’il se lance dans la préparation de la soupe. Mais là encore, le danger est présent parce qu’il est un rat. C’est la raison pour laquelle j’ai arrangé son thème de façon joyeuse quand il cuisine, tout en gardant à l’esprit la réalité. Pour moi, ce n’était pas encore le moment où Rémy se réalise complètement. Ce n’est qu’accident au milieu d’une fuite. J’ai préféré garder le thème du rêve pour des moments vraiment émotionnels. Ici, c’était encore un peu tôt.



Venons-en maintenant au thème de Linguini, que l’on entend, sifflé, tandis que Rémy et lui s’entraînent à cuisiner ensemble.
Il s’agit d’un musicien de l’orchestre, Bobby Shulgold. Il joue de la flûte et du piccolo, mais c’est aussi un siffleur remarquable. Je lui avais déjà demandé de siffler lors d’un épisode d’Alias et j’ai toujours voulu recommencer, attendant le film pour lequel cela aurait du sens d’entendre quelqu’un siffler et ce passage était le moment idéal. Brad voulait une sorte de musique de cowboy car dans cette scène, Rémy est comme en train de « chevaucher » et de « tenir les rennes » de Linguini !

Tout comme Rémy, Colette a un thème double.
La partie principale de ce thème, qui ouvre les End Creditouilles, est pleine de confiance. C’est une sorte de tango et vous savez que, dans le tango, les danseurs semblent toujours être très sûrs d’eux. C’est ce qu’est Colette à l’extérieur. C’est ce qu’elle doit montrer d’elle-même dans la cuisine. Mais il y a une part d’elle plus romantique et plus fragile, c’est ce qu’elle est à l’intérieur. C’est un personnage très complexe. Elle doit se montrer forte, mais ce n’est pas qui elle est vraiment, et c’est ce que j’ai voulu montrer à travers ce double thème.


Anyone Can Cook apparaît à la fin du film, tandis qu’Ego nous lit sa fabuleuse critique. C’est un moment très touchant et une façon assez originale de conclure un film comme celui-là.
En fait, ce morceau fait partie des premières choses que j’ai écrites pour le film. Quand je l’ai vu pour la première fois, je suis rentré chez moi et j’ai écrit cela. Je n’avais pas les images en face de moi. J’ai juste écrit ce thème. C’est cette scène qui me l’a inspiré. Pour moi, c’est le moment du film où tout prend sens, où l’on comprend vraiment de quoi il s’agit dans cette histoire. Tout le reste découle de là. Et c’est Ego qui nous explique le message du film. C’est une scène très émouvante. Et c’est Ego qui nous explique le message du film. C’est une scène très émouvante. C’est d’ailleurs assez paradoxal de regarder un film sur un rat qui veut cuisiner et de s’émouvoir à ce point. C’est, je pense, la raison pour laquelle le film fonctionne. Parce Brad écrit en pensant « personnages » et non pas en pensant « caricature ».


Sur le principe, End Creditouilles m’ont fait penser aux Incredits des Indestructibles.
Cela a été fait dans le même esprit. Comme vous le savez, Brad adore mettre de grandes musiques pour ses génériques de fin, un peu comme des ouvertures, afin de célébrer le film. J’ai donc repris les thèmes de tous les personnages et je me suis amusés avec. Cela donne une impression d’improvisation, précisément parce que j’ai laissé de l’espace pour que les solistes de l’orchestre puissent apporter leur marque et se lâcher. L’idée derrière cela est de faire comme si on délirait dans une cuisine en improvisant un plat, en mélangeant toutes sortes d’ingrédients pour voir ce que cela fait ! C’est d’être vraiment libre de faire ce que l’on veut ! Et le jazz est pour moi la meilleure expression de cette liberté.



Ce qui formidable, c’est que lorsqu’on écoute le cd de la musique du film, on en revoit chaque épisode, comme si votre musique nous re-racontait l’histoire.
J’essaie toujours d’écrire une musique sur mesure pour chaque scène du film. Il y a des raisons très précises pour chaque détail, chaque structure musicale. Je ne me lance pas à l’aveugle dans telle ou telle musique d’action. Je m’interroge avant tout sur son sens, sa place dans l’histoire. C’est ainsi que chaque musique est adaptée aux enjeux de chaque scène. C’est la façon dont j’ai toujours ressenti la musique de film, et ce depuis mon enfance. Pour moi, la musique me permettait de revivre l’histoire du film et je me repassais encore et encore la musique pour pouvoir revivre cette expérience que j’avais eue au cinéma. A l’époque, il n’y avait pas de VHS, et encore moins de dvd ! Par conséquent, à moins de retourner au cinéma, la musique était votre seul moyen de refaire l’expérience du film. C’est certainement la raison pour laquelle c’est si important pour moi que la musique exprime vraiment chaque scène.

