mardi, novembre 28, 2006

LE MONDE DE NARNIA - EDITION ROYALE : Entretien avec le producteur Douglas Gresham

C’est à l’âge de huit ans que le jeune Douglas Gresham fait la connaissance de l’auteur des livres qui l’ont fait rêver, C.S. Lewis. Après avoir quitté un père alcoolique, violent et volage, le petit américain suit sa mère en Angleterre pour rencontrer l’auteur anglais avec lequel elle correspondait depuis un certain temps et qu’elle épousera quelques temps plus tard. Déception pour le jeune garçon qui s’imaginait rencontrer un chevalier en armure à l’image du Roi Peter et non un universitaire bonhomme. Malgré tout, le courant passe avec ce gentleman finalement drôle et chaleureux à la renommée duquel il vouera bientôt sa vie. Aujourd'hui pasteur, Douglas Gresham s'occupe en même temps de la préservation et du développement du patrimoine culturel et spirituel laissé par C.S. Lewis, avec passion et dévotion. Un attention de tous les instants envers un héritage dont il supervise toutes les manifestations : écrits, films et même jeux vidéo…

Comment avez-vous découvert le monde de Narnia?
C'est d'abord ma maman qui m'a lu L'Armoire Magique peu de temps après sa publication, en 1950. J'étais un petit garçon à l'époque et je me suis mis ensuite à lire chacune des autres Chroniques à mesure qu'elles sortaient.

Vous qui avez vécu avec C.S. Lewis, savez-vous si l'Armoire Magique existe réellement?...
Pour ce que j'en sais, je pense malheureusement qu'il ne s'agit que d'un artifice littéraire pour faire passer quatre enfants de notre monde à celui de Narnia. Il se trouve que deux universités américaines se targuent chacune de posséder la véritable Armoire Magique, mais il ne s'agit en fait que d'armoires bien banales qui se trouvaient dans notre maison à Oxford!...


Vous participez avec la C.S. Lewis company à valoriser et pérenniser l'héritage littéraire de votre beau-père. Pouvez-vous nous en parler?
Jack est décédé alors que je n'avais que 18 ans et son héritage ne faisait pas vraiment partie de mes préoccupations à cet âge. Mais lorsque son frère nous a quittés dix ans plus tard, l'agent littéraire en charge des droits des œuvres de C.S. Lewis a commencé à me consulter sur différents aspects, et c'est ainsi que je me suis de plus en plus investi dans ce travail. Très vite, au vu de l'évolution de nos sociétés, je me suis rendu compte qu'il fallait fonder une véritable compagnie dont le rôle serait de promouvoir l'ensemble de l'œuvre littéraire de Jack, ses Chroniques, bien sûr, mais également tous ses autres écrits, afin de les rendre accessibles au plus grand public. Mon ambition personnelle était aussi depuis le départ de faire en sorte que ces histoires puissent passer sur grand écran. Comme vous le savez, cela est bien partie, et je pense que cela va me tenir occupé pour le restant de mes jours!

On comprend mieux votre investissement sur le film produit par Disney et Walden Media.
C'est un projet que je nourris depuis de très nombreuses années, et je pense que Dieu m'a fait attendre autant pour faire en sorte que la technologie soit enfin là pour faire justice à ces histoires magnifiques. J'ai eu aussi de la chance qu'il mette sur mon chemin Walden Media, une compagnie qui produit des films dans le même esprit que nous, des films familiaux qui éduquent et distraient en même temps.

Les Chroniques de Narnia sont considérées par certains comme une véritable métaphore biblique. Qu'en pensez-vous?
Je pense que c'est inévitable pour quelqu'un comme Jack qui a consacré sa vie si profondément au Christ. Tout ce vous écrivez ne peut qu'être inspiré par votre foi.

Mais ce ne fut pas toujours le cas. On se souvient notamment de discussions qu'il a eues avec Tolkien, qui lui reprochait la froideur de sa foi.
Jack a été élevé dans une famille chrétienne, mais ses différentes expériences, et notamment durant la première guerre mondiale, ont fait qu'il a très tôt perdu la foi. Il ne pouvait concevoir un dieu d'amour qui puisse permettre ces atrocités dans les tranchées. Or, il en est venu à en vouloir à Dieu de ne pas exister, et ce cheminement lui a permet de retrouver le sens de sa foi. Ses collègues à l'université, et parmi eux Tolkien, étaient chrétiens, et ils l'ont beaucoup aidé sur cette voie. Ces hommes n'avaient pas peur de parler ouvertement de leur foi et, étant un homme d'honnêteté et de vérité, cela a touché Jack et ne pouvait que lui permettre de retrouver le Christ.

Dans ces conditions, comment expliquez-vous ce mélange inédit entre christianisme et mythologie païenne qui parcourt les Chroniques ?
Pour le comprendre, je pense qu’il faut revenir aux sources de ce qu’est un mythe. Ce mot ne signifie pas « quelque chose qui n’existe pas ». Les grandes mythologies se rejoignent en un point : la tentative d’expliquer ou de trouver une raison aux merveilles qui l’entourent. L’homme a toujours cherché à trouver l’origine des choses et des miracles qui se produisent chaque jour sous nos yeux : l’arbre qui naît d’une simple graine, le changement des saisons, etc. En ce sens, la Bible est sans doute le livre le plus essentiel dans l’explication de l’origine des choses, depuis Abraham jusqu’à aujourd’hui. Jack avait étudié tous ces mythes fondateurs et il aimait ces histoires car elles tendaient toutes vers la vérité de Dieu. Dans ces conditions, pour lui, elles avaient leur place au cœur de la littérature chrétienne. C’est la raison pour laquelle il les a intégrées dans l’Armoire Magique. De son côté, Tolkien a fermement désapprouvé cela. C’était un puriste dans sa vision des mythes et il n’aimait pas ce mélange. Cela n’a pas empêché Jack de le faire et de persister dans cette approche en créant un monde où tous les mythes pouvaient cohabiter : Narnia.

Que pensez-vous du traitement des Chroniques par Andrew Adamson ?
Si vous parler de l’approche du film, je dirai qu’il s’agit d’un mélange entre mon approche des Chroniques et celle d’Andrew. J’étais à la fois le spécialiste de Narnia, mais aussi le spécialiste de sa dimension chrétienne en tant que co-producteur. De son côté, je pense qu’Andrew a eu raison de mettre des réserves à cette approche purement religieuse. C’est ma conception personnelle des Chroniques. Cependant, l’ambition première du film était plutôt de proposer une adaptation fidèle du livre. De fait, si l’on trouve un symbolisme chrétien dans le livre, on le retrouvera naturellement dans le film. Mais il ne fallait en aucun cas forcer le trait.

Avez-vous parlé de votre approche avec le compositeur Harry Gregson-Williams ?
Non, et ce justement pour les raisons d’honnêteté intellectuelle dont je vous parlais à l’instant. Je pense qu’il est essentiel de laisser les artistes libres d’interpréter un livre ou un film à leur façon. Et cela me semble encore plus crucial avec un musicien qu’avec n’importe quel autre artiste. C’est la raison pour laquelle je ne l’ai rencontré qu’après qu’il a fini d’écrire sa musique –que je trouve remarquable. C’est un artiste exceptionnellement talentueux et j’ai eu grand plaisir à discuter avec lui.

La partition du MONDE DE NARNIA correspond-elle à vos goûts musicaux ?
J’ai des goûts très éclectiques. J’aime toutes les musiques à conditions qu’elles soient faites avec le cœur. Cela va du vieux rock’n roll à la musique pop, en passant par la country et le classique, en particulier Mozart, Vivaldi et Beethoven. En cela, la partition du MONDE DE NARNIA ne pouvait que m’enchanter, comme elle a enchanté le monde entier !



