mardi, mai 29, 2007

PIRATES DES CARAÏBES - JUSQU'AU BOUT DU MONDE : Entretien avec le premier assistant réalisateur, Peter Kohn


Si Peter Kohn était un membre de l’équipage du Black Pearl, ce serait sans aucun doute Gibbs, le second du Capitaine.
Premier assistant du réalisateur de la trilogie Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski, il est celui qui accompagne au plus près tous les détails de la production, de la conception au tournage. Un premier assistant qui a pas mal bourlingué par les sept mers, avec un palmarès cinématographique impressionnant (Air Force One, K-PAX, La Maîtresse du Lieutenant Français...), et toujours le même regard émerveillé sur le cinéma.
Tous à bord pour une virée en pleine mer, à la poursuite des secrets des Pirates des Caraïbes !
“Drink Up, Me Hearties, Yo Ho !”


Comment avez-vous embarqué à bord de la saga Pirates des Caraïbes ?
Ce fut par le bouche à oreille. Le directeur photo, Dariusz Wolski, et moi avons travaillé ensemble sur de nombreux projets de vidéo clips, ce qui fait que nous nous connaissions depuis longtemps. De plus, il se trouve qu’il connaissait Gore Verbinski. Il a donc suggéré mon nom pour un entretien avec Gore. Vous savez, même si l’industrie du cinéma peut paraître énorme de l’extérieur, cela reste un milieu assez restreint et tous les techniciens, assistants réalisateurs, directeurs artistiques et autres ayant travaillé sur des films importants sont sur les listes des différents studios –liste A, liste B, liste C, selon l’ampleur du projet- et ce sont souvent les mêmes noms qui reviennent. Dans la mesure où j’avais travaillé sur quelques films importants et, comme je vous le disais, par le bouche à oreille, j’ai pu être contacté pour faire partie du premier opus de Pirates des Caraïbes.

Comment s’est passée la rencontre avec Gore Verbinski ?
Je dois avouer que j’étais un peu nerveux quant à cette entrevue avec lui et ce pour une raison assez amusante. Il se trouve que nous avions déjà travaillé ensemble. J’ai été pm (production manager) sur le même projet que lui quand il a commencé, il y a pas mal années. Je produisais et j’étais assistant pour des clips vidéo tandis que lui débutait dans le département des effets spéciaux de la même compagnie. Ce qui fait que, avant de le rencontrer en tant que réalisateur de Pirates des Caraïbes, j’ai essayé de me rappeler si j’avais été assez sympa avec lui à l’époque ! Finalement, nous nous sommes très bien entendus et l’idée de faire un film historique avec des pirates m’a tout de suite intéressé. Il n’y a pas si souvent de projets comparables et réussir ce film de genre était un véritable défi. Il faut dire que, lors de notre entretien, nous avons évoqué plusieurs grands films du genre comme Cutthroat Island ou Pirates de Roman Polanski. Tous deux étaient très intéressants du point de vue visuel, mais n’ont pas vraiment marché sur le plan de la popularité. Ceci dit, même si le script n’était pas encore écrit, l’histoire qu’il m’a racontée, qu’il avait déjà en tête, la direction dans laquelle il voulait aller, sans compter la présence de Johnny Depp, tout cela m’a totalement séduit. Je pense qu’avec un projet de cette envergure, tout technicien du cinéma ne pouvait que sauter sur l’occasion !

Vous dites qu’il vous a raconté l’histoire avant que le scénario ne soit écrit ?
Le script définitif, prêt au tournage, n’était pas encore écrit en effet. Mais les grandes lignes de l’histoire étaient déjà fixées. Vous savez, les gens comme moi sont recrutés des mois avant le tournage proprement dit et la pré-production, a fortiori sur un film d’époque comme celui-là, prend énormément de temps. A cette époque, ce n’était qu’une idée générale.

