vendredi, juin 01, 2018

Les Indestructibles 2 : entretien avec la Directrice artistique Bryn Imagire


Vous avez pris part au premier film des Indestructibles. Comment vous sentez vous en revenant à cet univers?
Je suis trop heureuse de pouvoir travailler à nouveau avec Brad. Sur le premier Indestructibles, je me souviens à quel point il s’était fait plaisir. Vous savez, c'était son premier film chez Pixar, et c'était génial de  l'avoir ici, au Studio, après le Géant de Fer que j'avais beaucoup aimé. Je me souviens du nombre de décors que nous devions faire, et de toutes les simulations de personnages. Car à cette époque, c'était notre plus grand film de ce point de vue. Nous aurions souhaité avoir un peu plus de temps pour pouvoir en faire un peu plus, au niveau des muscles, des articulations des personnages et de la simulation des habits. Mais nous avons fait au mieux dans un bon laps de temps.

Maintenant, la différence sur ce nouveau film concerne la technologie qui est bien plus perfectionnée. Je suis très fière de ce dernier parce que nous avons vraiment passé du temps à améliorer les choses. La simulation des personnages, des vêtements, des articulations, tout est tellement mieux maintenant et j'espère que tout le monde l'appréciera. Comme le second film débute là où le premier s'est arrêté, nous devions continuer avec les mêmes apparences, et ensuite essayer d'ajouter des choses, mais surtout les rendre plus belles, et le faire d'une manière qui soit cohérente, de sorte que vous puissiez regarder le premier et le second film à la suite sans trop remarquer les différences.

Je me suis retrouvée sur ce film à repenser à beaucoup d'idées auxquelles nous avions pensé avec Brad sur le premier film, en particulier au niveau du design des personnages. C'est bien que le temps ne se soit pas écoulé entre la fin du premier et le début du second film. Nous connaissons les personnages, nous connaissons leurs motivations.
J’ai repensé aux conversations que nous avions eues avec Brad, il y a 15 ans, et c'était plutôt bien parce que j'avais cette richesse d'inspiration et d'information dans ma tête, et je pouvais y revenir afin que toutes les décisions que nous prenions soit fondées sur ces premières idées que nous avions établies.




Shading art director est un poste très collaboratif dans la production d'un film d'animation. Pouvez-vous me parler de cet aspect particulier de votre travail?

Le shading art director est au coeur du processus. Je m’occupe à la fois des personnages et des décors. Je travaille en étroite collaboration avec le directeur artistique et le réalisateur, mais je travaille aussi très étroitement avec les responsables des différents départements en charge des personnages. Je travaille aussi beaucoup avec les responsables des modèles parce que, quand nous parlons de choses comme le tissu sur les costumes, nous devons comprendre comment cela va s'étirer ou interagir avec les articulations.
Mon travail se rapporte aux couleurs et aux textures de tout le film. J'aime bien ça, car tout doit être "dans le contexte" et on peut attirer l'oeil du spectateur précisément grâce à la couleur et au contraste. Par exemple, dans Indestructibles 2, nous avons donné les motifs les plus saturés et les plus contrastés aux personnages principaux. La famille, Evelyn Deavor et Edna, ont tous des motifs très saturés ou plus foncés ou très contrastés. Pour les personnages secondaires et les décors de fond, nous avons tendance à les laisser retomber en saturation, et les motifs sont très subtils sur les personnages de fond et un peu grisés. Quelque soit la scène que vous choisissez, vos yeux vont d'abord vers la famille et les personnages principaux. Même les décors semblent s’effacer.




Pouvez-vous me parler plus précisément de votre collaboration avec Ralph Eggleston, le directeur artistique du film?
Je travaille avec Ralph et je le connais depuis que je suis chez Pixar. Je le respecte vraiment en tant qu'artiste. Il est très facile et drôle. Il a comme moi, une très bonne relation avec Brad. Donc, ce fut très agréable pour nous de travailler à nouveau ensemble. Vous savez, le département Art est toujours un très petit groupe par rapport à l'ensemble de l'équipe, donc nous travaillons très étroitement ensemble. Il me fait vraiment confiance, et j'apprécie cela. Il me laisse apporter mes goûts et mes expériences.
Par exemple, quand j'ai travaillé sur le costume d'Evelyn Deavor - car je me suis également occupée de la conception des costumes du film - il a suggéré de penser à des interférences sur un téléviseur. C'était une idée très abstraite mais pleine de possibilités, qui m'a permis de beaucoup développer le costume. Il a également suggéré de regarder l'art et la mode des années 60. Ce sont toutes de très bonnes idées pour le design et en même temps qui ratissent large, donc c'était facile pour moi de m'en inspirer pour en retirer des idées.




