mercredi, mai 16, 2007

CHICKEN LITTLE EN BLU-RAY : Entretien avec le compositeur John Debney

Il y eut STEAMBOAT WILLIE (1928), le tout premier dessin-animé sonore.
Il y eut BLANCHE-NEIGE ET LES SEPT NAINS (1937), le tout premier long-métrage d’animation.
Il y eut FANTASIA (1940), la première expérience stéréophonique au cinéma.
Il y eut TOOT, WHISTLE, PLUNK AND BOOM (1953), le premier dessin-animé en Cinémascope.
Il y eut TOY STORY (1995), le premier long-métrage d’animation entièrement en images de synthèse, réalisé en collaboration avec les studios PIXAR.
L'année dernière, c’est à une nouvelle révolution que les studios Disney nous invitaient avec CHICKEN LITTLE : le premier dessin-animé en images de synthèse associant l’animation par ordinateur avec les techniques d’animation traditionnelles propres à Disney, comme l’expliquait le président de Walt Disney Feature Animation, David Stainton : « CHICKEN LITTLE marque un vrai bond en avant pour la compagnie. En combinant le style d’animation et la sensibilité propres à Disney avec des outils numériques dernière génération, notre équipe animation a créé un film original. Nous avons mis au point des logiciels exclusifs qui ont permis à nos animateurs d’intégrer une immense gamme de mouvements, et de transposer le véritable esprit de l’animation « squash and stretch » Disney. »
Et c’est au duo de choc Mark Dindal et Randy Fullmer, respectivement réalisateur et producteur, à qui l’ont doit bien entendu l’inénarable KUZCO, L’EMPEREUR MEGALO, que l’on devait ce film historique et haut en couleurs.
Nulle surprise, dans ces conditions, de retrouver le grand John Debney à la baguette, signant une nouvelle partition à la fois sensible et spectaculaire, parfaitement intégrée dans le tissu narratif et visuel du film, comme un coq en pâte chez Disney. S’il est vrai qu’on aurait pu préférer une approche un peu plus inventive des chansons et non des adaptations de succès passés inaugurées par un gros orgre vert (en cela, on espère beaucoup du RAPUNZEL de Glen Keane et Jeanine Tesori), ne boudons pas notre plaisir de retrouver le grand John Debney, qui signe une fois de plus une partition comme il en a le secret, spectaculaire mais aussi subtile, virtuose mais aussi délicate, galvanisante mais aussi intime. Bref, plus authentiquement disneyenne…

CHICKEN LITTLE se voulait le précurseur d'une approche nouvelle de l'animation 3D que l'on retrouvera prochainement dans le très attendu BIENVENUE CHEZ LES ROBINSON. Une nouvelle ère venait d’éclore…


Comment êtes-vous arrivé sur ce projet?
Cela s'est passé il y a trois ans. Je venais de terminer KUZCO, L'EMPEREUR MEGALO, qui était dirigé par le même réalisateur, Mark Dindall et le même producteur Randy Fullmer, et ils m'ont tout simplement demandé de les suivre sur cette nouvelle aventure.

Comment ont évolué vos relations avec eux?
Ce sont deux personnes merveilleuses et nous nous sommes tellement amusés sur KUZCO, L'EMPEREUR MEGALO que je n'ai pu refuser leur demande. Le fait est que sur le premier film, je ne suis arrivé qu'en toute fin de projet, ce qui fait que je n'ai disposé que de très peu de temps pour réaliser l'ensemble de la partition. Avec CHICKEN LITTLE, j'arrivais au début du projet, ce qui fait que nous avons vraiment pu approfondir nos relations sur ce dernier film. Mark a des idées très précises sur la comédie et son rythme. Il veut que la musique disparaisse à certains moments pour mieux revenir en force à d’autres. J’ai beaucoup appris en travaillant à ses côtés. C’est un véritable artisan, il sait vraiment comment utiliser la musique pour souligner un dialogue ou un moment d’humour.

