20e ANNIVERSAIRE DE DISNEYLAND PARIS : Entretien Eddie Sotto, concepteur de Main Street, USA.
Voici un nouvel extrait de mon prochain livre, Entretiens avec un Empire : Disneyland Paris raconté par ses créateurs. Il s'agit de morceaux choisis de mon entretien avec Eddie Sotto, ancien Imagineer et concepteur de Main Street, USA.
Etait-ce un désir personnel que d’être le concepteur de Main Street, USA pour Disneyland Paris ?
Oui et non ! Au départ, Tony Baxter, le producteur exécutif d’Euro Disneyland, avait remarqué mon travail pour une autre société, et en particulier autour de Jules Verne. Bien sûr, le design associé à Jules Verne est naturellement victorien, mais dans un style plus « Art Nouveau », plus industriel. Je savais que Tony aimait tout particulièrement ce style et qu’il avait essayé de lancer des projets dans ce sens. Et au moment de constituer une équipe de designers pour Disneyland Paris, je pense qu’au départ il pensait me confier Discoveryland. Or, Tim Delaney avait lui aussi fait de magnifiques dessins autour de cette idée et c’est lui qui s’est finalement occupé de Discoveryland. Tony a alors pensé à moi pour Main Street. Je dois avouer qu’à ce moment, j’ai été un peu déçu. Mais je suis le genre de personne qui déteste copier les choses, et j’ai pris comme un défi le fait d’avoir à imaginer une Main Street différente de celle de Walt Disney World. Et puis surtout, je me suis souvenu d’une des plus grandes émotions de mon enfance, quand j’ai eu l’opportunité de visiter les décors du film Hello, Dolly ! avec Barbara Streisand dans les studios de la 20th Century Fox. J’étais un petit garçon, j’avais 12 ans, et je marchais au milieu de ces décors gigantesques représentant Broadway et la 5e avenue de New York, avec un train suspendu et des affiches partout. C’était comme du Disney, avec une approche très positive, mais un peu plus réaliste. J’étais un fan absolu de Disney et je me suis dit : « oublions Disneyland ; c’est ça que je veux faire ! Je veux devenir concepteur de lieux comme celui-ci ! » C’était donc mon rêve de gosse de rendre hommage à ce lieu et à son décorateur, John DeCuir, et c’est ce qu’est Main Street, USA à Disneyland Paris ! J’ai donc vu ce travail comme une opportunité unique de réinventer Main Street selon mes rêves.
Et cette Main Street ne devait plus se situer au tournant du siècle, mais plutôt au coeur des années 1920-1930.
Une grande part de cette idée est venue de nos recherches. Nous nous sommes demandés pourquoi le public européen s’intéresserait à une copie de la Main Street de Walt Disney. C’est une nostalgie que nous partageons tous en tant qu’Américains, mais ce n’est pas nécessairement le cas des Européens. Le style victorien américain est déjà un mélange étrange de toutes sortes de styles européens que nous avons réinterprétés, le style Mansart en France, le style georgien en Angleterre. Nous voulions être sûrs que les visiteurs européens comprennent ce que nous voulions faire. Alors, nous nous sommes tournés vers le cinéma et la musique des années 1930, quand l’Amérique a commencé à influencer l’Europe du point de vue culturel. C’est par ces deux biais, le jazz et le cinéma muet, que les Européens ont eu l’opportunité de saisir ce qu’était l’Amérique. Ils l’ont découverte à travers les films des Keystone Cops, de Chaplin, de Keaton, à travers le Jazz et les échos de la prohibition (d’ailleurs, les Européens ont dû rigoler en pensant que nous devions aller dans les clubs fermés pour pouvoir boire !). Ceci dit, notre approche de cette époque pour Main Street était innocente et drôle, dans un esprit familial. D’où l’exemple de Hello, Dolly ! C’est donc à partir de là que Tony Baxter et moi avons commencé à lancer les premiers dessins conceptuels. Il faut dire que nous partagions la même affection pour ce film. Imaginez que j’avais marché au milieu de ces décors trois jours seulement avant le tournage lors duquel le jeune Tony Baxter (il a dix ans de plus que moi, ce qui fait qu’il devait avoir 22 ans à l’époque !) était présent en tant que figurant, habillé en style victorien et agitant un drapeau au passage de la parade ! Nous voulions exprimer ce sentiment à travers l’architecture de Main Street et nous nous sommes dit qu’il serait possible de le faire tout en proposant une approche un tout petit peu plus urbaine que la Main Street de Walt Disney. Nous pouvions très bien partir de son époque et ajouter des strates temporelles supplémentaires.
