RATATOUILLE : Entretien avec l'artiste de storyboard Enrico Casarosa
C'est le métier d'Enrico Casarosa (à gauche sur la photo) de "storyboarder" des films d'animation. Et pas n'importe quel film! Ratatouille, le dernier chef d'oeuvre Disney*Pixar, s'il-vous-plaît!
Votre parcours ne vous destinait pas à l’animation, loin s’en faut, je crois…
C’est exact. Je suis d’origine italienne. Juste après le lycée, j’ai commencé des études d’ingénieur. Mais je passais le plus clair de mon temps à dessiner sur mes cahiers au lieu de suivre les cours ! J’ai donc résolu de me tourner vers l’illustration, que j’ai étudiée pendant un an à Milan, à l’Institut Européen de Design. Il faut dire que j’ai toujours aimé le dessin, et plus encore l’animation japonaise. Je suis un grand fan du travail de Myiazaki, et je l’ai été dès la sortie de ses premières séries animées. C’est la raison pour laquelle, à l’invitation d’un ami qui suivait des cours d’animation à New York, j’ai décidé de poursuivre dans cette voie. J’ai d’abord fait un stage d’été à Boston à l’école du Musée des Beaux-Arts. Cela fut tout à fait passionnant, et j’ai eu l’occasion d’étudier de près les œuvres présentes là-bas. Puis je suis allé à New York où je me suis inscrit à différentes écoles sans jamais aller jusqu’au diplôme. C’est ainsi que j’ai étudié l’animation à l’Ecole des Arts Visuels et l’illustration au Fashion Institute of Technology. Vous allez me dire que l’illustration n’a pas grand’chose à voir avec l’animation, et pourtant, j’aime insuffler à mes dessins une sensation de mouvement qui n’en est pas si éloignée finalement.
Votre premier emploi, à Jumbo Pictures, semble aller dans ce sens, unissant illustration et animation.
En effet, puisque mon rôle était de créer des décors, des accessoires et des personnages pour les dessins-animés du samedi matin. C’est là que j’ai pris conscience de mon intérêt pour raconter des histoires et que j’ai commencé à m’y intéresser. Cela vient sans doute de ma passion pour la composition d’image, pour Myiazaki et pour la bande-dessin. C’est ainsi que je suis passé artiste de storyboard sur la série animée des 101 Dalmatiens. Le storyboard me permettait de combiner tous mes centres d’intérêt en un seul moyen d’expression.
Quelles sont les qualités requises pour faire un bon storyboard ?
Ce qui compte avant tout, ce sont les idées. Il y a toutes sortes d’artistes de storyboard. Ici même à Pixar nous en avons qui sont plutôt spécialistes des gags, d’autres du contenu narratif. Un bon artiste de storyboard doit savoir tout faire : proposer des dessins amusants, mais qui racontent en même temps une histoire. Il est facile de faire un beau dessin. C’est beaucoup plus difficile de raconter une histoire avec un dessin.
Il y a une sorte de rivalité, aux Etats-Unis, entre l’animation télé et l’animation pour le cinéma. C’était un défi pour moi, avec le peu d’expérience que j’avais en matière de long-métrage, de parvenir à décrocher un poste dans ce milieu. Cela m’a poussé à me dépasser et à faire mes preuves. De plus, en télévision, votre travail se borne à storyboarder le script de quelqu’un d’autre. Vous n’avez pas vraiment d’implication créative dans l’histoire finale. Sur L’Age de Glace, on me demandait plutôt de venir avec des illustrations émanant de mes propres idées. C’est très stimulant et c’est en même temps un challenge. Ce fut une expérience capitale pour moi, et je crois que sans cela, je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui, chez Pixar.
Chris Wedge est quelqu’un de très ouvert, mais dont la créativité est assez débordante, ce qui fait que le storyboarding peut être parfois délicat. Ceci dit, j’ai travaillé plus particulièrement sur les scènes impliquant le bébé, beaucoup sur les gags qui s’y rapportent, ainsi que sur la scène finale dans laquelle le bébé est rendu aux humains. Dans ce type de processus, il est difficile de donner une paternité à telle ou telle scène car c’est le plus souvent le fruit d’une collaboration entre tous les storymen, chaque scène passant de main en main pour l’améliorer. Ceci dit, je peux dire que l’idée des boules de neige est la mienne. Il est très rare qu’une scène entière créée par vous apparaisse dans la version finale d’un film, et lorsque cela arrive et que les gens rient de vos gags, c’est un immense plaisir !
C’est une histoire intéressante. A l’époque, je faisais des bandes-dessinées avec quelques amis. Ronnie Del Carmen, qui travaillait alors chez Pixar en tant que superviseur de l’histoire sur Le Monde de Némo, connaissait mon travail en la matière. Nous avons échangé nos emails et nous sommes devenus amis par internet. C’est alors qu’un poste s’est ouvert pour Ratatouille. Ronnie connaissait bien le responsable de l’histoire Jim Capobianco. A l’époque, il était seul à travailler sur l’histoire de Rémy. Ronnie lui a transmis mon portefolio et j’ai ainsi été le premier artiste à joindre l’équipe de Ratatouille. Peut-être pour partie en raison de mes origines européennes.