Quel est exactement le rôle du premier assistant réalisateur ?
Il s’agit de partir du script et le « réaliser » en termes d’organisation du tournage. En règle générale, vous prenez un scénario et vous divisez chaque scène en jours de tournage en fonction des lieux de tournage, des disponibilités des acteurs, des structures disponibles pour le tournage, etc. Une autre partie de mon travail, plus spécifiquement sur Pirates des Caraïbes, a été de m’occuper du casting des figurants. Enfin, la troisième partie de mon travail consiste, pendant le tournage, à organiser le travail et à gérer l’ensemble des paramètres du tournage au jour le jour afin que le planning soit respecté.

Cela dépasse de beaucoup le travail habituel d’un premier assistant !
Cela va encore plus loin dans la mesure où j’ai vraiment participé à tous les niveaux à la conception de ce film. J’étais présent à toutes les réunions durant la pré-production, j’ai supervisé la construction du bassin artificiel dans lequel ont été tournées les principales scènes navales du 2 et du 3 et j’ai participé aux repérages, au casting des figurants et des rôles secondaires. Cela suppose une véritable relation de confiance avec le réalisateur, comme ce fut le cas sur Air Force One ou sur la saga des Pirates des Caraïbes. C’est la raison pour laquelle j’ai été souvent également crédité en tant que producteur associé.

Comment organise-t-on un tournage sans script, comme ce fut le cas sur ce film ? C’est précisément ce qui m’a plu dans le fait de travailler avec Gore Verbinski. Il a un sens visuel très fort et partant des grandes lignes de l’histoire ; il savait exactement ce qu’il voulait tourner et comment il voulait le faire. A partir de là, nous avons passé des semaines sans script, à storyboarder le film dans sa totalité avec des dessins très simples en bâtonnets. D’ailleurs, ce fut exactement la même chose sur les films 2 et 3. Nous n’avions pas de script au moment de commencer à travailler. Nous avions deux pièces, l’une pour Le Secret du Coffre Maudit et l’autre pour Jusqu'au Bout du Monde, et sur les murs nous avons créé la totalité de chaque film à partir de ces dessins très simples. L’ensemble a été amélioré plus tard par de véritables artistes de storyboard, mais en attendant, Gore savait exactement comment devait être chaque scène, tant du point de vue visuel que du point de vue du rythme, à partir de petites feuilles de papier épinglées sur les murs. Il ne partait que de deux ou trois paragraphes écrits, parfois moins, puis il nous décrivait comment il voulait tourner ces scènes, parfois il dessinait les angles de caméra et les prises de vue qu’il souhaitait. Et en dessous de cela, il épinglait le storyboard. C’est à partir de cet endroit que j’ai appelé « The Wall-Room » que j’ai organisé le tournage et que j’ai déterminé le nombre de jours qu’il faudrait pour tourner l’attaque du Karken, par exemple. Tout cela fait que le travail avec Gore est très différent de celui avec les autres réalisateurs dans la mesure où il visualise très tôt l’ensemble du film et qu’il apporte énormément à l’histoire à travers son approche très visuelle. En d’autres termes, c’est souvent sa vision, avant que le script soit écrit, qui a été intégrée dans le scénario et non l’inverse comme c’est plus généralement le cas ; un plan particulier ou encore une séquence qu’il a voulu insérer entre deux scènes pour mieux faire avancer l’histoire. Il parvient vraiment à embellir l’écriture scénaristique à travers sa propre vision.

C’est ce qui fait de Gore Verbinski un conteur hors-pair.
C’est très clair quand vous voyez ses films, en particulier des blockbusters comme ceux-là. Il a une approche suffisamment solide pour scotcher le public à son fauteuil. En ce sens, Jerry Bruckheimer et lui sont bien de la même veine. Vous trouvez une scène d’action toutes les dix ou douze minutes, tantôt un morceau de bravoure, tantôt un trait de comédie, tantôt une explosion : quelque chose qui vous tient en haleine et qui fait que le film vaut les euros que vous y avez mis pour payer votre place. On ne peut construire un film comme cela avec simplement un grand moment au début, un autre au milieu et un autre à la fin. Il faut régulièrement relancer l’attention par une surprise. Cela doit être comme une attraction à la fête foraine. C’est un mélange parfaitement équilibré entre la dimension comique apportée par les scénaristes, l’ampleur que Jerry Bruckheimer a apportée au projet et le talent des acteurs. Le résultat est une aventure épique inouïe, située à une époque passionnante, notamment du point de vue visuel et magnifiquement interprétée.