Avez-vous enregistré l’orchestre live avec tous les musiciens en même temps, comme vous l’aviez déjà fait pour Les Indestructibles (alors que beaucoup de compositeurs enregistrent les différents pupitres plus ou moins séparément) ?
Absolument. Je ne suis pas du tout contre les synthétiseurs. Je pense qu’on peut les utiliser de façon très créative comme l’a fait Jerry Goldsmith, qui est passé maître en la matière. Il savait les utiliser sans les faire passer pour des instruments qu’ils ne sont pas. Or, sur Ratatouille, je n’avais aucunement besoin de synthétiseurs. Ce film parlait de choses réelles, authentiques, et de gens réels. Je n’avais pas besoin de sonorités synthétiques, mais d’une réelle instrumentation. C’est quelque chose à laquelle je tiens sur la plupart de mes projets. Je n’aime pas beaucoup enregistrer les différentes voix séparément parce qu’il me semble qu’on ne donne pas à l’orchestre l’occasion de s’exprimer totalement en tant que tel. Et utiliser des synthétiseurs à la place des musiciens ne vous donnera jamais l’énergie qui se dégage quand des dizaines de musiciens jouent ensemble dans la même pièce. Il y a toujours des choses qui se passent entre les différents pupitres : cordes et vents, percussions et cuivres, cordes et cuivres. Rien ne remplace le fait de jouer ensemble. C’est là que se passe la magie. En enregistrant pupitre par pupitre, vous n’obtiendrez jamais le vrai son d’un orchestre, ce son qui vient du fait que tous les artistes sont dans la même pièce et vibrent ensemble. J’ai grandi en écoutant de vrais orchestres. C’est le son que j’aime ! Je n’envisageais jamais de procéder autrement. Et puis, il y a le contact avec ces musiciens extraordinaires que j’adore. Quand je compose, je n’attends qu’une chose, c’est de les écouter jouer ma musique ! Parce que je sais ce que ces gars en feront !

Vous avez également composé la musique du jeu vidéo Ratatouille, ce qui est assez inhabituel.
En général, les jeux vidéos tirés de film ne sonnent en rien comme les films. Cela vient probablement du fait que j’ai fait mes premières armes dans ce domaine mais j’essaie toujours de m’impliquer le plus possible dans les adaptations vidéoludiques de mes films. C’est le seul moyens pour que le film et le jeu appartiennent vraiment à la même famille.



Chose encore plus rare, ce sont les thèmes musicaux du film que l’on retrouve dans le jeu !
Absolument, et je vous avoue que j’ai vraiment dû me battre pour qu’il en soit ainsi et pour qu’ils paient Disney pour avoir le droit de le faire! Je crois très sincèrement que cela en vaut la peine. Si les enfants veulent jouer à un jeu, c’est parce qu’ils veulent re-vivre l’expérience du film. Et la musique en est pour une bonne part. Imaginez jouer à un jeu Star Wars sans les thèmes de John Williams ! Cela n’aurait aucun sens. C’est ainsi que pour le premier jeu des Indestructibles, ils m’ont demandé de composer un thème original qui soit directement dérivé de celui du film. Mais pour le second jeu des Indestructibles, j’ai tapé du poing sur la table pour avoir le vrai thème du film. J’ai appris à être ferme pour obtenir ce que je veux et ce que je pense être le mieux pour les joueurs. Cela va jusqu’à faire appel aux même musiciens pour le film et pour le jeu. Pour le film Ratatouille, nous avons fait deux sessions, une en novembre 2006 et une autre en avril 2007, et la musique du jeu a été enregistrée entre les deux.

Quels souvenirs garderez-vous de cette expérience ?
Ce film plus que tout autre a été un vrai bonheur car c’est le genre de musique où tous les musiciens impliqués peuvent mettre un peu de leur personnalité. C’était vraiment génial!



Special thanks to Michael and Andrea!

samedi, février 23, 2008

BENJAMIN GATES ET LE LIVRE DES SECRETS : Entretien avec l'artiste de storyboard Giles Asbury

Qui a dit qu'artiste de storyboard n'était pas un métier de terrain?
Eh bien, détrompez-vous. Comme nous l'explique Giles Asbury, qui a pris le relais de Trevor Goring sur la poursuite écheveulée dans les rues de Londres à la recherche de l'artéfact précolombien qui ouvrira les portes de la cité mythique de Cibola, le storyboarder doit s'adapter aux conditions de travail les plus diverses et visualiser parfois dans l'urgence les différentes scènes à tourner.
Un métier bien passionnant à vrai dire, qui a conquis Giles Asbury... et nous avec!
Alors, si vous voulez vous plonger ou vous replonger dans cette poursuite effrénée, l'aventure démarre ici, sur Media Magic, mais également ici, sur le site de Giles Asbury.
Action!


