lundi, avril 27, 2009

LE VISIONARIUM: Entretien avec le compositeur Bruce Broughton

Il est des attractions qui ont tellement marqué notre imagination qu'on en parle encore tandis qu'elles ont été remplacées par de nouvelles. C'est le cas du Visionarium, que l'on considérait à l'ouverture d'Euro Disneyland comme l'attraction-phare de Discoveryland et qui est aujourd'hui remplacée par Buzz L'Eclair - Bataille Laser.

Une attraction pionnière dans la thématisation du procédé Circle-Vision 360° et surtout un univers tout aussi futuriste que poétique, cristallisant à lui seul tout l'esprit de Discoveryland, avec notamment la présence de Jules Verne et de H.G. Wells dans le film "De Temps en Temps".

Une poésie et un optimisme tout disneyens que l'on retrouve dans la partition de Bruce Broughton, grand habitué des parcs Disney et qui nous parle avec émotion de l'une de ses musiques les plus réussies -et que vous pouvez re-découvrir en cliquant ici.

A l'époque où le Visionarium est créé, le procédé de la « Circle-Vision » n’est pas nouveau. Il a été inventé par les experts de WED dans les années cinquante pour le Circarama de Disneyland, une attraction présente dès l’ouverture du parc. Il s’agissait de projeter un film sur un écran à 360°, tourné au moyen d’une machine circulaire composée de onze caméras filmant en 16mm.

Le procédé a été modifié (notamment suite aux plaintes du système concurrent, qui utilisait lui aussi 11 caméras) pour la version floridienne de ce show, le Circle-Vision 360, inauguré en novembre 1971 à Tomorrowland : neuf caméras de 35 mm seront désormais requises et l’attraction connaîtra alors un grand nombre de variations, que ce soit en ce qui concerne les films qui y seront projetés (America The Beautiful à Disneyland en 1967 avant DisneyWorld en 1971, Magic Carpet ‘Round the World en 1974 et America Journeys en 1984) ou en ce qui concerne les concepts (Impressions de France, O Canada et Wonders of China à Epcot).


Ceci dit, si l’expérience est enthousiasmante, ces attractions sont faiblement thématisées : il s’agit de la projection d’un film particulier dans un cadre particulier, avec plus un esprit de découverte qu’une véritable narration. Cette dimension essentiellement disneyenne des attractions s’affirmera donc avec Le Visionarium, présent à Disneyland Paris depuis son ouverture, le 12 avril 1992. Cette fois, le public est invité à participer aux premiers essais de la machine à remonter le temps inventée par Timekeeper, « robot brisé par le destin », et de rencontrer ainsi les grands esprits du passé, de Léonard de Vinci à Mozart, sans oublier H.G. Wells (Jeremy Irons) et bien sûr Jules Verne (Michel Piccoli). Mais Le Visionarium propose d’autres innovations de taille : il s’agit également de la toute première attraction réunissant Audio-Animatronics (Timekeeper et Nine-Eye), effets numériques (Nine-Eye, Jules Verne, et la famille dans la machine à remonter le temps) et effets spéciaux dans un film à 360° (les déplacements temporels, le dinosaure, Paris dans le futur, etc).

La musique de cette aventure De Temps en Temps a été créée par le grand Bruce Broughton, qui signait là une nouvelle fructueuse collaboration avec Disney depuis BERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUS. Nous lui avons demandé de nous présenter sa musique pour cette attraction : « C’était le premier projet de ce genre auquel je participais et j’étais très intéressé par ce format complètement nouveau pour moi. Je suis un fan de Disney depuis que je suis tout petit, et j’étais très enthousiaste à l’idée de pouvoir avoir ma musique dans les parcs Disney. Je pensais, et je pense toujours, que cette idée d’un film projeté sur un écran à 360° plaçant le spectateur véritablement au milieu de l’action est très efficace d’un point de vue théâtral. De plus, je trouve que l’attraction dans son ensemble est géniale. Pour elle, j’ai composé une musique de film traditionnelle. Dans ce genre d’attraction, j’opte plutôt pour une approche traditionnelle, intemporelle de la musique. Dans la mesure où elle était là pour des années, je ne voulais surtout pas que ma musique paraisse datée. L’orchestration est classique, avec doubles pupitres de bois, une section de cuivres, percussions, harpe et cordes. Pour cette musique, j’ai dirigé le Sinfonia of London, un orchestre avec lequel j’ai une longue et heureuse collaboration. Le Sinfonia a joué les musiques que j’ai écrites pour YOUNG SHERLOCK HOLMES, TOMBSTONE et LOST IN SPACE. Nous avons également travaillé ensemble sur ‘Ellen’s Energy Crisis’ »

