vendredi, août 14, 2015

BON ANNIVERSAIRE M. CAREL!

Rencontrer Roger Carel, c’est rencontrer tout à la fois Jiminy, Timotée, Pongo, Kaa, Triste Sire, Winnie, Bernard et tellement d’autres personnages qui ont marqué notre imaginaire. Mais c’est aussi, tout simplement, rencontrer un grand Monsieur.


Comment êtes-vous arrivé dans le monde du doublage ?
On y vient presque automatiquement. Lorsqu’on décide d’être comédien, après être sorti des cours d’art dramatique, on joue d’abord au théâtre. J’ai participé à ma première pièce, Les Jours Heureux au théâtre Maubel en 1947 et j’ai joué pendant presque cinquante ans de ma vie ! Quand vous jouez au théâtre, il y a souvent des metteurs en scène dans la salle et on vient alors vous chercher pour tourner dans un film. A cette époque, c’était les débuts de la télévision et on est donc également venu me chercher pour jouer beaucoup de dramatiques en direct les jours de relâche. On m’a aussi demandé de faire des feuilletons radio à RTL -Luxembourg à l’époque-, Europe 1, etc. Puis un jour quelqu’un est venu me dire : « est-ce que cela t’intéresserait de faire du doublage ? ». C’était pour NINOTCHKA, avec Greta Garbo. J’ai aussi doublé Peter Lorre, qui a joué dans M. LE MAUDIT ou encore dans 20 000 LIEUES SOUS LES MERS.

Puis vous êtes entré dans l’univers du dessin-animé, avec PINOCCHIO.
J’ai doublé beaucoup d’acteurs de films en prises de vue réelles, et, comme j’avais la possibilité de déplacer ma voix assez facilement de l’aigu au grave, cela a intéressé les gens de l’animation. C’est ainsi que j’ai commencé avec Jiminy dans PINOCCHIO. A partir de là, Disney a été très fidèle puisque cela fait bientôt 40 ans que je travaille avec eux !


PINOCCHIO est sorti pour la première fois en France en mai 1946.Il y a eu en fait un premier doublage et je l’ai doublé quant à moi dans les années cinquante à la demande de Disney. Je crois que c’était Fred Pasquali qui tenait à l’origine le rôle de Jiminy. C’est un personnage savoureux. C’était donc l’un de mes premiers doublages et je découvrais en plus, en tant qu’interprète, le monde de Disney. Il est très apprécié des enfants car il vient remettre Pinocchio dans le droit chemin, tout en restant très ludique. Ce n’est pas un moralisateur ennuyeux comme Béralde chez Molière. De par son physique, puisqu’il est minuscule, il est attrayant et cela apporte davantage au film. Ce petit grillon est une bonne idée. Dans la première version que j’ai faite, on l’appelait Jiminy le Grillon, puis, pour l’édition vidéo 2000, nous avons refait certaines scènes pour remplacer cette appellation par Jiminy Cricket, car on s’est aperçu que tous les enfants l’appelaient ainsi ! Nous avons donc réenregistré certaines parties chez Dubbing Brothers.

Mais vous ne vous contentez pas des dialogues puisque vous chantez également Sifflez Vite Vite...... dont j’ai refait quelques phrases également pour la vidéo de 2000 afin d’y retrouver le nom de Jiminy Cricket. J’ai aussi beaucoup chanté dans les WINNIE L’OURSON. Mais aujourd’hui, les chansons deviennent de plus en plus difficiles et j’avoue franchement que je préfère laisser la place à de meilleurs chanteurs.


Après PINOCCHIO est venu DUMBO, sorti en France en décembre 1947 et dans lequel vous jouez le rôle de Timotée.
Là encore, ce n’était pas la première version puisque je l’ai enregistré pour ma part dans les années 50.

Un très beau rôle est celui du Chat Chafouin dans ALICE AU PAYS DES MERVEILLES.C’était très savoureux. Le film est très beau par lui même et je me souviens encore très bien de sa chanson « et les momeraths en grappe... » ! Il faut dire que j’ai pas mal chanté au théâtre. J’ai notamment chanté LA PERICHOLE de Jacques Offenbach au Théâtre de Paris. Mais je n’ai jamais suivi de formation, je fais tout à l’oreille. Il est intéressant de garder la même voix pour les dialogues et le chant car cela permet d’apporter à la chanson la personnalité qu’on a donnée dans les dialogues. Si les voix étaient différentes, les changements étaient parfois brutaux, et les directeurs artistiques y sont maintenant plus attentifs. Quand je ne chante pas les chansons de Winnie, je les fais faire par un de mes amis, Jean-Claude Donda, qui est rentré pile dans mon registre.


