mardi, mars 27, 2007

LE SECRET DE TERABITHIA : Entretien avec le réalisateur Gabor Csupo

Peu d’histoires ont su à ce point allier le réel et l’imaginaire, peu d’aventures ont réussi à parler de ce qu’il y a de plus intime en nous entraînant si loin de ce que nous connaissons. Le Secret de Térabithia est adapté du best-seller de Katherine Paterson. C’est l’histoire d’une amitié qui ouvre les portes d’un monde que nous portons tous en nous, mais que personne n’avait encore osé imaginer…
En 1976, pour aider son jeune fils à surmonter la mort d’un ami proche, la romancière américaine Katherine Paterson se lance dans l’écriture de Bridge to Terabithia, qui sera publié en France dix ans plus tard sous le titre Le Royaume de la Rivière.
C’est Lauren Levine, productrice anglaise, qui est à l’origine de l’adaptation cinématographique. Touchée par cette histoire, elle est entrée en contact avec le fils de l’auteur, David Paterson, avec qui elle s’est associée afin de proposer un projet d’adaptation à Walden Media.
Pour restituer à la fois l’ampleur et la sensibilité du sujet, les producteurs savaient qu’il leur fallait un réalisateur particulièrement créatif. Il devait pouvoir fusionner la réalité et un monde fantastique aux paysages merveilleux afin de créer un univers authentique et émotionnellement puissant. Le projet demandait aussi un réalisateur habitué aux toutes dernières technologies de l’image et possédant une véritable sensibilité pour les enfants et leur imagination.
C’est ainsi que les créateurs ont choisi Gabor Csupo, qui s’est fait connaître du grand public en tant que producteur de dessins-animés comme Les Simpson ou encore Les Razmoket tant pour le petit que le grand écran.
Avec Le Secret de Térabithia, il signe son tout premier film en prises de vue réelles, une œuvre authentique et bouleversante que nous avons eu le plaisir d’évoquer avec lui.



LES CHRONIQUES DE TERABITHIA

Comment est né Le Secret de Térabithia ?
Cary Granat, le PDG de Walden Media, m’a envoyé le livre Le Royaume de la Rivière il y a environ trois ans, à l’époque où nous discutions de la possibilité pour moi de diriger un film en prises de vue réelles. Cela faisait plus de trois ans déjà qu’il m’envoyait régulièrement des scénarios et des livres sans que je ne lui réponde favorablement –je suis très difficile !-. Nous nous étions connus alors qu’il travaillait chez Universal, et il a toujours apprécié mon travail. De ce fait, nous sommes toujours restés en contact, directement ou via mon agent, qui lui avait parlé de mon intérêt pour les films en prises de vue réelles. C’est ainsi que j’ai lu le livre de Katherine Paterson et là, j’ai été conquis. Vous savez, le livre a été écrit dans les années 70, et moi, j’ai grandi en Hongrie, ce qui fait que je n’en avais jamais entendu parler avant de le recevoir. J’ai donc rappelé Cary Granat pour lui dire que j’avais été touché pour cette histoire et que j’étais intéressé par le fait d’en faire un film. Cela l’a ravi. A partir de là, nous avons engagé un premier scénariste, Jeff Stockwell, afin d’écrire un scénario original. Il faut dire que Walden Media avait déjà un premier script réalisé par le fils de Katherine Paterson, David, mais son adaptation était trop proche du livre, et nous voulions ajouter des choses afin d’en faire un véritable film. Dans la mesure où le livre est assez vague sur Térabithia et ce que les enfants y font, il nous fallait créer tout ce monde magique, et le développer, afin de rendre le film intéressant sur grand écran. Nous avons donc imaginé des aventures dans ce royaume imaginaire qui pourraient faire écho à leur vie de tous les jours.

Katherine Paterson fut-elle impliquée dans le processus ?
Au tout début, oui. Elle nous a donné quelques conseils pour la première ébauche du scénario. Mais après, elle nous a laissé carte blanche. Je ne l’ai revue que pour la Première, et elle a vraiment aimé le film.