Dans la mesure où une partie de la production a eu lieu simultanément, on associe souvent Le Secret du Coffre Maudit et Jusqu'a Bout du Monde. Est-ce aussi votre sentiment à vous qui avez vécu cette aventure de l’intérieur ?
Pas vraiment. Pour moi, ce sont vraiment trois films différents. Le fait de tourner le 2 et le 3 en même temps a rendu les choses compliquées du point de vue des décors, des maquillages, des costumes, des coiffures, des acteurs et des figurants, bref du point de vue de la logistique en générale. Et je pense que les créateurs des films ont tout fait pour les rendre différents. Dans le 3, vous voyez toute l’évolution des personnages et les changements dans le ton du film. Le premier était très léger et drôle, le deuxième était plus impressionnant et a apporté une dimension épique, tandis que le troisième est arrivé à une dimension plus mature et plus sombre du point de vue des personnages. J’adore cela. C’est d’autant plus intéressant pour le public de pouvoir découvrir une telle évolution, de telles différences. Cela se ressent notamment à travers le personnage d’Orlando Bloom. Dans le 1, c’était un jeune garçon et la saga raconte d’un certain côté son passage à l’âge adulte. Cela se ressent également dans la lumière de ce troisième opus, plus sombre, comme pour montrer que, progressivement, on s’achemine vers la fin d’une époque, celle des pirates.

Comment s’est passée votre collaboration avec les deux principaux scénaristes du film, Ted Elliott et Terry Rossio ?
Au début de la production de POTC 2 et 3, nous avions nos bureaux à côté les uns des autres. Nous nous amusions de la pression qu’il régnait à cette époque de la part de la production et du département « écriture » afin de faire en sorte que tout soit prêt pour le tournage. Je rentrais dans leur bureau et je leur disais : « j’ai besoin de la prochaine scène ! Où est-elle ? ». Je regardais alors leur tableau noir avec leurs petites cartes et j’avais une idée de ce qui allait suivre. D’une certaine façon, nous nous « espionnions » les uns les autres. Eux venaient voir comme j’organisais le tournage de leurs scènes, et moi je venais les voir pour prévoir les futurs tournages. Parfois, nous venions leur demander d’écrire une scène qui devait se trouver en plein milieu du film, simplement parce qu’elle devait être tournée dans les mêmes conditions de scènes antérieures. Ils abandonnaient alors la continuité de leur histoire pour se concentrer sur cette nouvelle scène. Ce fut un véritable partenariat. Nous avons travaillé main dans la main afin de respecter les délais.

Pouvez-vous nous parler de la direction artistique du film ?
En fait, le designer a changé entre le 1 et le 2. Chacun avait son style, mais les deux ont eu un point commun, Port Royal. Nous sommes retournés à St Vincent, où se trouvaient les décors, et en dépit de quelques ouragans, la majeure partie de la ville était toujours là après un an et demi. Il a naturellement fallu reconstruire certains éléments, en dépoussiérer d’autres, mais nous avons retrouvé nos marques avec grand plaisir. Pour le reste, je suis toujours ébloui par la qualité du travail réalisé en la matière, toujours plus riche. C’est ainsi que dans le 3 on explore toutes sortes de pays qui furent l’occasion de construire toutes sortes de décors, parmi les plus impressionnants qu’il m’ait été donné de voir !

