vendredi, août 17, 2012

LES 101 DALMATIENS ET LES ARISTOCHATS EN BLU-RAY : Entretien avec le compositeur Richard M. Sherman



M. Sherman, merci infiniment de nous accorder ce nouvel entretien !
Je suis ravi de vous retrouver! 

Votre premier dessin-animé fut Les 101 Dalmatiens.
Ce qui s'est passé, c'est que mon frère Bob et moi sommes arrivés au Studio au moment où Les 101 Dalmatiens venait d'être fini et Walt a pensé que ce serait bien d'avoir une chanson de générique pour ce film. Il nous avait sous la main, nous étions les nouveaux compositeurs du Studio. Nous avons donc tout de suite accepté car c'était exactement dans nos attributions. Nous avons donc écrit une chanson qui a finalement servi à la promotion du film à la radio mais qui n'a jamais été intégrée au film. Elle s'appelait 101 Dalmatians.
A quoi ressemblait-elle ?
C'était une marche à 6/8 : « 101 little tails are dancing… ». Une petite chanson toute mignonne à propos de tous ces chiens sautant de partout et de toutes ces taches.

Quand vous créez une chanson avec votre frère, comment vous partagez-vous le travail ?
Nous avons travaillé ensemble depuis tant d'années! Je me mettais au piano et je proposais des idées à Bob. A partir de là, c'était un va et vient entre nous deux. Un processus bien huilé. Nous nous connaissions bien et nous n'avions pas besoin de beaucoup discuter pour nous comprendre. Puis, la chanson était prête quand nous étions tous les deux d'accord sur le fait que le résultat était le bon. De nous deux, c'étaitmoi le musiciens et nous travaillions tous les deux aux paroles. C'est de cette manière que nous aimions travailler.


Avec Les Aristochats, vous êtes passés des chiens aux chats !
C'était pas mal d'années plus tard. Nous avons commencé à travailler dessus juste avant que nous quittions le Studio, c'est-à-dire à la fin de 1968. Nous avons écrit pas mal de chansons pour ce film car, vous savez, un film doit trouver sa voie. Un dessin-animé de Disney n'était jamais totalement scénarisé. On réfléchissait à des idées, puis on écrivait des chansons, puis, souvent, elles étaient abandonnées car un personnage était finalement supprimé. Au final, nous n'avons pas eu plus de deux chansons (et demie!) dans le film: le générique et Les Gammes et les Arpèges, ce petit numéro dans lequel les chatons travaillent leur piano. Il y avait aussi une ballade, qui a été à peine utilisée, She Never Felt Alone. C'était un air adorable chanté par Madame Bonnefamille, à propos de son attachement pour ses chats. Elle y expliquait que les chats sont sa famille et qu'elle les adore. C'est ce qui explique que Duchesse veuille tant retourner chez elle. Elle est si bonne pour eux. Cette chanson devait être reprise plus tard par Duchesse dans une nouvelle version intitulée We Can't Leave Her Alone. Au final, il n'y a que quelques paroles qui sont prononcées par Eva Gabor/ Duchesse à un certain moment, mais on ne les remarque même pas : « Her days were filled with happy hours and happy things to do, and all because of her. » A la base, c'était une reprise de la chanson de Madame. Une chanson sur les motivations des différents personnages qui s'est perdue dans le processus de création du film. Cela apportait un peu de cœur et j'ai toujours regretté qu'ils l'aient perdue. Mais à cette époque, nous n'étions déjà plus là pour la défendre.

Qui sont vos personnages préférés dans ce film ?
Je dirai Napoléon et Lafayette, les deux chiens de campagne. Ils me font trop rire! Et plus ils sont superbement animés.