Toutes les histoires concoctées chez Pixar connaissent des changements au cours de leur conception. Nous nous battons vraiment pour arriver à chaque fois à la meilleure histoire possible. Que ce soit sur Ratatouille ou sur le film sur lequel je travaille actuellement, ce n’est qu’une question d’écriture et de ré-écriture, de storyboarding et de re-storyboarding, pour améliorer sans cesse notre matériel. Quand je suis arrivé sur Ratatouille, tous les éléments essentiels de l’histoire étaient là. C’était une période très intéressante car nous avions la possibilité d’explorer toutes sortes de pistes, et notamment l’expression du goût. C’est un concept si peu visuel. Ce fut un défi inédit de montrer comment et à quel point la grande cuisine agit sur les personnages. Nous avons donc commencé un brainstorming sur la question et envisagé toutes sortes de procédés comme le flashback. Et quand Brad Bird est arrivé, il s’est alors agi de faire des arrangements sur la trame originale. Le processus fut long (quatre ans) et organique. Pour résumer, je dirai que nous avions une très bonne histoire et nous avons fini avec une histoire fantastique !
Concrètement, comment travaillez-vous sur une histoire ?
Cela dépend. Nous évoquions le brainstorming à l’instant. Cela arrive quand nous avons à travailler sur un problème très précis qu’il faut approfondir. C’est alors qu’on se réunit dans une pièce avec le responsable de l’histoire et d’autres et que l’on commence à dessiner et à dessiner encore, à jeter sur le papier toutes sortes d’idées. Parfois, le réalisateur est là, mais pas tout le temps. Mais c’est un exercice très spécifique qui n’a lieu qu’en des moments précis. La plupart du temps, il s’agit de mettre en images des pages de scénario que nous apportent Brad Bird ou d’autres auteurs. Une ou deux pages à la fois. Mais il ne s’agit pas seulement d’illustration. Nous avons notre mot à dire et on peut très bien suggérer quelque chose, donner son avis, ajouter quelque chose… On aide à donner vie à la vision du réalisateur, mais tout cela dans la discussion et l’ouverture. C’est un troisième aspect du travail qui me plaît tout particulièrement. Il y a une diversité dans ce travail que j’apprécie beaucoup. Prenez la scène dans laquelle Rémy descend la rue, très confiant, pour aller travailler au restaurant. Cela, c’était le scénario original. J’y ai ajouté l’idée qu’il salue quelqu’un hors-champ et que cette personne, un cycliste, est tellement étonné qu’il en percute une voiture derrière Rémy ! C’est un bon exemple de comment cela se passe. J’en ai simplement parlé à Brad et il a été totalement ouvert à cette idée. Le script de Brad est tellement bon qu’il n’y avait pas grand’chose à ajouter, mais quand cela est possible, et que le public rit de vos gags, on se sent vraiment bien !
Au début, il y avait des dessins que vous pouvez retrouver dans le livre The Art of Ratatouille. Ce n’était que des esquisses préliminaires, aucun décor, aucune ambiance, réalisées par Carter Goodrich. Ensuite, d’autres designers sont arrivés pour passer progressivement d’un dessin en 2D à un personnage en 3D, après maints changements. Mais on peut dire que nous avions quand même des pistes au moment. Nos sources varient : parfois c’est une esquisse, parfois c’est un dessin fini. Mais la fidélité au design original n’est pas un critère si important en matière de storyboard car bien souvent, le modèle change. Dans le cas de Ratatouille, le travail de Carter Goodrich était vraiment bien, ce qui fait qu’il fut facile de s’en inspirer.
Dans le livre The Art of Ratatouille, on peut admirer deux de vos storyboards. Le premier concerne les rats qui se prennent une douche dans le lave-vaisselle avant de cuisiner !
C’est une séquence sur laquelle nous avons travaillé très tôt dans la production. Le dessin que vous voyez se rapporte à cette version préliminaire ; je n’ai pas storyboardé la version finale. Mais, finalement, ils ont gardé la plupart des choses que nous avons imaginées au départ. Ce fut une séquence très compliquée à concevoir. Il devait y avoir des rats partout dans la cuisine. Ce devait être à la fois complètement loufoque et un peu dégoûtant ! C’est la raison pour laquelle nous avons très vite imaginé ce passage par le lave-vaisselle ! Il a également fallu se creuser la tête pour trouver des manières de présenter des rats en train de faire la cuisine ! Ce fut un brainstorming très intéressant !
Le second storyboard se rapporte à une séquence dans laquelle Rémy rêve qu’il cuisine, volant au milieu de montagnes de pâtisseries enneigées!