L’argument du premier film était de rendre hommage à l’attraction légendaire de Disneyland. Comment cela a-t-il évolué d’un film à l’autre ?
Une fois qu’on a rendu hommage une fois, il est difficile de recommencer encore et encore. Le premier opus était véritablement un coup de chapeau à l’attraction et je pense que Gore a vraiment essayé de rester fidèle à son esprit à travers le chien, les clefs, etc. Il ne faut pas oublier que c’est le fondement de la saga. De fait, il y a toujours des références comme la bagarre dans la taverne tandis que l’orchestre joue du violon. Ce fut un grand plaisir de créer ce genre de scène et de renouer, en ce qui me concerne, avec l’époque où j’ai découvert l’attraction, quand j’avais six ans. Mais cela n’a jamais été fait avec lourdeur ce qui fait qu’il a été possible de continuer dans cet esprit sans pour autant rester prisonnier de l’histoire de l’attraction.

L’un des décors les plus impressionnants est celui de Singapour, construit aux studios Universal. Pouvez-vous nous en parler ?
Je suis totalement d’accord avec vous : c’est l’un des décors les plus incroyables dans lesquels il m’a été donné de travailler ! Depuis les premiers concepts, nous savions que le film devait se dérouler pour partie à Singapour : Gore et son directeur artistique avaient situé là le fait que nos héros viennent secourir l’un des leurs et nous nous sommes dits que ce contexte oriental devait être spectaculaire. Nous nous sommes alors demandés comment créer un tel décor et où. Il faut savoir que Singapour, tout comme un grand nombre de villes de cette région, sont contruites sur des rives. Il fallait donc construire notre ville sur pilotis pour pouvoir avoir de l’eau sur a peu près la moitié des décors. S’est alors posée la question de savoir où il serait possible de créer notre Singapour : à l’extérieur ? près d’un lac ? d’une retenue d’eau ? d’un réservoir ? Fallait-il inonder un studio ? Dans ces conditions, il fallait un studio assez grand pour pouvoir supporter également toutes les explosions que nous avions prévues. Après avoir réfléchi et exploré toutes les manières de développer les séquences de Singapour, nous avons décidé de les tourner dans les deux plus grands studios d’Universal, où il est possible de relever le sol et où il y a un réservoir. Nous avons même approfondi ce réservoir, construit nos décors en hauteur, puis inondé le studio. De son côté, Rick Heinrichs, le designer du film, s’est occupé de réaliser tous les détails de ces décors. C’était incroyable : les bâtiments, les toits, tout était fait avec une telle profusion de détails qu’on se croyait vraiment à cette époque à Singapour. Nous y avons notamment tourné la scène où l’on rencontre le pirate asiatique, Sao Feng, dansun établissement de bains de vapeur. Ce fut une scène terriblement difficile à filmer à cause de la chaleur. Souvent, au cinéma, pour simuler la vapeur, on utiliser de la fumée mais ce n’est pas toujours satisfaisant, cela donne une ambiance de brouillard assez confuse. Nous devions avoir des centaines de figurants assis dans des baignoires, et pour ce faire, nous ne pouvions les faire tourner plusieurs jours d’affilée dans de l’eau froide. Nous avons donc dû chauffer l’eau, comme pour un jacuzzi. Ce qui fait que nous avons travaillé littéralement dans un hammam pour cette séquence. Imaginez alors les barbes postiches qui se décollent, le maquillage qui coule, la chaleur des perruques et des costumes. Sans compter que nous avions également un énorme combat à l’épée suivi d’une fuite au milieu des explosions !