Vous avez dû bien vous amuser avec Maurice Chevalier sur The AristoCats !
Nous avons passé des moments extraordinaires avec lui ! Nous avions travaillé avec lui sur différents films Disney et nous nous sommes beaucoup amusés à écrire cette chansons-titre des Aristochats. A ce moment là, on m'a demandé si je pouvais faire ma petite imitation de Chevalier pour la démo, histoire d'attirer son attention et lui donner envie de la chanter, car nous souhaitions qu'il apporte ce côté français et populaire à la fois. J'ai donc fait cette démo et quand je l'ai revu je me suis excusé pour mon accent. Mais lui a répondu: "quel accent?" Bref, nous nous sommes beaucoup amusés sur ce projet. Et ce fut notre contribution aux Aristochats. Ce sont d'autres compositeurs qui ont écrit les autres chansons, Terry Gilkyson et deux autres musiciens.

Où puisez-vous votre inspiration quand il s'agit d'écrire une chanson de générique comme cela, qui n'a pas vraiment sa place dans l'histoire ?
C'est un vrai défi. Quand mon frère Robert et moi écrivons une chanson de générique, nous essayons de saisir l'essence du film : le sentiment, le style, l'attitude, le tempo. Nous lisons le scénario ou nous visionnons le film –parfois, il est d'ailleurs à moitié fini seulement- et nous en dégageons une émotion. Pour le public, ce genre de chanson est comme un lever de rideau, une ouverture. On donne un avant-goût de ce qui va suivre sans trop en révéler. C'est là toute la difficulté de cet exercice.

A quel stade de la production du film avez-vous écrit ce générique ?
A partir du moment où nous avons connu l'histoire. Nous savions qu'il s'agissait de chats vivant dans une grande maison où ils étaient choyés et gâtés. Nous sommes donc partis de là. Nous nous sommes bien gardés de parler d'Edgar et du kidnapping et nous nous sommes concentrés sur cette vie très particulière que mènent les Aristochats.

Comment s'est passée la création des Gammes et des Arpèges ?
Toute personne qui étudie la musique doit en passer par là. Les arpèges sont des accords dont on égraine chaque notre, tandis que les gammes sont les différentes notes de l'instrument. Mais cette chanson parle avant tout de cette maman qui élève et surveille ses petits afin qu'ils excellent dans ce qu'ils font. Et s'ils veulent devenir de bons musiciens, ils doivent apprendre leurs gammes et leurs arpèges. C'est la même chose pour un peintre car il doit savoir tracer des traits précis et mélanger ses couleurs. Le côté amusant de cette chanson, c'est que nous l'avons précisément écrite à partir de gammes et d'arpèges de sorte que les chatons jouent ce qu'ils chantent et chantent ce qu'ils jouent !

Que vouliez-vous exprimer à travers cette chanson ?
Nous voulions souligner le fait que les chatons font bien leurs devoirs et apprennent à devenir des chats raffinés et élégants, pas des chats de gouttière! Ce sont des chats qui jouent de la musique et peignent. Il fallait faire passer cette chose incroyable en lui apportant une touche d'élégance. De cette façon, cette chanson participe à la définition de leur personnalité.

Pouvez-vous nous parler d'une des chansons qui ont été supprimées ?
Nous en avions écrit une qui s'appelait Le Jazz Hot. Nous l'adorions, mais ils lui ont préféré Tout le Monde Veut Devenir Un Cat. Ce fut un changement arbitraire. D'autres chansons ont été soumises au créateurs du film après que nous avons quitté le Studio et ce sont celles là qu'ils ont choisies. Il y a souvent beaucoup de chansons supprimées comme cela dans la création d'un film ! Je me souviens que sur Mary Poppins nous avions composé 35 chansons et que seules 14 ont été finalement gardées!

Certaines chansons sont aussi supprimées parce que l'histoire a changé.
Absolument. A un certain moment, il y avait un personnage du nom d'Elvira. C'était la cuisinière. Edgar voulait l'épouser car elle devait également hérité de Madame Bonnefamille. Cela faisait aussi partie de ses plans. Nous avions écrit un duo très amusant, assez fou, mais très vite, ce personnage a été abandonné. Il n'était pas indispensable.


