dimanche, juillet 15, 2018

Entretien avec Toby Chu, le compositeur du court-métrage Pixar "Bao"


 

Cher Toby, nous nous sommes rencontrés en 2002, alors que vous étiez assistant du compositeur Harry Gregson Williams, et maintenant, vous êtes un compositeur à part entière. Quel parcours !
Ce fut un voyage absolument excitant. J'ai commencé comme assistant de Harry, tôt dans ma carrière, peu de temps après mon déménagement de Los Angeles. Il a été mon professeur, mais aussi mon mentor. Notre collaboration s'étend sur plus de cinquante films, et j'ai énormément appris auprès de lui. Il y a peu plus de cinq ans, je suis devenu indépendant et j'ai emménagé dans mon propre studio.

 Toby Chu, entouré de la productrice Becky Neiman et de la réalisatrice Domee Shi

Comment et quand, en êtes-vous venu à travailler sur Bao ?
Par le biais de Tom MacDougall, qui est vice-président de la musique pour les studios Pixar et Disney. C'était à l'automne 2016. Il m'a invité à Pixar afin de participer à une réunion, et j'ai pu voir Bao pour la première fois.

Comment étaient vos premiers échanges avec la réalisatrice Domee Shi?
J’ai rencontré Domee chez Pixar. Elle m'a montré une première version du film. Il était encore sous forme de storyboard. Elle savait exactement ce qu’elle voulait. Nous avons parlé de l’émotion, de l'arc global du film ainsi que l’utilisation d'instruments occidentaux et orientaux. Le métissage entre  Est et Ouest était une métaphore importante de l'éducation de Domee, en tant qu'immigrante chinoise au Canada.
En tant que sino-américain, je me sentais également connecté au film. Bao est un conte de fée moderne, qui se situe dans une communauté chinoise issue de l'immigration. Il y a une qualité intemporelle et un attrait universel dans ce film. Dans la mesure où il n’y a pas de dialogue, la musique avait un rôle crucial à jouer dans la narration pour incarner les différents niveaux de lecture du film et évoquer les hauts et les bas de la relation parents-enfant.

Vous semblez très proche du sujet du film
La première chose que j'ai dit, après avoir vu Bao c'était «  C'est moi ! Je suis ce petit ravioli chinois ! » . J'ai bien rit avec Domee, Becky, la productrice, et Tom. Les parallèles entre le court-métrage et ma vie sont assez surprenants. Ma mère m'appelle encore « Xiao Bao Bao » (petit trésor). Quand j'étais enfant, elle me serrait très fort dans ses bras, en me disant qu'elle voulait me manger. Et comme pour le faire exprès, mon épouse est une femme caucasienne et blonde !


Quand avez-vous commencé à composer?
Assez tôt. La production a duré environ un an et demie. L'histoire et la musique ont été écrites en parallèle et ont évolué en même temps, ce que je trouve très bien.

Dans la mesure où vous êtes peintre vous-même, pouvez-vous me parler de votre lien personnel à la dimension visuelle du film?
J'ai grandi en aimant John Singer Sargent, qui est contemporain de l'intégralité des grands peintres impressionnistes ( comme Claude Monet ou Edgar Degas). Beaucoup de ces artistes étaient obsédés par l'art et le design japonais et je pense que vous pouvez voir une fusion entre Orient et Occident dans leurs œuvres avec l'influence d'Hokusai par exemple. J'ai toujours été très visuel. Le contenu visuel du film reste ma plus grande source d'inspiration.
L'esthétique visuelle de Bao a été inspirée par l'art populaire traditionnel chinois. Rona Liu, la directrice artistique de Bao, qui avait aussi un lien personnel avec l'histoire, a joué un grand rôle dans l'inspiration de la musique. Elle a fait un travail absolument génial.


Votre musique est basée sur un thème unique, développé sur l’ensemble du film.
Ce thème est le cœur de la partition et la voix de l'histoire. Il sert de fil conducteur et se développe tout au long du film. Il était important pour moi que le thème parle à plusieurs niveaux. Je voulais qu’il soit nostalgique et changeant comme l'histoire de Domee.
Ce thème était la première chose sur laquelle je me suis concentré quand j'ai commencé. Je savais que je voulais que la pièce entière soit basée sur un seul thème. Il y a eu beaucoup d'essais et d'erreurs avant de trouver le bon. Il devait également être flexible et fonctionner dans différents arrangements et orchestrations afin de véhiculer ce voyage émotionnel. Il est basé sur une gamme pentatonique majeure, la gamme utilisée dans la musique traditionnelle chinoise. Je l'ai aussi défini comme une valse, ce qui est moins commun. Il est construit sur deux propositions de phrases, symbolisant Mom et Dumpling.

