mardi, septembre 29, 2009

LE FESTIVAL HALLOWEEN 2009 A DISNEYLAND PARIS: Entretien avec le metteur en scène Emmanuel Lenormand

À partir du 3 octobre 2009 et jusqu'au 1er novembre 2009, le grand frisson se vit à Disneyland Paris dans une « Halloweenmosphère » méchamment drôle et surtout 100% Disney. Le mois parfait pour mourir... de rire et fondre de plaisir en famille ou entre amis. Les Personnages et Méchants Disney, les Hommes et Dames-Citrouilles sans oublier la star Jack Skellington du film de Tim Burton L'Etrange Noël de Monsieur Jack, prennent le pouvoir pour faire de ce Festival Halloween Disney le mois le plus délicieux et facétieux.

Mais, comme chaque année, le festival nous réserve pas mal de surprises comme nous le confie Mr. Halloween lui-même, le metteur en scène Emmanuel Lenormand.


L'une des nouveautés marquantes de cette année, c'est, pour la Soirée d'Halloween Disney le choix d'un son et lumière plutôt qu'un feu d'artifice comme les années précédentes.
En fait, nous avons des contraintes opérationnelles qui nous imposent de fermer une heure avant un feu d'artifice Fantastyland et Adventureland, ce qui n'est jamais très agréable pour nos visiteurs qui se voient ainsi privés d'attractions majeures. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité créer un événement qui ait l'ampleur d'un feu d'artifice, mais qui ne nous oblige pas à fermer une partie du parc. Du coup, fort de notre expérience de l'an passé avec des projections sur le Château de la Belle au Bois Dormant et des danseurs sur la scène pendant le feu d'artifice, nous retrouvons cela puissance 40 sans le feu. On se retrouve avec une soixantaine d'artistes, des projections, des effets pyrotechniques, et l'utilisation du Château comme une scène. L'idée est de voir Mickey confronté aux forces du mal avec plein, plein de surprises: des effets de lumière noire et beaucoup de projections. En fait, nous avons un nouveau système de projection qui est assez performant, donc vous allez pouvoir voir des personnages en géant projetés et faire vivre ainsi les murs et les fenêtres du Château. Il aura ainsi une apparence qu'on n'a pas l'habitude de voir. Il y aura encore d'autres surprises, mais je ne vais pas tout vous dévoiler!

Sans feu d'artifice, l'attention n'est plus monopolisée par le Château de la Belle au Bois Dormant. Cela vous ouvre, j'imagine, de nouvelles perspectives, plus larges, en terme de mise en espace de cet événement.
Nous allons toujours orienter les choses pour qu'on puisse vraiment tout voir depuis Main Street, USA, mais je pense que ces projections et cette scène à 360° permettent de bien voir de partout. Même si on se trouve sur le côté, les projections seront tout à fait visibles. Le résultat est que les visiteurs, au lieu d'être spectateurs, seront dans l'action. Ils seront entourés de tous ces artistes, Personnages Disney, squelettes, pieuvres et chauves-souris qui vont arriver de partout. Et toujours Mickey Apprenti Sorcier qui viendra diriger les opérations de main de maître. De fait, donc, l'espace est plus large et c'est tant mieux! Ce sera sans comparaison avec un feu d'artifice.

En parlant de la scène centrale, il semble bien que les Méchants Disney s'approprient Place à la Fête… avec Mickey et ses amis.
C'est plus un clin d'œil. Pour la dernière représentation de Place à la Fête…avec Mickey et ses amis de la journée, pour renouer avec l'histoire de Maléfique qui n'a pas été invitée au baptème de la Princesse Aurore, la sorcière se voit surprise de ne pas avoir été invitée à la Fête Magique de Mickey. Elle se permet donc d'arriver en sortant de terre à la fin du spectacle, en mettant Mickey au défi de la surprendre en utilisant la formule "Miska, Moska Mickey Mouse!" pour faire apparaître tous les Méchants Disney qui viennent danser. Je me suis dit que ce serait drôle de les voir danser la Mickey Dance! Il y aura également un clin d'œil à la fin de Place à la Danse… à Discoveryland.