Pouvez-vous nous dessiner à grands traits votre parcours ?
J’ai commencé ma formation en art et en design au Collège pendant deux ans, puis je me suis orienté quelques temps vers la mode, la sculpture et la photographie avant de m’inscrire à la Kingston University pour me spécialiser dans le dessin. Là, j’ai étudié la place de l’Art dans les médias pendant trois ans. Puis j’ai abandonné les études et j’ai fait différents petit boulots pour avoir assez d’argent et m’adonner au snowboard, notamment à Chamonix ! Après quelques saisons comme cela, je suis rentré en Angleterre où je me suis mis à faire des storyboards pour des films d’étudiants afin de me constituer un portefolio. A partir de là, je suis entré dans le monde de la publicité, puis de la télévision et enfin dans celui du cinéma. C’était il y a cinq-six ans.


Comment avez-vous rejoint l'équipe de Benjamin Gates et le Livre des Secrets ?
J’avais rencontré l’un des producteurs du film il y a quelques temps sur un autre projet à Prague, et c’est lui qui m’a proposé de faire quelque chose pour ce film. En fait, il ne s’agit que de deux séquences autour de la fameuse poursuite dans les rues de Londres. Car pour chaque segment de cette séquence, il a fallu imaginer des variations, afin d’explorer toutes les possibilités. Pour cela, j’ai travaillé en étroite collaboration avec la coordinatrice des cascades et la réalisateur de la deuxième équipe.



Comment cela s’est-il passé ?
En fait, d’autres artistes avaient storyboardé cette séquence à partir d’une version préliminaire du scénario et il s’est avéré que leurs dessins n’étaient pas totalement réalisables dans les conditions réelles, par rapport à la spécificité d’un lieu de tournage ou à la dangerosité d’une cascade. Il a donc fallu discuter de façon très précise avec la coordinatrice des cascades et le réalisateur de la deuxième équipe afin de déterminer un scénario réalisable. A partir de là, j’ai dessiné les différentes étapes de cette séquence pour eux selon différents angles de vue de sorte qu’ils puissent effectivement tourner cette séquence. Du point de vue collaboratif, je dirai que, parfois, l’artiste de storyboard peut vraiment apporter un point de vue sur les idées qui lui sont proposées, une façon de filmer, une approche très visuelle du film. Sur Benjamin Gates et le Livre des Secrets, les instructions étaient très précises et mon rôle a plutôt été de donner corps aux idées de l’équipe créative.



Vous travaillez uniquement sur papier. Quand vous avez une scène d’action comme cela à traiter, quels sont les avantages de cette technique par rapport à une approche plus informatique comme le Cintiq, qui permet carrément de réaliser directement des animatiques.
Tout simplement, le crayon est encore beaucoup plus rapide. C’est beaucoup plus pratique car on peut très simplement se rendre sur les lieux de tournage et dessiner une scène de façon réaliste et très rapide. Sur d’autres films que Benjamin Gates, je me souviens qu’on m’avais donné une demi-heure pour dessiner une scène afin que l’équipe puisse tourner dans l’après midi ! En un clin d’œil, j’avais tout dessiné, ils avaient fait les photocopies nécessaires et ainsi toute l’équipe a eu en très peu de temps une vision très précise et uniforme de la scène à tourner.



J’ai été étonné de voir que votre Benjamin Gates ne ressemble pas à Nicolas Cage.
Il est vrai que je savais parfaitement que c’était lui qui devait jouer Ben Gates, mais je n’ai pas vraiment eu le temps de m’occuper de la question de la ressemblance. Cela dépend des besoins de la scène. En fait, il existe deux sortes de storyboards. Il y a ce qu’on appelle « shooting storyboard », qui est un mélange de storyboard et d’infographie, privilégiant l’action, et le « visual storyboard », qui s’occuper davantage des personnages principaux et de leurs actions.



Y a-t-il d’autres utilisation du storyboard ?
Oui. Par exemple, sur Eragon, dans la mesure où il devait beaucoup y avoir d’image infographiques, les créateurs du film ont utilisé nos storyboards pour concevoir une pré-visualisation du film en animant nos dessins par ordinateur ou en s’en inspirant, afin de rechercher les angles et les mises-en scènes qui pourraient rentrer au mieux dans le budget qui leur était alloué.



