mardi, septembre 25, 2012

CENDRILLON EN BD : Entretien avec le chef d'orchestre JAC Redford

 

JAC, vous êtes le compositeur d'OLIVER & COMPANY et vous avez dirigé le nouvel enregistrement de la musique de CENDRILLON en 1995. Quelles furent les circonstances de la  production de cet album ?
J'ai été contacté il y a une quinzaine d'années pour apporter ma contribution à ce projet, que ce soit en tant que chef d'orchestre, mais aussi arrangeur et orchestrateur. Rien n'était définitif : on se demandait à l'époque si nous allions enregistrer la totalité de la partition ou bien une partie, sous forme de plages séparées et/ou sous forme de suite. J'ai été très heureux qu'on fasse ainsi appel à moi car je trouve que c'est une musique merveilleuse et qu'avoir la chance de pouvoir la jouer avec un grand orchestre fut une grande opportunité.

A partir de quelles sources avez-vous travaillé?La Disney Library m'a envoyé des fac similes de la partition originale. C'est remarquablement écrit! De fait, je n'ai finalement pas eu grand'chose à réécrire en tant qu'orchestrateur et arrangeur car les morceaux étaient parfaits tels qu'ils étaient.

Qu'est-ce que vous aimez tout particulièrement dans cette partition?J'ai toujours apprécié la capacité des compositeurs de cette époque de moduler vers n'importe quelle tonalité à n'importe quel moment, sans jamais porter atteinte à la fluidité et à la musicalité de l'ensemble.

Quelle fut votre approche en tant que chef d'orchestre?
Il s'agissait de re-créer la musique de CENDRILLON. Seulement, la plupart des re-créations que je connaissais faisaient toujours pâle figure face à l'original. J'ai donc voulu rester fidèle à l'original, tout en donnant à cette nouvelle interprétation sa propre vie. La version gravée possède sa propre intégrité en tant qu'exécution. Il s'agit simplement de bonne musique. Par conséquent, je n'ai pas essayé de retrouver exactement le même tempo, entre autres. C'est une nouvelle version, contemporaine, avec sa propre vitalité.

Quelle est votre relation personnelle à CENDRILLON?
Je me souviens très bien de la première fois que je l'ai vu, étant enfant. Je me revois assis dans le cinéma. C'était à la fois merveilleux et magique. A l'époque, je ne faisais pas de différence entre l'animation et le réel. Pour moi, c'était tout simplement une belle histoire, bien racontée. De plus, j'ai toujours été un romantique, ce qui fait que cette histoire d'amour a tout de suite eu une résonance toute particulière en moi!

Quelle était la composition de l'orchestre?
En ce qui concerne les cuivres et les bois, nous avons respecté à la lettre ce qui est stipulé sur la partition originale. Par contre nous avons ajouté quelques cordes. Il faut dire que entre la musique de film et la musique classique il y avait, dans les années cinquante, cette tradition très forte du théâtre musical, que ce soit à l’opéra ou à Brodway. Mais dans les deux cas, les orchestres étaient plus petits que des orchestres symphoniques. De fait lorsque la musique de film est devenue un art à part entière, il y a fort à penser que les artistes avaient toujours en tête ce genre de petit orchestre pour accompagner ce qui se passait à l’écran. Leur but, n’était pas, à l’époque de faire des choses aussi massives qu’aujourd’hui. Actuellement, l’orchestre symphonique ne suffit même plus, à tel point qu’il faut faire appel à des synthétiseurs pour le renforcer. Mais je pense qu’il y avait un équilibre naturel dans les années cinquante entre la musique et les dialogues, et la sensibilité qui a donné lieu à cet équilibre venait tout droit du théâtre musical. Ceci dit, nous avons opté pour une esthétique légèrement plus symphonique qui répond plus aux besoins actuels sans pour autant renier les influences originales.

Quand vous dirigiez CENDRILLON, aviez vous les images du film en tête ?
Absolument, d’autant plus que tous les morceaux portent un titre différent qui renvoit au film. Si comme moi vous avez vu CENDRILLON plusieurs fois et qu’elle fait autant partie de votre vie, vous ne pouvez que voir défiler le film dans votre imaginaire tandis que la musique se déroule devant vous. Cependant, si vous me demandez si nous avons visionné certaines scènes avant ou pendant l’enregistrement, la réponse est non, pour les raisons interprétatives que nous avons évoquées tout à l’heure. Nous avons traité la musique comme de la musique pure.

Vous qui la connaissez sur le bout des doigts, comment décririez-vous la partition de CENDRILLON ?
C’est une partition totalement en phase avec son temps, dans la mesure où elle répond de façon très spécifique à l’action qui se déroule à l’écran. Les compositeurs ont créé une sorte de vocabulaire, de répertoire de figures musicales, rythmiques ou harmoniques propres à cette histoire. C’est une approche très différente de ce qui se pratique aujourd’hui en musique de film : il s’agit plutôt de créer une ambiance. CENDRILLON est l’un des exemples les plus remarquables du talent des compositeurs de cette époque pour capter l’essentiel d’une scène au niveau de l’action sans jamais rogner sur la qualité musicale de leur travail. Jamais on n’a l’impression qu’un geste musical est fait pour rien, sort de nulle part. Mais en même temps, tous ces éléments sont tissés entre eux avec un tel savoir-faire et un tel sens artistique que l’on a l’impression que tout s’exprime naturellement en musique. C’est incroyable de penser qu’un esprit musical a su gérer autant d’informations à la fois. Parfois dans les cartoons, on trouve des effets du genre : une note jouée au glockenspiel quand un personnage a une idée. Mais dans CENDRILLON, rien d’aussi caricatural ni systématique. L’approche des compositeurs est bien plus organique. C’est une façon de faire qui n’a plus vraiment l’assentiment de la critique, aujourd’hui. Elle fait partie de l’histoire de la musique de film et la majorité des compositeurs de la nouvelle génération serait incapable de faire des choses comparables. La raison de cette différence tient, je pense, au fait que les compositeurs de cette période avaient encore une formation classique complète. Pour eux, la musique était encore une véritable forme de discours, une chaîne d’idées avec un début et une fin. Le résultat, c’est que l’on peut vraiment suivre l’histoire dans le détail simplement par la musique. C’est ce qui fait que la musique de CENDRILLON est immédiatement reconnaissable : elle a été taillée sur mesure et ne ressemble à aucune autre.