Quelles sont les autres nouveautés de cette saison?
A l'intérieur de l'histoire des Hommes-Citrouilles qui cherchent à repeindre le parc en orange, Le Petit Train des Personnages Disney sera vraiment thémé Halloween. Il se déplacera uniquement sur Town Square dans un moment où tous les Personnages Disney seront déguisés en Halloween, citrouilles et autres, avec une distribution géante de bonbons. Et du côté de Cowboy Cookout Barbecue dans Frontierland, rebaptisé comme tous les ans Halloweenland, nous aurons un nouveau spectacle avec les Sorcières Disney qui vont se lancer dans un duel incroyable, The Disney Witches Dancing Spells Party. Dans ce spectacle, la Sorcière de Blanche-Neige et Maléfique arrivent dans un cimetière la nuit et vont s'amuser avec leur chaudron et leurs potions magiques à inventer des potions incroyables. Quatre enfants qui passaient par là –qui sont bien sûr des danseurs- vont être transformés l'un après l'autre physiquement et chorégraphiquement selon le bon vouloir et les ingrédients qu'ajouteront Maléfique ou la Reine de Blanche-Neige dans leur chaudron. Pour ce spectacle, Jérôme Picoche nous a imaginé de superbes décors, avec la transformation des tombes en chaudron, avec des étincelles de partout pour une ambiance très sympa. Et ce cimetière fait écho à la présence de Jack et Sally qui, fort d'un succès incroyable l'année dernière près de Phantom Manor, ont eu besoin d'un espace plus important. C'est la raison pour laquelle nous les avons installés près du Cowboy Cookout Barbecue, quand ils ne défilent pas dans le cortège qui précède la Parade des Rêves Disney.

La Fête Pas-Si-Trouille de Mickey prend également plus d'ampleur.
Cela a tellement bien marché l'année dernière que nous avons décidé d'ouvrir toute la place du Château et Frontierland pour cette occasion. Il y aura donc un tout nouveau spectacle devant le Château avec les Personnages Disney dans lequel chaque gentil va confronter son méchant! Et toujours avec distribution de bonbons, et une Disco Party dans Frontierland. Ca va danser, ça va faire les fous partout! Avec tous nos danseurs et Personnages Disney, ce sera très sympa!
Le festival ne gagne pas pour autant le parc Walt Disney Studios.
On y pense à toutes nos réunions car il y a plein de choses à faire sur le thème du cinéma. Mais nous attendons d'avoir un projet vraiment solide et grandiose au lieu d'essayer de tenter des choses sans véritable ambition.



Comment travaillez-vous avec le designer Jérôme Picoche?
Dans un premier temps, on participe à des brainstormings où on développe des idées. Chacun amène ses techniques et ses astuces. Il y a ce qu'on appelle la période de Bluesky où on rêve, on délire, on s'amuse, puis il faut passer à une phase plus concrète d'écriture et de prise en compte des conditions pratiques. Ensuite, comme nos bureaux ne sont pas loin, on fait des allées-venues. Je m'occupe du festival Halloween depuis 4-5 ans, mais Jérôme est à la genèse d'Halloween avec Kat de Blois, donc c'est lui qui a apporté toute sa folie d'Hommes-Citrouilles et d'épouvantails figés, et toutes ces ambiances dans tout Halloweenland. C'est un expert. Fort de tout cela, on arrive à construire nos ambiances. Par exemple, sur le spectacle des Sorcières Disney, j'avais dit que je voulais des chaudrons, mais pas des chaudrons classiques. Celui de la Sorcière de Blanche-Neige devait naturellement avoir une tête de mort, puis pour Maléfique, je me suis dit que ce serait bien qu'elle ait un chaudron à son effigie. Et en fait, nous avons repris la forme de son chapeau, avec ses cornes. C'est là que Jérôme arrive pour donner son avis, sa façon de voir les choses. Au niveau de la scène, nous l'avons montée à blanc, puis nous avons discuté de l'endroit où poser les chaudrons. Nous avons pesé le pour et le contre de chaque proposition. Par exemple, Jérôme va plus penser à la perspective tandis que je pense davantage à mes danseurs et à la place dont ils auront besoin. C'est le genre de discussions que nous avons, et cela se passe toujours très bien!