On imagine à peine le travail logistique !
Pour toutes ces raisons, la sécurité de ce plateau a été une préoccupation majeure pour moi. Rendez-vous compte qu’une grande partie des structures était en bambou, ce qui donnait l’impression que le sol pouvait s’effondrer à tout moment sous nos pieds ! Fort heureusement, nous sommes à Hollywood et cette fragilité n’était que factice : toutes les structures étaient renforcées. Mais c’était tellement bien fait, tellement bien camouflé qu’il nous semblait que le pont pouvait s’effondrer en moins de deux. Les acteurs arrivaient, voyaient tous ces trous dans le sol et avaient peur de tomber. C’est pourquoi mon travail a notamment été de les rassurer. Il faut dire qu’avec cette chaleur et cette vapeur en permanence, vous ne pouviez même par repérer la sortie. Le village que nous avons créé est un véritable labyrinthe, avec des passages de partout. Impossible de trouver la sortie. Nous avons donc dû faire des exercices d’évacuation chaque semaine. On sonnait l’alarme et tout le monde devait se rendre vers la sortie la plus proche !

Les séquences du délire schyzophrénique de Jack dans l'antre de Davey Jones ont été tournées à Bonneville Salt Flats, dans l’Utah.
C’est un lieu que je connais bien pour y avoir tournée pas mal de publicités. Il suffit que vous vous vous avanciez d’un kilomètre dans ce désert et vous avez l’horizon à 360° autour de vous. C’est comme une sorte de mirage. On y fait tous les tests pour les records de vitesse. Le sol est totalement blanc. C’est comme si on se trouvait sur la Lune. C’est la raison pour laquelle on y a tourné les scènes sensées se passer aux tréfonds de l'océan.

Un autre lieu de tournage célèbre : les chutes du Niagara.
Cela a été fait, tout comme les séquences que nous évoquions juste avant, a la fin de la production du 3. Mais ce n’est pas la première équipe qui y est allé, plutôt celle des effets spéciaux pour apporter aux effets aquatiques de la plongée dans l'antre de Davey Jones.

Pouvez-vous nous parler de l’aspect humain du tournage ?
Quand vous participez à un projet aussi long que la saga Pirates des Caraïbes, vous développez forcément une relation avec les acteurs et l’équipe. Tous, nous devenons une sorte de grande famille. Parce que, sur ce genre de film, vous n’avez plus de temps pour votre véritable famille. Normalement, la production d’un film dure de quatre à cinq mois. Sur Pirates des Caraïbes, cela a duré plus d’un an, avec plus de 125 jours de tournage. C’est énorme. Et j’ai des collègues qui y ont travaillé encore plus longtemps que moi. Cela crée des liens, une relation de confiance. Les acteurs savent qu’ils peuvent compter sur vous pour assurer leur confort, leur sécurité, leur information à propos de ce qu’ils doivent faire chaque jour.