 

Pouvez-vous me parler plus précisément de ce mélange d’instruments orientaux et occidentaux qui est au cœur de votre orchestration?
La musique de Bao est un mélange d'instruments traditionnels chinois (c'est-à-dire violon erhu, guzheng, yangqin, dizi ou zhudi, pipa, liuqin, sanxian) et d'un orchestre symphonique de 60 musiciens. La musique traditionnelle chinoise est intimement liée à la poésie et à diverses formes de lyrisme ; c’est une forme de poésie sans mots. Par exemple, les glissandos sur le guzheng représentent des cascades ou du tonnerre. Chacun des instruments a des milliers d'années d’histoire. J’ai donc essayé de mettre chaque instrument à sa place de manière à honorer sa tradition et ses possibilités expressives propres. L'un des aspects les plus difficiles de la combinaison de l’Orient et de l’Occident est que de nombreux instruments traditionnels chinois sont réglés pour jouer uniquement sur certaines tonalités et pour jouer sur une gamme spécifique. Mélanger les deux fut difficile. A mesure de l’évolution de l’histoire, la partie occidentale a beaucoup évolué en termes de tonalités. J'ai fini par développer quelques accords spécifiques pour pouvoir marier l’orchestre avec le guzheng et nous avons utilisé différentes sortes de flutes traditionnelle dizi pour couvrir l’ensemble du paysage sonore.

Puis, vers la fin du film, il n’y a plus que le piano et la clarinette.
Il y a ce moment magnifique et paisible (à environ 5 minutes) où le vrai fils de maman rentre à la maison et ils rattrapent le temps perdu. La musique devait être discrète. Je n'ai volontairement utilisé aucun instrument chinois ici. J'ai senti que c'était un moment universel et que le piano et la clarinette étaient transparents, pour exprimer un moment d’intimité familiale et l'amour d'une mère pour son enfant.

Comment s’est passé l'enregistrement de cette partition ?
Nous avons enregistré pendant deux jours à Eastwood Scoring Stage chez Warner Brothers. Une journée avec l'orchestre et une journée avec les instruments chinois.
J’ai fait beaucoup d’enregistrements partiels pendant l’année et demie passée sur Bao, et beaucoup de ces ajouts se retrouvent dans la pièce finale.

 

Le film est un succès indéniable. Maintenant, avec le recul, comment ressentez-vous cette expérience ?
J'ai été honoré de travailler sur ce film. L'accueil chaleureux du public a été à la fois impressionnant et intimidant. J'ai grandi en regardant tous les films et les courts-métrages de Pixar. Il y a une tradition à laquelle vous faites immédiatement partie. Travailler avec Domee, Becky et Tom a été une expérience fantastique, et l'histoire est magnifique. Dans un sens, c'est un conte chinois, mais dans un autre, il s'agit des thèmes humains plus larges comme l'amour, la perte, la famille et les relations humaines. Pour cette raison, il transcende toutes les barrières culturelles.

Quels sont vos projets ?
Je viens de rentrer d'un enregistrement d'orchestre pour un film d’animation intitulé 'Henchmen'. C'est amusant, bourré d'action, de super-héros et de méchants. Ne le ratez pas !

Merci à Dylan Samuel pour la traduction !

mercredi, juin 27, 2018

Entretien avec Kathryn Beaumont, la voix de Wendy



C’est une sentiment très particulier que de parler en même temps à Alice et à Wendy !
Je ressens comme un honneur d’avoir eu l’opportunité de jouer deux rôles pour Disney. C’est quelque chose d’unique, en particulier pour la petite fille que j’étais ; il n’y a pas beaucoup d’artistes qui ont joué plus d’un personnage. J’en suis doublement heureuse, d’autant plus que les deux films sont devenus des classiques.