Un grand merci à Isabelle Calbrecht et Gemma Klaw.

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mardi, septembre 22, 2009

L'APPRENTIE SORCIERE EN VIDEO: Entretien avec le compositeur Richard Sherman (2de partie)

Suite de notre entretien exceptionnel avec Richard M. Sherman, après la construction de L'Apprentie Sorcière à travers ses chansons et sa réstauration, nous nous intéressons aujourd'hui à sa dimension humaine, avec ses acteurs/chanteurs Angela Lansbury et David Tomlinson, au tournage et à l'enregistrement de leurs parties vocales.

Mais c'est aussi l'occasion d'évoquer l'actualité aussi riche que passionnante des frères Sherman, avec la parution prochaine de leur anthologie The Sherman brothers songbook et du documentaire The Boys: the Sherman brothers' story qui lève le voile sur la véritable relation entre les deux frères.

Avez-vous participé au choix du casting du film?
De nouveau, le mérite en revient à Bill Walsh. C'est lui qui a vraiment produit ce film. Il en est le co-auteur et producteur. C'est lui qui le gérait. Bien sûr, il nous tenait au courant des artistes auxquels il pensait, et quand il nous a parlé d'Angela Lansbury, j'ai fait parti des gens qui pensaient qu'elle serait parfaite pour le rôle principal. David Tomlinson est arrivé d'une manière différente. Nous avions décidé de faire appel à Ron Moody, qui était un grand acteur anglais. Il venait d'interpréter Fagin dans Oliver et il y était excellent. Au départ, il avait accepté le rôle, mais finalement il s'est rétracté quand il a réalisé qu'il ne serait pas la star du film -la star étant une femme. Nous avions besoin d'un acteur britannique solide qui pouvait vraiment jouer un charlatan. Et nous avions David Tomlinson devant nos yeux. Il a joué un personnage aux antipode de celui, bon chic bon genre, qu'il interprétait dans Mary Poppins. Maintenant, il devait un Cockney typique, un personnage totalement différent avec l'accent qui va avec. Il aimait cette idée de jouer à l'encontre du personnage qui l'avait rendu célèbre. Il s'est montré parfait et lui et Angela ont très bien travaillé ensemble. C'est un excellent casting. Nous avons eu de la chance de les avoir.

On raconte que Julie Andrews aurait été intéressée par le rôle.
C'est possible, bien qu'à cette époque, elle était très impliquée dans d'autres productions. Elle enchaînait les films. Je crois qu'elle tournait Darling Lili, et cela lui prenait beaucoup de temps. Ce qui fait que cela ne lui était plus possible. Nous aurions adoré reformer le couple de Mary Poppins, Julie et David, mais cela n'a pas pu se faire.

Comment étaient Angela Lansbury et David Tomlinson sur le plateau?
Je peux affirmer que cela n'a été que plaisir, rire et bons moments. Jamais un mot, jamais une once de découragement. Ils était très coopératifs. David n'était pas un chanteur de formation, mais il a mis tout son coeur dans les chansons et s'est révélé excellent. Quant à Angela, elle était en avance sur tout le monde. Elle maîtrisait à la perfection tout ce qu'elle faisait et savait à l'avance ce qu'elle devait faire. Elle était la référence, de sorte que tout le monde n'avait qu'à la suivre pour être dans le ryhtme. Elle avait un contact excellent avec tout le monde. Une grande professionnelle. Et puis, une personne adorable. Loin de toute forme d'ego. Quelqu'un de vraiment formidable!

Comment les parties vocales étaient-elles enregistrées à cette époque?
Pour une comédie musicale, ce que nous faisions, c'était de partir d'une musique temporaire, sur laquelle nous avions enregistré uniquement la rythmique de la chanson, avec un piano, une batterie, une basse et une guitare, c'est tout. Nous enregistrions les voix par dessus, c'est à dire que les artistes avaient un casque qui passait cet enregistrement, avec les clics. Puis, après cela, nous ajoutions l'orchestre à la bande sonore. D'ailleurs, Irwin Kostal a écrit de merveilleuses orchestrations pour nos chansons. Parfois, il nous arrivait d'enregistrait l'orchestre en premier, mais c'était seulement si la séquence demandait une partie orchestrale spécifique. Mais le plus souvent, c'était les voix d'abord. L'essentiel, c'était que les différents éléments, voix et orchestre, soient enregistrés séparément afin que nous puissions faire des modifications à tout moment.