Avec-vous des anecdotes de tournages ?
Pour vous dire la vérité, Pirates des Caraïbes a représenté un travail incroyablement difficile pour chacun d’entre nous. Pour le premier assistant réalisateur, les meilleurs souvenirs sont des souvenirs de travail, quand tout fonctionne comme cela a été prévu. D’autres membres de l’équipe comme les acteurs, les maquilleurs, les costumiers, ne passent pas nécessairement autant de temps sur un plateau. Pour moi, c’était 14 heures par jour, six jours par semaine. De par cette énorme quantité de travail, il n’était pas matériellement possible de partager beaucoup d’expériences annexes avec eux sur le tournage. Quand vous êtes assis au beau milieu de la jungle à attendre qu’on vous maquille ou qu’on vous appelle pour tourner, vous avez des moments de pause. Mon travail est tellement intense, le souci de faire en sorte que la journée de tournage se passe bien, la sécurité de 400 personnes qui travaillent sur l’eau, la coordination du département des effets, de l’équipe des caméras pour les combats, du département des bateaux, des cascades, des accessoires, tout cela est tellement énorme que je laisse tout le monde s’amuser. C’est là que je vois que mon travail porte ses fruits. J’essaie toujours d’apporter une atmosphère légère quand je travaille mais moi, je suis toujours sous pression ! Au final, ma fierté, c’est de voir tout ce que nous avons réussi à accomplir au quotidien. Quand je revois ce combat à l’épée sur cette langue de sable au beau milieu de l’océan dans Le Secret du Coffre Maudit, tout comme les pour-parlers avec Lord Beckett dans Jusqu'au Bout du Monde et que je repense que cela a impliqué la présence de 400 personnes réparties dans plusieurs hôtels, 400 personnes qui doivent prendre des bus qui doivent les transporter vers des bateaux qui vont eux-mêmes les transporter vers des cargos sur lesquels se trouve tout le matériel, qui doivent alors reprendre des bateaux pour les amener sur cette petite bande de sable, et tout cela pendant plusieurs jours, je suis toujours impressionné. C’est phénoménal, ce que nous avons accompli ! Pour répondre à votre question, les moments les plus drôles ont plutôt eu lieu lors de la pré-production, à l’époque où nous étions à la recherche de ces lieux incroyables pour notre tournage. Nous sommes allés d’îles en îles avec Gore, le designer du film et les gens du studio pour chercher où tourner l’attaque du Kraken ou les séquences d’attaque des chinois dans Pirates des Caraïbes 3. Je me souviens que nous avions repéré une plage qui nous semblait parfaite, comme vierge. Nous avons pris le bateau, accosté et avons sauté du bateau dans la mer pour nous y rendre, puis le soir, nous sommes retournés à l’hôtel où nous avons raconté notre voyage. C’est à ce moment que les gens là-bas nous ont dit : « vous êtes allés sur cette plage ?!! La baie est truffée de requins ! » Et nous n’en savions rien. C’est ainsi que se sont passés nos repérages. Un jour, nous marchions dans la jungle et on nous a dit qu’il y avait des gorges magnifiques qu’il nous fallait voir, un peu plus loin. C’était une journée très chaude. Nous avons trouvé de l’eau qui venait d’une chute dans la montagne. Nous avons tous ôté nos vêtements, sauté dans l’eau et nagé au milieu de ces gorges. Et c’est devenu une scène de Pirates des Caraïbes 2, quand les prisonniers des cannibales s’échappent, poursuivis par les indigènes qui leur lancent leurs sagaies. Cette scène ne figurait même pas dans le script. Nous avions simplement envie de nous rafraîchir et quand Gore a vu cela en nageant, il a trouvé qu’il fallait absolument que l’on tourne quelque chose dans ce cadre splendide. Une séquence supplémentaire inspirée tout simplement par un lieu fantastique trouvé par hasard. Et c’est ainsi que nous avons passé deux jours à tourner cette scène dans l’eau ! Quelque part, nous avons réellement vécu l’histoire de Pirates des Caraïbes, nous avons réellement vécu cette aventure. « Regardez, une plage déserte !... Allons-y !... de l’eau fraîche ! Allons jeter un coup d’œil !... » Si cela avait été sur une autre production, nous aurions construit ces gorges ; là, nous avons filmé dans les conditions réelles, et je peux vraiment vous assurer que c’était pour de vrai !

Le processus a-t-il été le même sur Jusqu'au Bout du Monde ?
La Malédiction du Black Pearl et Le Secret du Coffre Maudit proviennent vraiment de ces expériences, de ces recherches de lieux étonnants. Les Cannibales, cette séquence, la façon dont ils sont accoutrés, les lieux, tout cela vient d’une île bien particulière. C’est parce que, sur l’île de la Dominique, vous trouvez un groupe de gens qui descendent réellement de tribus indigènes, et qui ont une apparence très spécifique, très caribéenne. Ils ont des traits indiens, ils vivent dans les Caraïbes, ils ont les cheveux roux, l’île a des pitons et autres pics très caractéristiques. Tout cela a fait que les Cannibales de Le Secret du Coffre Maudit ne sont pas stéréotypés. Ils sont basés sur des données réelles. D’ailleurs, cela fut assez difficile de convaincre ces gens très timides, de tourner dans notre film. Mais nous voulions vraiment quelque chose d’authentique et d’unique. Il a fallu leur montrer que nous ne voulions en aucun cas nous moquer de leur histoire, que nous faisions un film de fiction et que cela nous intéressait tout particulièrement qu’ils puissent y participer. Ils avaient très peur d’être stigmatisés en tant que descendants de cannibales, mais nous avons fait très attention à ce que ce ne soit pas le cas. Le résultat de cette démarche est la couleur inimitable de ces films, grâce à l’authenticité de leurs participants et des lieux de tournage. Il n’était pas possible de retrouver le même type d’expérience sur Pirates des Caraïbes 3 car, en dehors de Singapour, une grande partie de l’histoire se déroule en mer, en bateau. On y trouve toujours des lieux incroyables comme l'antre de Davey Jones (on y retrouve également Port Royal et Tortuga), mais le sujet du film se focalise davantage sur les pirates et sur l’évolution des personnages qui ont été créés depuis le début de la saga. Il s’agit vraiment de l’éradication des pirates par les Anglais.

