jeudi, avril 21, 2011

ALICE AUX PAYS DES MERVEILLES EN BLU-RAY : Entretien avec la voix originale d'Alice, Kathryn Beaumont


C’est une sentiment très particulier que de parler en même temps à Alice et à Wendy !
Je ressens comme un honneur d’avoir eu l’opportunité de jouer deux rôles pour Disney. C’est quelque chose d’unique, en particulier pour la petite fille que j’étais ; il n’y a pas beaucoup d’artistes qui ont joué plus d’un personnage. J’en suis doublement heureuse, d’autant plus que les deux films sont devenus des classiques.

Comment êtes-vous arrivée chez Disney ?
En fait, j’étais juste sous son nez, à la MGM. Je suis née en Angleterre, et à l’âge de huit ans, on m’a fait venir à Hollywood car la MGM envisageait de produire des films qui tournaient autour de l’Angleterre. Rien de concret ne s’est vraiment fait, mais j’étais quand même sous contrat avec le studio. Pendant ce temps, Disney recherchait une Alice qui plairait autant à des oreilles américaines que britanniques, avec une sorte d’accent anglais modifié. J’ai lu mon texte lors de l’audition et j’ai éclaté de joie lorsqu’on m’a rappelée pour me dire que j’avais le rôle. Dans la mesure où il s’agissait d’un film d’animation, c’était très différent d’un film en prises de vue réelles qui prend en général deux à trois mois : ici, il était question de deux ans ! J’ai donc travaillé par intermittence tout au long de la production de l’animation.


Quels souvenirs gardez-vous de Walt ?
J’étais très jeune, aux alentours de dix ans, mais je garde de merveilleux souvenirs de lui. En tant qu’enfant, nous avions des relations très différentes de celles d’une actrice adulte, mais je me sentais très à l’aise avec lui. Tout le processus auquel j’ai participé était très créatif, et il n’agissait pas comme le patron du studio, mais comme un artiste parmi les autres. J’avais ce sentiment très agréable de sentir un véritable esprit d’équipe dans la production d’une oeuvre artistique. Il voulait que je sois impliquée le plus possible dans le projet, tout comme lui y était totalement impliqué. Par exemple, lors de la conception d’une séquence, j’étais invitée aux ‘storyboard sessions’ où tous les artistes travaillaient à l’histoire. Et Walt était très présent dans ce travail. Je voyais le réalisateur et l’auteur présenter toute cette séquence, tous les détails, de la mise en scène aux dialogues. Puis chacun donnait son avis et essayait d’enrichir cette séquence. De mon côté, j’étais assise dans mon coin pensant à la chance que j’avais d’assister à ce foisonnement de créativité et d’être présente aux tout débuts de la création de ce film. Walt était très souvent là, et parfois faisait une suggestion. Je me souviens également d’une séance d’enregistrement lors de laquelle le réalisateur n’était pas tout à fait sûr de l’interprétation du texte. Il me demandait de le dire d’une façon, puis d’une autre, mais n’était pas satisfait du résultat. Alors quelqu’un a dit ‘appelons Walt !’ Et c’est une autre chose qui m’a étonnée : il était le patron du studio, ils l’ont appelé et dix minutes plus tard il était là ! Normalement, il est toujours difficile d’arriver à parler au chef du studio. Il est toujours inaccessible. Mais dans le cas de Walt, il était toujours accessible. Il est donc descendu et a dit ‘OK, les gars. Montrez-moi de quoi il s’agit’. Ils lui montrèrent donc les deux interprétations. Il réfléchit un instant puis dit ‘Je ne vois pas où est le problème, la première version va très bien’. Toutes ces tergiversations, et il était satisfait de la première prise ! [assurément la plus naturelle, une dimension qui était très importante pour lui, JN]. C’est dans des situations comme celle là que l’on en vient à connaître vraiment une personne comme lui, qui ne se considérait pas comme un patron, mais plutôt comme un membre d’une équipe. Cela m’a beaucoup impressionnée.