L’ambiance de cette attraction est très proche de celle de Space Mountain -de la Terre à la Lune- (sur laquelle nous reviendrons prochainement) par leurs références communes au monde et à la culture de l’époque de Jules Verne, et cela se ressent dans la musique, moins dramatique que De la Terre à la Lune, mais tout aussi optimiste, positive et exaltante, en particulier quand le compositeur laisse libre cours à son enthousiasme et à son talent de symphoniste pendant le voyage de Jules Verne en hélicoptère : la vraie musique des visionnaires. Mais sa musique s'intègre aussi tout à fait dans le concept européen du parc parisien. « On m’a demandé d’inclure de la musique française dans le show. Par exemple, vous remarquerez que la construction en accéléré de la Tour Eiffel est un arrangement d’Offenbach, et que l’orchestre du parc [dans lequel Jules Verne rencontre H.G. Wells, JN] joue Emile Waldteufel [l’un des spécialistes français de la valse (1837-1915), JN]. Ma première obligation en tant que compositeur de musique de film est toujours de renforcer l’histoire, les images, et le contenu émotionnel, mais si j’ai l’occasion de pouvoir y ajouter de la poésie ou une musique qui a sa propre substance, je ne m’en prive pas Je voulais souligner la beauté des paysages et l’énergie des découvreurs. Il y a des scènes vraiment magnifiques dans le film. »

Un tel élan, une telle force spirituelle, un optimisme si disneyen ne pouvaient que se transmettre aux autres parcs Disney. C’est ainsi que Le Visionarium devenu The Timekeeper s’est installé en Floride le 21 novembre 1994 et ce jusqu'en 2006, où elle a cédé sa place à Monsters Inc. Laugh Floor. De Temps en Temps est devenu From Time to Time et des paysages américains ont pris la place de certaines scènes européennes, et ce sont maintenant Robin Williams et Rhea Perlman qui doublent les hôtes de cette attraction. « Les deux partitions sont très différentes, précise Bruce Broughton. La narration et le pré-show américains étaient trop différents pour conserver la partition européenne telle quelle. Robin Williams et Rhea Perlman avaient une telle énergie que la version européenne ne convenait pas à leur interprétation. C’est pourquoi j’ai écrit une nouvelle partition pour la Floride. La version américaine n’en garde pas moins de nombreuses similarités avec celle de Paris ; on y retrouve par endroits la même musique, mais en général elle est moins riche, plus simple, plus directe et plus énergique. » Quant à Tokyo Disneyland, il bénéficie également de la même attraction, qui a d’ailleurs repris son nom français en gagnant le Pacifique !