Une grande part de cette idée est venue de nos recherches. Nous nous sommes demandés pourquoi le public européen s’intéresserait à une copie de la Main Street de Walt Disney. C’est une nostalgie que nous partageons tous en tant qu’Américains, mais ce n’est pas nécessairement le cas des Européens. Le style victorien américain est déjà un mélange étrange de toutes sortes de styles européens que nous avons réinterprétés, le style Mansart en France, le style georgien en Angleterre. Nous voulions être sûrs que les visiteurs européens comprennent ce que nous voulions faire. Alors, nous nous sommes tournés vers le cinéma et la musique des années 1930, quand l’Amérique a commencé à influencer l’Europe du point de vue culturel. C’est par ces deux biais, le jazz et le cinéma muet, que les Européens ont eu l’opportunité de saisir ce qu’était l’Amérique. Ils l’ont découverte à travers les films des Keystone Cops, de Chaplin, de Keaton, à travers le Jazz et les échos de la prohibition (d’ailleurs, les Européens ont dû rigoler en pensant que nous devions aller dans les clubs fermés pour pouvoir boire !). Ceci dit, notre approche de cette époque pour Main Street était innocente et drôle, dans un esprit familial. D’où l’exemple de Hello, Dolly ! C’est donc à partir de là que Tony Baxter et moi avons commencé à lancer les premiers dessins conceptuels. Il faut dire que nous partagions la même affection pour ce film. Imaginez que j’avais marché au milieu de ces décors trois jours seulement avant le tournage lors duquel le jeune Tony Baxter (il a dix ans de plus que moi, ce qui fait qu’il devait avoir 22 ans à l’époque !) était présent en tant que figurant, habillé en style victorien et agitant un drapeau au passage de la parade ! Nous voulions exprimer ce sentiment à travers l’architecture de Main Street et nous nous sommes dit qu’il serait possible de le faire tout en proposant une approche un tout petit peu plus urbaine que la Main Street de Walt Disney. Nous pouvions très bien partir de son époque et ajouter des strates temporelles supplémentaires.
Comment est-on revenu d’une Main Street des années 20 au concept victorien original ?
Je pense que Michael Eisner a eu des craintes sur le fait de s’éloigner du concept original de Walt Disney pour Main Street d’autant plus que, selon Tony Baxter, il aurait vu à la même époque le film Les Incorruptibles et qu’il aurait eu peur de l’image violente que ce film et cette époque auraient pu renvoyer. Or, ce film n’avait rien à voir avec notre projet. Il n’y aurait pas eu de gangsters et autres mitraillettes. Notre Main Street des années 20 était celle des Keystone Cops. C’était beaucoup plus drôle et innocent. Ceci dit, Michael Eisner nous a envoyé un mémo dans lequel il nous expliquait qu’il craignait que les Européens pensent que nous avions perdu notre innocence et que cette période était trop immorale pour être valorisée et constituer le premier contact avec Disneyland. Quelque temps plus tard, alors qu’avec Michael Eisner, Frank Wells et certains designers de Disneyland Paris nous visitions des parcs européens, Michael s’est tourné vers moi et m’a dit : « vous savez, je me dis que finalement cette idée d’une Main Street des années 20 aurait bien marché. On aurait dû le faire ! » Ce qui était impossible car le projet avait été arrêté et le travail sur la version définitive était trop avancé pour faire marche arrière. En l’entendant, une partie de moi s’est sentie triste, mais en même temps je me suis dit qu’il avait eu l’élégance d’avouer que nous avions raison…
Je pense que Michael Eisner a eu des craintes sur le fait de s’éloigner du concept original de Walt Disney pour Main Street d’autant plus que, selon Tony Baxter, il aurait vu à la même époque le film Les Incorruptibles et qu’il aurait eu peur de l’image violente que ce film et cette époque auraient pu renvoyer. Or, ce film n’avait rien à voir avec notre projet. Il n’y aurait pas eu de gangsters et autres mitraillettes. Notre Main Street des années 20 était celle des Keystone Cops. C’était beaucoup plus drôle et innocent. Ceci dit, Michael Eisner nous a envoyé un mémo dans lequel il nous expliquait qu’il craignait que les Européens pensent que nous avions perdu notre innocence et que cette période était trop immorale pour être valorisée et constituer le premier contact avec Disneyland. Quelque temps plus tard, alors qu’avec Michael Eisner, Frank Wells et certains designers de Disneyland Paris nous visitions des parcs européens, Michael s’est tourné vers moi et m’a dit : « vous savez, je me dis que finalement cette idée d’une Main Street des années 20 aurait bien marché. On aurait dû le faire ! » Ce qui était impossible car le projet avait été arrêté et le travail sur la version définitive était trop avancé pour faire marche arrière. En l’entendant, une partie de moi s’est sentie triste, mais en même temps je me suis dit qu’il avait eu l’élégance d’avouer que nous avions raison…
Au final, donc, comment avez-vous organisé cette rue mythique ?