Parmi les films Disney des années 50, on vous retrouve dans LA BELLE ET LE CLOCHARD et LA BELLE AU BOIS DORMANT.
Dans LA BELLE ET LE CLOCHARD, je jouais le rôle du Bouledogue. Quant à LA BELLE AU BOIS DORMANT, j’y interprétais le roi Hubert, que j’ai redoublé récemment pour la nouvelle version DVD. J’ai également repris il y a peu le rôle du Roi dans CENDRILLON puisque Jacques Deschamps, qui l’avait originellement interprété, nous a quittés. Je me suis donc imprégné de ce qu’avait fait mon petit camarade pour mieux reprendre ses marques.

Décembre 1961 : la sortie française des 101 DALMATIENS.
Le rôle de Pongo était tout-à-fait autre chose car, Disney étant toujours très attentif à ses voix, on m’a demandé de retrouver exactement le ton très naturel du personnage original, cette voix intérieure. Cela libère quelque peu le jeu et permet d’apporter davantage d’interprétation.


Dans les années soixante, on remarque que vous avez doublé tous les personnages originellement interprétés par Sterling Holloway (Kaa, Winnie et Roquefort), à qui l’on doit également le Chat Chafouin.J’ai retrouvé mon Kaa il n’y a pas longtemps d’ailleurs ! Ce qui est très curieux, c’est qu’on m’a très souvent donné à jouer des rats ou des serpents ! Songez aussi à Triste Sire dans ROBIN DES BOIS ! Le rôle de 1968 était aussi chanté et chaque fois que je rencontre des enfants, ils me demandent Aie Confiance ! Les personnages de ce film sont tellement merveilleux. Il y a une telle qualité dans ces dessins-animés qu’on a toujours plaisir à retrouver ces personnages. Pour les WINNIE, imaginez aussi qu’au début, je jouais Winnie, Porcinet et Coco Lapin et que j’enregistrais les trois voix en même temps ! C’était énorme ! Aujourd’hui, je me contente d’en faire deux. Porcinet a donc été d’abord repris par Roger Crouzet, qui, malheureusement, nous a quittés. Maintenant, c’est Hervé Rey qui a repris le rôle et qui chante également très bien.

Nous en arrivons à BERNARD ET BIANCA.
Les deux personnages principaux sont très mignons. C’est bien d’avoir des héros qui sont en fait des anti-héros. Mais, vous voyez bien, avec Basil, je ne fais presque que des souris ! (rires) Enfin, il y a quand même eu Lafayette dans LES ARISTOCHATS ou Piqueur dans ROX ET ROUKY.


Vous avez ensuite retrouvé Bernard en 1991 dans BERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUS.L’aventure est différente, mais j’ai aimé faire retrouver la douceur de ce personnage toujours amoureux.

TARAM ET LE CHAUDRON MAGIQUE a connu deux doublages différents.Dans la première version, je faisais Gurki et Crapaud, alors que dans la deuxième, j’ai fait le roi Bedaine, mais j’en ignore la raison.


Pouvez-vous nous parler de l’évolution du doublage, tout d’abord d’un point de vue technique ?Les premiers doublages que j’ai faits, comme NINOTCHKA, ne se faisaient pas à la bande rythmo, ce texte qui défile sous l’image. Au début, elle n’existait pas. Le texte était projeté comme une lanterne magique ou des diapos sur un écran à part, sur le côté du film. Il y avait très peu de répliques et nous étions obligés de faire des scènes très courtes parce qu’il fallait changer la plaque sur laquelle figurait le texte à chaque fois. On apprenait ce texte très vite et on essayait de le placer sur la bouche des personnages. Il faut également savoir que les dialogues étaient enregistrés sur bande optique, ce qui fait qu’on ne pouvait pas écouter ce qu’on avait fait ! La responsabilité reposait sur le monteur, qui regardait si ce qu’on avait fait était plaçable sur la bouche du personnage. C’était tout-à-fait archaïque ! Fort heureusement, la bande rythmo est arrivée très vite, avec le texte qui défile et une barre qui vous indique quand le personnage ouvre la bouche.

Et du point de vue artistique ?Après l’époque de l’enregistrement optique, les doublages ont été dirigés par des comédiens, des gens de théâtre. Subitement, le doublage a complètement changé, basculé pour reposer principalement sur des artistes du cinéma ou de la scène. L’interprétation a perdu cette monotonie des débuts, avec cette voix qu’on appelait la voix synchro ! Les comédiens-doubleurs d’aujourd’hui font en fait le contraire de leur métier : ils essaient d’oublier ce qu’ils savent faire pour se fondre dans l’interprétation d’origine. Quand j’ai doublé Charlie Chaplin ou Peter Ustinov, j’ai mis de côté la façon dont moi j’aurais exprimé ces sentiments pour leur être fidèle à eux. C’est une forme d’honnêteté par rapport aux comédiens.

