mardi, février 02, 2010

LA PRINCESSE ET LA GRENOUILLE: Entretien avec le superviseur de l'animation de Tiana, Mark Henn

D'Ariel à Tiana, en passant par Belle, Jasmine, Pocahontas et Mulan, il est l'animateur des Princesses Disney. Il nous dit tout sur sa dernière création.


Dans la Princesse et la grenouille, vous avez animé trois personnages pour le prix d'un: Tiana adulte, Tiana enfant et la grenouille Tiana. Pouvez-vous me parler de ce challenge?
C'était effectivement un challenge, et quelque chose de propre à la princesse Tiana. Nous avons dû inventer trois styles différents, ce qui donne un peu plus de travail. Mais le plus important, c'est que quand elle est en grenouille, c'est toujours le même personnage. Elle n'a pas le même visage, mais c'est toujours Tiana, qui ressemble à une grenouille. Voilà les challenges de ce film.

Vous avez animé Ariel, qui est à la fois sirène et humaine, et Mulan, qui est une fille, mais à certains moments un soldat. A quel niveau cela vous a-t-il aidé à gérer les différents aspects du personnage de Tiana?
Evidemment, avoir travailler sur ces films et ces personnages m'a aidé dans la façon d'envisager les différentes solutions. Mais chacune d'elles est différente. Il fallait se mettre devant le papier et définir un style. Nous avons commencé avec Tiana humaine: à quoi ressemble-t-elle en tant que fillette de 5/7 ans? Et bien-sûr, à quoi ressemble-t-elle en tant que grenouille? Elle devait être une grenouille très attirante. Elle pouvait être mignonne, mais elle se devait d'être très attirante. Il fallait donc s'atteller à la tâche et travailler dur pour trouver les styles qui conviendraient aux réalisateurs, et enfin animer le tout.

Pouvez-vous me parler de la partie "Style" de votre travail sur Tiana?
Il y a une chose que nous avons fait: Avec tout un groupe d'animateurs principaux, les réalisateurs et quelques artistes du développement visuel, nous avons passé un week-end ensemble. Nous sommes partis dans un hôtel tout le week-end. Nous avons passé notre temps à parler de tous les personnages du film, et tout le monde a mis la main a la pâte et partagé des idées. On a passé environ une matinée sur Tiana, une après-midi sur le prince Naveen et les autres personnages. C'était une des étapes très importantes. Le reste du temps, nous utilisions les résultats de ce fameux week-end, et en ce qui me concerne, j'ai passé beaucoup de temps à dessiner et à montrer mes dessins aux réalisateurs, qui disaient ce qu'ils aimaient et ce qu'ils n'aimaient pas. Ensuite j'ai repris ce qu'ils n'avaient pas aimé, m'appuyait sur ce qu'ils avaient aimé et j'ai commencé à faire quelques essais d'animation. Nous avons pu travaillé avec la voix d'Anika tôt dans la production, et j'ai donc pu profiter de ses enregistrements pour animer quelques scènes-tests pour voir si le style et la voix s'accordaient bien avec le personnage.


Animer une princesse implique beaucoup de contraintes. On ne peut pas vraiment se "lacher". Est-ce que le côté "grenouille" de Tiana vous a permis de vous amuser un peu avec son animation?
Oui, tout à fait. C'était certainement la partie amusante de l'animation de Tiana, parce qu'étant un personnage central, une personne humaine relativement réaliste, on ne peut pas en faire trop. Par contre, avec Tiana la grenouille, vous pouvez aller plus loin, vous amuser un peu plus en l'animant. Et même pour Tiana la petite fille. En tant qu'enfant, elle pouvait aller plus loin. Il y avait moyen d'en faire quelque chose. Mais il y a d'autres facettes qui faisaient que l'animation de Tiana adulte était aussi très intéressante et même amusante.

Comment avez-vous travaillé avec Randy Haycock sur les scènes communes entre Tiana et le prince Naveen, qui est un personnage très différent?
Cela dépend vraiment de la scène. La plupart du temps, il y a un des personnages qui est dominant dans une scène. Dans ce cas, l'un de nous animait son personnage d'abord, donnait le résultat à l'autre qui ajoutait sa partie. C'est un simple aller-retour. Il m'arrivait de travailler sur une scène, d'animer Tiana en indiquant vaguement l'endroit où devait se trouver Naveen et ensuite Randy arrivait et ajoutait le Prince. Si à un moment c'est Naveen qui prennait le dessus, je pouvais adapter ma partie. Ou sinon c'est l'inverse: il animait d'abord une scène avec le prince Naveen, j'ajoutais Tiana et nous faisions des aller-retour pour ajuster le tout.

