Entretien avec Toby Chu, le compositeur du court-métrage Pixar "Bao"
Cher Toby, nous nous sommes
rencontrés en 2002, alors que vous étiez assistant du compositeur Harry Gregson
Williams, et maintenant, vous êtes un compositeur à part entière. Quel parcours !
Ce fut un voyage absolument excitant. J'ai commencé comme
assistant de Harry, tôt dans ma carrière, peu de temps après mon déménagement
de Los Angeles. Il a été mon professeur, mais aussi mon mentor. Notre
collaboration s'étend sur plus de cinquante films, et j'ai énormément appris
auprès de lui. Il y a peu plus de cinq ans, je suis devenu indépendant et j'ai emménagé
dans mon propre studio.
Toby Chu, entouré de la productrice Becky Neiman et de la réalisatrice Domee Shi
Comment et quand, en êtes-vous
venu à travailler sur Bao ?
Par le biais de Tom MacDougall, qui est vice-président de la
musique pour les studios Pixar et Disney. C'était à l'automne 2016. Il m'a
invité à Pixar afin de participer à une réunion, et j'ai pu voir Bao pour la première fois.
Comment étaient vos
premiers échanges avec la réalisatrice Domee Shi?
J’ai rencontré Domee chez Pixar. Elle m'a montré une première
version du film. Il était encore sous forme de storyboard. Elle savait
exactement ce qu’elle voulait. Nous avons parlé de l’émotion, de l'arc global
du film ainsi que l’utilisation d'instruments occidentaux et orientaux. Le
métissage entre Est et Ouest était une
métaphore importante de l'éducation de Domee, en tant qu'immigrante chinoise au
Canada.
En tant que sino-américain, je me sentais également connecté
au film. Bao est un conte de fée
moderne, qui se situe dans une communauté chinoise issue de l'immigration. Il y
a une qualité intemporelle et un attrait universel dans ce film. Dans la mesure
où il n’y a pas de dialogue, la musique avait un rôle crucial à jouer dans la
narration pour incarner les différents niveaux de lecture du film et évoquer
les hauts et les bas de la relation parents-enfant.
Vous semblez très
proche du sujet du film
La première chose que j'ai dit, après avoir vu Bao c'était « C'est moi ! Je
suis ce petit ravioli chinois ! » . J'ai bien rit avec Domee, Becky, la
productrice, et Tom. Les parallèles entre le court-métrage et ma vie sont assez
surprenants. Ma mère m'appelle encore « Xiao Bao Bao » (petit
trésor). Quand j'étais enfant, elle me serrait très fort dans ses bras, en me
disant qu'elle voulait me manger. Et comme pour le faire exprès, mon épouse est
une femme caucasienne et blonde !
Quand avez-vous
commencé à composer?
Assez tôt. La production a duré environ un an et demie.
L'histoire et la musique ont été écrites en parallèle et ont évolué en même
temps, ce que je trouve très bien.
Dans la mesure où vous êtes peintre vous-même, pouvez-vous me
parler de votre lien personnel à la dimension visuelle du film?
J'ai grandi en aimant John Singer Sargent, qui est
contemporain de l'intégralité des grands peintres impressionnistes ( comme
Claude Monet ou Edgar Degas). Beaucoup de ces artistes étaient obsédés par
l'art et le design japonais et je pense que vous pouvez voir une fusion entre Orient
et Occident dans leurs œuvres avec l'influence d'Hokusai par exemple. J'ai
toujours été très visuel. Le contenu visuel du film reste ma plus grande source
d'inspiration.
L'esthétique visuelle de Bao
a été inspirée par l'art populaire traditionnel chinois. Rona Liu, la directrice
artistique de Bao, qui avait aussi un
lien personnel avec l'histoire, a joué un grand rôle dans l'inspiration de la
musique. Elle a fait un travail absolument génial.
Votre musique est
basée sur un thème unique, développé sur l’ensemble du film.
Ce thème est le cœur de la partition et la voix de l'histoire.
Il sert de fil conducteur et se développe tout au long du film. Il était
important pour moi que le thème parle à plusieurs niveaux. Je voulais qu’il soit
nostalgique et changeant comme l'histoire de Domee.
