mardi, janvier 04, 2011

ARRIETTY - LE PETIT MONDE DES CHAPARDEURS : Entretien avec la compositrice et interprète Cécile Corbel


Cécile, pouvez-vous vous présenter en quelques mots?
Ma musique est souvent décrite comme Celtique. Ce qui est vrai dans le sens où mon instrument, c'est la harpe celtique et que je m'inspire beaucoup de ce répertoire. Ceci dit, je me considère avant tout comme chanteuse-compositrice de chansons de mon temps. On peut toujours retrouver des couleurs celtiques ou folks dans ma musique, car c'est mon identité et mes racines, mais ce n'est pas pour autant de la musique traditionnelle. C'est de la musique d'aujourd'hui avant tout.
Comment êtes-vous entrée en contact avec le Studio Ghibli?
J'ai la chance d'être ma propre productrice, ce qui veut dire que, chaque fois qu'un album sort, je m'occupe également de sa promotion. Il y a deux ans, à la fin de la campagne de promotion d'un album, il me restait des exemplaires du cd. Je me suis donc fait une liste secrète de personnes que j'apprécie à qui j'aimerais envoyer ce cd. Et il se trouve que Ghibli se trouvait sur ma liste parce que je suis une fan de leurs films depuis des années. Je ne suis pas une experte en animation japonaise en général, mais j'ai toujours été touchée par les productions Ghibli. Leurs films ont une façon particulière de raconter les histoires , un rythme qui m'aide dans ma vie. Le premier film du Studio que j'ai vu était Le Tombeau des Lucioles et ce fut un véritable choc. Ensuite, j'ai été littéralement captivée par l'univers du Voyage de Chihiro qui m'a rappelé les contes de mon enfances en Bretagne. On ne s'y attend pas a priori, mais il existe de véritables connections entre la mythologie celtique et la mythologie japonaise. Je me souviens également de Souvenirs Goutte à Goutte (Only Yesterday). Il n'y a pas vraiment d'histoire, et pourtant c'est un film très fort. J'aime l'idée qu'il ne s'agit pas d'un combat du bien contre le mal, avec une fin attendue. Il y a toujours des non dits, des sous entendus. C'est ce qui m'a poussée à leur envoyer mon album, simplement comme un cadeau, un témoignage de mon admiration pour eux, sans rien attendre en retour.

Comment expliquez-vous qu'il y ait eu un retour?
Tout s'est passé très vite. Moins de dix jours après que j'ai envoyé le cd, je recevais un email de leur part. Une série de coïncidences a fait que le producteur du Studio, Suzuki-san, a reçu mon enveloppe et l'a ouverte. Il m'a avoué plus tard qu'il l'a fait parce qu'elle était manuscrite, ce qui est très rare. Une autre chose qu'il fait rarement, c'est d'écouter les cd qu'on lui envoie, car il en reçoit des dizaines. Il l'a pourtant fait, à un moment où la production d'Arrietty n'en était qu'à ses débuts et qu'il cherchait des idées pour la musique du film. Il savait qu'il voulait quelque chose avec une couleur celtique dans la mesure l'histoire originale de Mary Norton est d'une certaine façon liée à cette culture, mais il n'avait pas plus avancé. Il m'a dit qu'il avait été séduit dès les premières notes à la harpe et par le son de ma voix. Ensuite, il l'a fait écouter au réalisateur, puis à leurs partenaires de Yamaha, qui participent toujours à leurs BO. A la suite de cela, j'ai donc reçu cet email dix jours plus tard, et un mois après, je recevais les premiers éléments du film. Tout cela s'est passé très vite, c'est incroyable. Je ne m'y attendais pas du tout!

Quels éléments avez-vous reçus?
C'était en tout début de production. J'ai reçu le script de Miyazaki-san, le livre original de Mary Norton et des dessins préliminaires des personnages et des décors.

A partir de là, qu'avez-vous écrit en premier?
Au début, mon travail devait se limiter à l'écriture de la chanson principale du film, Arrietty's Song. Yonebayashi-san, le réalisateur, m'avait envoyé des poèmes qu'il avait écrits et qui avaient été traduits pour moi en anglais, afin de m'aider à trouver l'inspiration. Cette chanson devait être consacrée au personnage d'Arrietty et d'une certaine manière la présenter. J'ai alors envoyé par démo avec anxiété par internet, et ils m'en ont demandé une deuxième, puis une troisième, et ce jusqu'à dix chansons! Au final, en 2009, j'étais en charge de la totalité de la musique du film!
Quelle fut votre approche de la partition?
Ce fut très thématique. Un thème peut être assigné à un personnage en particulier, mais également à un environnement comme le jardin, qui est très important dans le film, ou comme la maison. Tous les thèmes sont en fait dérivés des chansons que j'ai écrites en premier.