Cette attraction inaugurée en France a conquis le monde : « J’adore cette attraction. Je la trouve à la fois belle et amusante. Je l’ai vue en Floride et j’ai remarqué que les gens qui allaient y entrer n’étaient pas très sûrs de ce qu’ils allaient voir, mais à leur sortie, ils pensaient tous que c’est une grande attraction. Je pense qu’elle prend les gens par surprise. Je l’aime beaucoup plus que d’autres attractions plus tape-à-l’oeil. » Depuis, Bruce Broughton a signé de nombreuses autres musiques pour les parcs Disney, comme Ellen’s Energy Adventure à Epcot, Chérie, J’ai Rétréci le Public à Epcot et Disneyland Paris, l’arrangement de It’s Tough To Be A Bug à Disney’s Animal Kingdom et Disney’s California Adventure. « Je me suis plus amusé à travailler pour les parcs Disney que pour n’importe quel film. Chaque attraction est différente, chacune est un nouveau défi ; les gens qui les créent sont tous extrêmement enthousiastes, compétents et véritablement engagés dans ce qu’ils font. Ils forment tous une véritable équipe pleine d’imagination. Je me suis fait beaucoup d’amis et j’ai passé des moments extraordinaires à travailler sur ces attractions. J’aime la diversité de ces attractions et je m’amuse, lorsque j’emmène ma famille dans les parcs Disney après coup, à voir les réactions des visiteurs, et à participer moi-même à ce que nous avons réalisé. J’apprécie particulièrement l’idée que, même si ce travail est pratiquement anonyme, des millions de gens ont vu ces attractions et ont été touchés par elles. »

Retrouvez l'impressionnante carrière de Bruce Broughton sur Disney Central Plaza

vendredi, avril 10, 2009

THE VENICE CHRONICLES: Interview avec l'auteur et artiste de storyboard Enrico Casarosa

Dans notre précédente interview avec Enrico Casarosa à propos de Ratatouille, vous avez fait la découverte de l'artiste de storyboard de Pixar.
Mais Enrico Casarosa, c'est aussi l'homme (d'origine italienne, le mari et le papa) et l'auteur/dessinateur de BD.
Et voici que ces deux facettes de l'artiste sont maintenant réunies dans un livre qui m'a profondément touché.
The Venice Chronicles (qui vient tout juste d'être nommé aux Eisner Awards) raconte le voyage d'Enrico en Italie, pour la première fois en compagnie de sa fiancée. Un retour aux sources, mais aussi une rencontre avec leurs parents respectifs avant que leur histoire ne se transforme en mariage et que la petite Flo viennent parfaire cette union!
Magnifiquement réalisé à l'aquarelle, ce journal intime en images m'a touché par sa simplicité, sa chaleur et son sens aigu de la narration, pas très éloigné -comme vous allez pouvoir le lire-, de celle d'un Miyazaki, à travers la valorisation de tous ces instants précieux qui font la beauté de la vie.
Tout aussi précieux furent les instants qu'a duré notre discussion....

Vous considérez-vous comme un artiste de storyboard qui fait des bandes-dessinées ou comme un artiste de BD qui fait des storyboards ?
C’est là la question ! Dans l’absolu, je me sens comme un créateur d’histoires qui choisit différentes voies, différent médias, pour s’exprimer. Ceci dit, je dirai que je suis avant tout un artiste de storyboard, tout simplement parce que c’est ce travail qui me permet de payer mes factures et de faire bouillir la marmite !
Dans le cas des Venice Chronicles, il s’agissait d’une forme de narration très spécifique, une sorte de carnet d’esquisses, comme un journal. A partir de là, je me suis demandé ce que je pouvais en faire ? Un court-métrage ? Un film d’animation ? ou une bande-dessinée ? Jusqu’à présent, honnêtement, la BD a toujours été le moyen le plus facile d’être son propre metteur en scène, de raconter son histoire à sa façon. Cela aurait été beaucoup plus difficile de réaliser un film. Cela dit, la BD et le cinéma sont deux médias magnifiques, chacun à sa façon.