Vous avez également beaucoup participé à la promotion de vos deux films avec Walt, en particulier à la télévision. Vous faisiez notamment partie des toutes premières émissions de Disney, les deux programmes spéciaux de Noël 1950 et 1951, One Hour in Wonderland, ainsi qu’ Operation Wonderland.
La plupart des émissions de télévision de cette époque étaient en direct. Ce qui devait arriver arrivait ! Quand on est une enfant, on fait tout son possible pour faire ce qu’on nous demande, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. J’ai donc participé à plusieurs émissions de ce genre, pour lesquelles j’ai dû aller à New York. Mais les émissions spéciales de Noël de Disney étaient une idée vraiment nouvelle. Walt n’avait jamais fait de télévision auparavant. En fait, ces émissions ont été tournées aux Disney Studios, de la même manière que l’on tournait des films. L’enregistrement s’est ainsi passé sur plusieurs jours. Nous apprenions notre texte et nous enregistrions une scène à la fois. Cette fois, si on se trompait, on pouvait toujours recommencer ! Tout fut donc assemblé et monté à l’avance pour la diffusion à l’époque de Noël. Et tout cela se déroulait pendant le mois d’Août, pendant l’été ! Ce fut une expérience unique. En plus, nous n’avions pas d’école en cette période de l’année ! Je ressentais ainsi une certaine liberté, et en même temps, c’était un peu bizarre de travailler à quelque chose sur Noël, avec un sapin de Noël et toutes les décorations qui vont avec en plein milieu de l’été, dans la chaleur de la Californie !
Dans ce cadre, j’ai pu apprécier un Walt Disney beaucoup plus réaliste qu’on a l’habitude de le voir et de l’imaginer. Il se débrouillait très bien à la télévision, il avait l’air sûr de lui et jouait très bien, mais il se sentait en dehors de son élément. Il se trouvait alors avec des acteurs qui faisaient leur travail, et ce n’était pas son cas. Il était un peu mal à l’aise, soucieux de bien savoir son texte. Mais en même temps, il voulait tellement collaborer avec tout le monde. Encore une fois, bien qu’étant le chef du studio, il était très humble ! Quand j’ai vu cela, je me suis dit : ‘il est humain !’ Comme nous tous à différents moments de nos vies, il avait ses moments de doute, mais il dominait tout cela remarquablement !


Alice a été animée par les meilleurs : Milt Kahl (qui fut aussi le principal animateur de Wendy), Ollie Johnston, Eric Larson, ou encore Marc Davis.
Mon premier sentiment concernant ces grands artistes est d’abord l’admiration. Mais en même temps, ils ont tout fait pour que je me sente à l’aise et que je participe le plus possible à la création du film. Je ne me suis pas contentée de dire mon texte ou de tourner les scènes de référence selon les instructions que je recevais, je sentais vraiment que je faisais partie de l’équipe créative. A l’époque, du fait de mon emploi du temps, j’avais un professeur particulier, et je suivais mes cours dans les studios. J’avais trois heures de cours et quatre heures de travail pour Disney. Pendant ces trois heures, il y avait naturellement une pause, comme une récréation et je me souviens qu’à ce moment, Milt Kahl m’appelait pour que je vienne voir les derniers dessins. Nous montions alors dans son bureau. Parfois c’était les scènes de références que vous visionnions à la moviola, d’autres fois il nous montrait comment il dessinait. Il rassemblait ses dessins et ceux des intervallistes pour me montrer toute l’animation qui prenait vie sur le papier. C’était un homme profondément gentil. Il apportait beaucoup de soin à tout ce qu’il faisait. C’était un très grand artiste. Au tout début de mon travail, je devais porter un costume pour les scènes de référence, et les artistes devaient être impliqués dans la réalisation de ce costume. Marc Davis s’occupait particulièrement de ces questions, notamment pour donner le sens du mouvement ainsi que de la couleur. Ces films étaient bien sûr en noir et blanc, mais il attachait beaucoup d’importance à la couleur de mon costume afin de donner le meilleur résultat en noir et blanc et permettre d’imaginer les vraies couleurs. Autant de détails que je ne comprenais pas à l’époque mais qui étaient de première importance. Je me souviens qu’il voulait être présent pour le premier contact avec la personne qui allait faire ma robe. Nous étions convenus qu’il viendrait nous chercher ma mère et moi en voiture pour traverser Beverly Hills et aller chez la costumière. Mais il est arrivé avec une nouvelle voiture dans laquelle je ne l’aurais jamais imaginé ! Une Pontiac décapotable rouge vif ! Je m’attendais à une petite voiture noire pour cet homme si doux, et je me suis vue traverser Beverly Hills à toute vitesse dans cette voiture ! J’avais plutôt peur ! Mais il était tellement prévenant et il tenait tellement à sa nouvelle voiture qu’il a conduit tout le temps à 50 km/h ! C’était tout lui : très attentif, réfléchi dans tout ce qu’il faisait. C’est quelque chose de très spécial à propos de Marc Davis dont je me souviendrai tout le temps. J’étais une petite fille et il me taquinait souvent en m’appelant ‘the little girl with the big words’ (la petite fille aux grands mots). Il me le rappelait encore récemment !