Quelles étaient vos relations de travail avec le réalisateur Robert Stevenson (ci-dessus), qui avait également réalisé Mary Poppins et d'autres classiques?
Il assistait très rarement aux enregistrements. Il restait à l'écart de cela. Il se mettait à travailler ensuite, après que nous lui avons donné un enregistrement définitif. Là, il mettait au point la réalisation de la séquence. A partir de là, nous n'étions pas vraiment impliqués. Il travaillait seul là-dessus. C'était également sa manière de fonctionner sur Mary Poppins, à la différence que Walt Disney lui disait ce qu'il souhaitait faire. Par contre, cette fois-ci, sur l'Apprentie Sorcière, il était seul aux commandes. Bill Walsh pouvait lui suggérer certaines indications, mais globalement, la réalisation est vraiment de lui seul.
Certains des titres dont nous venons de parler et beaucoup d'autres classiques seront présents sur la compilation très attendue The Sherman Brothers Songbook. Pouvez-vous nous parler de ce projet?
Il s'agit d'une compilation de 59 de nos chansons magnifiquement restaurées, qui sonnent désormais comme si elles avaient été enregistrées la veille! C'est incroyable. Je suis très enthousiaste. Randy Thornton est la personne en charge des restaurations de bandes-sons chez Disney. C'est un producteur remarquable. C'est lui qui a compilé et restauré ces titres. J'ai eu le plaisir et la chance de pouvoir écouter certaines de ces restaurations tandis qu'il y travaillait dessus et je peux vous dire que c'est étonnant! Il y excelle. Il a sélectionné des chansons parmi tous nos films et enregistrements sur des années –bandes-originales et vinyls. Le résultat est bluffant!

Une autre actualité vous concernant est la sortie du documentaire The Boys - the Sherman Brothers' story, sous l'égide de Walt Disney Pictures.
Je n'ai aucun mérite par rapport à cela. C'est vraiment l'œuvre de Gregory V. Sherman, mon fils, et Jeffrey C. Sherman, le fils de mon frère, mon neveu. Greg et Jeffrey sont les véritables créateurs de ce documentaire d'une heure 40 sur les frères Sherman. Il raconte l'histoire de notre travail ensemble et de nos relations. Mon frère et moi étions totalement en harmonie quand il s'agissait d'écrire des chansons, mais nous menions des vies privées séparées en raison de très nombreuses, disons, divergences dans nos vies et nos points de vue. Ceci dit, nous nous retrouvions avec émotion et enthousiasme dans le travail. Nous aimions travailler ensemble.

Après tant d'années de secret à propos de cette relation, qu'est-ce qui vous a conduit à accepter qu'elle fasse l'objet d'un documentaire?
Un jour, vous aurez peut être un enfant. Et un jour cet enfant vous dira: "J'ai une idée formidable. Un projet que je brûle de réaliser." Vous ne pouvez le lui refuser. Pour ma part, j'ai toujours pensé que le fait que Bob et moi ne nous voyions pas en dehors du travail ne regardait personne, mais il se trouve que c'est l'accroche qui a permis de vendre le projet à Disney! Parce que j'aime mon fils, je lui ai dit: "ok, fils, si c'est vraiment ce que tu souhaites." Ceci dit, il était clair je ne parlerais pas les raisons de cet éloignement d'avec mon frère. Nous nous sommes éloignés, c'est tout.

Il est vrai que ce qui compte pour vos admirateurs, c'est votre musique.
Exactement! C'est comme pour tout le monde: chacun a ses raisons. Le monde n'avait pas besoin de savoir cela, mais mon fils et mon neveu ont pensé que ce serait quelque chose d'important pour eux, et ils souhaitaient à toute force le faire. Alors nous avons dit oui. Mais nous avons tenu à ne pas dépasser une certaine limite dans notre vie privée, et c'est ce que nous avons fait.