Cette séquence est restée célèbre au studio car j’ai dû la reprendre pas moins d’une quinzaine de fois ! Ce devait être un rêve complètement fou. Pour ce faire, je suis retourné à mes premières amours, et donc à Myiazaki. J’ai imaginé des ustensiles volants à la manière des machines du maître japonais, au milieu de nuages de vapeur. Puis nous avons fini par en faire une séquence de sports d’hiver avec du sucre glace à la place de la neige, et Rémy faisant des silhouettes d’anges dans cette neige sucrée. Nous nous en étions donnés à cœur joie et avions présenté cette séquence à Jan sous la forme d’un story reel, mais cela ne correspondait plus à l’histoire que souhaitait développer Brad, ce qui fait que nous l’avons abandonnée. Malgré tout, assez bizarrement d’ailleurs, on peut la retrouver dans le jeu vidéo tiré du film !
En fait, avant que le film soit entièrement storyboardé, on réalise deux ou trois dessins pour « vendre » une séquence. J’aime beaucoup ce moment et nous nous sommes beaucoup amusés à le faire avec Jan Pinkava. Ensuite, le directeur artistique du film, Harley Jessup a repris certains de mes dessins et les a colorés pour développer les atmosphères et le design. La couverture du livre en est un bon exemple.
Oh absolument. En art, il y a tellement de métiers solitaires. Ici, on a peine à imaginer le nombre d’artistes qui travaillent ensemble et s’inspirent les uns les autres. C’est d’une richesse incroyable !
Et cette collaboration ne s’arrête pas à Pixar puisque vous continuez à travailler avec vos collègues à l’extérieur, comme par exemple avec Ronnie Del Carmen.
Quand je suis arrivé chez Pixar, j’ai tout de suite commencé à parler comics, bd, etc, et il se trouve que de nombreux collègues partageaient cette passion. C’est d’ailleurs par ce biais que nous avons fait connaissance, Ronnie et moi. J’avais déjà une expérience en la matière et nous avons beaucoup échangé sur le sujet, pour finir par participer à des conventions ensemble, comme Comic-Con à San Diego ou partager un même imprimeur. Le livre Three Trees Make a Forest est un bon exemple de ce goût pour la collaboration. Nous admirions depuis des années l’œuvre de Tadahiro Uesugi à travers son site web. Nous avons commencé à discuter avec lui par email et l’avons rencontré plusieurs fois au Japon. Une amitié s’est nouée. Nous avons présenté ses œuvres lors d’expositions à Los Angeles puis est venue l’idée du livre, publié un an plus tard, et qui connaît un certain succès. C’est le genre de collaboration que je souhaite vivement cultiver car cela nous ouvre de nouveaux horizons et nous nourrit artistiquement.
J’adore dessiner. Il m’arrive de ne faire que cela pendant 10 heures d’affilée. J’aime prendre mon sac avec des crayons et du papier, partir en ville et dessiner. C’est une libération pour moi. Nous sommes de nombreux artistes à faire cela dans notre coin, occasionnellement car nous n’avons pas autant de temps à consacrer à cet exercice que nous le souhaiterions. Un jour, j’ai pris la décision de dessiner une journée entière. Rien d’autre. Puis l’idée a germé de faire cela à plusieurs. Très vite, le mouvement a pris une ampleur…mondiale ! C’est très stimulant de songer que tant d’artistes à travers le monde font la même chose que vous au même instant. Ce fut aussi une occasion de voyager, de faire de nouvelles rencontres avec des gens qui partagent la même passion. Le 25 août prochain, nous aurons notre 15e marathon. Et maintenant, cela nous permet de rassembler des fonds pour des œuvres comme Emergency USA à travers la vente de ces oeuvres. Nous essayons de faire un marathon tous les deux ou trois mois. Les appels se font par internet et les gens répondent très nombreux. Rien qu’à San Francisco, nous étions 80 la dernière fois. J’adore partager ma passion dans ces conditions ! Et je dois dire que j’apprécie beaucoup le soutien de Pixar en la matière, qui nous soutient dans ces activités annexes.
Nous avons la chance d’avoir des managers intelligents et ouverts qui ont compris que toutes ces activités ne pouvaient que profiter aux films que nous faisons. D’ailleurs, le studio organise lui-même certaines activités pour nous comme des cours de dessin, mais aussi de la sculpture, du yoga, etc. C’est par cette ouverture d’esprit qu’on échappe aux formules, et c’est ce qui fait toute l’originalité des films Pixar.
Je travaille depuis plus d’un an sur Up, réalisé par Pete Docter. Je suis très enthousiaste à l’idée de ce film. Une fois encore, c’est le genre de production qui sort des sentiers battus et vous emmène vers des univers totalement différents…
Photos (c) Disney*Pixar and Disney courtesy of Enrico Casarosa .
Photo of Enrico, Ronnie Del Carmen and Tadahiro Uesugi courtesy of Ronnie Del Carmen. With our gratitude and admiration to both of you!
And with very special thanks to Erin Harrison at Pixar.
1 Comments:
Merci pour cette interview très instructive =)
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