Après avoir écrit vos chansons, que se passe-t-il ?
Chaque chanson recevait son propre arrangement. La supervision de la musique était l'œuvre de George Bruns, un musicien de grand talent. Je me souviens que, dans le case du générique des Aristochats, il est allé en France pour enregistrer Maurice à Paris avec un petit ensemble instrumental, puis il a ajouté de nouveaux instruments à son retour en Californie. Le reste des chansons a été enregistré ici, au Studio.

Les Aristochats est le dernier long métrage d'animation approuvé par Walt Disney avant sa disparition en décembre 1966. Comment était-il à cette époque ?
Six semaines encore avant son décès, personne ne savait qu'il était malade. Il était plein d'énergie à chaque fois que je le voyais –et cela arrivait très souvent. Il s'est beaucoup impliqué dans Le Livre de la Jungle et était présent à toutes les réunions. Il était certainement à son meilleur niveau créatif. Ce n'est qu'après sa disparition que nous avons commencé à écrire les chansons des Aristochats, et il nous manquait déjà beaucoup.


Comment travaillait-il avec vous sur une chanson ?
Il était très descriptif par rapport à ce qu'il voulait et nous l'écoutions avec beaucoup d'attention. Parfois, il fallait lire entre les lignes. Il avait des attentes très élevées et s'il estimait que nous nous étions trompés, il nous renvoyait au piano jusqu'à ce que nous lui présentions ce qu'il souhaitait. C'était une source immense d'inspiration pour nous, mais aussi un patron exigeant!

Vous est-il arrivé de discuter avec lui de ses choix en la matière ?
On ne discutait pas avec Walt Disney. On se remettait tout simplement au travail!

Pourquoi avez-vous décidé de quitter le Studio ?
Durant les derniers mois que nous avons passés au Studio, nous avons eu un certain nombre de réunions avec Woolie Reitherman et d'autres artistes du département animation qui voulaient que nous leur écrivions des chansons pour certaines séquences, chose que nous avons faite. Puis notre contrat est arrivé à échéance et nous sommes partis. Ils nous ont dit : "merci pour tout. Nous utiliserons ce que nous pourrons." Vous connaissez la suite. En fait, nous sommes partis parce que Walt n'était plus là. Il était notre soutien. Lui comprenait ce que nous faisions. Il n'aurait jamais abandonné des chansons comme cette ballade dont je vous parlais. Lui nous laissait toujours carte blanche. Il avait confiance en nous. Il nous disait: "je veux telle chanson pour tel film". C'était tout. Alors que d'autres personnes disaient: "je ne sais pas. Je ne suis pas sûr qu'on ait besoin d'une chanson ici, cela ralentit tout…" La majeure partie des cinéastes craignent les ballades! Ils font tout pour les éviter!


Malgré ces désagréments, vous êtes toujours revenus vers Disney.
Nous avons gardé des contacts très amicaux. Les opportunités ont été nombreuses en dehors de Disney. Nous avons écrit dix films. Tandis que chez Disney à l'époque, il n'y avait plus assez de travail. Nous étions très créatifs et nous ne voulions pas perdre cette énergie. Mais cela ne nous a pas empêchés de faire beaucoup de choses pour les parcs Disney et les films. Sans oublier, bien des années plus tard, Les Aventures de Tigrou.

Qu'est-ce qui vous a motivé pour faire ce film ?
Nous avions écrit toutes les chansons des films originaux de Winnie L'Ourson. Et l'un des cadres de Disney s'est dit que ce serait formidable si les frères Sherman pouvait revenir et écrire les chansons de ce nouveau film. Ils nous ont donc donné le script et nous avons adoré! C'était une histoire formidable et nous avons tout de suite accepté! C'était comme revenir à la maison! Nous étions partis un certain temps et nous sommes revenus comme si c'était hier. J'adore ce film. Il a beaucoup de cœur. Il est très drôle, mais a beaucoup de cœur. J'aime quand il y a des choses à dire dans un film, des choses qui le rendent spécial, plus qu'un simple divertissement.


