mercredi, mars 21, 2007

PEARL HARBOR EN BLU-RAY : Entretien avec le compositeur Hans Zimmer

Disney se lance aujourd'hui dans l'aventure Blu-Ray et, pour fêter dignement cette première, nous gratifie de productions solides ayant dores et déjà fait leurs preuve. Témoin, ce PEARL HARBOR, à propos duquel nous avons eu le plaisir d'interroger le compositeur Hans Zimmer (LE ROI LION, PIRATES DES CARAÏBES).
Incontestable succès discographique (plus d'un million d’exemplaires vendus dans le monde), la partition du compositeur d'origine allemande pour PEARL HARBOR ne cesse pourtant de diviser depuis sa sortie en 2001. Discours épuré ou déficit d’inspiration? Poème musical ou guimauve insipide ? Nous avons souhaité avoir les explications de son créateur afin de vous permettre de vous faire votre opinion.
Ceci dit, PEARL HARBOR n'en reste pas moins un film qui nous parle avant tout d’hommes et de femmes dont les vies simples se sont vue bouleversées par la haine et la guerre, une guerre qui nous fait justement réaliser la valeur des choses simples de la vie.
Et c’est peut-être là le véritable message que nous adresse Hans Zimmer, à travers une musique qui se veut l’antithèse d’une musique héroïque, dans un film qui se veut l’antithèse d’un film de guerre.


PEARL HARBOR semble particulièrement vous tenir à cœur ?
Ce projet s'est inscrit dans ma trilogie comprenant USS ALABAMA et LA LIGNE ROUGE. J'ai adoré écrire les partitions de GLADIATOR ou HANNIBAL, mais elles s'orientaient dans un axe plus "populaire", dirais-je. La première fois que Jerry Bruckheimer m' a parlé de PEARL HARBOR, j'ai refusé. J'avais déjà refusé ARMAGEDDON, je ne voyais pas pourquoi j'aurais accepté celui-ci. Puis il est revenu me voir avec des séquences en « animatic » montrant l'attaque de Pearl Harbor. Il y avait accolé Journey To The Line de LA LIGNE ROUGE. "On va aller plus loin qu'ARMAGEDDON. Cette fois-ci l'histoire sera prioritaire sur l'Histoire" m'a-t-il dit. J'ai accepté tout de suite.

En quoi ce diptyque vous a-t-il permis de mieux appréhender PEARL HARBOR ?
Cette trilogie ne forme qu'une et même musique de guerre. USS ALABAMA était l'héroïsme et le patriotisme poussés à l'extrême. LA LIGNE ROUGE, tout le contraire (sourire). PEARL HARBOR était le juste milieu, le pont avec lequel on passe de l'un à l'autre. Vous aviez deux approches opposées, il ne manquait qu'un lien entre les deux. PEARL HARBOR n'est donc pas la continuité de LA LIGNE ROUGE, c'est davantage une partition qui sème et qui rassemble.

Vous avez déclaré que la musique de LA BATAILLE D'ANGLETERRE était très importante pour vous. En quoi William Walton vous a influencé ?
J'ai toujours eu des influences diverses et elles m'orientent très souvent vers la meilleure démarche possible. Selon moi, LA BATAILLE D'ANGLETERRE est l'antithèse d'une partition d'un film de guerre. En cela, le décalage prit par William Walton était stupéfiant. Il a réinventé les bases, notamment harmoniques, de ce genre de film, et la concision de ses thèmes ainsi que leur force étaient incroyables. Du gigantisme, il est parvenu à du minimalisme… gigantesque. C'est dans cette voie que PEARL HARBOR m'est apparu le plus intéressant.