Comment êtes-vous arrivée chez Disney ?
En fait, j’étais juste sous son nez, à la MGM. Je suis née en Angleterre, et à l’âge de huit ans, on m’a fait venir à Hollywood car la MGM envisageait de produire des films qui tournaient autour de l’Angleterre. Rien de concret ne s’est vraiment fait, mais j’étais quand même sous contrat avec le studio. Pendant ce temps, Disney recherchait une Alice qui plairait autant à des oreilles américaines que britanniques, avec une sorte d’accent anglais modifié. J’ai lu mon texte lors de l’audition et j’ai éclaté de joie lorsqu’on m’a rappelée pour me dire que j’avais le rôle. Dans la mesure où il s’agissait d’un film d’animation, c’était très différent d’un film en prises de vue réelles qui prend en général deux à trois mois : ici, il était question de deux ans ! J’ai donc travaillé par intermittence tout au long de la production de l’animation.


Quels souvenirs gardez-vous de Walt ?
J’étais très jeune, aux alentours de dix ans, mais je garde de merveilleux souvenirs de lui. En tant qu’enfant, nous avions des relations très différentes de celles d’une actrice adulte, mais je me sentais très à l’aise avec lui. Tout le processus auquel j’ai participé était très créatif, et il n’agissait pas comme le patron du studio, mais comme un artiste parmi les autres. J’avais ce sentiment très agréable de sentir un véritable esprit d’équipe dans la production d’une oeuvre artistique. Il voulait que je sois impliquée le plus possible dans le projet, tout comme lui y était totalement impliqué. Par exemple, lors de la conception d’une séquence, j’étais invitée aux ‘storyboard sessions’ où tous les artistes travaillaient à l’histoire. Et Walt était très présent dans ce travail. Je voyais le réalisateur et l’auteur présenter toute cette séquence, tous les détails, de la mise en scène aux dialogues. Puis chacun donnait son avis et essayait d’enrichir cette séquence. De mon côté, j’étais assise dans mon coin pensant à la chance que j’avais d’assister à ce foisonnement de créativité et d’être présente aux tout débuts de la création de ce film. Walt était très souvent là, et parfois faisait une suggestion. Je me souviens également d’une séance d’enregistrement lors de laquelle le réalisateur n’était pas tout à fait sûr de l’interprétation du texte. Il me demandait de le dire d’une façon, puis d’une autre, mais n’était pas satisfait du résultat. Alors quelqu’un a dit ‘appelons Walt !’ Et c’est une autre chose qui m’a étonnée : il était le patron du studio, ils l’ont appelé et dix minutes plus tard il était là ! Normalement, il est toujours difficile d’arriver à parler au chef du studio. Il est toujours inaccessible. Mais dans le cas de Walt, il était toujours accessible. Il est donc descendu et a dit ‘OK, les gars. Montrez-moi de quoi il s’agit’. Ils lui montrèrent donc les deux interprétations. Il réfléchit un instant puis dit ‘Je ne vois pas où est le problème, la première version va très bien’. Toutes ces tergiversations, et il était satisfait de la première prise, la plus naturelle ! C’est dans des situations comme celle là que l’on en vient à connaître vraiment une personne comme lui, qui ne se considérait pas comme un patron, mais plutôt comme un membre d’une équipe. Cela m’a beaucoup impressionnée.


Vous avez également beaucoup participé à la promotion de vos deux films avec Walt, en particulier à la télévision. Vous faisiez notamment partie des toutes premières émissions de Disney, les deux programmes spéciaux de Noël 1950 et 1951, One Hour in Wonderland, ainsi qu’ Operation Wonderland.
La plupart des émissions de télévision de cette époque étaient en direct. Ce qui devait arriver arrivait ! Quand on est une enfant, on fait tout son possible pour faire ce qu’on nous demande, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. J’ai donc participé à plusieurs émissions de ce genre, pour lesquelles j’ai dû aller à New York. Mais les émissions spéciales de Noël de Disney étaient une idée vraiment nouvelle. Walt n’avait jamais fait de télévision auparavant. En fait, ces émissions ont été tournées aux Disney Studios, de la même manière que l’on tournait des films. L’enregistrement s’est ainsi passé sur plusieurs jours. Nous apprenions notre texte et nous enregistrions une scène à la fois. Cette fois, si on se trompait, on pouvait toujours recommencer ! Tout fut donc assemblé et monté à l’avance pour la diffusion à l’époque de Noël. Et tout cela se déroulait pendant le mois d’Août, pendant l’été ! Ce fut une expérience unique. En plus, nous n’avions pas d’école en cette période de l’année ! Je ressentais ainsi une certaine liberté, et en même temps, c’était un peu bizarre de travailler à quelque chose sur Noël, avec un sapin de Noël et toutes les décorations qui vont avec en plein milieu de l’été, dans la chaleur de la Californie !
Dans ce cadre, j’ai pu apprécier un Walt Disney beaucoup plus réaliste qu’on a l’habitude de le voir et de l’imaginer. Il se débrouillait très bien à la télévision, il avait l’air sûr de lui et jouait très bien, mais il se sentait en dehors de son élément. Il se trouvait alors avec des acteurs qui faisaient leur travail, et ce n’était pas son cas. Il était un peu mal à l’aise, soucieux de bien savoir son texte. Mais en même temps, il voulait tellement collaborer avec tout le monde. Encore une fois, bien qu’étant le chef du studio, il était très humble ! Quand j’ai vu cela, je me suis dit : ‘il est humain !’ Comme nous tous à différents moments de nos vies, il avait ses moments de doute, mais il dominait tout cela remarquablement !