Vous avez également participé à l’élaboration du jeu vidéo de Narnia.
Comme sur le film, j’ai agi en tant que consultant. C’est un processus de création très intéressant que la fabrication d’un tel jeu. D’un côté, on essaie d’être le plus fidèle au film possible, tout en introduisant des innovations liées à l’interactivité. Avant tout, j’ai essayé d’influencer et de stimuler les concepteurs du jeu à propos de la façon d’y jouer et des effets qu’il pourrait avoir sur le ou les joueurs. Et je pense que nous y sommes parvenus notamment à travers l’idée de coopération entre les personnages, ce qui est assez rare et assez innovant dans le monde du jeu vidéo. Vous pouvez incarner tour à tour chacun des quatre enfants Pevensie, et votre succès dépend précisément de la façon dont ils vont interagir et s’entraider.

Pensez-vous qu’un jeu vidéo peut véhiculer ou promouvoir les valeurs profondes du livre et du film ?
Je ne suis pas sûr que le jeu vidéo soit porteur de valeurs morales pour le moment car la technologie n’est pas encore suffisamment évoluée pour nous permettre de faire ce que nous avions prévu de faire originellement avec ce médium, mais les choses évoluent très rapidement dans cette direction. Cependant, je pense que le jeu vidéo est une aide puissante dans la promotion des valeurs éthiques et morales contenues dans le livre en l’incitant à lire l’ouvrage qui a inspiré ce jeu.

Comment expliquez-vous le succès phénoménal rencontré par LE MONDE DE NARNIA. En d’autres termes, selon vous, qu’est-ce que Narnia a à nous apporter dans nos vies, aujourd’hui ?
Beaucoup de choses essentielles. Avant tout, Narnia nous permet de retrouver quelque chose de capital que nous avons perdu. Jack était un homme du 19e siècle. La majeure partie de sa culture et de sa formation a été forgée à cette époque. Aujourd’hui, nous avons perdu ces valeurs comme le sens de la responsabilité, l’investissement personnel, l’honnêteté, le courage et le sens du devoir : autant de valeurs que chérissaient les hommes du 19e siècle et dont nous nous sommes détournés. Aujourd’hui, nous devons réaliser que nous devons retrouver et faire nôtres ces valeurs sans lesquelles nos sociétés sont vouées à l’échec. Ces valeurs sans prix dont le bien fondé est précisément démontré dans les Chroniques de Narnia, et tout particulièrement dans l’Armoire Magique. C’est pourquoi je pense que l’intérêt pour le film, la lecture des livres et l’études de Narnia sont des actes d’une importance et d’une portée bien plus grandes pour nos sociétés qu’on le pense.

En ce sens, la production de PRINCE CASPIAN doit être pour vous une source d’espoir et de joie.
En effet, et j’y travaille précisément en ce moment. Nous n’en sommes qu’au début. Nous sommes repartis pour une grande aventure !…

vendredi, novembre 24, 2006

RAYMOND EN DVD : Entretien avec l'orchestrateur Jeff Atmajian

Dans la lignée d'A NOUS QUATRE et de FLUBBER (et prochainement de SWISS FAMILY ROBINSON), Disney nous propose aujourd'hui RAYMOND, version actualisée du SHAGGY DOG (QUELLE VIE DE CHIEN), l'une des comédies à succès de Walt Disney sortie en 1959. Dans ce film réalisé par Charles Barton, le fils de la famille Daniels, un adolescent joué par le mousketeer Tommy Kirk, était transformé en chien de berger par la malédiction d’une amulette. Puis, en 1976, THE SHAGGY D.A. (UN CANDIDAT AU POIL) a séduit une nouvelle génération de spectateurs.
C'est à Paul Smith, spécialiste des films animaliers (TRUE LIFE ADVENTURES) que l'on doit la musique du premier opus, tandis que le légendaire Buddy Baker signait celle de la sequel, UN CANDIDAT AU POIL.
Aujourd'hui, c'est au non moins légendaire Alan Menken, en pleine effervescence créative disneyenne (ENCHANTED, les versions Broadway de SISTER ACT et de LA PETITE SIRENE, entre autres…) de mettre « la main à la patte » et de succéder à ces deux figures disneyennes pour sa première partition exclusivement orchestrale pour la firme aux grandes oreilles.
Et pour cette première musicale, le magicien qui nous a offert les musiques de LA BELLE ET LA BÊTE et d’ALADDIN a délaissé pour un temps ses complices orchestrateurs de Broadway, pour inaugurer une nouvelle collaboration, avec l’un des plus grands orchestrateurs d’Hollywood, Jeff Atmajian, partenaire privilégié de figures telles que James Newton Howard (Atlantide, La planète au trésor) ou encore John Debney (Bruce tout-puissant, La Passion du Christ). C’est précisément cette rencontre entre Broadway et Hollywood qui nous a intéressés quand nous avons discuté avec lui de son expérience sur RAYMOND, confirmant Alan Menken comme l’un des plus grands compositeurs de notre temps.


Monsieur Atmajian, comment êtes-vous arrivé sur le projet Raymond, une vie de chien ?
C'est Richard Kraft, l'agent d'Alan, qui lui a parlé de moi. Je crois que la raison en est qu'Alan, Disney et Richard voulaient vraiment que la partition de Raymond soit perçue comme une partition classique, authentiquement orchestrale, dans la grande tradition de la musique de film ; quelque chose qui se démarque de l'image d'Alan comme uniquement compositeur pour Broadway.

Comment avez-vous rencontré Alan Menken ?
Alan est venu me voir à Los Angeles, et notre rencontre s'est remarquablement bien passée. Il se trouve que, même si je connais bien le milieu hollywoodien, j'ai collaboré pendant de nombreuses années avec le compositeur Marc Shaiman (Hairspray, George de la Jungle, Sale Môme) qui, lui aussi, travaillait en même temps pour Broadway et pour le cinéma. Et puis il faut bien dire qu'Alan est un magnifique compositeur, et pas seulement de comédies musicales. Durant cette rencontre, nous avons parlé du son qu'il désirait, de cette patte orchestrale qu'il recherchait absolument. C'était son premier grand film en prises de vue réelles et c'est pour cela qu'il voulait une partition typique de ce genre.


Comment s’est passée votre collaboration ?
Dans la mesure où il travaille à de nombreux projets en même temps, Alan n'a pas eu beaucoup de temps pour ce film. Il a donc écrit sa musique au piano à New York et m'a envoyé ses fichiers. Le réalisateur, Brian Robbins, voulait écouter le plus tôt possible des démos, ce qui fait que j'ai immédiatement arrangé quelques pièces et que je les ai séquencées. Alan les a écoutées également et m'a fait part de ses commentaires, des changements qu'il désirait. Puis, en me faisant aider de quelques confrères, j'ai orchestré le tout.

Comment êtes-vous passé du piano à l’orchestre ?
Dès que j'ai entendu la musique d’Alan, j'ai su ce que je devais faire. Elle est tellement parlante, tellement évocatrice. Le fait qu'Alan ne m'ait envoyé que des parties de piano n'était pas un problème car son écriture est tellement claire, tellement explicite que tout prenait sens immédiatement. J'ai été honoré qu'il me fasse totalement confiance pour orchestrer sa musique. Et lors de l’enregistrement à Todd A/O, sous la baguette de Michael Kozarin, un autre véritable gentleman, nous nous sommes retrouvés avec grand plaisir. Certes, sous la conduite d’Alan, nous avons fait quelques menus changements de dernière minute, comme cela est très souvent le cas en musique de film, mais globalement, nous avons tous été très heureux du résultat.


Quel bilan tirez-vous de ce projet ?
J’ai beaucoup aimé travailler avec ces musiciens de très grand talent et j’espère les retrouver prochainement, notamment sur Enchanted

samedi, novembre 18, 2006

FANTILLUSION A DISNEYLAND RESORT PARIS : Entretien avec le compositeur Bruce Healey

Disneyland Resort Paris : c’est vraiment là que vit la magie, si l’on en juge par les merveilles de ce Noël ! Pendant près de 2 ans, sous la houlette du Show Director Kat de Blois et du Production Manager Christian Lecossois, la division spectacle a travaillé dans le plus grand secret à une version totalement réactualisée de cette sublime parade nocturne créée au départ en 1995 pour Tokyo Disneyland. Le résultat, inauguré le 5 juillet 2003, est une pure merveille ! Fantillusion est certainement la parade la plus féérique jamais conçue par Disney. A la tombée de la nuit, le Parc Disneyland se métamorphose. De Main Street au Château de la Belle au Bois Dormant, ce n’est plus qu’un jardin enchanté où évoluent, sous la houlette de Mickey, les princes et les princesses des grands classiques en habits scintillants et où se déroule le plus titanesque des combats contre les Méchants de Disney pour que rayonne la lumière.
De la poésie la plus délicate au drame le plus saisissant, le compositeur Bruce Healey, directeur musical de Disneyland en Californie, a signé ici son plus grand chef d’oeuvre.