Comment Michael Bay vous a présenté le film et quelles ont été vos relations avec lui ?
Nos relations ? Que dire, il nous a manqué à chacun cinq heures par jour pour avoir une "relation" décente. Quand est-ce que les journées feront vingt-neuf heures (rires) ? Vous ne pouvez imaginer le rush final de cette partition. Mars et avril 2001 ont été des mois de dingue. Michael finissait le montage tandis que j'écrivais tout et n'importe quoi en fonction des séquences que je recevais. Je dis bien « n'importe quoi » car lorsque l'on mettait ces séquences dans le bon ordre, la musique ne signifiait plus rien. Au bout du compte, je me suis aperçu que la parcimonie allait bien mieux au film qu'une partition trop présente, et l'écriture s'en est trouvée bien plus sobre. J'aurais aimé vous dire que Michael et moi, on allait boire un coup tous les soirs, mais ce ne fut pas le cas. Quant à la présentation du film, Michael avait une vision encore plus extrémiste que celle de Jerry. Dans la première version, PEARL HARBOR faisait quinze minutes de moins, et le rajout s'est uniquement fait sur les scènes de l'attaque et du chaos qui a suivi.

Les séquences de guerre proprement dite ne représentent que peu de musique. Pourquoi ce choix ?
Je m'étais largement exprimé en la matière avec GLADIATOR. Cela n'aurait eu aucun intérêt pour moi de refaire The Battle sur PEARL HARBOR. Et puis, le film de Michael Bay n'est pas un film de guerre, c'est une romance qui se passe dans un certain contexte. La guerre est la toile de fond, et en ce sens, elle n'est que cela.

Durant l'attaque, votre musique semble prendre une grande distance, presque morale, avec l'action.
Je préfère spirituelle à morale. Cela me semble davantage approprié. La distance, elle était désirée et plus que cela, nécessaire. L'héroïsme pour l'héroïsme ne rime à rien. D'un côté, vous aviez une armée conquérante, de l'autre une armée en déroute. Mon principal argument était alors de rester neutre, sans toutefois s'effacer. Voir sans juger, en d'autres termes.

PEARL HARBOR présente un héroïsme basé sur le sens du devoir et de la responsabilité, très loin d’un héroïsme de pacotille. Comment avez-vous traité cela en musique ?
Justement en ne le traitant pas. Ma musique refuse tout héroïsme, même primaire. Si vous regardez bien, les seuls moments où ma partition traite le conflit de manière positive, c'est dans le traitement des valeurs bien plus que des actes. War correspond à ce traitement. Les images de Michael Bay semblent se focaliser sur les actes, dans l'instant, mais si vous suivez attentivement leur cheminement, vous vous apercevrez de leurs valeurs éthiques et morales. J'ai intitulé War de la sorte à cause de cela car le morceau traite de tout, sauf de la guerre!

PEARL HARBOR présente en effet la "guerre" comme l'ennemi et non le Japon. Est-ce que cette volonté scénaristique a influencé votre approche musicale ?
Absolument. En tant qu'européen et qui plus est, né en Allemagne, je dirais qu’aucun peuple, aucune nation ne peuvent être jugés coupables. Il y a "des" hommes qui peuvent faire basculer un pays ou une époque, mais pas l'Homme en tant que tel. Si j'avais identifié le Japon comme un agresseur - ce qu'il fut néanmoins -, cela aurait été très réducteur et historiquement faux. En prenant une distance globale, non seulement nous imposions davantage la guerre comme peinture historique, mais en plus nous mettions en avant la romance de manière plus probante. L'amour contre la haine. Cela peut paraître simpliste, mais en tout état de cause, c'était là le seul traitement honorable et neutre qu'il m'était possible d'avoir.




Dans cette partition, il n’y a pas de musique japonaise comme dans LA LIGNE ROUGE.
Il n'y a pas de musique japonaise, au sens premier du terme. Attack propose certains effets asiatiques qui sont là pour illustrer, je dirais géographiquement l'agresseur, mais cela reste désuet, volontairement minimaliste dans les couleurs orchestrales. Là encore, c'était une manière de ne pas se tromper de sujet ou de coupables. La culpabilité doit être d'ordre général et non isolée.

December 7th doit beaucoup à la musique sacrée d’Anton Bruckner.
J'ai souvent eu recours à son sens de l'écriture contrapuntique. Selon moi, le principe de ses musiques de messes était idéal pour justement voir et ne pas juger. Ce n'est d'ailleurs pas si religieux que cela. Je trouve que certaines messes d'Anton Bruckner étaient même relativement athées dans leur esprit. Cette écriture du dix-neuvième me convenait donc particulièrement. Elle n'est pas aussi rude que l'écriture dissonante du vingtième. Elle est plus nuancée et nettement moins provocante. Par exemple, December 7th est un morceau extrêmement retenu, et ses sections chorales fort consonantes. Elles s'opposent à la dissonance orchestrale et imposent un rapport de force constant, mais sans qu'aucun axe harmonique prenne le pas sur l'autre. Là encore, la musique offre un regard - moral, finalement, je vous l'accorde - et non un parti pris.