Tiana est en quelque sorte "parfaite en tous points", alors que le Prince Naveen a quelques travers. Comment Randy Haycock et vous avez trouvé le juste équilibre entre ces deux facettes de jeu?
C'est intéressant que vous voyiez Tiana comme cela. On ne peut rien lui reprocher, je vous l'accorde. Elle est très disciplinée, plus que le prince Naveen, mais à un point où elle est si concentrée sur son rêve qu'elle met le reste de sa vie de côté. Du coup, elle ne s'amuse pas autant que le prince Naveen. Et justement, chacun apporte quelque chose à l'autre dans leur relation. Le Prince Naveen a besoin d'un peu peu plus de discipline, et Tiana a besoin qu'il lui inspire un peu de sa joie de vivre. Et chacun, dans cet apprentissage, y trouve l'amour, ce qui est primordial dans le theme du film. C'est justement la chose que Tiana avait oubliée, la chose que son père essayait de lui enseigner, quand elle était enfant. Et c'est pourtant la chose qu'elle a oubliée, et qu'elle a du réapprendre. Elle l'apprend pendant son aventure avec Naveen.

Certains des artistes qui ont travaillé sur La Princesse et la Grenouille ont consulté la "Disney's Animation Research Library" pour étudier le style des classiques Disney, comme La Belle et le Clochard. En tant qu'animateur de Tiana, avez-vous fait de même?
Pas de manière approfondie. John Lasseter nous a dit au tout début de la production que sa vision et son idée du film se rapprochait beaucoup de l'âge d'or, des années 40 et 50: Peter Pan, La Belle et le Clochard... Ces films représentent pour lui le "style" Disney, avec des personnages bien dessinés, attirants, entièrement dessinés et animés. Nous avons donc étudié La Belle et le Clochard pour plusieurs raisons. Du point de vue de l'animation, l'idée était de profiter de personnages bien pensés, bien proportionnés, et fidèles à l'animation Disney. C'est une chose que nous avons toujours voulu faire, et que nous avons toujours fait, depuis que je travaille ici. Mais c'est le mandat que nous a confié John Lasseter, la façon dont il pensait que nous devions appréhender ce film.

Qu'entendez vous par le "style" Disney?
Le style Disney, c'est justement ce à quoi pensait John, ce qu'il avait en tête pour ce film. Tout doit être animé, le style n'est pas limité, tout ce qui doit bouger bouge. Mais cela implique aussi des personnalités très complexes, des identités fortes. Les paysages et les arrières plans sont très riches. Il y a un équilibre entre le réalisme et un certain sens artistique du rendu des choses. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons regardé La Belle et Le Clochard, parce qu'on y retrouve tous ces éléments. Le film est d'une grande simplicité, et pourtant il y a un grand équilibre entre cette simplicité et les détails dans les paysages et les personnages.


A quelle partie de la personnalité de Tiana vous identifiez-vous le plus?
Je pense que ce que j'ai le plus apprécié chez Tiana, c'est son sens de l'humour. Je peux m'identifier aussi à sa discipline, son tenacité, sa persévérence à suivre son rêve, vraiment. Mais j'ai énormément apprécié son sens de l'humour, qui s'amplifie au fur et à mesure du film, quand elle se sent plus à l'aise. Commme on disait ici: quand elle défait ses cheveux et qu'elle se détend un peu, elle devient un personnage très sympathique.

La musique a une place très importante dans ce film. Comment avez-vous appréhendez les morceaux?
Vous appréhendez une scène en chanson exactement comme vous appréhendez toutes les autres. Je n'ai pas travaillé sur la scène de "Au bout du rêve" qui est une scène de rêveries. Eric Goldberg a pris le relais car il a un réel goût pour la musique et pour faire de l'animation en musique. J'ai fait l'introduction et la conclusion de ce morceau, et aussi tous les autres morceaux, au tout début et à la fin du film. Mais il n'y a pas vraiment de différence dans l'approche par rapport aux autres scènes. Il faut être conscient du timing et du tempo, s'assurer que les mouvements se font en rythme sur la musique, ne pas aller à son encontre.