Monsieur Healey, c’est une grande joie pour nous de percer avec vous les secrets de Fantillusion!
Merci ! Pour moi aussi. Mais avant de commencer cet entretien, je souhaiterais dire à vos lecteurs que je voudrais que les choses que je vais vous révéler n’interfèrent pas avec la possibilité de chacun d’apprécier Fantillusion selon sa personnalité, son goût et d’être émerveillé par elle. Parfois, lorsqu’on évoque quelque chose dans le détail, les gens ne pensent plus qu’à ces détails et ne profitent pas pleinement du spectacle. Les secrets de fabrication sont intéressants, mais cela ne doit pas les distraire du simple plaisir de faire l’expérience de cette merveilleuse parade !

Nous sommes tout-à-fait d’accord. Fantillusion est sans doute la musique de parade la plus symphonique que vous ayiez jamais composée. Pouvez-vous nous parler de cette tradition qu’est la parade à Disneyland et de son histoire ?
Parcourons cette aventure à rebours. La dernière musique que j’ai composée pour Disneyland est celle de la Christmas Fantasy Parade que l’on retrouve en novembre et décembre et qui célèbre les fêtes de Noël. Mais on trouve également actuellement la Parade Electrique traditionnelle, qui est de retour à Disney’s California Adventure et dont l’histoire remonte à 1972, ainsi que la Eureka Parade, la toute première parade créée pour DCA, qui est très contemporaine et très peu traditionnelle dans sa conception dans la mesure où elle fait appel à beaucoup d’éléments de pop et de rock. Elle est l’oeuvre de Steve Davis, à qui l’on doit de très nombreux projets ces dernières années, et du chorégraphe Jimmy Locust, qui a travaillé notamment avec Latoya Jackson, Janet Jackson et de nombreux artistes du mouvement hip hop afin de faire de cette parade un véritable hommage à la culture et à la musique californiennes. Auparavant, on pouvait voir la 45 Years Of Magic Parade ou Parade Of The Stars, qui était une parade aux proportions plus modestes. Sa musique était basée sur un medley de plus de trois minutes de thèmes Disney que j’ai entrelacés en contrepoint les uns par rapport aux autres. La parade qui l’a précédait était celle de Mulan, en hommage au film, dans un arrangement de ses thèmes que j’ai réalisé en collaboration avec Doug Besterman, l’orchestrateur et arrangeur des chansons du film. C’était une parade très intéressante. Elle était particulièrement belle. Mise en scène par Jean-Luc Choplin, qui a également travaillé à Disneyland Paris, elle faisait appel à de véritable musiciens chinois en live qui descendaient dans la rue, ainsi qu’à des acrobates chinois et d’autres éléments traditionnels. L’année précédente était celle de la Hercules’ Victory Parade, pour laquelle j’ai réarrangé les musiques du film. 1997 fut également l’année de Light Magic, une idée très innovante qui n’a malheureusement pas duré très longtemps, et pour laquelle j’ai composé un thème original ainsi que des arrangements de thèmes Disney dans le style celtique. Ce fut une musique passionnante à écrire. Auparavant eut lieu la Lion King Celebration, l’une des parades les plus populaires que nous ayions jamais créée à Disneyland. On pouvait y voir les principaux personnages du film comme Pumbaa ou Rafiki, entendre leur voix (notamment celle de James Earl Jones comme maître de cérémonie). C’était une parade vraiment très belle avec beaucoup de chars impressionnants et un « production number » d’environ cinq minutes basé sur le Circle of Life. C’était un moment très émouvant. Ce n’était pas la première parade à avoir un arrêt comme cela, c’était la deuxième, mais celui-ci était particulièrement signifiant en raison de la puissance de l’impact qu’il avait sur le public. L’année précédente fut celle d’ Aladdin’s Royal Caravan, une petite parade qui n’avait rien de particulièrement innovant, mais qui était très amusante du fait qu’elle était inspirée de l’esthétique si particulière du film, et le public l’a beaucoup appréciée. Comme la Parade Of The Stars, elle était basée sur une seule boucle, tirée du Prince Ali du film. La parade précédente fut The World According To Goofy Parade, une parade totalement folle sur les différents dingos du monde. Il y avait cinq chars avec chacun une chanson différente. Il y avait par exemple « The Goofosaurus », une sorte de Dingo dinosaure : c’était un peu les débuts de la vie sur terre d’après Dingo ! C’était très drôle !
Voilà tout ce que nous avons réalisé en 10 ans !


Quelles sont les origines musicales de toutes ces parades ?
La première parade avec musique enregistrée du parc fut la Parade Electrique. Les autres faisaient uniquement appel à des fanfares. Il y avait par exemple, à partir de 1966, la Very Merry Christmas Parade, que l’on ne pouvait voir qu’à l’époque de Noël. Pour cette parade, chaque char avait sa propre fanfare. J’ai fait partie du Disneyland Band, j’ai été moi-même percussionniste pour le char de Blanche-Neige de 1967 à 1970, pour le 25e anniversaire du parc. C’était une parade de grandes dimensions, avec chaque char évoquant une histoire de Disney, un peu comme, plus tard, la Fantasy On Parade : il y avait un char consacré à Blanche-Neige, un autre à Cendrillon ou encore à FANTASIA ; celui d’Alice avait une fanfare composée de musiciens portant des costumes évoquant les cartes de la Reine de Coeur et l’orchestre donnait la mesure d’une chorégraphie basée sur la Marche des Cartes. Il y avait également une parade pour la semaine de Pâques, à laquelle j’ai également participé. Quant à la Fantasy On Parade , créée en 1978, il s’agissait d’une association de musique pré-enregistrée et de fanfares en live, en fonction des différents chars. Elle eut un succès tel que, sous différentes versions, elle dura jusqu’en 1992. Mon char préféré était celui de Mary Poppins. Il s’agissait d’une reconstitution des toits de Londres sur lesquels dansaient des ramoneurs au rythme de Step In Time !

Au vu de cet impressionnant historique, Fantillusion semble être la première parade d’une telle dimension symphonique !
C’est exact. Toutes les parades précédentes étaient de dimensions plus modestes. Afin de lier les différents thèmes induits par les personnages de Fantillusion –par exemple, les thèmes de la section centrale, avec les Méchants-, je voulais une approche du type « thème et variations » basée sur un thème original que je pourrais modeler à ma guise au gré des thèmes Disney que j’y inclurais. Les procédés des compositeurs de musique classique me sont alors apparu comme idéaux pour réaliser ce que je voulais faire à ma manière. Je me suis demandé : qu’auraient fait Wolfgang Amadeus Mozart ou Ludwig van Beethoven si on leur avait demandé de travailler dans ce format ? L’approche « thème et variation » était suffisamment flexible pour permettre cela et l’approche symphonique (sans pour autant avoir l’ambition d’une symphonie) me permettait de me situer en quelque sorte hors du temps. Je ne voulais pas me limiter à un style ancré dans une période bien définie tout en restant accessible au plus grand nombre. Cela devait sonner familier pour être immédiatement accepté et apprécié. C’est ainsi que je suis arrivé au thème de Fantillusion, avec toutes les inclusions de thèmes Disney qu’il permet.

Comment décririez-vous ce thème de Fantillusion?
Pour moi, il s’agit d’un hommage à la musique classique, en particulier la symphonie classique. Il s’inspire de mon expérience de la musique de Johann Sebastian Bach et Wolfgang Amadeus Mozart, sans pour autant avoir la prétention d’atteindre ce niveau. Il fallait un thème qui réponde à la fois aux besoins de la parade et qui me plaise. Je dirais également qu’il est suffisamment simple pour être accessible à tout le monde et suffisamment sophistiqué pour permettre toutes sortes de développements.