Dans vos films, vous chantez beaucoup, en particulier dans ALICE. Quelle était votre formation en la matière ?
Absolument aucune ! En fait, Walt ne voulait surtout pas de voix formée. Pour lui, il s’agissait tout simplement d’une petite fille qui chante ses émotions, et sa voix devait sonner comme telle. Ils ont simplement fait venir une répétitrice avant l’enregistrement des chansons pour s’assurer de la justesse et que je serais à l’aise pour chanter avec l’orchestre. C’était donc une expérience totalement nouvelle pour moi qui n’étais pas chanteuse ! Mais c’était parfait pour ce rôle. De plus, il y a cette fameuse scène avec les fleurs dans laquelle Alice commence à avoir confiance en elle, puis vient cette note aiguë qu’elle n’arrive pas à atteindre !

C’est Oliver Wallace qui s’occupait de la direction musicale d’ALICE ainsi que de PETER PAN. Quels souvenirs gardez-vous de ce compositeur majeur dans l’histoire de Disney, ainsi que des compositeurs des chansons, Sammy Fain, Mack David, Al Hoffman et Jerry Livingston ?
Comme tous les autres membres du studio, Oliver Wallace était très amical et il était très facile de travailler avec lui. Il m’a également beaucoup aidé dans les chansons ! Sachant que je n’avais pas beaucoup d’expérience, il a su rendre les choses aussi simples que possible. Il était très créatif. Mais je dois dire que, du fait que les membres du studio étaient des adultes, nous ne pouvions avoir de relation d’égal à égal. De plus, on pouvait me demander d’enregistrer ou de tourner à n’importe quel moment. C’est la raison pour laquelle je restais tout le temps au studio et que j’étudiais avec un professeur particulier. Et à la fin de chaque travail, au lieu de faire connaissance avec mes partenaires et les créateurs du film, je retournais plutôt à mes études, à l’arrière du plateau, pendant une nouvelle séance de quinze à vingt minutes, avant qu’on m’appelle à nouveau. Je me rappelle seulement à quel point ils étaient gentils avec moi et qu’ils faisaient vraiment tout pour me simplifier les choses.

Le résultat n’en est que plus remarquable si l’on considère la difficulté de certaines séquences comme celle du Non-Anniversaire lors de la partie de thé avec le Chapelier Toqué et le Lièvre de Mars. Il ne s’agit pas seulement de chanter, mais également de jouer la comédie, tout en même temps.
En fait, cela ne me semblait pas un problème ! Il faut dire qu’à l’époque, lorsqu’on enregistrait une scène, tous les acteurs étaient présents en même temps. Aujourd’hui, les différentes parties sont enregistrées séparément et on ne fait qu’entendre ses partenaires dans un casque. C’est finalement plus difficile. Quand tout le monde est là, l’interprétation est plus dynamique et on peut vraiment en discuter et interagir, au lieu de ne faire que suivre des instructions et s’insérer dans un enregistrement déjà fait. C’était aussi très amusant car, pour cette scène, j’étais avec Jerry Colonna [la voix originale du Lièvre de Mars] et Ed Wynn [le Chapelier Toqué, JN], et ils débordaient d’idées pour rendre les choses encore plus drôles ! Personnellement, je pensais qu’ils allaient plaisanter tout le temps, mais en fait, ils étaient très calmes entre les prises car ils réfléchissaient à leur interprétation et en discutaient ensemble. Ce fut une expérience très intéressante!