Comment décririez-vous votre partition pour CHICKEN LITTLE?
C'est une musique intéressante de par sa construction qui associe des éléments très différents. Le film lui-même commence dans un certain esprit pour bifurquer brusquement vers quelque chose de complètement différent. On croit que l'on part dans un registre et soudain, cela n'a plus rien à voir. C'est ainsi que, musicalement, le style auquel j'ai fait appel est plutôt du genre "americana", un style qui correspond à la situation rurale de l'histoire, avec quelques traits d'exagération comique. Seulement, très vite, dès que les extraterrestres débarquent et prennent d'assaut la petite ville, le ton change radicalement et l'on passe à une musique beaucoup plus stylisée dans une sorte d'hommage à la musique de science fiction. Dans ce cadre, j'ai associé plusieurs types de partitions de ce genre-là. L'ensemble forme quelque chose de très différent de ce que l'on a pu entendre par le passé qui rend ce film vraiment unique. Tout l’enjeu de CHICKEN LITTLE est là : rester fidèle à la tradition, mais en même temps se projeter vers le futur, aller vers l’inattendu. Avec une histoire capable de passer de moments riches en émotion à une attaque d’extraterrestres, l’éclectisme était le maître mot de cette partition !


Vous parliez de science-fiction. Quelles furent vos références en la matière?
J'ai principalement repris les traits propres aux musiques de films des années 50-60, un peu à la Bernard Herrmann dans LE JOUR Où LA TERRE S'ARRÊTERA, mais teinté de l'humour qui sied à CHICKEN LITTLE. Ce qui fait que je m'en suis donné à cœur joie en ce qui concerne l'utilisation du thérémine, notamment. On a donc une alternance perpétuelle entre le sérieux, lorsque l'action devient dramatique, et le comique, car il s'agit bien d'un dessin animé Disney.

En matière de dramatisme en effet, le film n'est pas en reste, et ce dès la séquence d'ouverture, avec cette scène terrible de débâcle dans le village lorsque Chicken Little alerte tous les habitant du haut du clocher. Vous n'avez pas lésiné sur les moyens musicaux, notamment par l'adjonction d'un chœur impressionnant!
En effet. Ce fut très amusant car le réalisateur voulait que le chœur chante dans un langage "inconnu". Nous avons pensé tout d'abord au latin, mais finalement nous nous sommes décidés pour l'allemand, afin de donner une dimension particulière à cette scène, presque opératique! Le chœur ne fait que chanter des choses du genre "Alerte!", "attention", "le ciel nous tombe sur la tête!", mais sous des dehors très sérieux. Je me souviens que nous avons beaucoup ri lors de l'enregistrement car c'est tellement exagéré!

Tous les habitants d'Oakey Oaks sont petits, ronds et mignons, un peu comme des peluches –la maman lapin est à ce titre adorable avec ses dizaines et ses dizaines d'enfants-, et la musique qui les accompagne pendant cette séquence semble au contraire se prendre totalement au sérieux! Le contraste est irrésistible!
Absolument. C'était une intention expresse du réalisateur : que la musique dépasse même l'image. Il faut se dire que dans l'esprit de Chicken Little, c'est vraiment la fin du monde. Imaginez ce que cette idée peut produire dans la tête d'un petit poulet. Le ton de la musique, c'est tout simplement la façon dont il voit le monde. L'humour vient alors du fait qu'on se rend très vite compte que tout cela ne fait que partie de son imagination…


L'esthétique du film est très ronde, que ce soit les personnages, de Chicken Little à Runt/Boulard, ou même les maisons du village. On retrouve ici cette tradition des petites villes américaines qui est à la base de l’esprit Disney, que ce soit dans ses films ou dans ses parcs à thèmes. Cela vous a-t-il inspiré dans votre façon d'aborder la musique? Il est vrai que dans le film, tout est rond, des personnages à leurs véhicules, et mon travail a consisté à trouver une signature musicale pour cette ville qui témoigne de son identité. Je me suis donc demandé quel pourrait être le son de cette petite ville. C'est alors que je me suis orienté vers un son "à la country" avec banjo et harmonica (joué au synthétiseur). Cela donne un aspect vraiment charmant à la musique.



Est-ce que le fait qu'il s'agit d'un film animé par ordinateur a changé votre manière de l'aborder? Je dirais pas vraiment. En dépit de la qualité esthétique propre à l'animation par ordinateur, je dois dire que ce ne sont pas ses qualités techniques qui m’ont intéressé, mais plutôt ses valeurs artistiques et narratives. C’est ce qui m’intéresse avant tout dans les films que je mets en musique.