En composant ce thème, aviez-vous dès le départ une idée de la façon dont vous le croiseriez avec les thèmes Disney. Cette dimension contrapuntique a-t-elle influencé sa forme ?
En effet, pour une grande part. Ce thème a été conçu avec en tête toute la structure musicale de la parade afin de permettre précisément tous ces développements et ces croisements.

Fantillusion a été créée en 1995 à Tokyo Disneyland et Disneyland Paris a ouvert ses portes en 1992. Or, on observe que, dès son ouverture, la musique -y compris d’ambiance- du parc français a toujours été plus symphonique que celle des autres parcs Disney, principalement américains. Pensez-vous qu’il y ait un lien entre l’évolution de la musique des parcs et celle de la musique de parade ?
Je le pense. Dès l’ouverture de Disneyland Paris, Vasile Sirli en a produit la musique en faisant appel à des orchestres européens. En faisant cela, il cherchait des façons différentes de représenter les idées musicales propres aux parcs Disney. Et cela a fonctionné, les gens ont aimé. De la même façon, à la fin des années 80, la musique de LA PETITE SIRENE, sans pour autant être totalement symphonique, a ouvert une nouvelle voie, confirmée par LA BELLE ET LA BÊTE. Cette évolution de la musique de film nous a aussi permis d’aller vers davantage de musique symphonique dans les parcs à thème, à commencer par Disneyland Paris. De notre côté, à Disneyland, nous leur avons emboîté le pas. En 1993, la Christmas Fantasy Parade faisait déjà appel à un orchestre de bonne taille et quelques touches symphoniques, même si le concept de l’était pas entièrement. Plus tard, Fantillusion devenait symphonique de bout en bout.

Orchestrez-vous vous-même vos oeuvres ?
La plupart du temps, j’orchestre ce que j’arrange et ce que je compose. Cela fait partie intégrante de mon processus. Beaucoup de compositeurs de musique de film n’orchestrent pas leurs oeuvres. Personnellement, j’ai une formation plus classique dans laquelle l’exécution, la composition, l’orchestration et l’arrangement fonctionnent tous ensemble dans mon esprit.

On discerne quelques réminiscences des fanfares qui accompagnaient les premières parades dans l’ouverture de Fantillusion (comme dans celles de nombreuses parades actuelles à Disneyland).
C’est vrai. La Very Merry Christmas Parade et la Fantasy On Parade qui comportaient des fanfares live avaient une section fantastique inspirée de la fête foraine. Il y avait neuf trompettistes suivis d’une fanfare complète. Une fanfare enregistrée indiquait au public que la parade allait commencer, puis arrivait la fanfare live qui jouait en même temps que l’enregistrement. J’ai écrit la fanfare d’ouverture de Fantillusion dans le même esprit, pour dire que la parade va démarrer et que quelque chose de grandiose va se passer. Cela permet aussi de mettre le public en état de réceptivité. Je fais souvent cela dans les musiques de parades. Il est d’ailleurs difficile d’y échapper. Une ouverture plus subtile n’aurait pas le même résultat en extérieur dans la mesure où il y a beaucoup de distractions et de bruits.

En bref, la musique de parade évolue sans cesse, mais sans jamais renier ses origines, ses traditions : un pari que vous remportez à chaque fois !
Merci ! C’est toujours un challenge de trouver de nouvelles idées dans un cadre précis. Il serait facile de tout effacer et de faire quelque chose de totalement nouveau, mais cela ne marcherait pas en raison des conditions particulières de nos représentations.

On retrouve également dans Fantillusion de petites touches de musique électronique. Sont-ce des clins d’oeil à la Parade Electrique?
J’ai toujours admiré le thème de la Parade Electrique et son approche contrapuntique. C’est d’ailleurs cette idée qui est la plus présente dans Fantillusion. Quant aux sonorités électroniques, ce sont ce que nous appelons les « happy Disney sounds » que l’on s’attend à entendre dans une telle parade, sons de cloches et autres.


Quelle est l’histoire de Fantillusion?
Lors de la conception de la parade pour Tokyo Disneyland, le point de départ était le goût du public japonais. Parmi les thèmes favoris des japonais, il y en a deux qui sont très proches du goût des familles américaines, l’un tient au concept de fantaisie, l’idée de conte de fées, de princes et de princesses et de bataille entre le bien et le mal et l’autre tient à l’idée de jardins et de fées. Le public japonais trouve dans les jardins et les fleurs beaucoup de motifs d’évasion. C’est ainsi que la première partie de la parade a été appelée Fairy Garden Fantasy. Pour la musique, j’ai repris le thème principal que j’ai ornementé et sur lequel j’ai écrit des variations pour chaque char de cette section, Flowers and Fairies, Dragonflies and Fairies, Butterflies and Fairies, qui s’enchaînent l’une à l’autre comme un grand thème et variations, sans thème Disney pour le moment. L’enregistrement de la version de Tokyo Disneyland a été conçu comme si vous assistiez à la parade –c’est d’ailleurs le premier album-souvenir de ce genre. Les chars défilent pendant la fanfare, l’annonce, la première occurence du thème et les variations (The Enchanted Fairy Garden), puis s’arrêtent pour un « production number », Fairy Garden Fantasy, qui est un medley de thèmes Disney pleins de fantaisie comme Heigh-Ho ou le thème des fées de LA BELLE AU BOIS DORMANT. La deuxième section de Fantillusion est consacrée aux Méchants et est basée sur le thème principal modulé en mineur avec des variations incluant les thèmes de chaque méchant. Quand la parade s’arrête, c’est le moment de The Light Turns Into Night and The Ghouls Dance. Quant à la troisième section, elle est plus romantique, avec ses princes et ses princesses et se conclut sur The Happy Ending Medley, chaque section étant basée sur le thème principal. C’est une organisation très logique, ce qui a permis une utilisation très claire du matériel musical, très narrative, dans un mouvement naturel du début à la fin.

C’est là l’un des intérêts de Fantillusion: ce n’est pas seulement une parade ; c’est un spectacle complet, avec une histoire.
Nous avons décidé que l’introduction, présente lors de tous les spectacles Disney, serait l’occasion de présenter l’histoire que le public va vivre. Cela met chacune des trois parties en perspective. Nous avons utilisé ce poème « Starlight, Starbright » pour raconter cette histoire et préciser la place de tous les personnages, ce qui permet de donner sens à la disparition de la lumière et de rendre la section finale encore plus belle puisqu’il s’agit en fait d’une résolution. Puis le poème revient, consacré cette fois à l’amour et à la magie.

Une autre particularité saisissante de cette parade est que non seulement les chars scintillent, mais ils scintillent en harmonie avec la musique : la lumière interagit avec la musique. Plus encore, c’est le parc tout entier, et en particulier le Château de la Belle au Bois Dormant, qui étincelle et se transforme à l’unisson de la parade. Pouvez-vous nous parler de la place de de cette interaction dans votre écriture ?
Certains aspects de la partition prennent délibérément en compte cette dimension de la parade, que ce soit dans l’écriture proprement dite que dans l’orchestration, qui est tout aussi importante. Par exemple, dans The Enchanted Fairy Garden, j’ai écrit intentionellement une musique qui permette aux chars d’étinceler ou à la lumière de changer de couleur. A cette époque, je ne savais pas précisément comment les chars seraient programmés. La musique a été composée et enregistrée bien avant que les chars soient terminés. J’ai donc simplement, après en avoir discuté avec les créateurs du spectacle original, conçu des images musicales qui offraient cette opportunité dans la programmation. C’est ainsi que, lorsqu’ils furent construits, leur éclairage a été conçu en réaction à la musique.

Dans ces conditions, de quels éléments visuels et narratifs avez-vous puisé votre inspiration ?
Je disposais de ce qu’on appelle un traitement, un document qui décrivait le concept de la parade, le fait qu’elle devait se décomposer en trois parties, que la première contiendrait beaucoup de fleurs et de fées, avec beaucoup de possibilités de changements de lumière. Y figuraient également les personnages qui seraient présents. J’avais également un storyboard comportant des esquisses de ce à quoi chaque char devait ressembler, sachant que ces dessins devaient également évoluer au cours de la production.