C'est une manière intéressante d'écrire une musique de film!
Le Studio Ghibli procède toujours de cette manière. Ils commencent toujours par des chansons. A partir de ces chansons, ils produisent ce qu'ils appelle un "image album" qui sort plusieurs mois avant le film et qui est utilisé comme source d'inspiration pour les artistes travaillant sur le film. Pour Arrietty - Le Petit Monde des Chapardeurs, j'ai écrit beaucoup de chansons sur lesquelles nous en avons conservé 14. C'est de ces 14 chansons que viennent les thèmes instrumentaux de la partition. Au final, cela fait vraiment beaucoup de chansons!

C'est d'ailleurs assez inhabituel pour Ghibli.
Nous avons beaucoup réfléchi à ce propos. Le fait est que le film n'est pas du tout une comédie musicale comme les dessins-animés de Disney. Aucun personnage ne chante. Mais tandis que les créateurs du film faisaient des tests avec mes chansons, ils se sont rendus compte qu'il serait intéressant d'utiliser ma voix comme un instrument, les paroles étant secondaires.
En effet, la couleur de votre voix est en quelque sorte notre guide tout au long du film, de même que la harpe.
C'est exact. La harpe est la couleur dominante de la partition. Elle représente l'aspect scintillant et magique du film, et elle est très fortement liée au personnage d'Arrietty.
Pouvez-vous nous en dire plus sur elle?
Vous la découvrirez vraiment en regardant le film, mais ce que je peux vous dire, c'est qu'elle est une petite fille d'une dizaine de centimètres de haut. Elle est très mignonne, très fraîche et semble très fragile de par sa taille. Et pourtant, c'est elle qui fait avancer l'histoire, c'est elle qui fait bouger les choses. Elle est drôle et brave à la fois. C'est l'image que j'ai eue d'elle dès le départ et que j'ai mise en chanson.
Comment avez-vous adapté vos chansons en musique instrumentale?
Les gens qui aiment ma musique me disent souvent qu'elle suscite des images en eux, qu'elle a une sorte de dimension cinématographique. C'est peut être la raison pour laquelle elles ont tant plu à Suzuki-san. Ceci dit, ce fut un privilège pour moi d'avoir à mettre en musique un tel projet. Le Studio Ghibli m'a beaucoup aidée et tout s'est passé en douceur, de façon très fluide. Avec mon partenaire Simon Caby, nous avons simplement procédé comme nous avons l'habitude de le faire, en puisant cette fois notre inspiration dans les poèmes du réalisateur pour trouver le ton et l'émotion justes. Puis, nous avons adapté les chansons en leur donnant des couleurs différentes et des tempi différents. Ensuite, le directeur musical japonais, Kasamatzu-san, a puisé dans ce nouveau matériel pour le monter en fonction des images. Pour nous, c'était la meilleure manière de fonctionner et cela nous a permis de nous concentrer uniquement sur la dimension artistique de la musique, sans nous préoccuper du timing et du montage.

A quel type d'orchestre avez-vous fait appel?
Je voulais rester dans les couleurs que je pratique habituellement, les couleurs qui ont séduit les artistes de Ghibli. Cela aurait été impossible pour moi d'écrire pour un orchestre symphonique classique, comme ce fut le cas dans leurs précédentes productions, magnifiquement mises en musique par Joe Hisaishi. Pour garder mon propre langage, j'ai décidé de ne plus regarder aucun de leurs films pendant cette période de production. J'ai donc conservé mes modestes sonorités orchestrales, en travaillant avec les artistes avec qui j'ai toujours travaillé. Il y a une guitare acoustique, une basse, un petit quatuor à cordes, des cornemuses, des flûtes irlandais, un tambour irlandais appelé Bodhran, beaucoup de percussions, un accordéon, etc. Et tout a été enregistré en France.

Vous avez également été travailler au Japon. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience?
Il était très important que nous puissions nous rencontrer physiquement. J'ai eu le privilège de visiter le studio. Nous y sommes allés plusieurs fois pour voir comment avançait le projet et nous avons participé au mixage musical à Tokyo. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec Suzuki-san et avec le réalisateur, Yonebayashi-san. Miyazaki-san n'était pas présent dans la mesure où il était plutôt impliqué dans le scénario, mais je l'ai rencontré. J'étais très impressionnée. Nous avons parlé de harpe et de culture celtique. Je l'ai rencontré à la Première puisqu'il a supervisé l'ensemble du projet. Dans ses films, la musique est un personnage à part entière, c'est la raison pour laquelle j'ai été aussi impliquée dans la promotion du film.