mercredi, avril 04, 2007

LE SECRET DE TERABITHIA : Entretien avec le scénariste Jeff Stockwell

« Le Secret de Térabithia n’est pas qu’un simple divertissement. Il parle de quelque chose que nous traversons tous un jour. C’est un film sur l’amitié, sur la force de la vie, sur le manque que laissent ceux que l’on aime lorsqu’ils s’en vont trop tôt. C’est une histoire qui dit que rien n’est insurmontable, ni dans la vie, ni dans les rêves… ». C’est ainsi que Cary Granat, Président de Walden Media, décrit le dernier film des studios Disney. La difficulté était de porter à l’écran une histoire aussi belle et sensible.
Après un premier essai par le fils de l’auteur du livre original, David Paterson, c’est le scénariste Jeff Stockwell qui est parvenu à donner une ambition cinématographique à cette histoire intime et sublime, trouvant le juste équilibre entre réalisme et imaginaire, dans un merveilleux échange entre les deux univers…
Pour Media Magic, il a accepté de rouvrir les portes de ce « nouveau monde ».


Comment êtes-vous devenu scénariste ?
J’ai toujours aimé le cinéma et j’ai toujours aimé l’écriture. Mais ma personnalité est plus encline à rester dans une pièce pour inventer des histoires plutôt que de jouer la comédie ou de diriger un film. Or, entre le jour où j’ai décidé que je voulais faire ce métier et le jour où j’ai commencé à pouvoir en vivre, il s’est passé pas mal de temps ! J’ai grandi à Boston , mais j’ai vite déménagé pour la Californie car il n’y avait rien à espérer de ce côté des Etats-Unis. J’ai alors commencé dans le milieu du cinéma en lisant et éditant des scénarios pour des compagnies comme Fox Searchlight ou Orion Pictures. Pendant quelques années, j’ai travaillé pour un merveilleux auteur pour enfants, Maurice Sendak, l’auteur de Where the Wild Things Are (Max et les Maximonstres), qui a également une petite société de production de film. Au cours de cette période, j’ai découvert ce qu’était vraiment un scénario, un film, etc, et je me suis mis à écrire mes propres scripts après le travail ou pendant mes pauses déjeuner, en espérant qu’ils intéresseraient des gens de la profession. Après trois ou quatre ans comme cela, j’ai eu la chance que quelqu’un m’achète un scénario, ce qui m’a beaucoup encouragé dans cette voie. Mais même après ce premier succès, j’ai dû attendre encore quatre à cinq ans avant de pouvoir vraiment vivre de ma plume. Ma première grande opportunité m’est apparue quand j’ai adapté un livre appelé The Dangerous Lives of Altar Boys, assez proche du Secret de Térabithia, pour un film produit par Jodie Foster et dans lequel elle jouait également. C’est une histoire de collégiens mal intégrés dans leur milieu et qui trouvent refuge dans la bande-dessinée. Une histoire d’amitié, teintée de drame. C’était un film dans le style de Sundance, qui a eu un bon succès. Cela m’a grandement facilité les choses pour trouver de nouveaux contrats, et notamment sur Le Secret de Térabithia car les sujets sont assez proches.

C’est donc Walden Media qui est venu vous trouver pour écrire le scénario du Secret de Térabithia.
En effet. Walden Media, en collaboration avec la productrice Lauren Levine, avait acquis les droits du livre auprès de David Paterson, le fils de l’auteur. Et David avait écrit depuis un certain temps une adaptation du livre de sa mère et Walden Media a acquis ce script également. C’était un scénario assez proche du matériel original. Il faut se souvenir que Katherine Paterson a écrit son livre alors que son fils était très jeune et qu’un de ses amis proches est décédé. C’est certainement cette proximité du sujet qui a fait que David ne pouvait pas prendre réellement distance du texte original pour concevoir son script. De fait, Walden Media et Lauren Levine, avec l’approbation de David Paterson, se sont mis à la recherche d’un scénariste qui ne soit pas prisonnier du sujet et qui puisse donner une véritable dimension cinématographique à ce récit. Car il faut plusieurs heures pour lire un livre et moins de 2 heures pour voir un film : ce genre d’adaptation est cruciale. C’est ainsi qu’ils sont venus à moi et que j’ai tout recommencé du début.