Il s’agit d’un processus très cinématographique.
C’est vraiment le cas, à la différence que le storyboard ne peut rendre compte de la réalité d’une parade qui se déroule dans la rue. En animation, on commence par des storyboards, puis on passe à des tests d’animation au crayon (pencil test animation) qui permettent de déterminer et de donner une idée assez précise de l’organisation temporelle d’une scène. Suit alors tout une série d’étapes supplémentaires avant la scène finale. Dans le cas d’une parade, on part bien des storyboard, mais il faut attendre ensuite que les chars soient terminés, qu’ils soient prêts à rouler, pour pouvoir se faire une idée précise de son déroulement. Pendant très longtemps, le résultat final ne réside que dans l’imagination du metteur en scène, du chorégraphe et même du directeur technique.


La section centrale est particulièrement impressionnante, de par son contrepoint et sa force dramatique !
J’ai été vraiment ravi d’avoir eu la possibilité d’aller aussi loin et d’explorer à ce point le côté obscur de nos émotions comme le font les Méchants. On ne peut apprécier la lumière si l’on n’a pas l’obscurité, la joie ne signifie rien sans la tristesse. Cela permet également de créer une belle forme en arche allant du bien au mal et du mal au bien.

Chaque Méchant possède aussi sa propre orchestration, chacune d’entre elles étant particulièrement élaborée.
Pour Jafar, j’ai utilisé des tablas et des dumbeleks ainsi que des cordophones de la famille de l’oud afin de donner cette coloration moyen-orientale. Il s’agissait toujours d’instruments originaux et non d’imitations synthétiques. Pour Ursula, j’ai fait appel à deux harpes -que l’on retrouve dans l’ensemble de l’orchestration de Fantillusion, pour donner du poids à ce type de couleurs. Pour l’enregistrement, j’ai profité de la stéréo pour placer chacune d’elles à droite et à gauche (si j’étais en concert, je pense que je les placerais de la même façon). C’est ce qui donne cette sonorité large. Cela permet également de pouvoir moduler rapidement dans d’autres tonalités et d’avoir une partition plus chromatique. C’est ainsi que procédaient des compositeurs comme Claude Debussy ou Maurice Ravel.

Pour la section The Light Turns Into Night And The Ghouls Dance, la musique semble se faire plus abstraite et plus proche cette fois du répertoire russe du 19e siècle.
J’aime beaucoup l’esthétique musicale d’Europe de l’Est. De plus, travailler dans le mode mineur est bien plus intéressant d’un point de vue harmonique, en particulier après avoir autant écrit en majeur. Cela permet d’explorer tant d’autres possibilités, d’aller encore plus loin dans la sophistication harmonique et contrapuntique. Cette pièce devait être plus évoluée que toutes les musiques de parade qui l’ont précédée !

Vous êtes, entre autres, percussionniste de formation et cela se ressent particulièrement ici !
J’ai fait appel à un certain nombre de percussions exotiques comme les taikos, ces immenses tambours japonais, dans la sorte de passacaille qui précède la danse, joués par un groupe appelé Kodo, qui fait des concerts de musique traditionnelle japonaise. Ces instruments sont très originaux, entièrement fabriquées à la main et incroyablement chers dans la mesure où ils sont faits à partir d’un seul arbre. C’est un instrument très intéressant et je savais que les japonais reconnaîtraient et apprécieraient cette sonorité. C’est pourquoi j’ai tenu à l’utiliser dans mon orchestration.

Vasile Sirli en a également utilisé à Disneyland Paris pour le spectacle Mulan, La Légende de Vidéopolis. Quant au Finale, on peut y apprécier la présence d’un choeur, ce qui est aussi très original pour une parade.
Il y a des éléments choraux dans la section médiane, mais je ne voulais pas exposer le choeur de façon trop signifiante avant le finale. C’est un autre élément qui rend cette parade unique et en même temps, c’est une sorte d’hommage aux finali de la plupart des classiques Disney, qui font généralement appel au choeur. J’ai donc voulu incorporer cet élément pour renforcer cette idée de « happy ending », ce qui a demandé beaucoup de travail du point de vue harmonique et du point de vue du choix des paroles. Ce fut vraiment passionnant !

La version de Fantillusion présentée à Disneyland Paris ainsi que sur le CD souvenir diffère quelque peu de la version japonaise et Vasile Sirli nous a confié que, pour réaliser les modifications nécessaires de la partition originale, il préférait faire appel au compositeur lui-même, par respect pour lui et pour sa musique.
J’ai été très sensible à cette attention. Certaines parties de la musique ont été supprimées pour s’adapter à la nouvelle version de la parade. Ces modifications ont été principalement dictées par de nouveaux choix du metteur en scène. Par exemple, à Tokyo, les trois fées de LA BELLE AU BOIS DORMANT, Flore, Pimprenelle et Pâquerette se trouvent sur trois chars séparés, racontent chacune leur histoire et font leurs propres commentaires. Nous avons dû les réunir sur un seul char. Les dialogues ont donc dû être remontés et remixés. Du fait de ces changements, il a fallu monter et mixer un nouveau CD souvenir pour Disneyland Paris.

Si la qualité de cette nouvelle version est indéniable, on regrettera cependant l’absence des trois morceaux qui résonnent lorsque les chars sont arrêtés et se transforment, Fairy Garden Fantasy, The Light Turns Into Night And The Ghouls Dance et The Happy Ending Medley.
La durée dont je disposais était limitée et la musique de la parade proprement dite m’a pris tout le temps que j’avais. J’aimerais beaucoup qu’il y ait une nouvelle version de ce CD dans lequel je pourrais faire figurer ces pièces sur des pistes séparées.

Quelle a été l’influence de Fantillusion sur les musiques que vous avez composées après ?
C’est une question intéressante. En particulier après avoir entendu Fantillusion en situation et vu comment le public réagissait, cela m’a permis d’évaluer jusqu’où on pouvait aller en termes de sophistication et de complexité tout en pouvant toucher et amuser tous les âges. La musique peut agir à bien des niveaux, et l’on n’a pas besoin de connaître la musique pour la comprendre. Je pense d’ailleurs qu’il est plus signifiant de voir la parade avant d’écouter l’album-souvenir ; cela permet de vraiment ressentir et comprendre la musique en situation. J’espère vraiment que Fantillusion sera autant appréciée à Paris qu’elle l’a été à Tokyo et que le public aura autant de plaisir à y assister que j’en ai eu à composer sa musique !

vendredi, novembre 03, 2006

IT'S HALLOWEEN-LO-WEEN A DISNEYLAND RESORT PARIS : Entretien avec Vasile Sirli

En peu de temps, le Festival Disney Halloween est devenu un moment incontournable de l’année à Disneyland Resort Paris, avec des traditions désormais bien ancrées. A commencer par la célèbre Parade des Méchants Disney, point d’orgue d’une journée horrifique au parc Disneyland. Et ce n’est pas la petite boule de poils bleus –Stitch pour ne pas le nommer-, qui est venue s’insinuer cette année dans le Festival pour notre plus grand plaisir, qui me contredira : il y a trouvé tout naturellement sa place aux côtés de Cruella, Maléfique, Jafar, des Hommes-Citrouilles et autres Sorcières Roses.
Une parade, c’est aussi une musique. Et celle de Vasile Sirli, malicieusement démoniaque, a tout de suite fait mouche auprès des visiteurs, cristallisant tout l’esprit de cet Halloween très spécial, un Halloween Disney…


It’s Halloween-Lo-Ween, véritable hymne d’Halloween à Disneyland Paris n’est pas la première chanson que vous avez écrite pour le Festival Disney Halloween. Avant elle, il y a eu Halloween Halloween
Tout est parti de la recherche d’un répertoire musical qui pourrait nous servir lors de la première parade d’Halloween, et l’on s’est très vite rendu compte que ce dernier n’était pas aussi riche qu’on pouvait l’attendre, en tout cas pas aussi riche que celui de Noël par exemple. Il n’y avait pas de chanson fédératrice, connue dans le monde entier comme c’est le cas pour les fêtes de fin d’année ou pour le Carnaval. Nous nous sommes dits que, dans ces conditions, nous pouvions envisager la création d’une chanson originale pour la parade et qui pourrait s’ajouter, en toute modestie, dans le répertoire de la fête. Nous sommes donc partis sur l’idée de quelque chose de populaire, de simple et amusant comme Halloween. Jay Smith a écrit les paroles et Robbie Bucchanan l’a arrangée à Los Angeles. Cette chanson a fait les beaux jours de la parade pendant trois à quatre ans, lorsque nous nous sommes dits que nous pourrions la changer ?

