LA PARADE DES RÊVES DISNEY A DISNEYLAND RESORT PARIS : Entretien avec le manager scénographe Yves Ollier
Comment êtes-vous devenu manager scénographe pour Disneyland Resort Paris?
A l’origine, j’ai été scénographe. J’ai beaucoup travaillé pour le théâtre. J’ai aussi fait de la publicité en tant que chef décorateur et un peu de télévision. J’étais donc intermittent et un jour on m’a proposé un projet pour Disney. A partir de là, je suis intervenu de temps en temps sur le parc tout en continuant à faire d’autres choses. Parmi ces projets, il y a le Carnaval des Enfants pour lequel j’ai conçu toutes les marionnettes et tout l’univers de ces personnages. Il y eut également Halloween. Et aujourd’hui, je suis manager du bureau d’études scénographiques de Disneyland Resort Paris au sein duquel je chapote plusieurs personnes. Ensemble, nous créons des décors tant pour les scènes du parc, les festivals que pour la présente parade.
Un nouveau département ?
En effet. C’est un département qui a été créé avec moi. Auparavant, il y avait des dessinateurs qui étaient là, mais il n’y avait pas vraiment de bureau de scénographie. C’est arrivé après à la suite d’une demande croissante de développements à ce moment-là.
Quel fut votre rôle sur le projet de la Parade des Rêves Disney ?
D’abord, j’ai été concepteur scénographique. C’est moi qui ai dessiné et inventé tout l’univers de ces chars et qui lui ai donné sa cohérence à travers les thèmes de Disney. Et après cette première phase de conception, il y eut une phase d’étude : mise à l’échelle, suivi des maquettes, des plans, puis direction artistique en atelier de tous les sculpteurs, peintres, etc.
Comment définiriez-vous le style visuel de cette nouvelle parade, en termes de design et de couleurs?
En ce qui concerne les couleurs, si code couleurs il y a, il a été dicté par chaque film que nous avons représenté. Au niveau du traitement, je me suis amusé à explorer des pistes plus originales. Par exemple, pour le char des Rêves de Fantaisie, avec Peter Pan et Mary Poppins, j’ai songé à la peinture expressionniste allemande quand je l’ai dessiné. Pour le char des Rêves de Pouvoir, j’ai plutôt pensé au côté baroque, à ces sculptures et ces fontaines en cascades avec des personnages un peu féériques, un peu fantastiques. Sauf que là, nous utilisons l’imagerie de Disney, mais la référence à la sculpture est bien là. Ainsi, chaque char a été inspiré par un style artistique bien déterminé. Pour les Rêves d'Amour et de Romance, c’est toute la peinture romantique sur laquelle je me suis appuyé pour essayer de trouver des sources d’inspiration : un temple, un château, des rochers. Tout cela est très dix-neuvième. Il ne s’agit pas simplement de s’inspirer du film d’origine. On le relit à travers l’histoire de l’Art.
Vous évoquez toutes ces sources européennes. L’exposition « Il Etait Une Fois Walt Disney » au Grand Palais nous a rappelé la richesse de l’inspiration du créateur de Mickey en la matière. Ce sont ces origines qui vous ont inspirées ou est-ce un trait de votre personnalité ?
Cela fait vraiment partie de ma personnalité de puiser dans toutes ces références et je pense que tout artiste doit aller puiser dans l’Histoire de l’Art la nourriture de son art. C’est la digestion de tout ce patrimoine qui nous permet d’arriver à quelque chose d’intéressant. Et c’est bien la raison pour laquelle Walt Disney s’est inspiré de tout cela pour réaliser ses projets. C’est la même dynamique et c’est naturel pour moi. Sinon, ce que l’on crée est froid et manque de profondeur.
Etiez-vous un fan de Disney avant de travailler pour Disneyland Resort Paris ?
Je connaissais évidemment quelques classiques –Mary Poppins, Alice au Pays des Merveilles, Pinocchio et bien sûr Fantasia sont les films qui m’ont le plus marqué durant mon enfance-, mais je n’en connaissais pas autant et aussi bien qu’après avoir intégré Disney puisque lorsque j’ai commencé à travailler sur cette parade, j’ai fait beaucoup de recherches, j’ai beaucoup visionné de films pour m’en inspirer.
Dans la phase de conception de la parade, comment s’est passée votre collaboration avec Katy Harris ?