Alice a été animée par les meilleurs : Milt Kahl (qui fut aussi le principal animateur de Wendy), Ollie Johnston, Eric Larson, ou encore Marc Davis.
Mon premier sentiment concernant ces grands artistes est d’abord l’admiration. Mais en même temps, ils ont tout fait pour que je me sente à l’aise et que je participe le plus possible à la création du film. Je ne me suis pas contentée de dire mon texte ou de tourner les scènes de référence selon les instructions que je recevais, je sentais vraiment que je faisais partie de l’équipe créative. A l’époque, du fait de mon emploi du temps, j’avais un professeur particulier, et je suivais mes cours dans les studios. J’avais trois heures de cours et quatre heures de travail pour Disney. Pendant ces trois heures, il y avait naturellement une pause, comme une récréation et je me souviens qu’à ce moment, Milt Kahl m’appelait pour que je vienne voir les derniers dessins. Nous montions alors dans son bureau. Parfois c’était les scènes de références que vous visionnions à la moviola, d’autres fois il nous montrait comment il dessinait. Il rassemblait ses dessins et ceux des intervallistes pour me montrer toute l’animation qui prenait vie sur le papier. C’était un homme profondément gentil. Il apportait beaucoup de soin à tout ce qu’il faisait. C’était un très grand artiste. Au tout début de mon travail, je devais porter un costume pour les scènes de référence, et les artistes devaient être impliqués dans la réalisation de ce costume. Marc Davis s’occupait particulièrement de ces questions, notamment pour donner le sens du mouvement ainsi que de la couleur. Ces films étaient bien sûr en noir et blanc, mais il attachait beaucoup d’importance à la couleur de mon costume afin de donner le meilleur résultat en noir et blanc et permettre d’imaginer les vraies couleurs. Autant de détails que je ne comprenais pas à l’époque mais qui étaient de première importance. Je me souviens qu’il voulait être présent pour le premier contact avec la personne qui allait faire ma robe. Nous étions convenus qu’il viendrait nous chercher ma mère et moi en voiture pour traverser Beverly Hills et aller chez la costumière. Mais il est arrivé avec une nouvelle voiture dans laquelle je ne l’aurais jamais imaginé ! Une Pontiac décapotable rouge vif ! Je m’attendais à une petite voiture noire pour cet homme si doux, et je me suis vue traverser Beverly Hills à toute vitesse dans cette voiture ! J’avais plutôt peur ! Mais il était tellement prévenant et il tenait tellement à sa nouvelle voiture qu’il a conduit tout le temps à 50 km/h ! C’était tout lui : très attentif, réfléchi dans tout ce qu’il faisait. C’est quelque chose de très spécial à propos de Marc Davis dont je me souviendrai tout le temps. J’étais une petite fille et il me taquinait souvent en m’appelant ‘the little girl with the big words’ (la petite fille aux grands mots). Il me le rappelait encore récemment !

Dans vos films, vous chantez beaucoup, en particulier dans Alice. Quelle était votre formation en la matière ?
Absolument aucune ! En fait, Walt ne voulait surtout pas de voix formée. Pour lui, il s’agissait tout simplement d’une petite fille qui chante ses émotions, et sa voix devait sonner comme telle. Ils ont simplement fait venir une répétitrice avant l’enregistrement des chansons pour s’assurer de la justesse et que je serais à l’aise pour chanter avec l’orchestre. C’était donc une expérience totalement nouvelle pour moi qui n’étais pas chanteuse ! Mais c’était parfait pour ce rôle. De plus, il y a cette fameuse scène avec les fleurs dans laquelle Alice commence à avoir confiance en elle, puis vient cette note aiguë qu’elle n’arrive pas à atteindre !