Pourquoi cela ?
Le Festival s’étant bien installé dans le calendrier du parc, nous avons voulu le faire évoluer musicalement. Après trois-quatre ans, nous souhaitions du sang neuf, sans pour autant oublier la première chanson, toujours présente en certains endroits du parc et lors des rencontres avec les personnages. Il faut savoir que les deux chansons ont eu dès le départ un grand succès à tel point que des radios américaines, notamment de Chicago, nous en demandaient l’enregistrement pour pouvoir les diffuser sur leurs ondes ! Il ne s’agissait donc pas d’une suppression mais d’un enrichissement du répertoire existant. De plus, la première chanson étant plutôt basée sur l’humour, le happenning de personnages imaginaires et le comique, nous nous sommes orientés cette fois vers quelque chose de plus « pop ». De fait, en 2003, nous n’avons plus fait appel à des personnages extérieurs pour se concentrer sur une approche pop classique autour du thème d’Halloween.


Comment décririez-vous It’s Halloween-Lo-Ween ?
A la base, il s’agit d’un duo assez énergique dans la mesure où dès le départ j’ai eu l’idée d’un pop issu du rock. Si le couplet est assez dessiné du point de vue mélodique, le refrain est une oscillation sur deux notes variées principalement du point de vue rythmique. On est toujours dans le cadre d’une chanson simple et facile à retenir et à reprendre.

Comment avez-vous utilisé les deux chansons dans la Parade des Méchants Disney ?
L’intérêt était de les faire passer en boucle car, la parade ne durant qu’un mois, il fallait que la musique gagne en présence et en impact pour devenir la véritable signature musicale du Festival. Le risque était bien sûr la lassitude du public, mais, avec son talent, comme à son habitude, Robbie Buchanan a su trouver des modulations qui conviennent au mieux aux deux chanteurs, mais également permettent de renouveler à chaque fois l’attention des auditeurs sans jamais se répéter.

Les choses ont un peu changé il y a deux ans…
En effet. It’s Halloween-Lo-Ween a inspiré un de mes amis de Stokohlm, Doru Apreotesei, qui avait déjà créé des variations sur Chante, C’est Noël ! Il y a deux ans et demi, en mars-avril 2004, j’étais aux Etats Unis pour travailler au spectacle du Roi Lion de Vidéopolis, et, à cause du décalage horaire, je me réveillais au milieu de la nuit, tandis qu’il faisait encore jour en Europe. C’est lors de ces moments que j’ai appelé Doru et que je lui ai parlé de faire des variations pour Halloween. Tout comme pour Chante, C’est Noël !, il a rebondi avec enthousiasme sur cette idée et un dialogue s’est noué ainsi pendant les nuits américaines. Les choses se sont intensifiées, il s’est véritablement passionné et a donné le meilleur de lui-même. Pendant la production de la musique du spectacle du Roi Lion, une autre musique se créait, avec notamment une remarquable version reggae d’It’s Halloween-Lo-Ween. J’adore son humour, mais aussi son côté rêveur et je lui ai demandé de composer une variation dans ce sens, ainsi qu’une version rock, car c’est aussi un grand rocker et une version rap, interprétée par son propre fils. C’est alors que, sans toucher à la parade, nous avons testé ces variations dans le parc en certains endroits pour voir comment cela fonctionnait, et notamment lors du feu d’artifices de la soirée Halloween de 2004. Là, nous avons privilégié l’une des versions rock -car il en a finalement réalisé plusieurs, toujours plus abouties, et parfois plus décalées. Le succès étant au rendez-vous, nous avons décidé d’en faire un disque l'année dernière avec différents remixes de la chanson, afin d’être toujours dans le coup, la musique, et notammment la techno évoluant toujours très vite. De plus, nous avons utilisé ce nouveau matériel dans la Parade.

Comment cela ?
Vous savez, Halloween est une sorte de trublion dans l’année, un peu comme le Carnaval, pour oublier nos soucis, et, à son image, nous avons imaginé que les nouvelles versions d’It’s Halloween-Lo-Ween pourraient agir comme des trublions dans la Parade et la perturber avec humour. C’est ainsi que la majorité de la Parade se déroule sur la musique pop classique que l’on connaît, mais que nous avons décidé de mettre la version rock sur le premier et le dernier char. Si la totalité de la chanson est synchronisée avec l’underliner, les 2/3 de la chanson sont synchronisés d’un point de vue vocal avec lui. Le dernier tiers, environ 40 secondes, fait apparaître une guitare rock très trash, très heavy metal, comme quelqu’un qui ne peut plus contenir son énergie et qui lance une sorte de grand éclat de rire à la manière rock pendant le couplet et une partie du refrain d’après. Si vous avez la chance de vous trouver devant ces deux chars au bon moment, vous vous retrouverez assurément au cœur de ce délire guitaristique. Cette excitation est tellement communicative que les Méchants présents sur ces chars ne peuvent s’empêcher de se prendre pour des rocks stars ! Nous espérons que le public partagera cette excitation !

Pour vous, qu’est-ce qu’un Halloween Disney ?
Pour moi, Halloween est une fête familiale. On sait que les petits enfants sont toujours prêts à jouer les grands, ce désir existe en chacun d’eux. Halloween est donc une occasion de se sentir plus grand, que ce soit à travers les déguisements ou le fait d’affronter ses peurs, aux côtés des adultes, des adolescents et des pré-ados, tous réunis autour d’une fête sous l’angle de l’humour, de l’ironie et de la dérision. Le Halloween de Disneyland, c’est cela. Rien à voir avec une fête simpliste, exclusivement enfantine. Halloween est à partager avec tous, petits et grands, tous prêts à affronter sorcières et fantômes avec le même plaisir !

Vasile Sirli est Directeur de la Musique de Disneyland Resort Paris. En tant que tel, il a composé et produit les musiques de la plupart des parades du parc depuis sa création, de feux d’artifices, de spectacles, d’événements spéciaux ainsi que de l’attraction Animagique aux Walt Disney Studios.
Photos © Disneyland Resort Paris et (3)Christine Blanc.

mercredi, novembre 01, 2006

LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES : Entretien avec le producteur Don Hahn

FANTASIA n’était pas encore terminé que déjà Walt Disney envisageait non pas une mais des suites, souhaitant faire de ce film unique une merveilleuse symphonie éternellement inachevée. Soixante ans plus tard, le souhait du papa de Mickey se réalisait grâce à son neveu, Roy E. Disney : FANTASIA/2000 ouvrait le XXIe siècle par un nouveau mariage idéal de l’animation et de la musique. Et c’est fort de ce nouveau succès que Roy E. Disney décida en 2002 de renouveler l’expérience, lançant un troisième FANTASIA, sous le nom de code de « The Music Project ». Un « Fantasia 2006 » un peu différent puisque non pas basé sur la musique classique, mais sur les musiques du monde, et qui malheureusement n’a pu voir le jour.
Fort heureusement, certains courts-métrages initiés en 2002 ont pu malgré tout être finalisé et présentés au public, que ce soit lors de festivals (DESTINO de Salvador Dali et LORENZO de Mike Gabriel à Annecy) ou dans des bonus dvd : UN PAR UN de Pixote Hunt et Dave Bossert dans l’édition collector du ROI LION et aujourd’hui LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES de Roger Allers, présent dans l’édition collector de LA PETITE SIRENE.
Un véritable chef-d’œuvre de poésie et d’émotion à propos duquel nous avons eu le privilège de parler avec son producteur, Don Hahn, véritable légende de l’animation, à qui l’on doit également LA BELLE ET LA BÊTE, LE ROI LION, LE BOSSU DE NOTRE-DAME ou encore ATLANTIDE : L’EMPIRE PERDU.