Les personnages à doubler ont également beaucoup changé avec le temps.
Il faut dire que le jeu des acteurs a lui-même évolué. Les comédiens qui sortent par exemple de l’Actor’s Studio ont aujourd’hui un jeu beaucoup plus naturel, détendu, près de la caméra, murmuré. Cela nous permet davantage de jouer comme nous jouerions, nous. Quand nous jouons au cinéma, on joue « cinéma » et non plus comme au théâtre, alors que, dans les films d’avant-guerre que nous doublions, les acteurs avaient des « voix d’acteurs ». Aujourd’hui, les grandes vedettes se diversifient : j’étais par exemple avec Gérard Depardieu quand il a doublé John Travolta. On ne fait plus uniquement du doublage. Bien sûr, j’ai cette spécialité des dessins-animés, que ce soit pour Hanna-Barbera ou pour Disney. Cela m’amuse d’ailleurs toujours autant, car, pour nous, cela fait partie à part entière du métier de comédien. Un acteur doit être complètement disponible et polyvalent, et cela va même jusqu’à la publicité. On ne pense plus comme autrefois que le doublage est une spécialité. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est la fidélité, et cela va même jusqu’au physique. Il faut retrouver dans le physique du comédien-doubleur ce qui apparaît sur l’écran.

Aujourd’hui, les artistes sont enregistrés un par un. Cela a-t-il toujours été le cas ?C’est vrai que les techniciens nous demandent maintenant systématiquement d’enregistrer seul afin de disposer d’une piste isolée et de se promener dans le son à leur guise. C’est un peu tristounet, mais il paraît que c’est indispensable pour les effets sonores. Au contraire, autrefois, on enregistrait en groupe. Ce fut le cas par exemple de la première GUERRE DES ETOILES. Néanmoins, on conserve parfois cette technique. Les WINNIE sont enregistrés ensemble, avec tout le monde, sauf quand il y a des problèmes d’emplois du temps, car, souvent, il doit y avoir une spontanéité dans les répliques.


Beaucoup regrettent que le C6PO du Star Tours de Disneyland Paris n’ait pas votre voix...Il est vrai qu’on ne me l’a même pas demandé...

Vous est-il arrivé de rencontrer les acteurs que vous doubliez ?Aucun, à part Benny Hill. Il m’a demandé de venir alors qu’il était à Paris. Nous avons fait une interview ensemble puis nous sommes allés à une réception à l’ambassade d’Angleterre. Il avait été très charmant et m’avait fait beaucoup de compliments. Personnellement, je ne parle pas très bien anglais ; les gens riaient beaucoup quand il parlait mais je ne comprenais que mon nom. J’ai donc demandé à un ami qui m’a expliquait qu’il racontait que des amis à lui, de retour d’un voyage à Paris, lui avaient dit : « dis donc, on a vu ton émission à la télévision française. Qu’est-ce que tu as fait comme progrès ! ». A la réception, il y avait l’ambassadeur, son épouse et toute la presse et quand l’huissier m’a annoncé, Benny a fait : « il n’est pas mort ? On m’avait dit qu’il était mort ! », et l’ambassadeur lui a répondu : « mais non, pas du tout ». Il n’avait pas du tout compris, et tous les gens ont éclaté de rire ! Il m’a dit : « vous savez, je vais avoir beaucoup de travail parce que je quitte Thames pour faire des shows énormes aux Etats-Unis ». Deux mois après, il disparaissait...

Quels sont vos meilleurs souvenirs de doublage ?
Les MUPPETS, avec Gérard Hernandez, Francis Lax, Micheline Dax et Pierre Tornade, ont été trois années de joie et de folie ! Nous nous sommes amusés comme des fous car il y avait une part d’improvisation. La version originale était parfois intraduisible parce qu’elle comportait des faux-amis et références anglaises que nous ne connaissons pas. C’était le cas également sur BENNY HILL. Les rires étant enregistrés, on était obligé de trouver un gag qui tombe pile, avec l’équivalent en humour français. Nous nous faisions beaucoup de blagues. On ne disait pas au copain ce qu’on allait dire pour que cela fonctionne. Nous avons eu de telles séances de fous rires ! C’était énorme, alors qu’au départ on ne savait pas si cela allait fonctionner. Pour les français, ces animaux étaient monstrueux et il s’y passait des choses tellement folles. Et en fin de compte, ce fut un succès gigantesque et tout le monde l’a imité.