C’est Oliver Wallace qui s’occupait de la direction musicale d’Alice ainsi que de Peter Pan. Quels souvenirs gardez-vous de ce compositeur majeur dans l’histoire de Disney, ainsi que des compositeurs des chansons, Sammy Fain, Mack David, Al Hoffman et Jerry Livingston ?
Comme tous les autres membres du studio, Oliver Wallace était très amical et il était très facile de travailler avec lui. Il m’a également beaucoup aidé dans les chansons ! Sachant que je n’avais pas beaucoup d’expérience, il a su rendre les choses aussi simples que possible. Il était très créatif. Mais je dois dire que, du fait que les membres du studio étaient des adultes, nous ne pouvions avoir de relation d’égal à égal. De plus, on pouvait me demander d’enregistrer ou de tourner à n’importe quel moment. C’est la raison pour laquelle je restais tout le temps au studio et que j’étudiais avec un professeur particulier. Et à la fin de chaque travail, au lieu de faire connaissance avec mes partenaires et les créateurs du film, je retournais plutôt à mes études, à l’arrière du plateau, pendant une nouvelle séance de quinze à vingt minutes, avant qu’on m’appelle à nouveau. Je me rappelle seulement à quel point ils étaient gentils avec moi et qu’ils faisaient vraiment tout pour me simplifier les choses.

Le résultat n’en est que plus remarquable si l’on considère la difficulté de certaines séquences comme celle du Non-Anniversaire lors de la partie de thé avec le Chapelier Toqué et le Lièvre de Mars. Il ne s’agit pas seulement de chanter, mais également de jouer la comédie, tout en même temps.
En fait, cela ne me semblait pas un problème ! Il faut dire qu’à l’époque, lorsqu’on enregistrait une scène, tous les acteurs étaient présents en même temps. Aujourd’hui, les différentes parties sont enregistrées séparément et on ne fait qu’entendre ses partenaires dans un casque. C’est finalement plus difficile. Quand tout le monde est là, l’interprétation est plus dynamique et on peut vraiment en discuter et interagir, au lieu de ne faire que suivre des instructions et s’insérer dans un enregistrement déjà fait. C’était aussi très amusant car, pour cette scène, j’étais avec Jerry Colonna [la voix originale du Lièvre de Mars] et Ed Wynn [le Chapelier Toqué, JN], et ils débordaient d’idées pour rendre les choses encore plus drôles ! Personnellement, je pensais qu’ils allaient plaisanter tout le temps, mais en fait, ils étaient très calmes entre les prises car ils réfléchissaient à leur interprétation et en discutaient ensemble. Ce fut une expérience très intéressante.


Comment êtes-vous passée d’Alice à Wendy ?
Ce fut quelque chose de tout à fait naturel. Pendant que je travaillais sur Alice au Pays des Merveilles, ils étaient déjà en train de travailler à l’histoire de Peter Pan. Le concept était en développement depuis des années, et c’est à cette époque qu’ils ont décidé de vraiment avancer dans la production. Wendy était, tout comme moi, au seuil de l’adolescence, et c’était aussi un personnage anglais. Ils m’ont juste dit ‘dès que nous aurons fini Alice, nous commencerons la production de Peter Pan et nous voudrions que tu joues le rôle de Wendy.’ Une fois la promotion d’Alice terminée, j’ai donc commencé à enregistrer l’une des scènes de Peter Pan dès la semaine suivante !

Lorsqu’on regarde les photos de l’époque, votre transformation d’Alice à Wendy est saisissante. On passe vraiment d’une enfant à une jeune femme !
C’est leur grande réussite. Ils avaient conscience du problème que représentait le fait d’avoir la même personne pour deux films si proches. C’est aussi la raison pour laquelle Alice et Wendy sont si différentes, que ce soit dans leur apparence, notamment dans leur coiffure, ou dans leur personnalité. Ils ont donc créé pour Wendy des situations qui renforcent cette différence avec Alice, qui est toujours en train de se poser des questions. Wendy est certes une adolescente, mais lorsque Peter Pan arrive, qu’elle réalise que c’est bien Peter Pan, elle revient vers l’enfance. Mais elle réagit de façon complètement différente d’Alice. Ils l’ont faite aussi différente que possible.