Quand nous avons commencé à réfléchir à cette parade, nous avons exploré plusieurs axes ensemble. Il fallait bien entendu utiliser les thèmes Disney et nous savions que nous disposions de huit chars et que nous voulions raconter le maximum d’histoires. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes dit qu’une histoire par char serait limitatif et que nous pourrions essayer de combiner des histoires. A partir de là, nous avons essayé de trouver tous les deux des thèmes qui pouvaient fonctionner ensemble. Un autre point important pour nous était que nous ne voulions par que cette parade ne soit qu’une suite de sculptures passant devant les visiteurs. Au contraire, nous voulions qu’il y ait une animation, que des artistes puissent évoluer dessus, danser, faire des acrobaties, que ce soit le plus vivant possible et, plus surprenant, d’un bout à l’autre du char. C’est pour cela que l’idée est très vite apparue pour nous d’avoir une vision et une découverte du char d’abord en le voyant arriver de loin, puis de côté, puis de dos, mais que le dos ne soit pas qu’un dos, mais encore autre chose. D’un côté ou de l’autre de Main Street, on ne devait pas voir la même chose et c’est cette richesse-là qui nous intéressait. Ce fut la base que nous avons construite Katy et moi. A partir de là, j’ai fait un travail personnel d’assemblage. Le premier char de ce type, celui qui a été un peu le déclic, a été celui basé sur l’association d’Alice et de Pinocchio. J’ai ainsi lié la maison du Lapin Blanc d’Alice au Pays des Merveilles, au moment où elle grandit et dépasse de partout, au coucou de Pinocchio. Cela fonctionnait formidablement bien. Cela jouait dans tous les sens. On avait ainsi de l’acrobatie et des marionnettes du côté Pinocchio. Il y avait beaucoup d’animation. Ce fut la première base qui nous a confortés dans notre idée et qui a permis le développement des autres chars, petit à petit.
Vous évoquez le char des Rêves de Joie et de Folies avec Alice et Pinocchio avec ces bungees, que l’on retrouve également sur la Parade of Dreams à Disneyland en Californie. Est-ce un clin d’œil délibéré ?
En fait, lors de la conception de notre parade, nous avons répertorié tout ce qu’il était possible de faire en termes de spectacle de rue : échassiers, échasses dynamiques, bungees, jongleurs, etc. Nous avions déjà travaillé sur cet aspect-là avec Katy sur le Carnaval des Enfants et cela nous plaisait beaucoup car il y avait là tout ce qu’un spectacle de rue pouvait offrir. N’oublions pas que nous appelons cela « parade », mais c’est bien un spectacle de rue –certes très élaboré !-. A partir de là, nous avons nécessairement les mêmes liens puisque ces disciplines sont propres à la nature de notre spectacle. Ajoutez à cela l’envie que nous avions d’avoir beaucoup de marionnettes car elles apportent quelque chose de très vivant et de très intéressant. Tout cela procède donc d’une réflexion que, je sais, les américains mènent également de leur côté, mais que nous avons initiée il y a déjà pas mal de temps sur le Carnaval et développée.
Les chars de la Parade des Rêves Disney sont extraordinairement complexes du point de vue de l’animation, du déplacement, de l’éclairage et du système sonore. A partir de là, quand vous avez conçu vos chars, avez-vous débuté par la dimension artistique ou avez-vous construit votre char autour de ces impératifs techniques ?
Il est vrai que nous avons essayé de mettre un maximum de choses dans ces chars, que ce soit le plus animé, le plus complexe possible, que l’on puisse utiliser aussi bien de la lumière qu’un maximum d’effets fixes qui étaient à notre portée. C’est ainsi que nous sommes même arrivés à mettre de l’odorama dans ces chars ! Pour ce faire, dans un premier temps, j’essaie de ne pas trop me laisser bloquer par les impératifs techniques parce qu’il est difficile de créer si on se met trop de contraintes. Ceci dit, quand je dessinais quelque chose, je savais à peu près où je pouvais placer le conducteur du char. Puis après les premiers croquis, les premières esquisses, j’ai commencé à me dire que je pourrais placer là un HP, etc. C’est donc arrivé dans l’étape d’après, mais pas très loin. Après, il y avait un impératif de taille. Il fallait penser à ce que la proportion, le rapport hauteur, largeur, longueur puisse fonctionner pour tous. C’était la troisième chose essentielle.
Pouvez-vous nous décrire à votre façon les différents chars de la parade ? Nous commençons avec le char des Rêves de l’Imaginaire.