En tant que son dessinateur et le responsable de son animation, vous avez apporté beaucoup à Tiana. Mais elle, que vous a-t-elle appris?
C'est une bonne question. J'ai appris à équilibrer ma vie comme elle a eu besoin d'équilibrer la sienne. J'ai dû m'assurer d'être discipliné et de bien garder mes objectifs à l'esprit. Je me suis aussi attaché à profiter de la vie une fois à la maison, pour les quelques heures que j'y passais, surtout dans les six derniers mois où nous travaillions très dur pour finir le film. C'est ce genre d'équilibre qu'elle m'a appris. Tiana n'avait pas cet équilibre au début, et l'a appris. Je me suis assuré d'avoir un bon équilibre entre mon travail et la joie de vivre en famille à la maison.

Après avoir travaillé sur Lewis dans Bienvenue chez les Robinson, cela faisait quoi de revenir à une animation traditionnelle à la main?
Et bien, je vais être honnête. Je n'ai pas aimé animer par ordinateur autant que j'aime dessiner. Dessiner, c'est ce que je faisais depuis plus de vingt ans quand j'ai du apprendre à le faire par ordinateur. L'excitation de voir une scène prendre vie à l'écran est la même sur ordinateur, mais le processus n'est pas aussi intéressant et satisfaisant pour moi, en tant qu'artiste. J'aime vraiment dessiner. Du coup, quand ils ont annoncé qu'on allait recommencer à travailler sur des films 2D, la plupart des animateurs 2D comme moi étions très, très heureux, heureux de dessiner à nouveau. Pour moi, c'est comme respirer. C'est quelque chose de naturel et de beaucoup plus satisfaisant que de bouger la souris d'un ordinateur.

Vous avez rencontré John Lasseter à Cal Arts. Qu'est ce que cela vous a fait de le retrouver aux commandes chez Disney?
J'ai connu John un peu à Cal Arts, mais nos chemins se sont ensuite séparés. Je savais déjà à l'époque, en faisant sa connaissance (et c'est la vérité), que John Lasseter était destiné à quelque chose d'unique, et à occuper une place particulière dans notre industrie. Je n'aurais pas su dire quoi exactement, mais je savais qu'il avait un don, un don pour raconter des histoires. Je savais juste qu'il allait faire une carrière très spéciale grâce à cela.

Qu'est ce qui vous a le plus plu pendant la production de La Princesse et la Grenouille?
Juste le fait de pouvoir le faire. Le fait qu'après presque cinq ans à s'entendre dire par les studios "On ne fera plus d'animation 2D, plus de dessins à la main", on faisait justement un film 2D animé à la main. C'est surement le souvenir le plus fort, et aussi le plus amusant, car nous avions le challenge de devoir réapprendre le procédé du point de vue du studio. Mais pour moi en tant qu'artiste, revenir en arrière, tourner des pages, dessiner à la main, animer sur du papier, était le souvenir le plus fort.

Quelle a été la scène la plus enrichissante sur laquelle vous ayez travaillé?
Celle qui me vient à l'esprit en premier est celle où Tiana enfant est à sa fenêtre et qu'elle fait le premier souhait à sa bonne étoile. J'ai trouvé cette petite séquence très jolie. Mais j'ai aussi beaucoup aimé son équivalent adulte, où Tiana est sur le balcon de la maison. Dans sa vie, elle est au pied du mur. Elle finit sa chanson et fait à nouveau un souhait à sa bonne étoile. Ensuite elle rencontre le Prince Naveen en grenouille et il y a ensuite ce petit passage où il se présente et où elle le frappe sur la tête avec le livre. J'aime aussi beaucoup les scènes où elle est en grenouille et où le prince Naveen et elle se lancent sans cesse des pics. C'était très amusant à animer.


Vous avez parlé du bonheur d'animer en 2D. Ferez-vous partie du prochain film de Winnie l'Ourson?
Oui, je serai responsable de l'animation de Winnie!

Merci à Angeline pour la traduction!