Quelle est la part de Mickey Mousing et la part de musique d'ambiance dans CHICKEN LITTLE?
C'est une question intéressante. Il y a bien un peu de Mickey Mousing dans ce film, mais pas beaucoup. Seulement en des endroits spécifiques pour lesquels le réalisateur voulait que je souligne, que j'accentue certaines choses en particulier. Mais il n'y a bien qu'une poignée de scènes qui demandaient un tel procédé. Pour le reste, je dirais qu'il s'agit d'un moyen terme entre un traitement par accents et un traitement par Mickey Mousing. Pas vraiment dans la veine des cartoons de la Warner. On se trouve vraiment entre le dessin-animé traditionnel et le film en prises de vue réelles, dans une approche originale.

Connaissiez-vous la première histoire de Chicken Little avant ce film?
Cette histoire fait en effet partie de notre culture, comme tout un chacun. Mais cette histoire est très différente.



Durant la production du film, on avait entendu parler d'une nouvelle fin, plus drôle, moins sombre que prévu, et qui aurait pu expliquer le déplacement de la sortie du film de mai à novembre aux USA.
D'une part, les changements de dates, pour une raison ou pour une autre, sont monnaie courante aux Etats-Unis. Cela ne m'a pas affecté outre mesure car tout était déjà fait. Et d'autre part, la fin présentée dans le film, est celle que je connaissais depuis que je suis arrivé sur le projet. Il est vrai que, auparavant, plusieurs idées avaient été lancées quant à cette fin, mais le résultat final correspond à ce qui avait été prévu de longue date.

Le comique du film repose pour partie sur des références cinématographiques décalées comme SIGNES. Quelle fut votre attitude par rapport à cela?
Ces "inside jokes" sont, la plupart du temps, très rapides. Il suffit d'une image fugace pour faire passer ce genre de message, alors qu'en musique, j'aurais eu besoin de plus de temps pour développer de semblables citations ou références. L'allusion la plus subtile que j'aie pu glisser est sans aucun doute l'allusion à Bernard Herrmann pour les aliens à travers le thérémine ou encore certaines modulations harmoniques. Pour le reste, j'ai plutôt créé des mises en musiques originales.

L'animation par ordinateur permet entre autres choses d'animer un très grand nombre de personnages à la fois. De votre côté, devant tant de personnages, quelle fut votre attitude du point de vue thématique?
Musicalement, j'ai préféré me focaliser sur trois aspects fondamentaux du film. Il y a d'abord le thème héroïque de Chicken Little, tiré de la musique du match de base ball auquel il participe au début du film. Puis il y a un thème sensible et émotionnel réunissant Chicken Little et son père, joué la plupart du temps au piano et aux cordes. Enfin, il y a le thème des aliens, plus textural. Il s'agit d'ailleurs plus d'un motif que d'un thème proprement dit. Il y a également un petit thème pour Boulard, le cochon. J'ai opté pour une thématique aussi resserrée pour plusieurs raisons. D'une part, c'est là l'essentiel du film, et d'autre part, CHICKEN LITTLE est tellement rapide, alerte et loufoque, et l'histoire est tellement riche que cela laissait peu de place à la présentation de davantage de thèmes. Mon approche a plutôt été situationnelle. Vous savez, chaque film est différent, il n'y a pas de formule toute prête, et il a fallu vraiment s'adapter au style narratif de celui-ci, qui ne ressemble à aucun autre.

Vous parliez de thème émotionnel. Le co-auteur de l’histoire avec Mark Dindal, Mark Kennedy, déclarait à ce propos : « Le cœur du film repose sur la relation entre Chicken Little et son père, Buck. Il y a une scène où Chicken Little affronte son père. Il lui reproche de ne jamais l’avoir cru lors de l’incident du gland, et cela le mine. Il dit à son père qu’il a eu tort de ne pas le soutenir. Pour la première fois, Buck entend la vérité, et cette vérité, il l’a sans doute toujours sue sans oser se l’avouer. Chicken Little apprend à croire en lui-même, et Buck réalise qu’il doit soutenir son fils quelles que soient les circonstances. »
J’aime beaucoup la relation entre Chicken Little et son père. Elle parle à tout le monde, et c’est elle qui est au cœur du film. Musicalement, elle forme comme une arche qui embrasse la structure du film puisque le thème de Little et de son père est principalement cité et développé dans deux scènes, l’une au début et l’autre à la fin du film. Il ne faut pas non plus oublier pour cela l’importance des chansons et en particulier de All I Know, qui incarne également à sa façon cette relation.