En quoi a consisté votre travail ?
Si vous lisez bien le livre, vous vous rendez compte que l’auteur ne nous raconte jamais vraiment ce qui se passe à Térabithia. C’est à vous d’imaginer ce qui s’y passe quand les enfants jouent dans les bois. Or, le film avait besoin de montrer cela. A partir de là, il me fut facile de faire des changements qui aillent plus dans la direction d’un film. J’ai lu le script de David, mais j’ai besoin pour écrire d’avoir les coudées franches, et de ce fait, j’ai vraiment écrit ma vision du livre. Cela n’empêche pas que David a toujours supervisé mon travail en tant que producteur du film, et il a même ajouté quelques petites choses après que j’ai fini mon travail. C’était un sujet assez délicat à traiter, à tel point que le premier studio impliqué dans Térabithia a abandonné. Car, en effet, c’était avec la Fox que Walden Media s’était d’abord associé pour produire ce film. Or, le drame qui surgit à la fin du film ne correspond pas vraiment aux canons du film hollywoodien familial, et je pense que la Fox a eu peur de cela. C’est alors que Disney est arrivé sur le projet, dans la mesure où Walden avait d’excellentes relations avec eux après, notamment, Le Monde de Narnia, et a introduit un producteur expérimenté, Hal Lieberman qui, lui, a introduit un nouveau scénariste, Kevin Wade (Working Girl). C’est le genre de gars chanceux qui arrive sur un projet pour deux semaines seulement afin d’ajouter de petites touches de dialogues afin d’apporter la touche finale aux personnages. Au final, le film est habité par l’esprit de David Paterson, principalement écrit par moi et finalisé par Kevin Wade.

Le Secret de Térabithia est comme un pont entre le réel et l’imaginaire. Qu’avez-vous apporté à l’histoire dans le monde réel ?
Les trois films que j’ai écrits, Altar Boys, Wilder Days et Térabithia traitent précisément ce sujet : le lien entre le monde réel et l’imagination, et comment l’un et l’autre s’influencent réciproquement. C’est un concept que j’aime travailler.
En ce qui concerne les changements apportés à la vie réelle de nos héros, il ne s’agit que de petites choses car le livre était assez précis en la matière, mais c’est avec plaisir que je vous parlerai de certains d’entre eux.
Par exemple, dans le livre, Jess et sa famille vivent dans une ferme avec une vache que le jeune garçon doit traire tous les jours. Cela a posé un problème car ce genre de travail pouvait sembler trop daté. Certes, nous ne voulions pas faire un film super-contemporain, mais plutôt quelque chose d’intemporel. Traire une vache nous semblait trop ancré dans un temps passé. C’est la raison pour laquelle j’ai imaginé que la famille pourrait avoir une serre dans laquelle ils pourraient faire pousser des plantes afin d’apporter un revenu supplémentaire à la maison. Comme vous le savez, il y a beaucoup de tensions entre Jess et son père dans le livre parce que ce dernier reproche à son fils d’être perpétuellement dans son monde, à dessiner. Partant de là, je me suis dit que le père pouvait lui-aussi avoir son monde, en l’occurrence la serre : un endroit protégé dans lequel il peut faire pousser ses plantes. A un moment, des problèmes surviennent dans la serre qui vont causer la frustration du père : il ne va pas pouvoir vendre ses plantes, et donc pas faire rentrer d’argent. Et c’est cela qui va rejaillir sur Jess. C’est David Paterson qui a amené l’excellente idée de faire venir un animal dans la serre pour tout détruire. C’est une petite chose, mais je crois qu’elle est représentative de ce que nous avons voulu faire : renforcer le parallèle, sur le plan métaphorique, entre ce qui se passe dans le monde réel et ce qui se passe dans le monde imaginaire.