On vous connaît principalement pour votre travail en matière d’animation, et Le Secret de Térabithia est votre premier film en prises de vue réelles ? Comment expliquez-vous ce changement ?
Quand votre travail consiste à raconter des histoires, vous savez, peu importe s’il s’agit d’animation ou d’un autre medium. J’ai réalisé plus de 700 épisodes de série avec succès, puis 4 longs-métrages animés pour Paramount, avec un succès comparable. J’ai donc eu le désir de diriger un film en prises de vue réelles et voir si je pouvais raconter des histoires de façon aussi efficace avec de vrais acteurs. Je suis un fan inconditionnel de cinéma. J’ai ma propre installation, avec quelque chose comme 10 000 dvds. En matière de cinéma français, j’adore Luc Besson et Jean-Pierre Jeunet, et je voulais me frotter au même art. Vous savez, il est facile de critiquer des films, alors que c’est autre chose que de se retrouver derrière la caméra ! Je voulais voir depuis longtemps ce que cela faisait. Il me fallait simplement la bonne histoire à raconter.

Après avoir attendu si longtemps avant de trouver une bonne histoire, qu’est-ce qui vous a poussé à choisir Le Royaume de la Rivière ?
La vie de ce petit garçon m’a rappelé la mienne. Enfant, j’étais très timide et très peu de gens comprenaient mon désir de devenir artiste. Quand vous arrivez aux Beaux-Arts, vous vous apercevez qu’il y a plein de gens qui partagent votre passion, mais auparavant, je me sentais un peu exclu. J’ai donc senti une forte connection avec Jess, à la différence que mon père à moi m’a toujours encouragé. C’était un artiste, lui-aussi, mais il n’a jamais pu vivre de son art car il avait une famille à nourrir. Il a donc abandonné ses crayons pour faire autre chose. Mais quand il a vu le même désir en moi, il m’a aidé et inspiré. Et voilà où j’en suis grâce à lui aujourd’hui !


Quel fut l’implication de Walden Media et de Disney dans votre travail ?
Tous deux ont eu un rôle décisif dans l’élaboration du script, jusqu’à ce que tout le monde en soit satisfait. Ils ont fait des suggestions très intéressantes afin de faire en sorte que Térabithia fasse véritablement partie de la vie des deux personnages principaux. Ils m’ont également permis d’entrer en contact avec Weta Digital et ont suggéré que le tournage se passe en Nouvelle-Zélande. Ils m’ont alors envoyé là-bas pour faire des repérages et je me suis rendu compte par moi-même que c’était tout à fait envisageable car c’était un cadre magnifique.

Comment s’est passée votre collaboration avec Weta Digital pour concevoir Térabithia ?
En fait, la conception de Térabithia a commencé avant que la décision soit prise de travailler avec Weta Digital. C’est ma société d’animation, Klasky Csupo, qui s’est occupée du design de tous ces nouveaux personnages animés, et de l’apparence de Térabithia. A partir de là, nous avons confié ces esquisses à Weta afin qu’ils modèlent dans leurs ordinateurs. Nous sommes allés les voir dans leurs ateliers, à l’époque où ils finissaient King Kong.

A une époque où les productions de type « fantasy » abondent, comment avez-vous imaginé Térabithia ?
J’ai voulu quelque chose de délibérément différent de ce qu’on a pu voir dans Narnia ou Le Seigneur des Anneaux, car je savais qu’on songerait immédiatement au plagiat. Et pour être original, il faut vraiment que le design du film soit l’expression personnelle des artistes et du réalisateur. C’est ainsi que j’ai voulu quelque chose de plus surréaliste que ce qu’on a pu voir dans les dernières productions du genre. J’ai cherché à faire un mélange entre Terry Gilliam, Ridley Scott et Fellini ! Je me suis dit : si on réunissait les styles de ces trois visionnaires, qu’est-ce que cela donnerait ? Cela m’intéressait davantage que le style lisse, bien fini et bien- comme-il-faut des films hollywoodiens.


Toutes ces créatures ont un lien très fort avec la nature.
Absolument. Nous voulions que ces êtres surgis de l’imagination des enfants aient un côté très organique qui vient du fait qu’ils sont inventés à partir de ce que connaissent les enfants, la forêt. C’était une façon de faire entrer la fantasy dans le quotidien.