Ce qui nous a guidés, c’est l’idée de créer une personnalité derrière chaque façade. Nous n’avons rien envisagé qui n’ait de valeur que purement artistique ou visuelle. La valeur d’une façade, c’est l’histoire qu’elle raconte. Par exemple, les couleurs de Main Street Motors sont très masculines - vert foncé, marron, brun et rouge -, et juste à côté vous avez Disney Clothiers que nous avons imaginé être tenu par une femme à l’époque, avec des couleurs plus douce, plus pastel. Nous avons voulu que chaque lieu ait une personnalité unique, de sorte qu’en les mettant bout à bout vous ayez le sentiment d’une ville dans sa diversité et non un grand centre commercial.
Ce qui nous a guidés, c’est l’idée de créer une personnalité derrière chaque façade. Nous n’avons rien envisagé qui n’ait de valeur que purement artistique ou visuelle. La valeur d’une façade, c’est l’histoire qu’elle raconte. Par exemple, les couleurs de Main Street Motors sont très masculines - vert foncé, marron, brun et rouge -, et juste à côté vous avez Disney Clothiers que nous avons imaginé être tenu par une femme à l’époque, avec des couleurs plus douce, plus pastel. Nous avons voulu que chaque lieu ait une personnalité unique, de sorte qu’en les mettant bout à bout vous ayez le sentiment d’une ville dans sa diversité et non un grand centre commercial.
Comment avez-vous approché la musique de Main Street ?
A part quelques exceptions, il n’y a pas vraiment de musique originale pour Main Street. Walt’s – An American Restaurant a sa propre musique, qui est en fait un arrangement de musiques Disney pour ensemble de chambre, qui est également utilisé pour partie au Plaza Gardens Restaurant. Pour le reste, les musiques du Main Street, USA de Disneyland Paris ont été produites en même temps pour le Disneyland de Californie afin de partager les coûts. Je dois dire que j’ai passé plus de temps sur ces musiques que sur n’importe quel autre élément. Nous avons 11 heures de musique, et chaque heure est différente. C’est une sorte de chronologie du jazz américain. J’ai trouvé un orchestre, le Paragon Ragtime Orchestra, qui a retrouvé des tonnes de partitions qui avaient été abandonnées sous un kiosque à musique d’Atlantic City dans le New Jersey et qui a recréé ces magnifiques morceaux de ragtime en les jouant sur instruments d’époque. Ces morceaux ont été enregistrés sur deux cd, The Whistler and His Dog et On the Boardwalk. J’ai donc rencontré le chef de cet orchestre, Richard « Rick » Benjamin, pour lui demander l’autorisation d’utiliser ses morceaux à Disneyland Paris parce qu’ils font authentiquement partie de la culture américaine - certaines pièces étaient même inédites, inconnues des musicologues. Ce fut vraiment le point de départ de la musique de Main Street. Nous avons également retrouvé une chanson intitulée Goodbye Broadway, Hello France, écrite en 1917, qui fut un des succès liés à la Première Guerre mondiale, ainsi que How ‘Ya Gonna Keep ‘Em Down on the Farm (after they seen Paree), qui date de 1919, autant de chansons idéales pour Disneyland Paris car c’était des chansons auxquelles les Américains pensaient quand ils rêvaient de la France. Comme vous le voyez, nous avons légèrement étendu l’époque de Main Street jusqu’à la limite des années 20, qui correspond également à l’époque des pompes à essence que vous pouvez voir au bout de la rue. Nous avons également puisé dans le répertoire de la Walt Disney Company, dans les musiques du film Ragtime, composées par Randy Newman, ainsi que dans celui des orgues de barbarie pour certaines boutiques.
On trouve sur Main Street, USA toutes sortes d’objets authentiques et d’antiquités.