Un autre exemple : j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler sur les cancres comme Janice Avery, une grande fille qui torture tout le monde. Par rapport au livre, j’ai poussé les choses un peu plus loin par rapport aux tourments qu’elle inflige aux autres enfants. Cela m’a permis de justifier la petite révolution que conduira Leslie à la tête des enfants de l’école afin d’accéder aux toilettes, tout comme elle prendra avec Jess la tête de la rebellion contre les forces du mal qui veulent contrôler Térabithia. De même, Janice est devenue la source d’inspiration du troll géant de Térabithia. Dans la vraie vie, Janice est une peste, mais elle change et devient amie avec Jess et Leslie, et de la même façon, on pense que le géant est un ennemi alors qu’il devient un ami.

Vous avez également développé d’autres cancres de l’école.
Il s’agit de Scott Hoager et Gary Fulcher. Les noms sont tirés du livre, mais je leur ai donné un rôle plus important, et surtout, ils ont constitué une source d’inspiration pour des créatures de Térabithia. Scott Hoager a inspiré le « Squogre », un mélange d’écureuil (squirrel en anglais) et d’ogre, et Gary Fulcher a inspiré le « Hairy Vulture ». Je ne sais même pas si le public va faire cette association en regardant le film, mais le fait est que lorsque le Hairy Vulture attaque Jess et Leslie à Térabithia, il les traite de la même façon que Scott Hoager à l’école, c’est-à-dire de « dead meat ». En fait, tout était déjà dans le livre, je n’ai fait qu’amplifier certaines choses…


…à travers un sens aigu de la métaphore. Avez-vous d’autres exemples dans cet esprit ?
Il y a une très jolie scène à l’école dans laquelle Leslie lit devant la classe une rédaction qu’elle a écrite. Dans le livre, cela passe à peu près inaperçu. De mon côté, j’ai voulu en faire un moment important : le moment où Jess réalise qu’il y a un autre enfant dans la classe capable de créer un autre monde. Le livre ne cite pas la rédaction de Leslie, alors je l’ai écrite pour elle. C’est un texte à propos d’une séance de plongée. Mais pour moi, c’est un texte à propos de la vie elle-même. Il ne s’agit pas simplement de plongée sous-marine, mais de dire combien la vie est éphémère et précieuse à la fois. Quand on plonge, on est obligé de remonter à la surface pour reprendre de l’air, et donc forcé de quitter ce monde sous-marin si magnifique qu’on a pu à peine découvrir. Il en est de même de la vie : elle est trop courte pour pouvoir en profiter pleinement. Et c’est ce qui rend la vie si spéciale. C’est quelque chose que j’ai aimé faire : reprendre l’histoire et l’amplifier en créant de nouvelles connexions entre le réel et l’imaginaire. J’ai parlé de cela à l’un des producteurs lors de la réception qui faisait suite à la Première, et elle m’a avoué qu’elle n’avait pas vu cet aspect métaphorique. C’est quelque chose que je suis heureux d’avoir pu glisser dans le film, sans souhaiter pour autant que les spectateurs passent leur temps à decrypter cette histoire. C’est juste une résonnance supplémentaire qui ajoute à la profondeur du film.

Gabor Csupo nous a confié que son film était pour lui un hymne à la vie. Comment cela se traduit-il dans votre scénario ?
Leslie est une jeune fille débordante de vie. Elle ne peut se contenter de rester assise. Il faut qu’elle fasse des choses, qu’elle partage des expériences, qu’elle se jette dans la course des garçons. Elle force presque Jess à devenir son ami. Eh puis, il y a cette scène à l’arrière du pick-up, de retour de la messe de Pâques, dans laquelle les enfants se demandent si Dieu envoie aux enfers ceux qui ne croient pas à la Bible. A cela, Leslie répond que Dieu ne peut pas passer son temps à damner les gens, qu’il est trop occupé à faire tourner le monde et à s’en émerveiller. Je me souviens bien du moment où j’ai écrit ces lignes, et où je les ai faits lever les bras dans le vent, comme s’ils volaient, avec le monde qui défile autour d’eux. C’est une allusion toute simple, toute subtile à l’idée que je me fais de Leslie. Pour moi, Leslie est un ange ; elle a déjà ses ailes. Et c’est une façon de faire comprendre presque inconsciemment au public que, quoi qu’il arrive à Leslie, tout se passera bien pour elle et qu’elle n’a rien à craindre, pas même la mort. C’est en cela que le film est un hymne à la vie. C’est cette force de la vie qui réside en Leslie qui pousse Jess à avoir confiance en lui, à renouer avec sa sœur et à tenir tête à son père. Tout, même le pire, peut et doit être relu au travers du prisme de la vie, incarnée par Leslie.