Comment avez-vous choisi les films que vous avez fait en dehors de Disney, comme Chitty Chitty Bang Bang ?
C'est une question de ressenti et de divertissement familial dans lequel vous pouvez agir sur deux niveaux. Ce n'est pas un film pour enfant. C'est un film pour toute la famille. Les adultes en perçoivent un certain niveau et les enfants un autre. C'est une chance de pouvoir travailler sur les deux tableaux et produire des chansons de qualité. Nous voulons que les gens puissent chanter nos chansons et non pas que ces dernières se cantonnent au film. Nos chansons sont écrites de telle sorte qu'elles vous trottent dans la tête. C'est notre signature.

Deux de vos créations les plus célèbres, Chitty Chitty Bang Bang et Mary Poppins ont été adaptées pour la scène. Comment êtes-vous passé du cinéma à Broadway ?
Une bonne histoire est toujours une bonne histoire. Et une bonne chanson est une bonne chanson. Peu importe pour quel médium. Au moment où la mode a débuté d'adapter des films en comédies musicales, Disney a commencé avec Beauty and the Beast et c'était merveilleux! A partir de ce moment là, des gens se sont dits qu'on pourrait ressusciter Chitty Chitty Bang Bang. Nous avons alors écrit de nouvelles chansons et changé quelques paroles des anciennes afin que tout cela fonctionne sur scène. Un livret formidable a été écrit, même meilleur que le scénario original du film et l'ensemble a donné cette production magnifique!

Pour la comédie musicale de Mary Poppins, c'est un autre duo de compositeurs qui a écrit les nouvelles chansons. Comment cela s'est-il décidé ?
Tout cela parce que Mrs Tavers, la personne qui a été l'histoire originale, voulait que ce soit une équipe totalement anglaise qui y travaille. A partir de là, deux excellents compositeurs anglais, George Stiles et Anthony Drewe, ont fait un travail remarquable et ont ajouté un matériel nouveau à nos chansons, tout en en composant de nouvelles. Le résultat final est merveilleux. Pratiquement toutes nos chansons s'y trouvent et nous adorons ce spectacle!

Après un impressionnant succès londonien, ce musical semble très bien se comporter à Broadway maintenant.
Absolument, c'est un succès ! Le spectacle en est à sa deuxième année et il continue d'en étonner plus d'un ! Cela marche fort bien !

Ecrit-on différemment pour l'animation et pour la scène ?
Il n'y a absolument aucune différence entre écrire une chanson pour un personnage réel et écrire une chanson pour un personnage animé, qu'il soit un chat ou un ours. Tous sont des personnages vivants et nous les traitons comme tels.


Quel genre de musique écoutez-vous ?
Personnellement, j'adore la musique classique et tout particulièrement Mozart. Mais j'aime aussi Rossini et Beethoven qui sont pas mal dans leur genre! J'aime aussi les chansons de Kern, Porter, Berlin, Gershwin, Rogers… et les magnifiques textes d'Hart et Hammerstein, Porter, Berlin, Frank Loesser et bien d'autres encore. J'adore également le ragtime de Scott Joplin et le Dixieland, en particulier Louis Armstrong.
Que pensez-vous de l'animation actuelle ? 
L'animation par ordinateur est certainement un médium formidable, mais pour moi, la chaleur et la personnalité des personnages en animation traditionnelle demeurent insurpassables. Certaines histoires se prêtent tout naturellement à une animation 3D, mais au fond de moi, je ressens encore davantage les choses et le travail de l'artiste en 2D. C'est difficile à expliquer, mais pour moi l'acteur qui se cache dans l'animateur s'exprime de façon encore plus personnelle en 2D.

Vos chansons ne sont pas que des notes et des mots, mais une authentique et profonde émotion. Merci infiniment d'avoir partagé ces souvenirs avec nous!
Merci infiniment à vous. Je suis très touché de vos paroles. Tout ce que nous avons fait, nous l'avons toujours fait avec le cœur!

1 Comments:

Blogger Unknown said...

j'ai adoré cet entretien du début... à la fin ! merci de nous avoir fait partager cette interview avec un compositeur entré dans l'histoire des studios Disney !

11:47 PM  

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