En tant que spécialiste de l’animation, comment avez-vous travaillé avec ces artistes?
Je suis le genre de réalisateur qui essaie de donner le maximum de latitude aux artistes avec lesquels il travaille. Je pense que c’est ainsi que les choses fonctionnent le mieux, y compris en animation. J’ai donc donné aux artistes de Weta Digital des directions générales et ils sont revenus avec leur propre animation, leur propre vitesse, leurs propres mouvements. Tout cela s’est très bien intégré dans le rythme du film. Je pense que ce fut une excellente association car j’étais totalement ouvert à leurs suggestions, tandis qu’ils étaient respectueux envers moi car ils savaient mon passé en matière d’animation. Nous parlions le même langage et nous pouvons dialoguer très précisément sur le plan technique.



LES MELOPEES DE TERABITHIA

Vous avez fait des études artistiques, mais également musicales. Dans ces conditions, comment avez-vous choisi votre compositeur ?
J’ai commencé par faire une liste de tous les musiciens avec lesquels j’aimerais travailler. Mais malheureusement, la plupart d’entre eux étaient indisponibles à cette époque. D’autres sont venus avec des propositions de musiques pour mon film et j’ai commencé à faire une sélection plus précise. C’est alors qu’est arrivé ce jeune compositeur, Aaron Zigman, avec un morceau original pour le film, ainsi que des extraits d’autres productions. Et bien qu’il était l’un des compositeurs les moins connus de ma liste, il était sans aucun doute le plus enthousiaste, avec une bonne compréhension du film sur le plan émotionnel. J’ai également beaucoup aimé son sens de l’orchestration. Et de fait, il a fait un travail magnifique sur Le Secret Térabithia.

Quelle est la couleur musicale que vous souhaitiez pour votre film ?
J’ai commencé très tôt à y réfléchir en élaborant une partition temporaire à partir de musiques d’autres films. Je ne voulais pas que la partition du Secret de Térabithia soit trop « adolescente ». Au contraire, je voulais d’une musique vraiment orchestrée avec des mélodies sensibles. Il devait y avoir également quelques petites touches ethniques, notamment aux percussions, pour les scènes dans la forêt.


Avez-vous participé au choix des chansons ?
Oui et non. Parfois, elles ont été choisies pour nous, parfois ce fut mon choix. Ce fut un processus long et difficile car certaines chansons que j’avais à l’esprit n’ont pas pu être intégrées pour des raisons de droit ou de budget. Il y a donc eu beaucoup d’allers-retours entre nous et la maison de disque. Vous savez, Le Secret de Térabithia est un film à petit budget selon les standarts hollywoodiens, mais Dieu merci cela ne se sent pas dans le résultat final.

L’une des chansons, A Place For Us, est dérivée du thème principal du film, composé par Aaron Zigman.
Absolument. Quand j’ai rencontré Aaron Zigman, je lui ai demandé de composer un thème pour le film dans son ensemble, un thème que l’on pourrait varier à loisir. Je lui ai cité l’exemple du Parrain. Quand on entend ce thème, tout le monde sait de quel film il s’agit. Je voulais quelque chose dans la même veine, un peu comme une signature mélodique. C’est ainsi que le thème de Térabithia apparaît dès le générique, pour réapparaître plusieurs fois, lors de moments-clefs de l’histoire, afin de fixer ces instants dans votre mémoire à travers la musique. De fait, on entend ce thème si souvent, et cette mélodie est si magnifique que nous nous sommes dits que ce serait une bonne idée de créer une chanson à partir de cette musique. C’est ainsi que les choses se sont faites, avec la complicité de Bryan Adams.


UN HYMNE A LA VIE

Des Simpson aux Razmokets, votre travail en animation se situe plutôt du côté de la comédie, voire de la caricature. Avec Le Secret de Térabithia, le sujet est beaucoup plus subtile et réaliste.
Vous avez raison de dire que je suis passé de la comédie au drame. Pour moi, Le Secret de Térabithia est un drame d’une grande humanité, basé sur une histoire vraie. Ce qui m’importait, c’était de recréer chez le spectateur l’émotion que j’avais ressentie à la lecture du livre. Dans ma tête, il n’a jamais été question de ne faire que des comédies. J’ai grandi en regardant des comédies, mais aussi des drames ; j’ai été nourri aux deux et Le Royaume de la Rivière m’a donné envie de me frotter à des sujets plus sérieux.