Vous évoquiez tout à l’heure le fait que certains personnages réels s’étaient vus développés en étant réinterprétés à Térabithia. Cet échange ne fonctionne-t-il pas dans les deux sens ?
En effet. C’est un perpétuel aller-retour entre les deux mondes. Le monde réel inspire aux enfants des jeux merveilleux à Terabithia, mais la façon dont ils jouent les aide vraiment à assumer le monde réel. Et le scénario le montre assez bien. Par exemple, Gary et Scott ont inspiré deux créatures comme vous le savez, mais il y a aussi le père de Jess, qui a inspiré aux enfants le Darkmaster, l’esprit sombre qui oppresse Térabithia. Dans le sens inverse, juste après que les enfants ont fait la connaissance du troll géant à Térabithia, il y a une scène dans laquelle Janice est en train de pleurer et Leslie hésite à aller la retrouver. C’est alors que Jess vient aider Leslie en lui disant qu’elle a déjà affronté le troll géant et que, dans ces conditions, parler à Janice ne devrait pas être un problème. De la même façon, un peu plus tôt dans l’histoire, Jess a peur de se faire importuner par les cancres Gary et Scott, et Leslie lui rappelle qu’il a déjà combattu le vautour et le squogre et qu’il n’y a donc rien à craindre d’eux dans la vie réelle. Térabithia change la vie de ces enfants, leur permet de prendre confiance en eux, et en particulier Jess. C’est amusant : chaque jour à l’école est une épreuve pour Leslie et Jess, et on les voit tous les soirs descendre du bus, jeter leurs livres et partir vers Térabithia comme certains adultes iraient se réfugier dans un bar, pour évacuer toutes les frustrations qu’ils ont endurées pendant la journée. Térabithia leur donne également un espace de liberté pour être eux-mêmes et vivre leur amitié. C’est le lieu où s’exprime leur affectivité. Ce n’est pas vraiment une romance, mais un lien très fort et totalement innocent. Là, ils peuvent être roi et reine. Et cela se ressent également avec l’arrivée de Prince Terrien. Elle est tellement heureuse qu’elle ne peut s’empêcher d’embrasser Jess, ce qui serait impensable à l’école.

On vous sent très proche de cet univers. Y avez-vous retrouvé et y avez-vous mis un peu de vous-même ?
Dans de petites et de grandes choses, oui. Par exemple, de la fenêtre de mon bureau, je vois un pin, et tandis que j’écrivais le scénario du Secret de Térabithia, je voyais des écureuils en train de faire tomber des pommes de pin. C’es de là que m’est venue l’idée des squogres. J’ai aussi repris cette idée pour la scène, le premier jour où les enfants vont à Térabithia, dans laquelle des écureuils font tomber des pommes de pins sur leur cabane, comme des bombes… D’une façon plus générale, je fais partie de ces enfants qui ont eu une grand-mère magique qui vous emmenait dans les bois autour de sa maison et arrivait à vous convaincre que des fées et autres créatures ailées vivaient dans les racines des arbres. J’y ai tellement cru que je crois même que j’en ai vues ! Et tout cet univers peuplé de créatures de la forêt est resté bien vivant en moi et renaît lorsque j’écris pour les enfants. Tout comme Jess, j’ai aussi beaucoup souhaité que mon père communique davantage avec moi, et comme la plupart d’entre nous, j’ai été tourmenté par des enfants à l’école ! Si vous trouvez des qualités à mon travail, c’est certainement grâce à ce lien, cette connexion et à mon investissement personnel.