Quelles sont les origines de LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
Il y a quatre ans, nous avons songé à faire un nouveau FANTASIA, qui serait cette fois inspiré par les musiques et les cultures du monde. Du tango à la musique japonaise, il y avait beaucoup de sons et d’histoires à explorer. Et l’une d’entre elles était La Petite Fille aux Allumettes.

Vous parlez du conte classique de Hans Christian Andersen, l’auteur de La Petite Sirène. Et pourtant, vous avez déplacé ce conte vers la Russie pré-révolutionnaire.

La musique qui a été choisie pour cette histoire était un mouvement de quatuor du compositeur russe Alexandre Borodine, et le réalisateur Roger Allers s’est inspiré de l’âme russe qui se dégage de cette pièce pour situer son film dans l’hiver glacial de la Russie. C’est à partir de là que les choses ont réellement commencé.

Quelle fut la première idée : l’histoire ou la musique ?
Dans le cas de La Petite Fille aux Allumettes, c’est l’histoire qui est venue en premier. Partant de là, nous avons cherché une musique qui aille avec ce conte. Pendant un temps, Clair de Lune de Claude Debussy nous a semblé le bon choix,. Cette pièce semblait convenir à l’histoire que nous souhaitions traiter, mais finalement, il s’est avéré que cela ne fonctionnait pas aussi bien que cela, pas exactement dans le sens que nous étions en train de développer. Nous nous sommes donc remis en quête d’une musique, et c’est ainsi que nous sommes tombés sur le troisième mouvement (Notturno) du Quatuor à Cordes n° 2 en Ré Majeur d’Alexandre Borodine.

Est-ce vous qui avez songé à ce morceau ?
En effet. Je le connaissais bien et je l’ai proposé à Roger Allers. Roger est un grand ami et un réalisateur de talent à qui l’on doit notamment LE ROI LION. Il a trouvé que cette pièce fonctionnait parfaitement avec ce qu’il envisageait et nous avons alors adapté notre storyboard afin qu’il colle exactement à la musique.

Ce nouveau FANTASIA était aussi le projet de Roy E. Disney, tout comme FANTASIA/2000. Quel fut son rôle ?
Il a été très impliqué dans les premières phases du projet. C’est lui qui l’a véritablement impulsé. C’est ainsi qu’il a cumulé les fonctions de producteur et de producteur exécutif. Pour LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES, c’est lui qui s’est aperçu que Clair de Lune ne marcherait pas vraiment et qui nous a invités à poursuivre nos recherches. Il était également présent quand nous avons enregistré ce Nocture de Borodine avec le quatuor Emerson.

Comment votre choix s'est-il porté sur Roger Allers pour diriger ce court-métrage ?
Pour nous, les courts-métrages sont comme une bouffée d’air frais. Quand vous travaillez sur un long-métrage, cela vous prend quatre ans non-stop. Pour Roger, ce fut donc un projet relativement court. Certes, cela lui a également pris quatre ans pour le finaliser, mais dans le même temps, il a pu réaliser d’autres films parmi lesquels LES REBELLES DE LA FORÊT pour Sony. C’est l’un des grands réalisateurs de dessins-animés de notre temps, si ce n’est le plus grand. Il a travaillé tant d’années à créer des histoires pour Disney. C’est vraiment quelqu’un de formidable. Il a toujours eu une tendresse particulière pour La Petite Fille aux Allumettes dans la mesure où il avait l’habitude de raconter cette histoire à sa fille quand elle était petite, et ils pleuraient tous les deux à la fin. C’est un lien très émotionnel qu’il a développé avec ce conte, ce qui en faisait la personne idéale pour en diriger le court-métrage.

Vous évoquez de la fin de l’histoire. Vous avez conservé le dénouement original, avec la mort de la petite fille. Un ton assez inhabituel pour Disney, le spécialiste des « happy endings ».
Très honnêtement, ce final a été beaucoup et durement débattu. Roger et moi tenions à rester le plus fidèles possible à Hans Christian Andersen, tout particulièrement pour un court-métrage. Dans le cas d’un long-métrage comme BLANCHE-NEIGE, PINOCCHIO ou LA PETITE SIRENE, destiné à un très large public, Disney a l’habitude de travailler énormément son histoire et de modifier largement la trame originale d’un conte. Dans le cas de LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES, il nous a semblé que nous n’avions rien à gagner à altérer une histoire aussi belle et aussi poétique. Tout le monde ne fut pas d’accord et certains dirigeants refusèrent d’abord d’envisager une fin triste. Nous avons donc proposé quatre fins différentes et finalement, c’est notre point de vue qui l’a emporté ! Car en fait, ce n’est pas une fin si triste que cela. Au contraire, pour nous, c’est une fin pleine d’espoir.


Chaque court-métrage des différents FANTASIA est aussi l’occasion de nouvelles expériences, tant artistiques que technologiques. Et LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ne déroge pas à la règle.
Ce fut très intéressant car c’est vraiment un film « fait-main », un peu comme un manuscrit C’est ce que nous aimons le plus en animation. Roger voulait faire appel à l’aquarelle. Ce ne fut pas tant un problème pour les décors car le réalisateur et les décorateurs étaient rompus à cette technique et ont su créer une magnifique palette de tonalités dans ce style. Mais nous voulions dans le même temps que cette technique et cette douceur se retrouvent dans les personnages. Nous avons donc utilisé l’ordinateur pour créer différents effets afin de donner l’impression qu’ils sont peints à la main, au pinceau, à l’opposé de la technique classique, qui donne un résultat plus uniforme au niveau de la surface.

C’est une grande fierté de savoir que des membres de Walt Disney Feature Animation France ont participé à ce film !
Le studio français était vraiment extraordinaire. J’ai travaillé plus directement avec eux sur deux films, et notamment sur LE BOSSU DE NOTRE-DAME -l’un de mes films préférés- auquel ils ont su apporter un style unique. Ils nous ont beaucoup apporté à nous, cinéastes, en matière de littérature et d’art. J’ai toujours adoré travaillé avec notre studio français, et le fait qu’ils aient pu participer à LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES a été un très grand plaisir!

FANTASIA et FANTASIA/2000 ont expérimenté toutes sortes de relations entre images et musique. Comment cela se traduit-il ici.
Vous avez tout à fait raison en disant que FANTASIA est une grande expérience artistique explorant différents moyens de raconter des histoires sans le secours des dialogues, ou tout simplement en emportant le public dans un voyage visuel et sonore. Avec LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES, nous avions l’une des plus remarquables histoires de tous les temps. De plus, c’était une histoire courte, ce qui la rendait parfaite pour FANTASIA. D’un autre côté, nous voulions une musique qui ne soit pas trop mélancolique. L’histoire elle-même était un peu triste et nous voulions lui apporter certains moments plus énergiques, reflétant les rêves de la petite fille, ses espoirs et sa relation à sa grand-mère. Nous voulions aussi concilier une certaine crédibilité artistique en faisant appel à l’un des meilleurs quatuors à cordes actuels, le Quatuor Emerson, avec une interprétation musicale qui aide vraiment à raconter notre histoire. De ce fait, les musiciens n’ont pas joué en aveugle. Nous leur avons montré les dessins des personnages ainsi que le storyboard et ils ont adapté leur jeu et leurs tempos à la narration. Il y a donc eu une véritable interaction entre l’aspect visuel et la dimension musicale.

Comme vous le soulignez, FANTASIA ne peut se réduire à des images inspirées par la musique. C’est une véritable collaboration entre les arts.
Absolument. J’ai toujous pensé que la musique et l’animation étaient inséparables. Les plus grands films d’animation ont toujours été accompagnés de musiques remarquables. Je pense notamment au BOSSU DE NOTRE-DAME, mais également aux TRIPLETTES DE BELLEVILLE.