Ceci dit, pensez-vous que cette tension entre votre frère et vous a pu être un atout du point de vue créatif?
Je dirai que Bob et moi voyons la même chose de points de vue différents. Nous avions l'habitude de dire que nous avions une vision stéréoptique, vous savez, par rapport à ces appareils dans lesquels deux images décalées forment une image en relief. Je pense que Bob et moi avons une vision stéréoptique sur beaucoup de choses. De fait, nous altérons toujours la vision de l'autre. Bob avait plutôt une approche tranchée, et moi je l'adoucissais. A l'inverse, je pouvais venir avec une idée très rose-bonbon, et lui lui donnait du piquant. C'est ainsi que nous travaillions ensemble. Et nous nous respections pour cela ; nous nous écoutions l'un l'autre. C'était une relation très symbiotique. A partir de là, nous donnions forme au monde qu'on nous demandait de mettre en musique, que ce soit celui d'un petit ours en peluche ou d'une femme solitaire qui fait de la sorcellerie. Quel que soit ce monde, nous nous l'appropriions, nous en faisions partie. C'était une manière de fonctionner très productive et je dois dire que nous partagions Bob et moi un grand bonheur et une grande joie quand cela fonctionnait. Quand les gens nous félicitaient, nous partagions une même fierté et un même enthousiasme. Nous partagions beaucoup de choses. Simplement, nous avions des vies privées séparées.


Et parmi les choses merveilleuses que vous avez partagées, L'Apprentie Sorcière est certainement l'une des plus magiques!
Pour nous, ce film était un cadeau car c'est un projet que nous avons commencé avec un grand enthousiasme et de grands espoirs. Les choses ne se sont pas terminées comme Walt l'aurait souhaité. Mais quand le film a été restauré, un grande partie des émotions du départ nous sont revenues. Il y a désormais beaucoup d'amour et de cœur dans ce film et nous en sommes toujours reconnaissants. L'équipe qui l'a restauré a fait beaucoup pour nous sur le plan émotionnel car, enfin, de nouveau, nous pouvions voir ce que Walt avait voulu pour ce film!

Un grand merci à Richard Sherman, ainsi qu'à Olivier Mouroux

mardi, septembre 15, 2009

L'APPRENTIE SORCIERE EN EDITION EXCLUSIVE: Entretien avec le compositeur Richard Sherman (1e partie)

Peu de films ont connu un destin aussi complexe et douleureux que celui de L'Apprentie Sorcière. Considéré au départ comme un film de remplacement au cas où Walt Disney n'obtiendrait pas les droits de Mary Poppins, il a suscité chez ses créateurs passion et enthousiasme. Stoppée par Mary Poppins, sa production reprend en 1968, peu avant le départ des frères Sherman des studios Disney pour être de nouveau interrompu jusqu'au feu vert final, en 1970. Pourtant son histoire ne s'arrête pas là. Afin de pouvoir être présenté au New York City Hall, le film doit être raccourci et l'économique prend ainsi le pas sur l'artistique, tandis que ce sont les chansons qui sont sacrifiées sur l'autel de la promotion.

Il faudra alors attendre trente ans pour que Scott McQueen prenne en main la restauration de ce chef d'oeuvre alors méconnu du grand public et lui restitue les séquences musicales dont il avait été amputé -sans toutefois jamais être restitué dans son intégralité, certains éléments n'ayant jamais été retrouvés.

C'est cette aventure faite de bonheurs et de frustrations, encore très présente à son coeur, que nous conte aujourd'hui le compositeur Richard M. Sherman (au piano sur la photo), dans la première partie de cet entretien.

La conception de L'Apprentie Sorcière a été lancée par sécurité, à un moment où Walt Disney n'était pas certain d'obtenir les droits de Mary Poppins.
C'est cela. Il voulait créer une histoire magique, en prises de vue réelles. De ce point de vue, L'Apprentie Sorcière et Mary Poppins avaient certains éléments en commun. Pas énormément, certes, mais ces histoires avaient toutes deux des origines anglaises et parlaient d'une héroïne qui se révèle être magicienne. A part cela, les deux histoires étaient totalement différentes.