Déjà, l’idée de rêve était évocatrice. A partir de là, on se voit dans l’espace, avec le soleil et ce côté un peu aérien. On y trouve également un livre. Pour moi, c’était une façon de faire une allusion à tous ces contes qui ont bercé notre enfance et inspiré tous ces films d’animation magnifiques de Disney : Perrault, Grimm, etc. Une nouvelle façon de nous ramener aux origines européennes des films Disney.
Vient ensuite le char des Rêves de Joie et de Folies avec Alice et Pinocchio.
C’était le côté ludique, délirant, un peu fou et surréaliste qui m’a inspiré. C’est pour cela que je me suis intéressé à cette Alice surdimensionnée. Je me suis souvenu que Dali avait travaillé pendant un certain temps avec Walt Disney. Il y avait une passerelle entre leurs deux univers et j’en ai profité.
Par rapport à Alice, Pinocchio est plus joyeux que surréaliste. Comment avez-vous conçu le rapport entre les différentes histoires évoquées par chaque char ?
Nous avons conçu l’avant et l’arrière des chars comme deux expériences différentes, mais avec un lien tant au niveau des thèmes que de la musique. De fait, nous avons également beaucoup réfléchi à cet aspect et cela fonctionnait très bien du point de vue musical puisqu’on retrouve cette gaieté et ce côté enfantin et joyeux dans les musiques de ces deux films. Entre Alice et Pinocchio, il y a pour moi cette même quête de voyage, d’aventure et de rencontre. Je trouve qu’ils fonctionnent bien tous les deux et je me suis dit que c’était un nouveau couple qu’on pouvait former pour l’occasion.
Comment avez-vous envisagé le char des Rêves de l’Amitié, considérant le fait que les univers visuels de Toy Story et de Winnie sont presque aux antipodes ?
Aux antipodes, oui. Mais là, je suis partie de l’idée de la chambre d’enfant. Toy Story était basé sur les jouets et il se trouve que Winnie en fait également partie. On pouvait très bien imaginer une chambre dans laquelle on trouverait des jouets comme ceux de Toy Story, des peluches et des livres « pop-up », ces livres qui déploient un petit décor quand on les ouvre.
Revenons maintenant sur le char des Rêves de Fantaisie. Comment avez-vous marié vos références (ici, plutôt tourmentées) à l’univers Disney ?
Il y en en effet ce côté expressionniste, mais plus frais et plus léger que l’expressionniste allemand par exemple, connu pour être très dur et très inquiétant. Avec ce char, ce n’est pas le cas. On reste dans un univers très lumineux, très pétillant et un peu fou. C’est la raison pour laquelle on retrouve une touche de surréalisme avec ce Big Ben tordu, ces maisons victoriennes tout autour, le carrousel qui tourne derrière et ce bateau à moitié pailleté et doré et ses canons qui lancent de la poudre. C’est en effet quelque chose de très théâtral.
Si Disney a fait appel à toutes sortes de références artistiques au cours de son histoire (comme l’expressionisme d’Europe de l’Est pour Chernobog), il s’avère qu’on trouve peu de baroque, et il est très intéressant et très original que ce soient là vos références pour le char des Rêves de Pouvoir !
Quand je vais dans les musées d’art baroque, je suis toujours fasciné par le travail d’amoncellement de toutes sortes de créatures dans les œuvres de cette époque et j’ai trouvé que ce côté dramatique avec tout ces Vilains Disney était une opportunité de pouvoir faire quelque chose comme cela, de mélanger tous ces personnages et d’en faire une sorte de fusion très animée.
Suit alors le char des Rêves d’Aventure.
Celui-ci, c’est vraiment le char des animaux libres, sauvages, qui font la fête. Il y a un côté « comédie musicale d’animaux », très colorée, très bariolée, qui va de l’Afrique à la jungle. C’est peut-être le char qui est le plus inspiré de ce que j’avais pu faire sur les carnavals du passé. J’ai repris des thèmes que j’avais déjà utilisés avec des girafes, des éléphants, des autruches. J’ai gardé aussi ce côté artisanal, à l’africaine, où l’on voit les coutures apparentes, avec des matériaux de récupération.
Nous terminons avec les chars des Rêves d'Amour et de Romance. Déjà, pourquoi deux chars pour un même tableau ?