De l’aveu-même de Leslie et de l’auteur, Térabithia est directement inspiré de Narnia. Cela fut-il aussi le cas pour vous ?
Vous avez raison de dire que Térabithia est inspiré de Narnia. Ce nom lui-même est dérivé d’un nom présent dans Prince Caspian et Le Passeur d’Aurore, deux des Chroniques de C.S. Lewis. On retrouve également l’idée d’enfants qui accèdent à ce lieu et qui en deviennent les roi et reine. Les Chroniques de Narnia sont elles-mêmes inspirées par différentes mythologies, notamment la mythologie grecque. Lewis n’a pas vraiment inventé de créatures. Or, pour moi, il était important de faire en sorte que l’imagination des enfants soit unique en son genre. C’est leur vie à eux qu’ils réinterprètent ; ils ne régurgitent pas ce qu’ils ont lu ou appris à l’école. Ils ne combattent pas des ogres, mais des squogres. Et si le géant est une figure classique, notre géant est en fait un arbre devenu géant et qui redevient un arbre. De même que ma grand-mère imaginait que les libellules pouvaient être des fées, ce sont des libellules qui guident Leslie et Jess vers Térabithia et qui se transforment en une véritable armée d’insectes ailés. Comme vous le voyez, il n’y a rien là qui soit repris à Narnia ou à quelque autre film fantastique. Le seul parallèle entre mon scénario et les Chroniques pourrait être le Darkmaster, le leader des forces qui veulent avoir le contrôle de Térabithia, qui ressemble dans sa stratégie à la Sorcière Blanche de Narnia. Pour le reste, les enfants imaginent des choses à partir de ce qu’ils voient : des troncs qui tombent, un trou dans le sol, une libellule. Ils associent cela à leurs craintes vis-à-vis de l’école et de leurs parents et créent ainsi toutes ces créatures. Toutes leurs créations ont une raison, une origine, puisées le plus souvent dans la nature. Et je trouve que le film fonctionne vraiment bien à ce niveau. On comprend bien que le géant n’est qu’un arbre qui bouge dans le vent, etc. Vous savez, dès que vous sortez de votre petit cercle, de votre travail, de votre école, et que vous allez vous promener dans la nature, près de la mer, dans une forêt, dans des collines, vous avez une perception différente du monde qui vous entoure, et j’ai tenu à faire en sorte que ce lien avec la nature soit très fort dans cette histoire. La nature peut être une merveilleuse source d’inspiration, mais également une puissance très dure. C’est une véritable école de la vie. J’ai le rêve secret que tous les enfants de nos sociétés laissent un jour tomber leurs consoles, sortent pour jouer au grand air et découvrent qu’il y a du plaisir à faire des choses, à créer des choses qui n’ont pas été planifiées à l’avance pour eux. D’un côté, je pense qu’il y a beaucoup de films qui peuvent nous émouvoir et nous inspirer, d’un autre côté, tous ces univers inventés pour nous peuvent également limiter notre imagination. Gabor n’a pas imaginé Térabithia à partir de films qu’il connaissait. Il l’a fait à partir de sa propre imagination. Je suis heureux que mon film marche bien, mais en même temps, j’aurais envie de dire au public : sortez du cinéma et allez jouer dans les bois, créer vos propres aventures !


Pouvez-vous nous parler de la création des habitants de Térabithia ?
Je dois avouer que j’ai été moins impliqué dans la création des différentes créatures. Je me souviens néanmoins que, pour moi, le Darkmaster avait la forme d’un rhinocéros. Toutefois, comme ce genre d’animal était trop complexe à réaliser et à animer, David et Kevin ont repris mon scénario après que je l’ai rendu et ont fait du Darkmaster la créature grimaçante que l’on connaît maintenant. J’ajoute que, dans le scénario, les habitants de Térabithia passent la plupart du temps à se cacher ou en prison, et la tâche de Leslie et Jess est de les libérer. De ce fait, on ne les voit qu’à la toute fin de l’histoire. Ce fut d’ailleurs l’objet de nombreuses discussions sur la façon de promouvoir le film, avec plus ou moins de fantasy, compte-tenu du peu de temps qu’ils passent à l’écran. C’est ainsi que toutes ces créatures ont été créées après mon scénario par Gabor, Klasky Csupo et Weta Digital. Je me souviens d’ailleurs très bien des dessins de Gabor, très inspirés par l’Europe de l’Est dont il est originaire, dans l’esprit des frères Grimm. C’était d’ailleurs très intéressant qu’il n’a pas fait des habitants de Térabithia un peuple d’humains un peu médiévaux, mais qu’il a su imaginer tous ces personnages si différents comme la femme à la cage à oiseaux, tous dérivés de la nature.