Comme pour Mary Poppins, vous avez été partie prenante dans la création de l'histoire dès le départ en 1963. Comment avez-vous adapté les deux ouvrages originaux qui ont servi de base au film, The Magic Bed Knob; or, How to Become a Witch in Ten Easy Lessons et Bonfires and Broomsticks de Mary Norton?
Voilà comment cela s'est passé. Nous avons démarré avec un concept qui nous paraissait intéressant: une sorcière amateur qui veut utiliser sa magie pour aider à l'effort de guerre. En fait, nous étions davantage intéressés par les prémisses de l'histoire que par l'histoire elle-même. Les personnages étaient merveilleux. C'est ainsi que, au lieu de leur faire remonter le temps pour retrouver un mage [dans le livre original, les enfants et Miss Price sauvent un mage du 16e siècle, Emelius, qui risquait d'être brûlé vif pour sorcelerie. A la fin, le magic et Miss Price tombent amoureux et retournent au 16e siècle pour y vivre ensemble], nous avons décidé de lui faire rencontrer un charlatan, ce qui semblait plus amusant. Il vend des tours de magie sans avoir le moindre don lui-même. Au lieu d'un mage de l'obscurantisme, nous avons fait d'Emelius Brown en un londonien bonimenteur. Cela l'a rendu beaucoup plus drôle. Nous devons cette transformation à Bill Walsh. C'est lui qui a rendu cette histoire viable et spéciale à l'écran. Nous avons beaucoup aimé écrire les chansons pour ce film. Je dois avouer qu'il était toujours très agréable de travailler avec Walsh et Da Gradi, les auteurs. Da Gradi visualisait tout et faisait en sorte que les choses qu'il imaginait prenaient vie devant vous pendant qu'il vous parlait. C'était fantastique! C'est la même équipe qui a créé Mary Poppins qui a ensuite créé la version finale de L'Apprentie Sorcière. Mais la première version du script était loin d'être parfaite. Il y avait des chansons et c'était intéressant, mais lors d'une réunion de travail, Walt nous a dit: "Je crois que nous allons passer du temps sur celui-ci avant d'arriver à quelque chose!" Et c'est là que nous avons eu le feu vert pour travailler sur Mary Poppins, car Mrs. Travers avait finalement donné son accord devant notre traitement initial de ses livres. Nous nous sommes donc remis à la tâche sur Mary Poppins, et ce n'est que des années plus tard que nous sommes revenus à L'Apprentie Sorcière.

Il y a ce fameux dessin de Don Da Gradi montrant Walt Disney en train de dormir profondément tandis que vous chantez Eglantine, Eglantine avec votre frère, Bill Walsh et lui-même!…
Nous étions tellement transportés par cette histoire dans par cette chanson qui montrait comment ce charlatan, qui tombe sur cette véritable sorcière, est tellement excité tandis qui lui propose de faire de l'argent avec son don. C'est un moment très drôle du film, et Walt piquait du nez! Il devait être très fatigué ce jour-là et Don Da Gradi a immortalisé ce moment par ce dessin!

A votre avis, qu'est-ce qui intéressait Walt Disney dans cette histoire?
Il voulait mettre en avant l'héroisme et la bravoure du peuple anglais à un moment dramatique de son histoire, tandis qu'ils risquaient à tout moment d'être envahi pour les Nazis, les Allemands. Il voulait montrer leur détermination et leur courage à travers une femme qui a l'idée d'envoyer à la guerre des uniformes sans soldats. C'était le concept du film et tout le monde a adoré cette idée. On pouvait simplement envoyer de vieilles armures dans la bataille sans que personne ne se fasse tuer! L'idée c'était: ne serait-ce pas formidable si les hommes ne se tuaient pas entre eux dans des guerres? C'était aussi un hommage aux Britaniques, qui habitent le seul pays qui a réussi à résister aux Nazis par eux-mêmes. C'est ce qui s'est passé pendant la Bataille d'Angleterre puis pendant le Blitz: ils ont combattu sur tous les fronts et ils ont finalement gagné. Pour moi, c'est un sujet remarquable et étant moi-même anglophile –j'ai beaucoup de respect et d'affection pour les Anglais-, je me suis dit que ce serait un merveilleux hommage à leur rendre. C'est ainsi que nous avons écrit ce petit air pour le début et la fin du film, The Old Home Guard, avec ces vieux messieurs armés de pioches, prêts à affronter les Allemands jusqu'à la mort! J'adore cette chanson. Elle incarne vraiment l'esprit anglais. Et c'est exactement l'esprit du film. Ah, c'est vraiment un film que nous adorons énormément!