En tant que fils de Martin Asbury, vous aviez déjà le storyboard dans vos veines, mais qu’est-ce qui vous intéresse personnellement dans cet art ?
C’est vraiment la narration. J’adore visualiser un film dans ma tête. C’est comme quand vous lisez un livre. D’autres que vous peuvent lire le même livre, mais vous l’imaginez à votre façon. Dans ces conditions, le storyboard est une opportunité de coucher sur le papier l’histoire et l’univers que vous voyez dans votre tête. Et c’est un plaisir très spécial quand vous arrivez à convaincre un réalisateur que votre idée est intéressante et que vous parvenez à changer sa vision du film !


Comment expliquez-vous qu’Hollywood fasse de plus en plus appel à des artistes non-américains pour ses films ?
Je pense qu’il y a déjà le fait que les frais de tournages sont inférieurs ici en Angleterre par rapport aux Etats-Unis, ce qui les pousse à venir tourner ici. Et quand ils viennent ici, ils font tout naturellement appel à des artistes anglais. Mais je crois que cela concerne l’Europe en général. De plus en plus d’Européens parlent anglais et ont aussi beaucoup de talent, ce qui explique qu’on trouve de plus en plus de Français ou de Tchèques dans les équipes des films.



Quels sont les derniers films auxquels vous avez participé et qui vont sortir prochainement ?
Il y en quelques-uns parmi lesquels Incendiary de Sharron Maguire et The Other Boleyn Girl de Justin Chadwick, qui devrait être très intéressant.

Storyboard drawings courtesy of Giles Asbury, with all our gratitude!
All rights reserved.

samedi, février 16, 2008

BENJAMIN GATES ET LE LIVRE DES SECRETS : Entretien avec l'artiste de storyboard Trevor Goring

Il n’y a pas que les scénaristes qui créent les histoires de nos films préférés. Les artistes de storyboard ont aussi leur mot à dire. Véritable lien entre le script et le tournage, le storyboard ne fait pas que transcrire l’histoire de façon visuelle. Il apporte une véritable lecture du scénario et peut tout aussi bien proposer des développements inédits, si tant est que le storyboarder bénéficie d’une certaine liberté et d’une certaine créativité!
C’est bien le cas de Trevor Goring, storyboard artist et illustrateur bien connu dans la profession, qui a travaillé non seulement sur les deux Benjamin Gates, mais également sur d’autres superproductions comme Independence Day, Mission : Impossible II, The Ring, Dragon Rouge, Le Monde de Narnia 1 et bientôt 3 (sur lesquels nous reviendrons prochainement !).
Pour Media Magic, il revient sur sa participation à la saga de Jon Turteltaub, celle que l’on peut voir sur nos écran, et celle que l’on ne verra jamais, avec en exclusivité les storyboards originaux de la séquence de la légende des Francs-Maçons du premier opus!


Comment un étudiant anglais en arts graphiques est-il devenu l’un des principaux artistes de storyboard et illustrateur d’Hollywood ?
C’est une longue histoire ! Ma carrière américaine a débuté effectivement quand je suis arrivé à Los Angeles en 1991, mais j’avais déjà une expérience cinématographique dans la mesure où je venais du monde de la publicité, à Londres, où j’ai travaillé dans ce domaine pendant 12 ans. Il faut savoir que lorsqu’une agence de publicité présente un projet à ses clients, elle le fait à partir de storyboards. Auparavant, je suis allé au Collège en Arts à Londres. Mon intention première n’a jamais été de faire du storyboard. Je souhaitais plutôt devenir dessinateur de BD car j’ai grandi en lisant des comics américains et européens.

Comme Tintin !
Absolument. Tintin est la première BD que j’ai lue, et plus précisément Le Trésor de Rackham Le Rouge. A l’époque, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’ils en feraient un film. D’ailleurs, j’adorerais y participer, mais je crois qu’ils vont le produire en Nouvelle-Zélande. Je pense que la BD est une façon de raconter les histoires qui, pour moi, a rendu la transition naturelle vers le storyboard. Je n’avais jamais songé à retranscrire mes idées sous cette forme avant que je découvre l’œuvre de Mentor Huebner et de Sherman Labby, deux grands artistes de storyboard qui ont tous les deux travaillé sur Blade Runner. Et puis, il y a le fait que, pendant que je travaillais dans la publicité, j’ai collaboré avec différents réalisateurs parmi lesquels Martin Campbell, le metteur en scène des deux Zorro.



Votre progression aux Etats-Unis a été fulgurante !
Quand je suis arrivé à Los Angeles, j’ai continué à faire de la publicité, mais j’ai aussi participé à mon premier film, Cobb, juste avant de faire Independence Day, ce qui m’a ouvert pas mal de portes. J’ai alors rejoint le syndicat des artistes de storyboard, car c’est une condition essentielle pour pouvoir travailler avec les grands studios. A partir de là, j’ai fait trois-quatre films par an.