Comment cela s’est-il traduit dans votre interprétation ?
Le fait que j’avais le même âge que Wendy a beaucoup simplifié les choses. Je pouvais davantage m’identifier à ce personnage. Nous vivions un peu les mêmes choses. Cela a rendu mon interprétation plus facile.
Your Mother and Mine est l’une des plus belles chansons Disney.
C’est une chanson très spéciale, dont les paroles sont tout simplement magnifiques. De plus, la musique et les paroles vont particulièrement bien ensemble. Une chanson très touchante, et emblématique de la philosophie de Walt car ses premiers films ont tous beaucoup de coeur. Il y a toujours de ces moments particulièrement émouvants. Je pense également à cette scène dans Alice, quand elle réalise avec frustration que, malgré ses efforts rien ne va et qu’elle est perdue. La chanson exprime tout cela tandis que les animaux se rassemblent autour d’elle pour l’entendre. C’est le genre de scène typiquement disneyenne et qu’il réussissait merveilleusement dans tous ses films de cette époque.

Wendy est une petite fille, mais en même temps une mère dotée d’un caractère très affirmé, notamment lors de la scène du Roi des Voleurs. C’est finalement un personnage très moderne.
Je le pense vraiment. Malgré les années, le public aime toujours Peter Pan, les enfants des enfants d’alors, y compris les jeunes d’aujourd’hui. Chacun peut y trouver quelque chose. Je me souviens l’avoir compris à un certain niveau au moment où j’y participais. Je l’ai revu en tant qu’adulte, avec tous les gags et les allusions auxquels tenaient les artistes Disney, mais également avec beaucoup d’autres choses que je n’avais pas réalisées au départ. C’est un film qui est autant pour les enfants que pour les adultes, car il se dégage de ce film une grande humanité.


Alice et Peter Pan sont toujours aussi actuels.
Chaque projet dans lequel se plongeait Walt Disney était pour lui très spécial, chacun à sa façon. Quand je pense à Alice et à tous ces personnages extraordinaires qu’elle rencontre au Pays des Merveilles, tous sortis de l’imagination des artistes Disney, je me dis qu’ils étaient très en avance sur leur temps. Regardez ALICE aujourd’hui, ce kaleidoscope de scènes très rapides, cela est très proche de la façon actuelle de faire des films. C’est une des raisons pour lesquelles le film n’a pas eu le succès escompté à l’époque. PETER PAN est plus traditionnel. Chacun fonctionne vraiment à sa façon.

Qu’avez-vous fait après ces films ?
Ce fut une expérience merveilleuse, et à la fin de ces films, je me retrouvais à un tournant de ma vie. J’avais quatorze ans à l’époque et je me suis rendue compte que j’avais maintenant du temps pour aller à l’école publique, c’est-à-dire partager des expériences avec les jeunes de mon âge. J’en ai parlé à Walt, je lui ai demandé des conseils car il était comme un père. Il m’a dit que c’était une très bonne idée. Ils avaient déjà des idées pour que je continue à travailler avec eux, mais j’avais besoin de temps pour réfléchir à ce que j’allais faire de ma vie : continuer dans le cinéma ou finir mes études. J’ai donc opté pour la seconde solution et j’ai passé des moments formidables au lycée et à l’université. Walt m’avait dit que, comme j’étais encore très jeune, si je le désirais, il n’y avait pas de raison pour que je ne revienne pas au cinéma. Mais après mon diplôme, j’ai commencé à enseigner comme institutrice et j’ai trouvé cela vraiment enrichissant. C’est tellement passionnant de prendre en charge une classe au début de l’année et les aider à progresser, de voir comment on a pu en toucher certains. Je me levais chaque matin toute excitée à l’idée de ce que j’allais faire avec eux. Je suis donc passée d’une carrière à une autre, totalement différente, que j’ai menée jusqu’à ma retraite. J’ai eu cette expérience inoubliable durant mon enfance et ce que j’ai ressenti à l’époque est toujours vivant en moi aujourd’hui et m’a accompagné toute ma vie, au cours des différentes rééditions du film.

vendredi, juin 01, 2018

Les Indestructibles 2 : entretien avec la Directrice artistique Bryn Imagire


Vous avez pris part au premier film des Indestructibles. Comment vous sentez vous en revenant à cet univers?
Je suis trop heureuse de pouvoir travailler à nouveau avec Brad. Sur le premier Indestructibles, je me souviens à quel point il s’était fait plaisir. Vous savez, c'était son premier film chez Pixar, et c'était génial de  l'avoir ici, au Studio, après le Géant de Fer que j'avais beaucoup aimé. Je me souviens du nombre de décors que nous devions faire, et de toutes les simulations de personnages. Car à cette époque, c'était notre plus grand film de ce point de vue. Nous aurions souhaité avoir un peu plus de temps pour pouvoir en faire un peu plus, au niveau des muscles, des articulations des personnages et de la simulation des habits. Mais nous avons fait au mieux dans un bon laps de temps.