Julia Migenes vocalise nombre de passages, et pourtant elle semble très discrète.
Elle est neutre. Tout simplement et tout banalement. Ceci dit pour arriver à cette simplicité, il fallait tout le talent d'une grande artiste qui sache prendre de la distance par rapport à son impact émotionnel. Le sien et celui des spectateurs. Si tel n'avait pas été le cas, toute la neutralité et le recul de la musique dite de guerre auraient été réduits à néant. Julia est donc un point d'homogénéité et d'ancrage. Un point de repère qui navigue entre tristesse et recueillement.




Le mot clé de votre partition semble être"simplicité".
PEARL HARBOR m'a lancé ce défi d'écrire une partition délicate et fortement introvertie. Le mot simplicité est cependant dangereux car il a tendance à supposer une certaine nonchalance, voire un ennui. PEARL HARBOR fut effectivement très complexe, nous avons déjà parlé des délais, mais il y a eu surtout le traitement extérieur du film. Il y a dix ans, j'aurais totalement dénaturé le film s'il m'avait été proposé de la sorte. Aujourd'hui, grâce à USS ALABAMA et LA LIGNE ROUGE, j'ai pu écrire une musique plus intime - j'évite de dire personnelle auquel cas l'on pourrait penser que mes précédentes partitions ne l'étaient pas - et plus riche en… simplicité. C'est tout à fait exact.

Le résultat est particulièrement homogène.
C'est là l'atout principal de la partition. La distance prise imposait une forme de constance y-compris dans les sentiments et le lyrisme des séquences de romances. Cela était fort nouveau pour moi et si l'on m'avait demandé de traiter PEARL HARBOR comme LE DOCTEUR JIVAGO, j'en aurais été bien incapable. Non pas que le lyrisme m'effraie, mais il me dérange lorsqu'il n'est pas approprié. Le placer en évidence dans PEARL HARBOR eut été maladroit et prétentieux et aurait eu l'effet inverse de celui recherché.

Les premiers morceaux – Tennessee, Brothers… - sont pourtant très romantiques.
Certes, mais ils proposent un lyrisme très épuré qui oscille entre tristesse et dépit. Entre responsabilité et crainte. Ce n'est donc pas de la musique romantique par excellence, ce serait davantage un axe idéaliste, insouciant et sensible en même temps. Et puis, les images de Michael Bay sont parfois très épiques et je trouvais inapproprié de les surenchérir avec de la musique. En restant élégiaque de la sorte, la partition avait davantage de consistance y-compris dans le Love Theme.




Votre motif principal parcourt le film et le conclut même fort brillamment.
Tout vient de Tennessee, parce que nos héros "ordinaires" viennent du Tennessee. Ils viendraient de l'Oregon ou du Texas, cela serait identique. Et ainsi de suite. Ce motif est pour moi, non seulement intemporel, mais universel. Des évènements extraordinaires ont bouleversé l'ordinaire. A partir du moment ou le choix esthétique de la musique fut l'ordinaire, alors mon motif devait l'être également. Il est donc présenté au piano puis aux cordes, sans développement ni extension. Il n'est que l'épicentre d'une relation faite à la fois de simplicité et de complexité. Il est seulement présent pour sympboliser l'ordinaire de nos hommes et femmes qui ont vécu ces moments-là.

Vous avez parlé d'un motif intemporel. Pourquoi avoir annihilé un éventuel aspect historique à votre musique?
PEARL HARBOR n'est pas l'histoire, alors que Pearl harbor est l'Histoire. Tout le propos du film est là. Et l'on reparle du minimalisme gigantesque que l'on a évoqué au début de cet entretien. Tout tourne autour de cette notion de neutralité.

PEARL HARBOR est-il un film sur la guerre ou un film sur l'amour ?