Pourquoi l’aquarelle ?
Depuis quelques années, c’est quelque chose que j’utilise de plus en plus. Cela vient pour une part de Sketchcrawl, cette sorte de marathon international de dessin que j’ai initié, ces journées que j’organise passées à ne rien faire qu’à dessiner. J’ai trouvé que l’aquarelle était le meilleur moyen pour cela. C’est très rapide et on peut dessiner tout en restant debout, en regardant autour de soi et dessinant le monde qui vous entoure. La seconde raison vient de mon admiration pour Miyazaki. Sa manière de travailler, c’est de dessiner des images des choses qu’il aime et des choses qu’il a envie de voir dans ses films. C’est la première étape de la création de ses films, et tous ces petits morceaux forment ensuite une histoire. J’adore cette façon de faire. C’est de l’écriture en images, avant même les mots. Il y a une immédiateté dans l’aquarelle. J’ai un amour profond pour cet art de dessiner avec des gestes simples et rapides. Cela donne des œuvres très simples, réduites à l’essentiel. En peu de temps, on véhicule une lumière et une émotion.

A la lecture des Venice Chronicles, on a vraiment le sentiment d’une double déclaration d’amour. L’une pour l’Italie, l’autre pour Marit.
Vous avez raison. Vous savez, le fait de grandir en Italie, puis de quitter mon pays natal pour aller travailler aux Etats-Unis fait que, chaque fois que j’y retourne, je suis un peu un touriste, mais c’est aussi une question de nostalgie. Il y a de cela dans mon livre : des souvenirs des lieux où j’ai grandi. C’est quelque chose de formidable que de se retrouver dans un lieu que vous avez quitté il y a presque trente ans, et de partager cela avec votre petite amie de l’époque. L’avoir à mes côtés pendant ces instants signifie beaucoup pour moi. Je pense qu’elle a vraiment lu dans mes yeux ce que cela représentait pour moi. Dans ce sens, ce fut notre premier voyage « sérieux ». Les voyages sont toujours des tests quand vous commencez une relation, et celui-ci s’est révélé très agréable, tant avec elle qu’avec nos familles respectives. Ce fut le début d’un lien très profond et nous avons senti venir le fait que ma petite amie allait bientôt devenir la femme que j’épouserais et avec qui j’aurais une merveilleuse petite fille ! (ci-dessous, avec son papa en train de peindre la couverture des Venice Chronicles)

Dans votre livre, vous rendez hommage à Hugo Pratt, le créateur de Corto Maltese, qui n’était pas vraiment un bon père de famille. Au contraire, votre famille est souvent présente dans vos créations. Pouvez-vous me parler de la dimension autobiographique de votre travail ?
Cela vient de ce que je considère être une bonne histoire à partager : une histoire authentique, honnête. Même si c’est embarrassant, il y a toujours quelque chose à tirer d’une situation authentique, vraie. En révélant quelque chose de personnel, on trouve toujours quelque chose d’universel qu’on peut partager avec les gens. Ces derniers pourront s’y retrouver et alors découvrir et comprendre une nouvelle part d’eux-mêmes. J’aime retrouver cette dimension dans un livre ou une histoire en général. Si je peux mettre un peu de moi-même, cela aura toujours plus de valeur que quelque chose d’abstrait. En ce qui concerne Hugo Pratt, c’est un moment dans le livre que j’ai particulièrement aimé écrire parce que ce fut un moment vraiment authentique où j’ai discuté d’un Maître de la bande-dessinée avec un de ses proches –sa fille. Il y a tant de grands artistes (je pense notamment à Picasso ou à Fellini) qui étaient tellement possédés par leur œuvre que cela s’est avéré destructeur pour leur entourage. Je ne suis pas comme cela. Déjà, je n’oserais jamais me mettre dans la catégorie des génies. Mais comme je l’écris dans le livre, tout ce talent et cet ego peut se révéler un véritable fardeau. Par chance, je ne suis pas aussi doué, et même si mes passions et mon travail me prennent beaucoup de temps, je ne les laisserai jamais prendre le pas sur ma vie de famille. J’aurais le sentiment de ne pas être quelqu’un de bien, un bon mari et un bon père. C’est le raison pour laquelle il est très important pour moi de trouver le bon équilibre entre la famille et mes créations.