Maintenant, la différence sur ce nouveau film concerne la technologie qui est bien plus perfectionnée. Je suis très fière de ce dernier parce que nous avons vraiment passé du temps à améliorer les choses. La simulation des personnages, des vêtements, des articulations, tout est tellement mieux maintenant et j'espère que tout le monde l'appréciera. Comme le second film débute là où le premier s'est arrêté, nous devions continuer avec les mêmes apparences, et ensuite essayer d'ajouter des choses, mais surtout les rendre plus belles, et le faire d'une manière qui soit cohérente, de sorte que vous puissiez regarder le premier et le second film à la suite sans trop remarquer les différences.

Je me suis retrouvée sur ce film à repenser à beaucoup d'idées auxquelles nous avions pensé avec Brad sur le premier film, en particulier au niveau du design des personnages. C'est bien que le temps ne se soit pas écoulé entre la fin du premier et le début du second film. Nous connaissons les personnages, nous connaissons leurs motivations.
J’ai repensé aux conversations que nous avions eues avec Brad, il y a 15 ans, et c'était plutôt bien parce que j'avais cette richesse d'inspiration et d'information dans ma tête, et je pouvais y revenir afin que toutes les décisions que nous prenions soit fondées sur ces premières idées que nous avions établies.




Shading art director est un poste très collaboratif dans la production d'un film d'animation. Pouvez-vous me parler de cet aspect particulier de votre travail?

Le shading art director est au coeur du processus. Je m’occupe à la fois des personnages et des décors. Je travaille en étroite collaboration avec le directeur artistique et le réalisateur, mais je travaille aussi très étroitement avec les responsables des différents départements en charge des personnages. Je travaille aussi beaucoup avec les responsables des modèles parce que, quand nous parlons de choses comme le tissu sur les costumes, nous devons comprendre comment cela va s'étirer ou interagir avec les articulations.
Mon travail se rapporte aux couleurs et aux textures de tout le film. J'aime bien ça, car tout doit être "dans le contexte" et on peut attirer l'oeil du spectateur précisément grâce à la couleur et au contraste. Par exemple, dans Indestructibles 2, nous avons donné les motifs les plus saturés et les plus contrastés aux personnages principaux. La famille, Evelyn Deavor et Edna, ont tous des motifs très saturés ou plus foncés ou très contrastés. Pour les personnages secondaires et les décors de fond, nous avons tendance à les laisser retomber en saturation, et les motifs sont très subtils sur les personnages de fond et un peu grisés. Quelque soit la scène que vous choisissez, vos yeux vont d'abord vers la famille et les personnages principaux. Même les décors semblent s’effacer.




Pouvez-vous me parler plus précisément de votre collaboration avec Ralph Eggleston, le directeur artistique du film?
Je travaille avec Ralph et je le connais depuis que je suis chez Pixar. Je le respecte vraiment en tant qu'artiste. Il est très facile et drôle. Il a comme moi, une très bonne relation avec Brad. Donc, ce fut très agréable pour nous de travailler à nouveau ensemble. Vous savez, le département Art est toujours un très petit groupe par rapport à l'ensemble de l'équipe, donc nous travaillons très étroitement ensemble. Il me fait vraiment confiance, et j'apprécie cela. Il me laisse apporter mes goûts et mes expériences.
Par exemple, quand j'ai travaillé sur le costume d'Evelyn Deavor - car je me suis également occupée de la conception des costumes du film - il a suggéré de penser à des interférences sur un téléviseur. C'était une idée très abstraite mais pleine de possibilités, qui m'a permis de beaucoup développer le costume. Il a également suggéré de regarder l'art et la mode des années 60. Ce sont toutes de très bonnes idées pour le design et en même temps qui ratissent large, donc c'était facile pour moi de m'en inspirer pour en retirer des idées.