Ce thème était la première chose sur laquelle je me suis
concentré quand j'ai commencé. Je savais que je voulais que la pièce entière
soit basée sur un seul thème. Il y a eu beaucoup d'essais et d'erreurs avant de
trouver le bon. Il devait également être flexible et fonctionner dans différents
arrangements et orchestrations afin de véhiculer ce voyage émotionnel. Il est
basé sur une gamme pentatonique majeure, la gamme utilisée dans la musique
traditionnelle chinoise. Je l'ai aussi défini comme une valse, ce qui est moins
commun. Il est construit sur deux propositions de phrases, symbolisant Mom et
Dumpling.
Pouvez-vous me parler
plus précisément de ce mélange d’instruments orientaux et occidentaux qui est
au cœur de votre orchestration?
La musique de Bao
est un mélange d'instruments traditionnels chinois (c'est-à-dire violon erhu,
guzheng, yangqin, dizi ou zhudi, pipa, liuqin, sanxian) et d'un orchestre symphonique
de 60 musiciens. La musique traditionnelle chinoise est intimement liée à la
poésie et à diverses formes de lyrisme ; c’est une forme de poésie sans
mots. Par exemple, les glissandos sur le guzheng représentent des cascades ou
du tonnerre. Chacun des instruments a des milliers d'années d’histoire. J’ai
donc essayé de mettre chaque instrument à sa place de manière à honorer sa
tradition et ses possibilités expressives propres. L'un des aspects les plus
difficiles de la combinaison de l’Orient et de l’Occident est que de nombreux
instruments traditionnels chinois sont réglés pour jouer uniquement sur
certaines tonalités et pour jouer sur une gamme spécifique. Mélanger les deux fut
difficile. A mesure de l’évolution de l’histoire, la partie
occidentale a beaucoup évolué en termes de tonalités. J'ai fini par
développer quelques accords spécifiques pour pouvoir marier l’orchestre avec le
guzheng et nous avons utilisé différentes sortes de flutes traditionnelle dizi
pour couvrir l’ensemble du paysage sonore.
Puis, vers la fin du
film, il n’y a plus que le piano et la clarinette.
Il y a ce moment magnifique et paisible (à environ 5 minutes)
où le vrai fils de maman rentre à la maison et ils rattrapent le temps perdu.
La musique devait être discrète. Je n'ai volontairement utilisé aucun
instrument chinois ici. J'ai senti que c'était un moment universel et que le
piano et la clarinette étaient transparents, pour exprimer un moment d’intimité
familiale et l'amour d'une mère pour son enfant.
Comment s’est passé
l'enregistrement de cette partition ?
Nous avons enregistré pendant deux jours à Eastwood Scoring
Stage chez Warner Brothers. Une journée avec l'orchestre et une journée avec
les instruments chinois.
J’ai fait beaucoup d’enregistrements partiels pendant l’année
et demie passée sur Bao, et beaucoup de ces ajouts se retrouvent dans la pièce
finale.
Le film est un succès indéniable. Maintenant, avec le recul,
comment ressentez-vous cette expérience ?
J'ai été honoré de travailler sur ce film. L'accueil
chaleureux du public a été à la fois impressionnant et intimidant. J'ai grandi
en regardant tous les films et les courts-métrages de Pixar. Il y a une
tradition à laquelle vous faites immédiatement partie. Travailler avec Domee,
Becky et Tom a été une expérience fantastique, et l'histoire est magnifique.
Dans un sens, c'est un conte chinois, mais dans un autre, il s'agit des thèmes
humains plus larges comme l'amour, la perte, la famille et les relations
humaines. Pour cette raison, il transcende toutes les barrières culturelles.
Quels sont vos projets ?
Je viens de rentrer d'un enregistrement d'orchestre pour un
film d’animation intitulé 'Henchmen'.
C'est amusant, bourré d'action, de super-héros et de méchants. Ne le ratez pas !
Merci à Dylan Samuel pour la traduction !
Merci à Dylan Samuel pour la traduction !