Quel parcours !
Je ne suis pas devenu storyboarder par vocation, mais j’y trouve vraiment mon content à travers cette façon de raconter des histoires et à travers les rencontres que je fais dans le milieu du cinéma. Je ne suis pas le genre de gars qui préfère travailler seul dans son coin. Je le fais occasionnellement, mais la plupart du temps, je travaille au sein du département artistique d’un film. Sur une grosse production, vous pouvez avoir jusqu’à quatre storyboarders et quatre illustrateurs, et nous devons travailler tous ensemble. C’est ainsi que sur Benjamin Gates et le Livre des Secrets, j’ai travaillé en étroite collaboration avec l’un des illustrateurs du film, Nathan Schroeder, sur une scène qui n’a finalement pas été gardée. Nous sommes partis du scénario et nous avons cherché ce que nous pouvions faire du point de vue visuel. Il a créé les designs de cette séquence tandis que je dessinais mes storyboards à partir de ses dessins




Vous étiez déjà familier de l’univers de Benjamin Gates avant de faire Le Livre des Secrets.
Oui. J’avais déjà participé à Benjamin Gates et le Trésor des Templiers. J’ai dessiné la séquence d’ouverture, celle de la légende des francs-maçons, réalisée par Marcus Nispel pour Jon Turteltaub. Vous pouvez d’ailleurs voir l’animatique de cette séquence dans les bonus du DVD qui vient de ressortir, qui se base sur mes storyboards et mes idées pour raconter cette légende. Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont fait appel à Marcus pour la réaliser et que j’ai travaillé avec lui. A l’origine, mon idée était d’avoir un seul plan, avec la caméra qui avance d’un seul trait tandis qu’on avance dans le temps. Malheureusement, ils ont dû la modifier pour des raisons de budget. Cela arrive souvent que les choses que vous voyez finalement à l’écran ne correspondent pas tout à fait à ce qui a été imaginé sur storyboard !




L’une des rares fois où mes storyboards ont été suivis de près dans le produit final a été quand j’ai travaillé sur Stranglehold, le jeu vidéo réalisé par John Woo. J’ai passé trois mois dans son bureau à réaliser des dessins pour les cinématiques de son jeu. C’était vraiment intéressant de travailler comme cela pour un support en animation 3D.




Sur quelles séquences avez-vous travaillé sur Le Livre des Secrets ?
La seule séquence sur laquelle j’ai travaillé et qui se retrouve dans le film est la fameuse poursuite dans Londres. Pour cela, mon principal interlocuteur a été le réalisateur de la 2e équipe. J’ai travaillé ici à Los Angeles à partir d’un traitement préliminaire du scénario avec le département de pré-visualisation. A partir de là, ils ont été tourner à Londres où ils ont fait quelques modifications prises en charge par le storyboarder Giles Asbury.





Quelles sont les autres séquences sur lesquelles vous avez travaillé ?
Il y a par exemple une séquence sous-marine, mais j’ai également travaillé sur une nouvelle séquence de « légende », quand Ben regarde le Livre. Vous avez peut-être vu le film Propero’s Books de Peter Greenaway (1991). Eh bien, nous avons repris la même idée, quand le héros lit le livre, d’avoir des lettres qui s’affichent à l’écran, avec un design très particulier. Mais vous savez, deux ans ont passé maintenant depuis que j’ai travaillé sur ce film et il est difficile de dire ce qui est finalement resté de mon travail. Il faut dire qu’au départ, nous avons vraiment eu la possibilité de laisser libre court à notre imagination dans la mesure où, à l’époque, le script n’était pas encore finalisé et j’ai beaucoup travaillé avec Drew Boughton, le superviseur de la direction artistique du film. Nous avons apporté toutes sortes d’idées visuelles, des choses ajoutées par rapport au script original.

Comment avez-vous abordé la nature historique des faits rapportés dans Benjamin Gates et le Livre des Secrets ?
Nous avons tous rassemblé des documents picturaux et autres photos d’œuvres d’art historiques pour stimuler notre imagination. Il y a une bd anglaise, Look and Learn, qui s’inspire également de faits historiques et dans laquelle j’ai puisé. Je me suis également inspiré de revues de National Geographic. Tout ce travail de préparation nous a beaucoup aidés, à ceci près que, pour une séquence pour celle de la Légende du Trésor des Templiers nous en avions pour 3 minutes et qu’il n’en fut gardé que 40 secondes !