Absolument. Par exemple, l’essentiel de l’éclairage de Walt’s – an American Restaurant est composé d’antiquités collectées à travers tous les Etats-Unis. Ceci dit, nous avons ajouté un petit détail : sur les clefs des lampes à gaz du restaurant, nous avons ajouté le logo de Walt Disney figurant sur les ferrures de son appartement de Disneyland - pas de Mickey caché, donc, mais une référence directe à Walt. Il y a également beaucoup d’antiquités dans la Cable Car Bake Shop dans la mesure où nous avons fait pas mal de recherches sur les photographies et les plans des fameux « Cable Cars » de la ville. Et toutes les maquettes des brevets sont authentiques et viennent du Bureau des Patentes américain. C’est un must. Autre chose, pour Liberty Arcade, nous nous sommes rendus au musée Bartholdi de Colmar pour recueillir la documentation la plus authentique sur la construction de la Statue de la Liberté.
Certains mobiliers de restaurant sont d’authentiques antiquités, mais surtout, je voulais que Town Square Photography ressemble à un plateau de cinéma. L’idée était que le propriétaire du magasin était passionné des dernières technologies comme les appareils photos portatifs de Kodak. Il voulait aussi être le premier de la ville à avoir l’électricité, quitte à ce que le rangement de sa boutique s’en ressente ! Le fait est que toutes les photos que vous pouvez y trouver sont de véritables clichés américains de cette période. Le mobilier et les accessoires sont également authentiques. Je dois dire qu’en la matière, Cable Car Bake Shop et Town Square Photography sont mes deux magasins préférés !
Main Street, USA est une véritable accumulation de détails plus riches les uns que les autres, tous historiquement valides et qui lui confèrent cette intégrité à laquelle Herbert Ryman tenait tant. Pour moi, Disneyland est un lieu de culture et Disneyland Paris est la plus grande exportation culturelle jamais réalisée. Si on veut faire les choses correctement et présenter une partie aussi importante de la culture américaine sur le sol européen, il faut aller plus loin qu’Elvis, les hamburgers, Mickey Rourke, James Dean ou encore Marylin Monroe. Il faut créer une sorte de Smithonian vivant. D’ailleurs, certains objets ont été fournis par des collectionneurs du Smithonian. Main Street est un musée vivant. Cela n’a rien à voir avec une quelconque propagande américaine comme on l’a reproché au parc. C’est un lieu où vous pouvez venir avec vos enfants et où toute la famille peut à la fois s’amuser, admirer et apprendre.
C’est sur l’une de ces fenêtres, celle du dentiste Dr. Bitz, que l’on trouve votre nom, aux côtés des autres Show Producers du parc.
Je me suis dit que ce serait sympathique que nous soyons tous réunis sur une même fenêtre. En ce qui concerne le choix de la fenêtre, je me suis souvenu que Walt Disney lui-même avait un effet sonore de ce type sortant d’une fenêtre dans l’attraction Mine Train Through Nature’s Wonderland (aujourd’hui Big Thunder Mountain) de Disneyland, et c’était la fenêtre du dentiste d’où l’on pouvait entendre les patients hurler de douleurs - une situation typique du Vieil Ouest ! Walt Disney trouvait cela très drôle et adorait cet effet. Je me suis dit que ce serait amusant de reprendre cette idée tout en la rendant un peu moins violente. C’est pour cela que mon dentiste utilise du gaz hilarant. Vous pouvez entendre le patient rire au son de la roulette - et c’est moi qui fais la voix du patient ! Quant au nom du dentiste, c’est le mien, car mon nom complet est Eddie Sotto Bitz !
Je me suis dit que ce serait sympathique que nous soyons tous réunis sur une même fenêtre. En ce qui concerne le choix de la fenêtre, je me suis souvenu que Walt Disney lui-même avait un effet sonore de ce type sortant d’une fenêtre dans l’attraction Mine Train Through Nature’s Wonderland (aujourd’hui Big Thunder Mountain) de Disneyland, et c’était la fenêtre du dentiste d’où l’on pouvait entendre les patients hurler de douleurs - une situation typique du Vieil Ouest ! Walt Disney trouvait cela très drôle et adorait cet effet. Je me suis dit que ce serait amusant de reprendre cette idée tout en la rendant un peu moins violente. C’est pour cela que mon dentiste utilise du gaz hilarant. Vous pouvez entendre le patient rire au son de la roulette - et c’est moi qui fais la voix du patient ! Quant au nom du dentiste, c’est le mien, car mon nom complet est Eddie Sotto Bitz !
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