Le personnage de Chicken Little évolue beaucoup au cours du film. Comment cela se matérialise-t-il musicalement?
C'est une question intéressante. Le fait est que, s'il est vrai que Chicken Little évolue au cours de l'histoire, qu'il devient plus héroïque et qu'il finit par sauver ses amis, ces changements se font dans l'action et ce n'est pas la musique qui prend cela en charge. La musique se focalise précisément sur l'action, sur cette invasion extraterrestre qui va permettre au personnage principal de se transcender. Le rôle de la musique est de renforcer cette action, cette menace, ce drame afin de montrer à quel point ce petit poulet va, avec courage, affronter des dangers qui le dépassent.


CHICKEN LITTLE était une grande première pour Disney. Quelle était l'ambiance de production?
Comme vous pouvez l'imaginer, c'est un film très important pour Disney et les gens de la compagnie s'y sont consacrés de tout leur cœur. Ils ont écouté avec la plus grande attention toutes mes démos, attendu toutes mes esquisses. Et dans le même temps, ils ont été merveilleux dans le sens où ils m'ont vraiment laissé faire ce que je voulais. J'ai donc travaillé en très étroite collaboration avec le réalisateur, et j'ai reçu beaucoup de soutien de la part de l'ensemble des personnes impliquées. L'ambiance était à la fois enthousiaste et très créative.

Comment s'est passé l'enregistrement de votre partition?
Nous avons enregistré avec un orchestre de 90 à 96 musiciens. Quant aux chœurs, ils comptaient une cinquantaine de chanteurs. Disney a l'habitude de faire des sessions très courtes et très espacées, un à deux jours puis un à deux jours six mois plus tard. Cela correspond à la façon dont le film se construit et permet d'intégrer au mieux la musique, par petites portions.

Quelle est votre scène préférée dans le film?
Je dirais la scène dans laquelle les aliens débarquent. C'est une séquence très réussie du point de vue visuel. De plus, c'est le moment où le film bascule vers quelque chose de complètement différent. On est surpris et dans l'expectative : sont-ils gentils ou méchants… C'est un passage très intéressant et je me suis beaucoup amusé à le mettre en musique dans cet esprit très particulier.


Les chansons du film sont très pop/rock. Comment avez-vous articulé votre partition par rapport à elles?
Les chansons et la musique de CHICKEN LITTLE n'ont pas grand'chose en commun. Elles vont chacune dans des directions différentes, qui leur sont propres. Les chansons vont du rock à la ballade; avec des références au mowtown. Je trouve que les créateurs du film ont fait de très bons choix dans leur façon de les arranger et de les utiliser dans le film. Je n'y ai pratiquement pas participé si ce n'est que je me suis occupé de la partie de cordes de l'une d'elles qui sonne très joliment.

Quelles furent les difficultés de la création de cette partition?
Cela tient à la diversité des styles qui y sont abordés. Cela m'a demandé beaucoup de flexibilité et la maîtrise de nombreux éléments très différents.

Une telle diversité peut-elle être un frein à la cohérence?
La finalité de cette partition n'était pas vraiment d'être unifiée. Le réalisateur voulait justement que cette diversité soit soulignée ; que l'on remarque bien le changement de monde, d'atmosphère d'ambiance. Je crois que c'est vraiment l'intérêt du film que de chercher à vous surprendre, de prendre le contre-pied de ce à quoi vous pouvez vous attendre, et j'espère que la musique y participe pleinement!

A sa façon, Chicken Little a trouvé sa place au panthéon Disney.

Pour ma part, je trouve que le résultat final est vraiment formidable et je souhaite qu'il en soit de même pour le plus grand nombre.