Quelle technique utilisez-vous pour dessiner vos storyboards ?
Pour le moment, je reste fidèle au papier et au crayon car il faut se donner un peu de temps pour maîtriser le Cintiq. En fait, au départ, je réalise souvent mes dessins à la peinture et à l’encre avant de reproduire les contours sur un autre papier en bleu (blue line), puis lorsque le dessin me convient, je repasse au crayon noir. Parfois, quand j’ai le temps, je rajoute aussi quelques touches au marqueur. Mais quand je suis pressé par le temps, je commence directement par le bleu. Tout dépend des délais qui vous sont demandés. Ceci dit, je trouve que le Cintiq est un outil fantastique. Il offre toutes sortes de possibilités de traitement de l’image. J’espère me trouver du temps prochainement pour pouvoir m’y familiariser...



Storyboards (c) Disney, reproduits avec l'autorisation de l'auteur. Tous droits réservés

vendredi, février 08, 2008

BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS EN DVD : Entretien avec le compositeur Trevor Rabin

Comme ses ancêtres, Benjamin Gates a consacré sa vie à traquer les indices qui pourraient le conduire au fabuleux trésor des Templiers.
Depuis les temps les plus anciens, ce trésor mythique est l’enjeu d’un jeu de piste aussi acharné que fascinant. A travers ses recherches, Benjamin a fait une découverte extraordinaire et déchiffre le premier les indices que le monde entier a sous les yeux…
L’emplacement du trésor se trouve en fait sur une carte tracée au dos de la Déclaration d’Indépendance des Etats-Unis, précieusement conservée dans les Archives Nationales américaines. Mais Benjamin n’est pas le seul à vouloir retrouver l’héritage des templiers : le puissant Ian Howes est prêt à tout pour se l’approprier. Dans ces conditions, pour sauver la Déclaration, Gates devra la voler….
Dans BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS qui vient de ressortir en édition 2-DVD (en prélude à la sortie de BENJAMIN GATES ET LE LIVRE DES SECRETS), abondent mystères et péripéties, et 2000 ans d’Histoire s’allient à la technologie de pointe pour une chasse au trésor d’un nouveau genre.
Le cadre idéal pour le compositeur Trevor Rabin, aussi à son aise face à un orchestre symphonique que devant un ordinateur dernier cri. Entre émotion et électronique, il nous livre une partition particulièrement énergique qui apporte humanité, jeunesse et vigueur à cet Indiana Jones des temps modernes.



C’est un réel plaisir que de vous retrouver sur un film Disney / Jerry Bruckheimer, comme au bon vieux temps des ARMAGEDDON et autres PLUS BEAU DES COMBATS…
C’est le cas pour moi aussi. J’adore toujours travailler avec Disney, tant pour la qualité de leurs films que pour la gentillesse et la compétence de leurs équipes, à commencer par Monica Zierhut, vice-présidente de la production musicale. Dans le même temps, chaque fois que je me lance dans un film produit par Jerry, je sais que ce sera difficile car il a un très haut niveau d’exigence, avec beaucoup de pression. Ce ne sont pas du tout des vacances, mais c’est toujours très excitant !

Quelles furent les contraintes de BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS ?
Il y a beaucoup de musique dans ce film et Jon Turteltaub (photo ci-dessous) m’a demandé beaucoup d’esquisses et de démos différentes au cours de la production. Il avait des idées très précises quant à la musique qu’il voulait, et parfois, cela ne correspondait pas à ce que Jerry envisageait. Dans ces cas là, je m’attachais à trouver quelque chose qui convienne aux deux. C’était délicat. Ajoutez à cela la pression de l’emploi du temps, toujours très serré, et vous aurez une idée de l’ambiance sur ce film !




Comment s’est passée la conception de cette partition ?
Ce que j’ai particulièrement aimé sur ce film, c’est que Jon et Jerry avaient certes des idées précises de ce qu’ils souhaitaient par rapport à la musique, mais en même temps, le réalisateur n’était pas attaché à une musique temporaire en particulier, ce qui fait que j’ai pu bénéficier d’une liberté appréciable dans mon travail. Il est très agréable d’arriver avec des idées qui ne sont pas forcément celles des créateurs du film, mais qui leur font voir les choses d’une façon différente qui leur plaît. C’est arrivé assez souvent sur ce film.

Avez-vous des exemples de ces idées personnelles qui ont conquis les créateurs de BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS ?
Pour le motif de piano qui parcours le film, je suis arrivé avec une mesure à 6/8, ce qui crée un ensemble et un rapport au temps qu’ils n’avaient pas prévu.

