mardi, septembre 22, 2009

L'APPRENTIE SORCIERE EN VIDEO: Entretien avec le compositeur Richard Sherman (2de partie)

Suite de notre entretien exceptionnel avec Richard M. Sherman, après la construction de L'Apprentie Sorcière à travers ses chansons et sa réstauration, nous nous intéressons aujourd'hui à sa dimension humaine, avec ses acteurs/chanteurs Angela Lansbury et David Tomlinson, au tournage et à l'enregistrement de leurs parties vocales.

Mais c'est aussi l'occasion d'évoquer l'actualité aussi riche que passionnante des frères Sherman, avec la parution prochaine de leur anthologie The Sherman brothers songbook et du documentaire The Boys: the Sherman brothers' story qui lève le voile sur la véritable relation entre les deux frères.

Avez-vous participé au choix du casting du film?
De nouveau, le mérite en revient à Bill Walsh. C'est lui qui a vraiment produit ce film. Il en est le co-auteur et producteur. C'est lui qui le gérait. Bien sûr, il nous tenait au courant des artistes auxquels il pensait, et quand il nous a parlé d'Angela Lansbury, j'ai fait parti des gens qui pensaient qu'elle serait parfaite pour le rôle principal. David Tomlinson est arrivé d'une manière différente. Nous avions décidé de faire appel à Ron Moody, qui était un grand acteur anglais. Il venait d'interpréter Fagin dans Oliver et il y était excellent. Au départ, il avait accepté le rôle, mais finalement il s'est rétracté quand il a réalisé qu'il ne serait pas la star du film -la star étant une femme. Nous avions besoin d'un acteur britannique solide qui pouvait vraiment jouer un charlatan. Et nous avions David Tomlinson devant nos yeux. Il a joué un personnage aux antipode de celui, bon chic bon genre, qu'il interprétait dans Mary Poppins. Maintenant, il devait un Cockney typique, un personnage totalement différent avec l'accent qui va avec. Il aimait cette idée de jouer à l'encontre du personnage qui l'avait rendu célèbre. Il s'est montré parfait et lui et Angela ont très bien travaillé ensemble. C'est un excellent casting. Nous avons eu de la chance de les avoir.

On raconte que Julie Andrews aurait été intéressée par le rôle.
C'est possible, bien qu'à cette époque, elle était très impliquée dans d'autres productions. Elle enchaînait les films. Je crois qu'elle tournait Darling Lili, et cela lui prenait beaucoup de temps. Ce qui fait que cela ne lui était plus possible. Nous aurions adoré reformer le couple de Mary Poppins, Julie et David, mais cela n'a pas pu se faire.

Comment étaient Angela Lansbury et David Tomlinson sur le plateau?
Je peux affirmer que cela n'a été que plaisir, rire et bons moments. Jamais un mot, jamais une once de découragement. Ils était très coopératifs. David n'était pas un chanteur de formation, mais il a mis tout son coeur dans les chansons et s'est révélé excellent. Quant à Angela, elle était en avance sur tout le monde. Elle maîtrisait à la perfection tout ce qu'elle faisait et savait à l'avance ce qu'elle devait faire. Elle était la référence, de sorte que tout le monde n'avait qu'à la suivre pour être dans le ryhtme. Elle avait un contact excellent avec tout le monde. Une grande professionnelle. Et puis, une personne adorable. Loin de toute forme d'ego. Quelqu'un de vraiment formidable!

Comment les parties vocales étaient-elles enregistrées à cette époque?
Pour une comédie musicale, ce que nous faisions, c'était de partir d'une musique temporaire, sur laquelle nous avions enregistré uniquement la rythmique de la chanson, avec un piano, une batterie, une basse et une guitare, c'est tout. Nous enregistrions les voix par dessus, c'est à dire que les artistes avaient un casque qui passait cet enregistrement, avec les clics. Puis, après cela, nous ajoutions l'orchestre à la bande sonore. D'ailleurs, Irwin Kostal a écrit de merveilleuses orchestrations pour nos chansons. Parfois, il nous arrivait d'enregistrait l'orchestre en premier, mais c'était seulement si la séquence demandait une partie orchestrale spécifique. Mais le plus souvent, c'était les voix d'abord. L'essentiel, c'était que les différents éléments, voix et orchestre, soient enregistrés séparément afin que nous puissions faire des modifications à tout moment.