Dans votre métier, vous expérimentez beaucoup. Je me souviens de la superbe maquette que vous aviez faite du salon de Carl pour Là Haut. Comment était-ce sur les Indestructibles 2?
Animer par ordinateur, c'est rendre chaque chose tangible et crédible. Dans les projets stylisés tels que Les Indestructibles 1 et 2, mais aussi chaque fois que vous faites un film généré par ordinateur, tout peut être infini et vous pouvez simplement ajouter et encore ajouter des détails, comme sur un aimant. Pour ma part, j'aime plutôt maîtriser chaque chose et me concentrer sur l’essentiel. Et les maquettes peuvent être très utiles pour cela.

C'est très agréable parce que ça semble réel, mais parce que l'échelle peut être plus grande ou plus petite, ou quelque chose que vous ne voyez pas habituellement dans la vie réelle, cela vous permet de voir les choses d'une façon très différente. J'aime beaucoup travailler comme ça.
L'autre avantage d'une maquette c'est que vous pouvez l'éclairer comme vous souhaitez. Comme c'est une chose réelle, vous pouvez y faire briller une vraie lumière et voir comment la forme agit dans la lumière. C'est un excellent moyen de trouver des idées en dehors de l'ordinateur. Comme je l'ai dit, il y a quelque chose d'infini avec l'ordinateur, et en faisant une maquette, je fais en sorte qu'elle ne soit pas infinie. C'est une chose finie. Etre capable de jouer avec ça est vraiment un aspect intéressant de ce que je fais.
Sur Les Indestructibles 2, nous n'avons pas fait beaucoup de maquettes, mais j'ai fait beaucoup de collages après des idées de costumes et j'ai montré à Brad ce genre d'artwork. J'ai pris beaucoup de photographies de projets que j'ai fabriquées en peau de serpent ou en métal. J'avais une forme triangulaire de base pour le costume d'Edna et ensuite j'ai ajouté une texture dans cette forme triangulaire et c'était vraiment une manière sympa d'approcher son costume comme une sculpture et non comme une robe. Cela m'a vraiment donné des idées intéressantes auxquelles je n'aurais jamais pensé si j'avais dessiné ces costumes avec un crayon.

 


L'esthétique du film est très inspirée par le design moderne du milieu du siècle dernier. Est-ce que ce choix a eu des répercussions sur votre travail ?
En tant que designer, j'adore cette période parce que les objets étaient très beaux, l'architecture très inspirée, et la mode à cette époque était si intéressante. Donc, je l'aime en tant que période dans le temps, car ça fourmille d'idées, et il y a tellement de choses incroyables dans lesquelles nous pouvons puiser.
Je pense que l'idée de cette période de temps se rapporte vraiment à l’univers de Brad. Parce que nous avions tous le même âge à cette époque, nous avons tous ce genre de nostalgie. Il y avait des choses qui se passaient à l'époque, comme l'optimisme des années 50, les voyages dans l'espace et la façon dont ils envisageaient l'avenir, et à cause de ça, je pense que nous regardons cette époque avec nostalgie et amour.
Mais il y a aussi l'esthétique de cette période qui a des lignes très fines et simples. Chaque texture est très élégante, comme le bois de rose et d'autres matériaux que parfois nous ne pouvons plus utiliser parce qu'ils n'existent plus ou pour d'autres raisons. Je pense que les concepteurs de l'époque envisageaient également la fabrication comme une limite à la conception, car la fabrication influençait la conception finale.
Prenez les lustres de George Nelson. Il s'est inspiré du design européen. Il voulait ramener ces idées ici, mais la façon dont ils étaient fabriqués là-bas était si chère qu'il a fait des expériences avec d'autres matériaux comme la fibre de verre et la résine. Donc, le processus influençait vraiment la conception finale, ce qui, pour moi, est vraiment intéressant.



Sur quels éléments du film avez-vous eu le plus de plaisir à travailler?
Je pense que le point principal de ce film sont les costumes pour Evelyn Deavor. Je me suis sentie très investie dans la conception de ses costumes. Un autre aspect de la conception des costumes sur ce film venait du fait que sa garde-robe devait exprimer des choses sur l’ensemble du film, en suivant l’évolution du personnage, qui est très intéressante. Donc, en plus d'utiliser des éléments de design comme l'art optique et la mode des années 60, j'ai aussi dû suivre son arc du début à la fin du film, et j'ai adoré le faire parce que cela augmentait sa motivation et sa place dans le film à chaque scène.

Traduction : Scrooge. Avec nos remerciements :)