A quel niveau cette collaboration fonctionne-t-elle dans LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
Pour moi, c’est avant tout au niveau des émotions. Il n’y a pas vraiment de mots pour dire la tristesse quand elle est profonde. Les mots donnent des informations, mais ils sont limités dans leur intensité. Quand nous produisons des films musicaux comme LA BELLE ET LA BÊTE ou LE ROI LION, les personnages chantent toujours car, à certains moments, ce qu’ils ressentent est si fort qu’ils ne peuvent plus parler. Ils doivent chanter. C’est la même chose sur LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES : l’émotion est si profonde, l’espoir est si fort que seule la musique est capable d’exprimer cette intensité. Les mots ne peuvent exprimer qu’un spectre réduit d’émotions, un peu comme le spectre de la lumière visible par rapport à celui des ultra-violets, qui est extraordinairement étendu. Et je pense que la musique a la possibilité de couvrir d’une certaine façon les deux spectres, celui du visible et celui de l’invisible. C’est la raison pour laquelle je pense qu’elle est si importante dans ce film.

Du visible à l’invisible, de la froidure (voire la froideur) à la chaleur, le film semble basé sur les oppositions, les contrastes.
Plus que l’opposition du chaud et du froid, je parlerais de celle entre présence et absence de couleur. La majeure partie du début du film, jusqu’à ce qu’on découvre les rêves de la petite fille, est en noir et blanc. Il y a aussi la puissance, l’énergie (celle des chevaux, celle des retrouvailles dans le chalet avec sa grand-mère) par rapport à la douceur (celle de la fin). Tout cela nous a inspiré des textures différentes, des approches différentes. Quand vous êtes dans la ville, le monde en noir et blanc, les angles sont aigus : les bâtiments, les barrières… Alors que, lorsque vous arrivez dans la campagne, tout est doux, couvert de neige ; les décors et les personnages sont tout en rondeur, en douceur et en couleurs. C’est un univers très accessible. Et tous ces contrastes -aigu/rond, dur/doux- jouent un rôle fondamental dans notre film.

De la même façon, le Nocturne de Borodine possède le même type de contraste, à travers ses deux thèmes, l’un doux et calme, presque nostalgique, l’autre plus énergique.
C’est la raison pour laquelle nous avons trouvé qu’il correspondait si bien à notre histoire. Bien qu’elle ait été écrite il y a plus d’un siècle, cette œuvre nous parle toujours aujourd’hui. Dans la séquence de la ville, elle exprime à merveille la profondeur, en nous présentant cette petite fille et ses difficultés. Et dans la deuxième partie, on a ce changement, tandis que la petite fille gratte ses allumettes et qu’elle découvre le monde de ses rêves. La musique devient plus énergique, avec beaucoup de mouvement. C’est le moment où le traineau vient la chercher pour l’emmener vers la maison dans les bois. Enfin, quand il devient clair qu’elle n’aura jamais tout cela, l’intensité redescend et l’on retrouve cette tristesse douce-amère que l’on avait au début du film, quelque chose en même temps de plus calme et de poétique.

Dans les deux FANTASIA, une grande partie des œuvres classiques ont été coupées (Cinquième Symphonie de Beethoven) ou même réarrangées (Pompe et Circonstances d’Elgar, Toccata et Fugue en ré mineur de Bach). Cela fut-il le cas pour LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
En effet, mais dans une dimension moindre que pour les FANTASIA. Par exemple, dans la partition originale de Borodine, certains passages devaient être répétés et nous ne l’avons pas fait. De la même manière, nous avons coupé certaines sections à la toute fin du morceau pour des raisons de narration. Mais nous avons essayé le plus possible d’être fidèles à la façon dont Borodine a écrit son quatuor. Il faut savoir que cette pièce a été énormément adaptée au cours de l’histoire. Il en existe notamment une version orchestrale, et c’est d’ailleurs sous cette forme que j’ai découvert ce morceau pour la première fois. On en connaît même une adaptation pour Broadway, avec des paroles ! C’est une musique tellement romantique et tellement évocative. Nous nous sommes simplement situés dans la même veine.

Vous qui avez participé à FANTASIA/2000 ainsi qu’à ce nouveau projet, que ressentez-vous à l’idée de prolonger ce chef-d’œuvre absolu que fut le FANTASIA original?
Cela vous rend très humble, en fait. J’ai grandi en adorant tout ce que faisait Disney, et FANTASIA constitue sans aucun doute le sommet de l’art de l’animation. De plus, j’ai toujours aimé la musique –j’ai d’ailleurs une maîtrise de musique. De fait, la rencontre de la musique et des arts est quelque chose qui me touche très personnellement. Travailler sur ce genre de projet est ce qui me convient le mieux, et lorsque Roy Disney m’a proposé d’en faire partie, j’ai sauté sur l’occasion ! Je crois que c’est vraiment ce genre de film qui permet de conserver à l’animation toute sa vitalité.

LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES fait suite à la sortie de ONE BY ONE dans l’édition collector du ROI LION, un autre court métrage initialement prévu pour le troisième FANTASIA. Mais il reste encore DESTINO ou encore LORENZO qui, s’ils ont été projetés lors de différents festivals, n’ont pas encore eu les faveurs du grand public.
Je dois avouer qu’il n’y a encore rien de prévu en la matière pour le moment, mais si nous arrivons à produire d’autres courts-métrages dans cet esprit dans les années à venir, j’ai bon espoir que nous puissions les réunir dans un seul film afin de les présenter au grand public. J’adorerais faire cela car ce sont des films magnifiques qui n’ont été diffusés pour le moment que lors de festivals comme celui d’Annecy alors que j’aimerais beaucoup les partager avec le plus grand nombre.

Aujourd’hui, vous êtes tout particulièrement impliqué dans la production de tels courts-métrages expérimentaux.
A Walt Disney Feature Animation, j’occupe les fonctions de producteur, mais aussi de vice-président exécutif du développement créatif. Cela me permet précisément de promouvoir la création de ces courts-métrages. J’adore ce genre de films car ils apportent tellement. Ils permettent à de jeunes réalisateurs de faire leurs preuves, ou aux réalisateurs plus accomplis comme Roger d’expérimenter de nouvelles techniques. Cela nous permet également d’être vraiment en phase avec la communauté des animateurs, avec le monde de l’animation que nous apprécions énormément, et de partager nos expériences, de montrer notre savoir-faire, pas seulement en matière de longs-métrages, mais également de courts-métrages artistiques.

Ce renouveau des courts-métrages rappelle beaucoup le dynamisme des années 50 en la matière. Je pense notamment aux films expérimentaux de Ward Kimball par exemple. N’est-ce pas là un signe du renouveau de Disney en général ?
Je le crois. A chaque fois que le studio était à son meilleur niveau, nous produisions des courts-métrages. C’était le cas dans les années 50, ainsi qu’à la fin des années 80-début des années 90, à l’époque où Tim Burton a réalisé VINCENT ou FRANKENWEENIE et où Pixar a créé une bonne partie de ses premiers films, des courts-métrages également. C’est toujours le signe d’un environnement créatif en pleine santé. J’ai donc bon espoir que ce soit un signe, et c’est dans ce sens que nous travaillons avec John Lasseter et Roy Disney.

Quels souvenirs garderez-vous de cette expérience de LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES ?
Même s’il ne s’agit que d’un film de six minutes, c’est toujours un marathon. Mine de rien, cela nous a pris quatre ans, le temps d’arrêter, de reprendre puis d’arrêter et de reprendre encore et encore. Mais cela en valait la peine car nous aimons que les choses soient faites correctement, afin de rendre le meilleur hommage à Hans Christian Andersen, qui nous a tant inspirés. Et je n’insisterai jamais assez sur notre attachement à l’animation traditionnelle, l’animation à la main. Lorsque cela est bien fait, c’est l’une des plus belles formes artistiques qui soit.

THE FROG PRINCESS est actuellement en préparation, et l’on ne peut que se réjouir de retrouver un projet de long-métrage en animation traditionelle, qui plus est mis en musique par le plus grand spécialiste de la musique d’animation, Alan Menken.
C’est ce qui fait que je suis très heureux d’y travailler actuellement avec les réalisateurs Ron Clements et John Musker. Nous puisons notre inspiration dans l’œuvre d’autres spécialistes des contes de fées, les frères Grimm, mais dans une approche vraiment très différente.

Special thanks to Don Hahn, Emily Hoppe and Kathy Bond.