Dans votre métier, vous expérimentez beaucoup. Je me souviens de la superbe maquette que vous aviez faite du salon de Carl pour Là Haut. Comment était-ce sur les Indestructibles 2?
Animer par ordinateur, c'est rendre chaque chose tangible et crédible. Dans les projets stylisés tels que Les Indestructibles 1 et 2, mais aussi chaque fois que vous faites un film généré par ordinateur, tout peut être infini et vous pouvez simplement ajouter et encore ajouter des détails, comme sur un aimant. Pour ma part, j'aime plutôt maîtriser chaque chose et me concentrer sur l’essentiel. Et les maquettes peuvent être très utiles pour cela.

C'est très agréable parce que ça semble réel, mais parce que l'échelle peut être plus grande ou plus petite, ou quelque chose que vous ne voyez pas habituellement dans la vie réelle, cela vous permet de voir les choses d'une façon très différente. J'aime beaucoup travailler comme ça.
L'autre avantage d'une maquette c'est que vous pouvez l'éclairer comme vous souhaitez. Comme c'est une chose réelle, vous pouvez y faire briller une vraie lumière et voir comment la forme agit dans la lumière. C'est un excellent moyen de trouver des idées en dehors de l'ordinateur. Comme je l'ai dit, il y a quelque chose d'infini avec l'ordinateur, et en faisant une maquette, je fais en sorte qu'elle ne soit pas infinie. C'est une chose finie. Etre capable de jouer avec ça est vraiment un aspect intéressant de ce que je fais.
Sur Les Indestructibles 2, nous n'avons pas fait beaucoup de maquettes, mais j'ai fait beaucoup de collages après des idées de costumes et j'ai montré à Brad ce genre d'artwork. J'ai pris beaucoup de photographies de projets que j'ai fabriquées en peau de serpent ou en métal. J'avais une forme triangulaire de base pour le costume d'Edna et ensuite j'ai ajouté une texture dans cette forme triangulaire et c'était vraiment une manière sympa d'approcher son costume comme une sculpture et non comme une robe. Cela m'a vraiment donné des idées intéressantes auxquelles je n'aurais jamais pensé si j'avais dessiné ces costumes avec un crayon.

 


L'esthétique du film est très inspirée par le design moderne du milieu du siècle dernier. Est-ce que ce choix a eu des répercussions sur votre travail ?
En tant que designer, j'adore cette période parce que les objets étaient très beaux, l'architecture très inspirée, et la mode à cette époque était si intéressante. Donc, je l'aime en tant que période dans le temps, car ça fourmille d'idées, et il y a tellement de choses incroyables dans lesquelles nous pouvons puiser.
Je pense que l'idée de cette période de temps se rapporte vraiment à l’univers de Brad. Parce que nous avions tous le même âge à cette époque, nous avons tous ce genre de nostalgie. Il y avait des choses qui se passaient à l'époque, comme l'optimisme des années 50, les voyages dans l'espace et la façon dont ils envisageaient l'avenir, et à cause de ça, je pense que nous regardons cette époque avec nostalgie et amour.
Mais il y a aussi l'esthétique de cette période qui a des lignes très fines et simples. Chaque texture est très élégante, comme le bois de rose et d'autres matériaux que parfois nous ne pouvons plus utiliser parce qu'ils n'existent plus ou pour d'autres raisons. Je pense que les concepteurs de l'époque envisageaient également la fabrication comme une limite à la conception, car la fabrication influençait la conception finale.
Prenez les lustres de George Nelson. Il s'est inspiré du design européen. Il voulait ramener ces idées ici, mais la façon dont ils étaient fabriqués là-bas était si chère qu'il a fait des expériences avec d'autres matériaux comme la fibre de verre et la résine. Donc, le processus influençait vraiment la conception finale, ce qui, pour moi, est vraiment intéressant.



Sur quels éléments du film avez-vous eu le plus de plaisir à travailler?
Je pense que le point principal de ce film sont les costumes pour Evelyn Deavor. Je me suis sentie très investie dans la conception de ses costumes. Un autre aspect de la conception des costumes sur ce film venait du fait que sa garde-robe devait exprimer des choses sur l’ensemble du film, en suivant l’évolution du personnage, qui est très intéressante. Donc, en plus d'utiliser des éléments de design comme l'art optique et la mode des années 60, j'ai aussi dû suivre son arc du début à la fin du film, et j'ai adoré le faire parce que cela augmentait sa motivation et sa place dans le film à chaque scène.

Traduction : Scrooge. Avec nos remerciements :)