En même temps que vous nous racontez votre récit, vous vous posez des questions sur la forme: comment raconter une partie de tennis? Faut-il faire des cases ? comment être honnête en art ?...
C’est un aspect que tous les critiques n’ont pas apprécié, quelque chose qu’on aime ou qu’on déteste. A certains moments dans l’histoire, j’ai vraiment réussi à fixer les choses pendant que je les vivais, et c’était génial. Je me disais que j’écrivais une bande-dessinée sur ma vie à mesure que je la vivais, sans chercher à savoir ce qui allait se passer ensuite ! C’était vraiment ce que je souhaitais en tant que créateur d’histoires. Puis, une fois que je suis rentré, je me suis interrogé sur la façon de mettre en forme d’autres moments qui n’étaient fixés que dans ma tête, comme souvenirs, et à chaque fois, il manquait un petit quelque chose d’essentiel. J’ai alors trouvé que, pour éviter cette distance de l’événement, je devais le rendre présent, raconter exactement mes préoccupations, ce qui me passait par la tête au moment présent, en pensant à cet événement, et le coucher sur le papier dans l’instant. C’était le seul moyen d’être honnête et intéressant à la fois, de ne pas proposer du réchauffé. Je voulais être présent dans l’écriture. A partir de là, les choses me sont venues plus facilement et de manière plus fluide. Et il m’a semblé que c’était plus intéressant aussi pour le lecteur, plus direct. Dans un moment comme la partie de tennis, il y a une impossibilité essentielle qui vient qu’on ne peut pas dessiner pendant qu’on joue, ou jouer pendant qu’on dessine ! C’est une sorte d’oxymore. C’est pour cela que j’ai décidé de traiter cette partie en m’adressant directement au lecteur et en lui parlant de la difficulté de relater honnêtement cet événement tel qu’il s’est passé. En fait, on ne peut vraiment capter l’instant de ce que vous voyez que lorsque vous peignez des paysages ou des décors naturels. Et c’est justement un autre aspect du livre dans lequel vous retrouvez un certain nombre de dessins de Venise. Le livre est donc un mélange des deux.

En fait, en procédant ainsi, vous apportez un vrai regard sur l’événement, et c’est précisément ce qui rend votre livre vivant et intéressant !
Merci ! C’est une question fondamentale. Comment rendre cette histoire intéressante ? Car elle ne contient pas de drame palpitant. En racontant des choses qui se sont réellement passées, vous aurez du mal à construire un drame Shakespearien ! Je n’en suis que plus heureux que vous ayez apprécié ces différents niveaux de lecture.

Rencontrez-vous le même genre de problème quand vous storyboardez pour Pixar ?
Oui. Je pense d’ailleurs que ce genre de questionnement vient de mon travail pour Pixar. On essaie toujours de tirer le meilleur d’une histoire. C’est comme cela qu’on fait de bons films. Souvent, un bon auteur met un peu de lui-même dans son récit. C’est quelque chose de personnel. C’est la même chose pour le réalisateur. Son film est quelque chose de très personnel. Mon rôle est simplement d’aider le réalisateur à exprimer au mieux ses idées en la matière. Ceci dit, il y a quand même de petites différences. D’un autre côté, si j’ai fait ce livre, c’est pour pouvoir écrire le livre que je voulais faire. Je suis mon propre réalisateur. C’est ma chose ! Avant tout, je dois me plaire à moi-même ! Chez Pixar, c’est un tel travail d’équipe qu’à la fin de la journée, on ne se souvient même plus quelles idées sont venues de vous ! C’est un processus génial, mais on peut s’y sentir un peu perdu. C’est la raison pour laquelle pas mal d’artistes du monde de l’animation mènent ce genre de petit projets personnels. Ils créent leur monde de façon directe et spontanée. Chez Pixar, chaque idée est discutée et re-discutée. C’est la raison pour laquelle, lors de notre interview sur Ratatouille, je vous avais parlé de « re-boarding » : on re-board sans cesse la même scène jusqu’à en obtenir la meilleure version. Vous comprenez à quel point cela peut être libérateur de faire des choses de façon directe en acceptant les erreurs comme faisant partie du parcours. Un créateur de BD français, Joann Sfar, créateur du Chat du Rabbin, était venu chez nous à Pixar il y a deux ans et nous lui avions demandé : « que faites vous quand vous n’êtes pas satisfait d’une planche ? » et il nous a répondu : « Je passe à la suivante ! » J’ai toujours gardé cela en mémoire. C’est tellement pertinent. Sa seule préoccupation, c’est de raconter l’histoire, qu’importe si le dessin n’est pas parfait. Au final, c’est un vrai style et j’aime cela. Nous aimons tous les choses immédiatement expressives. Et c’est dans cet esprit que j’ai conçu mon livre.