Ne retrouve t-on pas néanmoins cette qualité d’écriture chez des compositeurs d’aujourd’hui tel Alan Menken ?
Oui, je le crois. Il nous vient du théâtre musical, ce qui fait qu’il est toujours en phase avec cet héritage. Je l’ai d’autant plus ressenti que j’ai moi-même dirigé LA PETITE SIRENE. Tom Pasatieri et moi avions fait OLIVER & COMPAGNIE juste avant, et Disney a voulu que nous prêtions notre concours à Alan pour sa toute première musique de film. Nous avons apporté notre connaissance des techniques de dessins animés, notamment au niveau du timing, mais pour le reste je peux témoigner qu’Alan était totalement pétri de l’art des compositeurs de l’époque de CENDRILLON. Il en était pleinement conscient et son approche en la matière était totalement délibérée. Il voulait écrire une musique de dessin animé classique dans l’esprit de CENDRILLON, et il y est brillamment parvenu.

Quelles influences classiques avez-vous ressenti dans CENDRILLON ?
J’ai ressenti des connexions importantes avec le CASSE NOISETTES de Piotr Illitch Tchaïkovski. Les compositeurs de CENDRILLON ont réalisé des développements thématiques tout à fait comparables à ce qu’il a fait sur sa musique de ballet. On y retrouve le même type de variations et la même approche de la danse.

Il semble également y avoir des éléments inspirés de la BELLE AU BOIS DORMANT. Les dissonances de la scène dans laquelle Cendrillon est dépouillée de sa robe de bal par ses belles sœurs ne sont pas sans rappeler celles du thème de la sorcière, repris en 1959 par Georges Bruns pour Maléfique.Je revois bien cette scène de LA BELLE AU BOIS DORMANT dans laquelle Maléfique monte des escaliers pour préparer le rouet qui causera la chute d’Aurore. On y entend bien une petite mélodie insidieuse jouée au cor anglais et au hautbois, et je ne peux m’empêcher de penser alors à la scène que vous évoquez dans CENDRILLON.

CENDRILLON est basé sur une palette colorée très précise, opposant les roses et les bleus féminins aux jaunes et aux rouges masculins. Pouvez vous nous parler de sa partition du point de vue des couleurs ?Le fait est que les compositeurs de CENDRILLON ont su développer une impressionnante palette de couleurs. Tous les instruments sont utilisés à leur avantage. Vous savez l’art de l’orchestration ne se limite pas à la connaissance de la tessiture de chaque instrument. Il s’agit également de connaître la personnalité de chacun comme s’il s’agissait d’une personne. C’est connaître les figures où il sera le plus à l’aise ainsi que toutes les combinaisons possibles avec les instruments de sa communauté, l’orchestre. De ce point de vue là, la partition de CENDRILLON se situe dans la grande tradition de la musique de film allant de Wolfgang Korngold, à Jerry Goldsmith en passant par Bernard Herrmann et John Williams. Sans vouloir paraître passéiste, je dirais une fois de plus que cette tradition est de plus en plus rare aujourd’hui. Les couleurs orchestrales ne sont plus empruntées au classique mais à la pop ce qui réduit considérablement la palette sonore.


Dans quelle mesure la musique de CENDRILLON vous a inspiré dans votre propre travail ?Du point de vue des couleurs d’une part, comme nous l’évoquions tout à l’heure, mais surtout du rapport à l’image. C’est un héritage qui faisait partie de moi, avant même que je ré enregistre CENDRILLON. Prenez par exemple mes musiques pour la série St. ELSEWHERE ou chez Disney LES PETITS CHAMPIONS 2 et 3. Mon traitement musical n’aurait pas été différent s’il s’était agi d’un dessin animé, en intégrant l’action à la musique. Je pense que cela m’a coupé de certaines productions, d’ailleurs.

CENDRILLON vient de sortir en Blu-ray. Comment expliquez-vous cet indéfectible succès ?
L’esprit humain a besoin qu’on lui raconte de belles histoires et toutes les belles histoires sont basées sur des modèles forts, religieux ou mythologiques. La recherche de l’amour fait partie de ces histoires éternelles. Le déconstructivisme a tenté de démontrer le contraire, mais finalement l’homme ne peut échapper au besoin, voir à la nécessité de se raconter, que ce soit à travers le cinéma ou la musique. Et cela est tellement évident et tellement fort dans CENDRILLON que ce film résonne au plus profond de chacun de nous dans ce que nous avons de plus essentiel.