Quelles étaient vos relations de travail avec le réalisateur Robert Stevenson (ci-dessus), qui avait également réalisé Mary Poppins et d'autres classiques?
Il assistait très rarement aux enregistrements. Il restait à l'écart de cela. Il se mettait à travailler ensuite, après que nous lui avons donné un enregistrement définitif. Là, il mettait au point la réalisation de la séquence. A partir de là, nous n'étions pas vraiment impliqués. Il travaillait seul là-dessus. C'était également sa manière de fonctionner sur Mary Poppins, à la différence que Walt Disney lui disait ce qu'il souhaitait faire. Par contre, cette fois-ci, sur l'Apprentie Sorcière, il était seul aux commandes. Bill Walsh pouvait lui suggérer certaines indications, mais globalement, la réalisation est vraiment de lui seul.
Certains des titres dont nous venons de parler et beaucoup d'autres classiques seront présents sur la compilation très attendue The Sherman Brothers Songbook. Pouvez-vous nous parler de ce projet?
Il s'agit d'une compilation de 59 de nos chansons magnifiquement restaurées, qui sonnent désormais comme si elles avaient été enregistrées la veille! C'est incroyable. Je suis très enthousiaste. Randy Thornton est la personne en charge des restaurations de bandes-sons chez Disney. C'est un producteur remarquable. C'est lui qui a compilé et restauré ces titres. J'ai eu le plaisir et la chance de pouvoir écouter certaines de ces restaurations tandis qu'il y travaillait dessus et je peux vous dire que c'est étonnant! Il y excelle. Il a sélectionné des chansons parmi tous nos films et enregistrements sur des années –bandes-originales et vinyls. Le résultat est bluffant!

Une autre actualité vous concernant est la sortie du documentaire The Boys - the Sherman Brothers' story, sous l'égide de Walt Disney Pictures.
Je n'ai aucun mérite par rapport à cela. C'est vraiment l'œuvre de Gregory V. Sherman, mon fils, et Jeffrey C. Sherman, le fils de mon frère, mon neveu. Greg et Jeffrey sont les véritables créateurs de ce documentaire d'une heure 40 sur les frères Sherman. Il raconte l'histoire de notre travail ensemble et de nos relations. Mon frère et moi étions totalement en harmonie quand il s'agissait d'écrire des chansons, mais nous menions des vies privées séparées en raison de très nombreuses, disons, divergences dans nos vies et nos points de vue. Ceci dit, nous nous retrouvions avec émotion et enthousiasme dans le travail. Nous aimions travailler ensemble.

Après tant d'années de secret à propos de cette relation, qu'est-ce qui vous a conduit à accepter qu'elle fasse l'objet d'un documentaire?
Un jour, vous aurez peut être un enfant. Et un jour cet enfant vous dira: "J'ai une idée formidable. Un projet que je brûle de réaliser." Vous ne pouvez le lui refuser. Pour ma part, j'ai toujours pensé que le fait que Bob et moi ne nous voyions pas en dehors du travail ne regardait personne, mais il se trouve que c'est l'accroche qui a permis de vendre le projet à Disney! Parce que j'aime mon fils, je lui ai dit: "ok, fils, si c'est vraiment ce que tu souhaites." Ceci dit, il était clair je ne parlerais pas les raisons de cet éloignement d'avec mon frère. Nous nous sommes éloignés, c'est tout.

Il est vrai que ce qui compte pour vos admirateurs, c'est votre musique.
Exactement! C'est comme pour tout le monde: chacun a ses raisons. Le monde n'avait pas besoin de savoir cela, mais mon fils et mon neveu ont pensé que ce serait quelque chose d'important pour eux, et ils souhaitaient à toute force le faire. Alors nous avons dit oui. Mais nous avons tenu à ne pas dépasser une certaine limite dans notre vie privée, et c'est ce que nous avons fait.

Ceci dit, pensez-vous que cette tension entre votre frère et vous a pu être un atout du point de vue créatif?
Je dirai que Bob et moi voyons la même chose de points de vue différents. Nous avions l'habitude de dire que nous avions une vision stéréoptique, vous savez, par rapport à ces appareils dans lesquels deux images décalées forment une image en relief. Je pense que Bob et moi avons une vision stéréoptique sur beaucoup de choses. De fait, nous altérons toujours la vision de l'autre. Bob avait plutôt une approche tranchée, et moi je l'adoucissais. A l'inverse, je pouvais venir avec une idée très rose-bonbon, et lui lui donnait du piquant. C'est ainsi que nous travaillions ensemble. Et nous nous respections pour cela ; nous nous écoutions l'un l'autre. C'était une relation très symbiotique. A partir de là, nous donnions forme au monde qu'on nous demandait de mettre en musique, que ce soit celui d'un petit ours en peluche ou d'une femme solitaire qui fait de la sorcellerie. Quel que soit ce monde, nous nous l'appropriions, nous en faisions partie. C'était une manière de fonctionner très productive et je dois dire que nous partagions Bob et moi un grand bonheur et une grande joie quand cela fonctionnait. Quand les gens nous félicitaient, nous partagions une même fierté et un même enthousiasme. Nous partagions beaucoup de choses. Simplement, nous avions des vies privées séparées.


Et parmi les choses merveilleuses que vous avez partagées, L'Apprentie Sorcière est certainement l'une des plus magiques!
Pour nous, ce film était un cadeau car c'est un projet que nous avons commencé avec un grand enthousiasme et de grands espoirs. Les choses ne se sont pas terminées comme Walt l'aurait souhaité. Mais quand le film a été restauré, un grande partie des émotions du départ nous sont revenues. Il y a désormais beaucoup d'amour et de cœur dans ce film et nous en sommes toujours reconnaissants. L'équipe qui l'a restauré a fait beaucoup pour nous sur le plan émotionnel car, enfin, de nouveau, nous pouvions voir ce que Walt avait voulu pour ce film!

Un grand merci à Richard Sherman, ainsi qu'à Olivier Mouroux