A présent, avez-vous la réponse à la question de Mia qui demandait s’il y aurait enfin un troisième volume à ses aventures ?
J’étais à Angoulème il y a quelques mois avec mon ami Ronnie Del Carmen (Photo ci-dessus). C’était la première fois que nous nous rendions à leur festival de la BD et ce fut génial ! Nous avons passé tout un après midi à discuter à propos de ce troisième volume. Je me sens un peu coupable d’avoir laissé cette histoire en plan. Ceci dit, si j’écris un nouvel opus, je pense que ce ne sera pas le troisième épisode de ses aventures, mais plutôt un épisode autonome situé au milieu de ses aventures. Maintenant, le principal problème, c’est le temps. Avec Pixar et ma famille, je suis très occupé. Je ne sais donc pas quand je pourrai m’y mettre. Mais une chose est sûre, j’adorerais, et j’envisage de le faire d’ici les prochaines années.

Là-Haut est terminé maintenant. Sur quoi travaillez-vous à présent ?
Je suis sur Cars 2 depuis quelques mois. Je dois dire que je suis très enthousiaste à propos de Là-Haut. Boucler ce film a été plutôt triste dans la mesure où ce fut une expérience tellement extraordinaire avec Ronnie, Pete Docter et Bob Peterson. Rétrospectivement, je dirai que c’est le film dont je suis le plus fier, c’est dire si j’attends avec impatience qu’il sorte sur les écrans !


The Venice Chronicles
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vendredi, avril 03, 2009

PONYO SUR LA FALAISE: Entretien avec le réalisateur Hayao Miyazaki

Magicien moderne, poète unique qui allie les idées les plus originales aux images les plus oniriques, Hayao Miyazaki revient enfin, et nous offre une de ces fables bouleversantes dont il a le secret, Ponyo sur la Falaise (sortie en salles le 8 avril).

Quatre ans après Le Château Ambulant, Hayao Miyazaki a choisi de réaliser son nouveau film d’animation, Ponyo sur la Falaise, entièrement à la main et sans ordinateur, dans un style graphique simple et épuré qui donne à ses personnages et ses décors un aspect familier et une énergie que l’on ne trouve que dans le cinéma d’animation traditionnel. Sa vision du film étant née alors qu’il observait l’océan pendant une tempête, Hayao Miyazaki a prêté une attention toute particulière au rendu de la mer et des vagues, et a créé un monde qui va bien au-delà de ce que le public pourrait imaginer.

Mais surtout, il nous propose un magnifique poème sur l'enfance.

Pouvez-vous nous présenter votre dernier film?
Ce film est l’histoire de Ponyo, une petite fille poisson qui rêve de rejoindre Sosuke, un garçon de cinq ans qui lui a promis de veiller sur elle. Il raconte aussi comment Sosuke réussira à tenir sa promesse. Ponyo sur la Falaise est une histoire d’amour entre deux enfants, et c’est aussi une grande et merveilleuse aventure. Il s’agit de la transposition du célèbre conte de Hans Christian Andersen, La Petite Sirène, dans le Japon d’aujourd’hui.
Une petite ville au bord de la mer, une maison au sommet d’une falaise, quelques personnages et l’océan vu comme une présence, une entité vivante. Un monde où la magie et l’alchimie font partie du quotidien. Tout en bas, comme notre esprit inconscient, la mer, et à sa surface, l’agitation des vagues. En modifiant l’espace et en altérant les formes, la mer n’apparaît pas seulement comme le décor de l’histoire, mais comme un de ses principaux protagonistes.
Un petit garçon et une petite fille, l’amour et la responsabilité, l’océan et la vie, et l’essence fondamentale de tout cela : voilà de quoi parle Ponyo sur la Falaise, un conte qui est ma réponse à la détresse et à l’incertitude de notre époque.