Un film sur l'amour, sans aucun doute. Sur l'amour et l'amitié, sur l'amour et le courage.

Votre musique est-elle une musique sur l'amour ?
C'est une musique sur la poésie que fait naître les relations entre les hommes et les femmes. Il y a de la mélancolie, de la nostalgie mais autant de joie. Une musique sur l'amour ? Peut-être pas. Une musique attachante et émouvante, plus certainement.


Avez-vous participé à There You'll Be, la chanson du film ?
J'aurais aimé, mais le manque de temps a rendu la tâche impossible. Mon ami Trevor Horn m'a admirablement suppléé et Diane Warren, l'auteur de la chanson, a parfaitement saisi le "feeling" de ma musique.

Là encore, la cohérence entre votre partition et la chanson de Diane Warren est remarquable.
Elle a tiré ses motifs des miens sans que réellement on travaillions ensemble. Ce fut une sorte d’osmose. Il y a eu une véritable migration entre nos styles et nos mélodies. Tout cela est fort homogène et plus que cela. D'ailleurs, la bande originale s'en trouve lissée.

Comment expliquez-vous le succès de votre partition et le million d'exemplaires vendus dans le monde ?
La popularité d'une musique ne s'explique pas. PEARL HARBOR propose certains "ingrédients" attractifs comme There's You'll Be interprétée par Faith Hill en plus de ma partition narrative. Le film a fait le reste. Les gens se sont sentis proches de la musique, je pense, ou ont peut-être été touchés par elle.




Votre disque a provoqué de violentes réactions chez les amateurs de musique de film, passant d'un extrême à l'autre. Selon vous, pourquoi l'unanimité de GLADIATOR ne s'est telle pas reformée sur PEARL HARBOR ?
Vous savez, la première fois que j'ai écouté la partition de PEARL HARBOR dans son entier, je l'ai trouvée ennuyeuse. Je vous l'assure. Le Cd a été fait de manière très concise pour que les différentes orientations soient présentes et qu'il résume sobrement le film. Etant un travail à part, PEARL HARBOR n'était pas fait pour s'inscrire dans la lignée de GLADIATOR. Ni musicalement, ni commercialement. Les fans ont réagi en rejetant cette différenciation. Je trouve cela dommage. D'un côté, l'album a eu un succès phénoménal, on vient d'en parler, de l'autre les fans semble le détester. Je ne peux rien dire, et je n'ai d'ailleurs rien dit au moment de la sortie du film, j'ai laissé le débat prendre place. Je ne pense pas me justifier avec cet entretien non plus. « Voir sans juger », n'oubliez pas.

PEARL HARBOR est un film très américain. Comment un européen comme vous réagit-il devant cette identité très américaine ?
Comme tout le monde depuis les attentas, je suis un américain et je ne le suis pas. Pour PEARL HARBOR, ce fut le même dilemme. De plus, la notion d'héroïsme est parfois très tangible. Il est de fait que PEARL HARBOR est très américain. Mais d'un autre côté, selon moi, ce qui primait avant tout était que le film présente des héros de tous les jours : ils sont américains du Tennessee mais ils pourraient tout aussi bien être français, turcs ou argentins. PEARL HARBOR est un hommage à ces hommes, ce n'est pas qu'un hommage à ces hommes américains. Il y a donc délibérément des clichés, mais il y a aussi beaucoup de sentiments et de réalisme. C’est pourquoi chacun, peu importe où il se situe dans le monde, et ce à travers le travail de Jerry Bruckheimer et Michael Bay, pourra y retrouver une partie de lui-même.


3 Comments:

Anonymous Anonyme said...

est-ce qu'il serait possible d'avoir la partition original, ou du moin une semblable sur le site?
Merci

12:34 PM  
Blogger Jeremie NOYER said...

La partition est disponible sur amazon.com: http://www.amazon.com/Pearl-Harbor-Music-Motion-Picture/dp/0634036416/ref=sr_1_1?ie=UTF8&s=books&qid=1228219171&sr=1-1
Merci

1:01 PM  
Blogger Jeremie NOYER said...

Pour des raisons de droit, il n'est pas possible de reproduire la partition sur le site.

1:02 PM  

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