Comment Walt Disney a-t-il trouvé vos chansons?
Il n'y avait à cette époque que la moitié des chansons du film, l'autre moitié ayant été composée après la disparition de Walt. C'était en 1963 et nous étions en réunion de travail. Je me souviens que nous avions présenté plusieurs chansons, plus des chansons qui font avancer l'histoire que des chansons émotionnelles. Je sais qu'il aimait beaucoup The Old Home Guard et Eglantine, et qu'il adorait With A Flair. Imaginez cet homme qui pensait que la magie n'existait pas mais qui, possédant un livre qui contenait la formule de la Substitutiary Locomotion, n'avait qu'une idée en tête, en faire du profit! Aussi, Walt aimait la chanson Substitutiary Locomotion parce qu'elle incarnait la quête. C'était ce qu'Eglantine Price recherchait avec tant de force. Une fois qu'elle aurait la formule, elle pourrait envoyer des uniformes sans soldats combattre à la place des hommes. Walt aimait cette idée. Il était très enthousiaste. Mais je me souviens qu'il nous avait dit que pour lui la mayonnaise n'avait pas encore pris et que nous devions attendre. Nous étions d'accord et ce n'est que plusieurs années années plus tard que tous les quatre nous sommes retrouvés et avons repris le script depuis la page 1, en gardant les bonnes choses et en ajoutant de nouvelles chansons. C'était en 1968, quelques mois seulement avant notre départ du Studio.

Tandis que vos premières chansons se focalisaient sur l'histoire, les nouvelles semblent plus émotionnelles et riches de sens.
Les nouvelles chansons étaient très importantes car la chanson la plus signifiante est celle qu'Eglantine chante au jeune garçon qui ne croit en rien. Elle lui dit qu'il doit croire en quelque chose. Et c'est là qu'elle entonne The Age of Not Believing, qui dit que si vous ne pouvez croire en vous-même, vous ne pouvez croire en rien. C'est donc une chanson riche de sens. Je l'ai toujours beaucoup aimée. Elle a été nommée aux Oscars cette année-là car elle signifiait beaucoup de choses. Nous l'avons écrite parce que nous venions de revenir aux studios Disney après près de deux ans d'absence, et nous pensions: « qu'allons-nous faire sans Walt à nos côtés?». Parce que Walt était toujours là comme notre mentor. Alors nous nous sommes regardés et nous nous sommes dits que nous devions croire en nous mêmes maintenant, certains que nous savions ce que nous faisions. En ce sens, c'est un véritable hommage à Walt Disney.

Une autre chanson fondamentale pour la personnalité d'Eglantine est Nobody's Problem.
Une chanson fondamentale en effet. Je déteste sombrer dans la mélancolie, mais c'était vraiment une chanson très important pour nous. Il ne s'agissait pas seulement du fait qu'Eglantine souhaitait vraiment avoir quelqu'un auprès d'elle pour vaincre sa solitude, mais également du fait que les enfants avaient perdu leurs parents dans le Blitz. Il y avait donc une version de cette chanson pour les enfants, qui chantaient «Nobody's problem are we». Puis, plus loin dans l'histoire, Eglantine réalise avec le départ d'Emelius qu'elle sera seule à nouveau, Emelius étant parti car il avait peur de s'engager, peur de dire « Je vous aime ». D'où cette magnifique reprise de la chanson, encore davantage signifiante dans cette configuration. Malheureusement, les deux versions ont été totalement démantelées et retirées du film. Je n'oublierai jamais combien nous étions tristes de cela. C'était le cœur émotionnel du film,et ils l'avaient retiré. Ce fut une réelle douleur pour nous. Aujourd'hui, la version d'Eglantine a été retrouvée et restaurée. Mais elle aurait été d'autant plus poignante si vous aviez pu entendre auparavant celle des trois petits orphelins. Là, vous vous seriez véritablement senti concerné par le sort de ces enfants. C'était une chanson vraiment très, très, très importante. Quarante ans plus tard, me voilà reparti dans une diatribe! Mais nous avons vraiment mis tout notre coeur et toutes nos tripes dans ce film. Notre sueur, notre sang, nos rêves. Et ils ont tout détruit. Vous savez ce qu'ils ont fait: ils ont découpé toutes nos chansons, l'une après l'autre. Ce qui fait que la première version du film a perdu énormément de choses. Elle était totalement dénuée d'émotion que cela en devenait énervant. La version restaurée, sur dvd, nous a rendu pas mal de choses, mais pas tout. Ceci dit, c'était un film bien meilleur. Par contre, je pense que certaines séquences en sont devenues trop longues. Le ballet de Portobello Road était bien trop long et ils auraient dû le garder court. Mais cela n'engage que moi.