Comme vous l’évoquiez, le film est assez dramatique, notamment à la fin. Comment avez-vous traité cet aspect, compte-tenu de sa dimension familiale ?
Il est vrai que le film renferme des événements tragiques, mais nous les avons traités avec douceur et délicatesse, en essayant autant que possible d’éviter la lourdeur, d’éviter de charger le trait. Non pas parce qu’il s’agissait d’un film Disney, mais parce nous souhaitions avant tout que notre film soit une célébration, un hymne à la vie, et une invitation à en apprécier tous les instants, ainsi que tous les êtres vivants qui nous entourent. C’est un film sur l’amitié, la loyauté et la joie.

L’amitié est un sujet pas si évident à traiter quand on veut bien le faire. Comment y êtes-vous parvenu ?
Je dois dire avant tout que je me sens très chanceux d’avoir pu travailler avec des enfants aussi talentueux qui ont merveilleusement su donner vie à ces personnages devant mes yeux. C’était magique. Il s’est vraiment passé quelque chose entre ces deux jeunes, une sorte d’amour d’enfants, rempli d’innoncence, une alchimie naturelle et spontanée qui a aussi bien fonctionné dans le film que dans la vie. Ils ont été également très attentifs à ma direction d’acteurs car je tenais à traiter les moments qui se déroulent dans la vraie vie, en dehors de Térabithia, de la façon la plus réaliste possible. Je ne voulais pas qu’ils surjouent, ou que l’on se retrouve avec une émotionnalité dégoulinante toute hollywoodienne. J’ai donc cherché un jeu tout en retenue, non seulement en ce qui concerne les enfants, mais également les adultes. C’est ce qui rend cette histoire crédible. Je me souviens ainsi d’une scène tellement poignante que, lorsque j’ai dit « coupé », tout le monde dans l’équipe, y-compris moi-même, étions en larmes. En dépit du fait que c’était du cinéma, les émotions exprimées étaient tellement authentiques, que cela nous a touché au plus profond. En cela, je voudrais en profiter pour rendre hommage à l’équipe du film, qui a vraiment donné le meilleur d’elle-même, avec un immense talent, au service de cette histoire magnifique.

Cela fut-il difficile de trouver de jeunes acteurs capables d’exprimer des sentiments aussi profonds que ceux de Jess et Leslie ?
Les deux acteurs principaux sont tout simplement extraordinaires ! Le premier interprète que nous avons choisi a été AnnaSophia Robb. Je connaissais son travail depuis des années et elle est venue à mon bureau il y a un an avec sa maman, manager, pour un entretien pour faire des voix de dessin-animé. J’ai été sous le charme. Elle m’a écrit une lettre pour me dire qu’elle adorait l’histoire de Térabithia, et qu’elle se sentait très proche du personnage de Leslie Burke. Nous l’avons donc rappelée pour des essais pour ce rôle, et elle a véritablement crevé l’écran ! En ce qui concerne le rôle de Jess, mon équipe et moi avons auditionné pas moins d’une centaine d’enfants pour ce rôle, et nous avions fait un premier choix parmi eux. C’est alors que Walden Media et Disney m’ont demandé d’auditionner Josh Hutcherson. Il est donc venu pour une lecture avec AnnaSophia et il nous fut évident que ce devait être lui notre Jess. Il se dégageait une véritable alchimie de ces deux enfants.

Qu’avez-vous ressenti aux commandes de votre film ?
Ce fut très agréable pour moi de me retrouver sur un plateau et de me sentir comme chez moi. On est comme un général devant une armée qui vous demande la diriger pour gagner la guerre. C’est très intimidant. C’est un sentiment très spécial dans une vie. Mais une fois que vous sentez que vous marchez dans la bonne direction, c’est une sensation fantastique ! Et puis, vers la fin de la production, nous avons fait des projections-tests et ce fut très touchant de voir tous les gens du public essuyer leurs larmes à la fin du film. Cela prouve qu’ils ont été aussi émus que moi en lisant le livre, et que cette émotion est passée à l’écran. C’était autant des larmes de tristesse que des larmes de joie, et c’est exactement ce que je voulais faire passer en tant que réalisateur.

Quels sont vos projets après Le Secret Térabithia ?
J’ai reçu des tonnes de choses à lire, mais je n’ai encore rien trouvé qui me donne envie de refaire un film en prises de vue réelles. Pour le moment, j’ai un projet autour de Charles Bukowski. Je sais pas encore si ce sera animé ou pas. Tout ce que je sais, c’est que, si c’est animé, Johnny Depp s’est proposé pour faire une voix. Cela peu faire pencher la balance !…