Il y a de l’Indiana Jones dans Benjamin Gates, mais l’ambiance générale est très différente du film de Spielberg, beaucoup plus moderne, et cela se ressent nettement dans votre musique.
Je n’ai délibérément pas voulu aller dans le sens du film de Spielberg. Ce dernier fonctionne parfaitement tel qu’il est. J’avais des idées très précises quant à l’approche spécifique de ce film. Pour preuve, c’est le premier thème que j’ai écrit qui a été retenu. Il faut dire que je commence toujours un projet par l’élaboration des thèmes. Ce n’est pas la peine de se lancer dans une musique tant qu’on ne sait pas quel matériel thématique on va utiliser. D’habitude, je viens toujours avec plusieurs thèmes susceptibles de devenir le thème principal, mais là, j’avais une telle conscience de ce personnage et de sa modernité que j’ai trouvé le bon thème immédiatement. Lors de ce genre de présentation à Jerry, il dit souvent sur le premier thème : « c’est pas mal, mais j’aimerais entendre les autres thèmes que tu as composés. ». Sur ce film, il a donné son accord immédiatement. L’effet ne fut pas aussi immédiat sur Jon, mais le thème a mûri en lui et a fini par le convaincre. Il fallait respecter la nature particulière de ce film, certes d’action, mais mêlant une certaine légèreté, un certain humour, avec beaucoup de suspens. Je pense que c’est pour cela, ainsi qu’à cause de son contexte historique, il n’était pas possible ne serait-ce que de songer une seconde à une approche à la INDIANA JONES, mais bien plutôt de s’orienter vers quelque chose de résolument moderne et actuel en associant quelques loops électroniques à un véritable piano et à beaucoup de cordes, que ce soit en grand orchestre ou sous forme d’octuor, pour les scènes plus intimes.


Dans BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS, on reconnaît la même griffe que pour ARMAGEDDON ou encore LE PLUS BEAU DES COMBATS, mais votre style a beaucoup évolué depuis.
C’est une question intéressante. ARMAGGEDON fut l’un de mes tout premiers films. Je débutais à peine. J’adore ce film, mais en même temps, ce fut pour moi comme si j’apprenais à nager en plongeant directement dans le grand bassin d’une piscine ! Mais j’assume totalement car ce n’est pas Jerry qui m’a appelé, c’est moi qui l’ai contacté afin qu’il considère la possibilité de me compter parmi son équipe pour ce film qui m’attirait énormément. J’ai écrit un thème qui a eu le bonheur de plaire à Jerry et le reste fait partie de l’Histoire… Ce fut à peu près la même chose sur ENNEMI D’ETAT. Ce n’était pas moi qui était pressenti. Mais Tony Scott tenait à baser son choix de compositeur sur les thèmes avant tout. J’ai donc écrit une batterie de thèmes que je lui ai soumis. C’est de là que je me suis dit que commencer par les thèmes était une méthode de travail intéressante. Pour LE PLUS BEAU DES COMBATS, j’étais en plein milieu de la production de la musique de 60 SECONDES CHRONO. Nous étions en train de faire une partie du montage et de réfléchir sur les chansons qui figureraient dans le film tandis que l’équipe du PLUS BEAU DES COMBATS travaillait dans le studio d’à côté. C’est ainsi que j’ai rencontré le réalisateur, et j’ai adoré le film. Ce fut tout à fait naturel de passer de 60 SECONDES au PLUS BEAU DES COMBATS. Mais plus encore que sur mes précédents films, au delà de la thématique, c’est sur BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS que je me suis le plus intéressé aux questions de style. Il ne s’agissait pas de faire du moderne pour du moderne. Je n’ai pas voulu me restreindre à un seul style de musique. Il y avait une dimension histoire et, de fait, je me suis orienté vers les cordes, plus traditionnelles. Mais il y a aussi une partie de percussions très actuelle par dessus tout cela qui donne sa modernité à l’ensemble, tout comme les guitares électriques.


Cette association de percussions modernes et de cordes fait immanquablement songer à Mediaventures/Remote Control. Quelles sont vos relations avec Hans Zimmer?
Il est vrai que l’on m’associe souvent avec Mediaventures. Je connais Hans Zimmer depuis fort longtemps et nous sommes amis. A mes débuts, j’habitais assez loin du studio de Jerry. Pour LES AILES DE L’ENFER, il avait l’habitude de venir jusque chez moi, ce qui lui faisait assez loin. Lorsqu’il s’est agi de faire ARMAGEDDON, il a donné son accord pour que ce soit moi qui fasse la musique, mais il a demandé à ce que je vienne habiter plus près de ses studios. Or, il se trouve que Mediaventures se trouve non loin de chez lui et Disney m’a proposé de louer une chambre et un studio pour moi chez eux. Ce qui fait que j’ai habité chez Mediaventures pendant tout le temps de la production du film. Cela m’a permis de bénéficier de l’aide d’Harry Gregson-Williams et de Don Harper (qui a écrit la musique additionnelle de BENJAMIN GATES) entre autres. De la même façon, quand j’ai eu des problèmes de timing sur ENNEMI D’ETAT (car les dates se chevauchaient avec JACK FROST), j’ai demandé à Harry Gregson-Williams et à Tim Heintz de venir m’aider à finir le film. Ce fut facile car j’avais déjà écrit tous les thèmes et mes collègues savaient ainsi exactement où aller. Ce sont là mes seules relations avec les gens de Mediaventures, même si leur style m’a grandement influencé. Je suis heureux que vous me posiez cette question car les gens font souvent la confusion entre Mediaventures et moi.