Comment s’est déroulée la rédaction de votre scénario ?
Pour une raison –certainement magique- que j’ignore, la rédaction de ce script s’est remarquablement bien passée, et dès la lecture, les créateurs du film ont adoré. C’était il y a à peu près deux ans. J’ai écrit plusieurs versions pendant un an. La première version m’a pris deux mois (je ne suis pas ce genre de gars qui s’enferme dans une chambre d’hotel et travaille 24h sur 24h pendant deux semaines !). C’était l’époque des écureuils et des pommes de pins ! Puis il y eut une période toujours assez longue où ont lieu les réunions pour savoir comme faire évoluer cette première ébauche. Il y eut une version pour laquelle Walden Media m’a demandé de créer beaucoup plus de choses autour de Térabithia. Mais mon point de vue était que si on présente trop de choses, le public va en vouloir encore plus. Montrez une bataille, et l’on va vouloir une guerre ! Il fallait donc être attentif à ne pas trop en dire et garder le meilleur pour la fin. Dans une autre version, il y devait y avoir trois ou quatre scènes, soit une vingtaine de minutes, avec des créatures se battant les unes contre les autres. La bonne nouvelle fut que, à mesure où l’écriture avançait, Walden Media se rendait de plus en plus compte que ce n’était pas la bonne direction. Nous sommes donc retournés au premier traitement, avec quelques ajouts de Kevin Wade, tout cela pendant quelques mois. Ce fut l’occasion de voyager. Gabor m’a invité avec ma famille en Nouvelle-Zélande, sur les lieux du tournage, pour deux semaines. Pour quelqu’un qui passe la majeure partie de son temps assis derrière son bureau, ce fut formidable de découvrir les lieux où mon histoire allait prendre vie !


Est-ce que Térabithia a changé votre vie comme celles de Leslie et Jess ?
J’ai eu beaucoup de plaisir à adapter cette histoire car elle a beaucoup de résonnance en moi. Et il en fut de même pour mon fils. Il se trouve en effet qu’il étudiait le livre avec son professeur en même temps que je travaillais dessus, et que j’ai été invité dans sa classe pour en parler. Ce fut un honneur d’adapter sur un tel matériel. Et cela a eu à l’évidence des répercussions sur mon travail actuel. Juste après la rédaction du Secret de Térabithia, j’ai adapté le roman The Miraculous Journey of Edward Tulane, un autre livre pour enfant. C’était la preuve que je pouvais le faire sans ruiner l’histoire originale. Et dans la mesure où le succès du Secret de Térabithia a montré qu’il ne s’agissait pas seulement d’un film intelligent, mais également d’un film qui pouvait rapporter de l’argent, j’espère que les gens du cinéma vont avoir de plus en plus confiance en moi et me confier d’autres projets. J’espère notamment pouvoir travailler sur un livre de Roald Dahl. Pour l’heure, j’ai un autre projet avec Disney, l’adaptation de Kiki, la Petite Sorcière, une version live du dessin-animé de Myiasaki, lui-même inspiré d’un célèbre livre pour enfants. Pour ce faire, je suis donc revenu au livre original, et j’y travaille actuellement. C’est aussi l’histoire d’une jeune fille qui apprend à prendre confiance en elle pour arriver à la maturité de ses pouvoirs. Nul ne sait combien de temps cela prendra pour passer du script au film, mais c’est un beau projet. C’est une sorte de rêve pour moi de travailler ainsi pour Disney, pour les magiciens qui m’ont fait rêver depuis mon enfance et avec qui j’ai grandi !