Certaines chansons capitales n'ont même pas été produites, comme Solid Citizen.
Nous avons écrit cette chanson pour Eglantine car c'est la star du film, mais ils ont décidé de ne pas l'inclure dans le film. A cette époque, Disney était dirigé par un conseil de directeurs. Il n'y avait plus de Walt. Quelque chose comme sept hommes qui se réunissaient et décidaient de tout. On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions, et ils ont eu cette idée d'ajouter une séquence animée. C'est ainsi qu'est née la partie de football animée, avec Eglantine réduite à y assister: elle n'avait rien à faire! Alors qu'à l'origine, nous avions une idée merveilleuse. Elle devait chanter une chanson au roi lion de Naboombu et pendant qu'elle occupait son attention, Emelius devait lui subtiliser le médaillon. Ce devait être une séquence mémorable et ils ont dit: « Non, non. Nous allons faire quelque chose de différent. Nous allons faire un match de football. » Et ils ont eu leur match. De fait, on perd tout intérêt par rapport à la raison pour laquelle Eglantine est venue sur l'île. Le sujet du fait passait ainsi aux oubliettes. Je n'ai rien contre cette séquence en tant que telle. Elle est réellement très drôle. Mais elle n'a vraiment rien à voir du tout avec l'histoire!

Quelle était l'histoire de cette séquence?
Nous voulions montrer qu'Eglantine Price a de la personnalité. Et un grand sens de l'humour. Et quand nos héros se mettaient à réfléchir à une diversion pour le roi, elle s'écriait: « Je connais une vieille chanson Cockney. Et quand je la chanterai, vous subtiliserez le médaillon! » C'était donc une simple chanson Cockney, une chanson humoristique avec un double sens dans la mesure où il s'agit d'un citoyen qui tombe dans le ciment de sa propre statue! Une chanson typique comme le père d'Eglantine lui en chantait qui devait se révéler bien utile.

Y avait-il une intention particulière dans le choix du prénom « Walter » pour le héro de cette chanson?
Non. C'est juste que cela sonnait bien. A ce moment-là, nous ne pension pas à Walt.

Une autre chanson éliminée est A Step in the Right Direction. Musicalement, elle semble commencer comme A Great, Big, Beautiful Tomorrow. Y a-t-il quelque connection entre les deux chansons?
Les deux chansons veulent exprimer quelque chose de fort et de positif et je pense que, de par les similarités de leurs esprits, j'ai glissé involontairement une phrase de l'une à l'autre sans même y penser. Elles ont toutes les deux le même caractère, à n'en pas douter, le même type d'esprit Disney. Quand nous avons écrit la première des deux, pour le pavillon General Electric de la Foire Universelle de New York en 1964 (the Carousel of Progress), nous pensions précisément à Walt Disney. Elle exprime toute sa philosophie de la vie. Et nous avons essayé de retrouver la même énergie à travers Eglantine. Alors, il est fort possible qu'en songeant à cette énergie que Walt avait, cette pensée positive, que nous sommes retombés sur cette phrase.



Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de cet entretien autour, cette fois, des acteurs et du réalisateur, mais aussi du Sherman Brother Songbook (cd anthologie) et du documentaire The Boys - The Sherman Brothers' story.

Venez discuter du film et de cet entretien sur DisneyGazette.