Votre partition associe différents instruments issus de mondes très différents. Du côté classique, il y a le piano. Quel est son rôle dans la musique de BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS ?
On s’attend toujours à une déferlante de thèmes dans un film de Jerry Bruckheimer, notamment pour la grande scène finale. Au contraire, au début de la production de la musique de ce film, je me suis dit qu’il serait intéressant de miser sur une approche plus minimaliste, plus intime, avec simplement un octuor à cordes et un piano. Puis tout a évolué à partir de là. Finalement, la musique de la scène du trésor a complètement changé, mais le piano a contaminé tout le reste du film ! Pour une fois, j’ai voulu jouer à l’inverse de l’image afin de créer un contraste intéressant. C’est là tout le sens de ce piano.


Toujours du côté classique, les cordes sont aussi très présentes, et très nombreuses : pas loin de 50 dans l'orchestre.
C’est sans doute l’un des plus gros orchestres avec lesquels j’ai eu l’occasion de travailler ! Qui plus est, il s’agissait de musiciens vraiment remarquables. Prenez 60 SECONDES CHRONO : il y avait des éléments orchestraux, joués à la perfection d’un point de vue technique. Les musiciens sont venus, ont joué leur partie très professionnellement et s’en sont allés. Sur BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS, les musiciens se sont vraiment fait plaisir ! Ils se sont véritablement plongés dans la musique. Ralph Morrison, mon premier violon, s’est vraiment impliqué dans ce travail et s’est attaché à trouver les meilleurs coups d’archet pour chaque passage afin de mettre en valeur le contrepoint de cette partition. Le tout étant dirigé par Gordon Goodwin.


A l’opposé, on note une impressionnante section rock dans votre partition.
Dans 60 SECONDES CHRONO, les guitares sont très présentes. Je voulais apporter à BENJAMIN GATES ET LE TRESOR DES TEMPLIERS une dimension aussi forte et dure, mais sans que cela vous saute à la figure et soit trop démonstratif. Il fallait pour cela que les guitares fassent vraiment partie de l’orchestre, au même titre que les autres sections. J’ai apporté beaucoup de soin à ce que ces différents mondes –le classique et le moderne- n’entrent jamais en conflit, mais bien plutôt s’associe, dans l’esprit du film. Pour l’enregistrement, j’ai utilisé des guitares électriques traditionnelles comme les stratocasters de Fender, ainsi qu’à une guitare que j’ai conçue moi même et dont je suis très fier. C’est moi qui joue de toutes les guitares de la partition. J’ai aussi utilisé beaucoup de mandoline, mais utilisée comme un instrument à percussion… en frappant à la fois les cordes et le bois tout près du micro. Cela apporte une couleur percussive totalement différente.

Comment cette idée vous est-elle venue ?
Il m’arrive parfois d’avoir des idées étranges, sans autre raison d’être que mon imagination musicale. Mais le fait est que lorsque j’ai vu que ce film parlait de l’histoire américaine, j’ai pensé à cet instrument. Seulement, je ne voulais pas d’une approche traditionnelle, historique de la mandoline. C’est ainsi que de la mandoline, je suis passé aux percussions, mais aussi à la mandoline ténor et même au bouzouki, simplement pour des raisons sonores.



Au delà de l’aventure, on s’aperçoit que le cœur émotionnel du film repose sur la relation difficile entre Ben et son père.
Ce conflit entre père et fils est au cœur de mon thème secondaire, mais aussi du thème principal. C’est un aspect du film qui m’a beaucoup marqué et touché, et je me suis attaché à le souligner au plus près tout au long de l’histoire et de l’évolution de cette relation.



Vous assurez toujours vos propres orchestrations, chose rare pour un compositeur aujourd’hui.
Pour moi, l’orchestration fait intégralement partie du processus d’écriture. Je me fais parfois aider, mais très partiellement, pour des raisons de timing. Si quelqu’un avait demandé à Arnold Schoenberg qui faisait ses orchestrations, il lui aurait certainement mis son poing dans la figure!