Nous voulions un final qui soit impressionnant, comme tout spectacle qui se respecte. Et en même temps, c’était l’occasion de pouvoir évoquer ensemble les nombreux Disney romantiques et de les réunir autour d’un jardin, de quelque chose de fleuri, délirant et pailleté. C’est « champagne », ça brille et c’est très frais.
Le premier des deux chars rassemble les héros de la Petite Sirène et d'Aladdin. Comment les avez-vous intégrés dans cet univers romantique ?
Pour la Petite Sirène, le coquillage s’imposait. Qui plus est, on le retrouve également beaucoup dans l’architecture du 19e siècle, notamment dans les balcons. C’est la raison pour laquelle j’ai fait ce balcon en forme de coquillage, un peu comme pour un Roméo & Juliette aquatique ! Pour l’autre côté, je me suis dit que retrouver le côté « volant » avec le tapis serait un peu trop facile et je l’ai transformé, toujours dans l’esprit romantique, en une escarpolette, une balançoire rêveuse entourée de petits angelots, de petits chérubins inspirés de Fantasia.
Avec cette escarpolette, vous étendez votre période d’influence à la fin du 18e siècle.
Exactement, notamment avec Fragonard qui en a peint une. C’est un artiste auquel j’ai vraiment pensé et j’ai reparcouru des peintures de lui afin de concevoir cette scène.
Quant au dernier char, il rassemble les couples-phares de La Belle et la Bête, Cendrillon, Blanche-Neige et La Belle au Bois Dormant.
C’est un final assez riche en effet, avec toujours un grand nombre d’icônes romantiques : le temple de l’Amour, les Chérubins encore une fois, le pont et le fameux château sublimé que l’on voit dans tous les dessins-animés de contes de fées. A ce titre, je voulais vraiment un château un peu irréel et j’ai trouvé intéressant de donner l’illusion qu’il soit comme taillé dans de la glace, avec de la transparence et éclairé par en-dessous avec des lumières et de la fumée, une sorte de carbo comme s’il était dans les nuages.
Vous évoquiez le pont. Est-ce celui de Cendrillon lors de la séquence C’est ça l’Amour ?
J’y ai bien pensé, mais non. C’est plus généralement un pont romantique dans un jardin. Par exemple, on en trouve à Paris en haut des Buttes Chaumont. C’est plutôt une ambiance que j’avais envie de créer.
Avec toutes ces références, Disneyland Resort Paris s’ancre encore plus magnifiquement qu’à l’origine dans ses racines européennes.
Absolument. C’est une façon de boucler la boucle dans la mesure où Walt Disney a largement puiser dans la vieille Europe une grande partie de ses histoires.
Comme souvent dans les parcs Disney, avez-vous glissé des "Mickey Cachés" dans vos chars ?
Bien sûr. On essaie toujours d’avoir des petits clins d’œil de ce genre. Sans humour, ce serait difficile de travailler sur ce type de projet. Il faut garder la fraîcheur. C’est aussi une façon d’enrichir chaque nouvelle expérience. La première fois que l’on découvre cette parade, on s’aperçoit qu’elle est tellement riche qu’on n’a pas le temps de tout capter. En la revoyant, on peut alors découvrir des choses auxquelles on ne s’attend peut-être pas. Mais là, c’est à vous de les découvrir…
On ne peut qu’admirer le produit fini, mais pouvez-vous nous parler d’idées de chars que vous avez eues mais qui n’ont pu être réalisées ?
La première voie sur laquelle nous nous étions penchés avec Katy, c’était la musique, toujours très présente dans l’univers des films Disney. D’autant plus que, sur une parade, la musique est aussi toujours très importante. Du coup, nous étions partis sur une idée de grand orchestre. Chaque char représentait un instrument surdimensionné un peu délirant qui correspondait à l’univers de plusieurs films. Comme vous pouvez le constater, nous étions déjà partis sur cette idée de mixité de films et donc sur la tentative de trouver des moyens pour avoir plusieurs film sur un même char. Là, c’était Mickey chef d’orchestre qui lançait une sorte d’opéra délirant avec une ribambelle d’instruments dans son orchestre qui défilaient. En même temps, il y avait un côté très « forain » puisqu’il y avait une sorte de grande roue avec des tambours accrochés dessus. C’était très intéressant et, qui sait, cela pourra inspirer un projet futur…
Justement, quels sont vos projets ?
Prendre des vacances !
Photos 9, 11, 12 et 19 par Luc et 10, 13, 16 et 18 par Kristof, avec tous nos remerciements.
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