Avez-vous participé à la post-production des trois films?
Non. Le travail du premier assistant réalisateur s’arrête à la fin du tournage. C’est alors que les producteurs comme Jerry Bruckheimer prennent les choses en main et s’occupent de la post-production.

Quels sont vos meilleurs souvenirs de cette saga ?
Vraiment, c’était de me retrouver à bord du Black Pearl. Le moment où les voiles sont déployées, que vous avez une centaine de personnes en costumes d’époque jouant leur scène devant trois cents membres de l’équipe dans l’eau : c’est incroyable ! Quand vous pensez que nous avons tourné sur un bateau d’époque construit de neuf de la proue à la poupe ! Il n’y a rien dans ce film qui ait été simplement emprunté à un accessoiriste ou loué. J’ai eu la chance, pour le premier film, de pouvoir aller à Londres avec Gore Verbinski pour réaliser des castings pour certains des rôles principaux. L’accessoiriste est aussi venu avec nous car il voulait chercher des accessoires d’époque, chose introuvable dans un pays neuf comme les Etats-Unis. Dans la mesure où j’ai passé ma jeunesse à Londres, je savais où l’emmener et nous sommes ainsi allés chez des antiquaires dans le centre et la périphérie de la ville, ainsi qu’à Greenwich. C’est là où nous avons trouvé l’épée, le compas et le télescope du film. Pour moi, cela restera également un moment unique : Entrer dans ce magasin d’antiquités et trouver l’épée la plus ancienne et la plus cool qu’on puisse trouver. Nous sommes immédiatement allés la montrer à Gore et nous sommes tombés d’accord. C’était l’épée de Johnny ! Ce pommeau noir, cette lame courte couverte de poussière découverte dans un vieux coffre. C’était fabuleux ! La découverte fut fantastique et après le film, voir comment ces objets sont devenus des icônes pour tant de spectateurs, c’est une grande satisfaction. Dire que c’est mon métier ! Quand j’ai débuté, j’étais simplement assistant sur Star Wars, passant la majeure partie du temps dans les bureaux, mais j’ai suivi toute la production et notamment en Tunisie. A l’origine, les décors et les accessoires n’étaient qu’un montage à partir de matériaux de récupération. Je me rappelle avoir vu pour la première fois dans un atelier ce qui ne semblait qu’un assemblage bien anodin de pièces de casse. J’étais à mille lieues de penser que cela serait un objet que le monde entier voudrait voir et toucher, l’un des accessoires les plus mythiques dans l’histoire du cinéma : le premier sabrolaser ! Je considère que j’ai beaucoup de chance !

Quels sont vos derniers projets ?
Je viens de finir deux films d’affilée. L’un est une comédie hilarante avec effets spéciaux sur le milieu du patin à glace, Blades of Glory, l’autre est un film appelé Rendition, un thriller politique réalisé Gavin Hood, qui a remporté l’Oscar pour Tsotsi, et pour lequel je viens juste de rentrer du Maroc.