Les premières rumeurs relatives à Ponyo sur la Falaise parlaient de l'histoire d'une mère et de son fils.
Quand je présente un projet, j'écris les idées qui me viennent et après je change plein de choses. Ce que j'écris au départ diffère toujours du film que je fais. Mon idée initiale était de dépeindre un personnage au début de sa vie, qui se cherche, y compris dans sa relation avec son enfant. J'avais imaginé que la mère de Sosuke avait 25 ans mais mes collaborateurs la trouvaient trop jeune. Ils ont réalisé qu'elle était plus jeune qu'eux. Ils avaient du mal à dessiner une mère qui fasse moins de 35 ans. Les membres de mon équipe ont vieilli.

Finalement, le sujet de votre film, c'est l'enfance.
Je voulais que Sosuke et Ponyo agissent naturellement, en fonction de leurs désirs. On peut citer beaucoup d'exemples. Quand Ponyo éclabousse Sosuke, il n'est pas effarouché, sinon ils ne seraient pas devenus amis. Sosuke est le seul que ça ne dérange pas. En général, les enfants n'aiment pas ça, mais lui, ça ne le dérange pas. Quand on regarde le film, on n'est pas étonné par sa réaction, il est tout à fait crédible. Quand Ponyo redevient poisson grâce à ses pouvoirs magiques, Sosuke n'est pas impressionné, il dit juste "elle est géniale". C'est un drôle de petit garçon. Lors de la post-synchronisation, sa réaction a beaucoup plu. Sosuke est vraiment admiratif de Ponyo, il ne se pose pas de questions. Ce qui est formidable, c'est sa faculté à tout accepter. On se demande ce qu'il va devenir. Il accepte tout, mais à mon avis, il ne sera pas toujours comme ça.

Dans le film, Ponyo dit à Sosuke qu'elle l'aime, et Sosuke lui promet de la protéger. C'est le point le plus important, mais on ne tient pas toujours ses promesses. C'est comme un poussin que l'on veut protéger et qui meurt malgré tout. Aujourd'hui, les parents ne disent plus à leurs enfants de jeter leur poussin. En grandissant, on doit apprendre à trahir ses promesses, mais dans ce film, je voulais dépeindre un enfant qui tient ses promesses.

Vous dites que Sosuke ne serait pas toujours comme cela. Les choses changent en grandissant.
J'imagine que si Ponyo allait à la crèche, elle se rapprocherait de Kumilo et délaisserait Sosuke.

C'est triste!
Pas du tout. Cela soulagerait peut être Sosuke, ou peut être pas. Mais je pense que les choses ne sont pas si simples pour lui. On imagine que Sosuke devrait épouser Ponyo, mais la vie n'est pas aussi simple que cela.

En touchant à l'enfance, on touche à quelque chose d'essentiel, qui a à voir avec nos origines. A ce titre, la scène du couple avec le bébé est tout à fait pertinente.
Elle est indispensable. Ponyo a de grandes facultés d'adaptation. Je voulais la montrer comme un être qui grandit en évoluant beaucoup. Ces facultés lui permettent de s'en sortir. C'est une force. On voit qu'elle peut être attentionnée, elle communique avec le bébé, autrement qu'avec les mots. Je vois ça comme un moyen de communiquer antérieur à celui des hommes.


Merci à l'équipe de B.C.G., ainsi qu'à Gisèle!

Retrouvez la biographie complète de Hayao Miyazaki sur Disney Central Plaza.