LA BELLE ET LA BÊTE EN VIDEO : Entretien avec le créateur et animateur de la Bête, Glen Keane
La Belle et la Bête est l’une des histoires les plus anciennes qui soient. C’est sans doute pour cela que beaucoup de cultures différentes peuvent s’y reconnaître.
C’est une histoire qui touche au cœur chaque individu. Et pourtant, quand nous avons commencé à y réfléchir, ce fut difficile de trouver la clef pour en faire un film d’animation Disney. C’est une chose d’avoir un conte de fées que vous pouvez lire à un enfant avant d’aller se coucher, mais c’en est une autre que de créer une histoire qui va vous captiver pendant une heure et demie et avoir un réel impact dramatique et émotionnel.
Le problème de cette histoire venait du fait que l’essentiel se déroule à table, et chaque soir la Bête demande à la Belle de l’épouser –ce qui est vraiment trop peu pour faire un film.
Walt Disney lui-même a cherché à en faire une adaptation, je crois.
Absolument, et je pense que c’est pour les raisons que j’évoquais qu’il a laissé tomber. Il y avait d’autres contes de fées beaucoup plus accessibles et à partir desquels on pouvait construire une histoire beaucoup plus facilement. Joe Grant, qui fut le responsable de l’histoire de Blanche-Neige, était encore de ce monde quand nous avons commencé à travailler sur notre version de La Belle et la Bête, sachant qu’il avait participé à l’ancienne avec Walt. Il nous a dit à ce propos : « ce fut une grande frustration. Nous n’y arrivions pas ! » Beaucoup d’histoires intéressantes sont ainsi mises de côté en attendant le bon moment. Et il se trouve qu’il a pu vivre assez longtemps pour voir celle-ci ressortir et devenir une réalité !
Tout a donc recommencé en 1987.
C’est exact.
Et pour l’occasion, une équipe unique d’animateurs a été constituée.
Il y avait Andreas Deja, qui a supervisé Gaston, Dave Pruiksma, qui a animé Mme Samovar, Will Fin pour Big Ben et Nick Ranieri pour Lumière.
Que vous a apporté votre voyage d’étude en France pour préparer le film ?
Pour moi, faire un film Disney, ce n’est pas seulement dessiner des personnages intéressants. Il s’agit également d’un lieu. Il y a une vérité dans l’environnement. Je n’avais jamais été en Europe auparavant. Je sentais que j’avais besoin de visiter l’endroit où le conte avait été écrit, et c’était un sentiment partagé par tous les artistes de cette production. Nous nous sommes donc rendus en France pour visiter les Châteaux de la Loire. Là, vous pouvez trouver toutes sortes de châteaux construits à une journée de cheval les uns des autres pour permettre au roi de passer de l’un à l’autre en peu de temps. Nous, nous étions en voiture, ce qui fait que nous avons pu visiter plusieurs châteaux en une journée !
Un château nous a particulièrement impressionnés et inspirés. Celui de Chambord, construit par François de Pontbriant. Vous savez, la vérité, la force d’un décor apporte une véritable crédibilité à vos dessins, et le Château de la Bête, tel que nous l’avons imaginé pour le film, a eu énormément d’impact sur nous.
Laissez-moi simplement vous expliquer comment je vois les choses. Quand j’étais petit, je ne dessinais pas pour dessiner. Je dessinais afin de pouvoir entrer dans un monde imaginaire. Le papier était comme un miroir magique que je pouvais traverser pour me retrouver d’un seul coup au temps des dinosaures ou n’importe quel endroit dont je rêvais.
Laissez-moi simplement vous expliquer comment je vois les choses. Quand j’étais petit, je ne dessinais pas pour dessiner. Je dessinais afin de pouvoir entrer dans un monde imaginaire. Le papier était comme un miroir magique que je pouvais traverser pour me retrouver d’un seul coup au temps des dinosaures ou n’importe quel endroit dont je rêvais.
C’est pour cela que ce château était si important, pour qu’il devienne un lieu où je pourrais me rendre
Comment avez-vous trouvé le design de la Bête ?
J’avais acheté une tête de bison naturalisée dans la boutique d’un taxidermiste tout près de nos studios de Glendale et je l’ai accrochée dans mon bureau pour me rappeler combien ce personnage devait être imposant.
Je me suis également documenté pour trouver différentes sources d’inspiration. Au cours de l’histoire de l’illustration de conte, j’ai pu observer une tendance à simplement reprendre la tête d’un animal sauvage et la coller sur un corps humain, un peu comme l’ont fait Walter Crane, Edmond Dulac et Warwick Goble.
La version d’Arthur Rackham est d’ailleurs intéressante car sa bête ressemble presque à un extraterrestre.
Le problème que pose la création d’un tel personnage est double. D’une part, cela demande de prendre les choses très au sérieux car c’est un personnage de dessin animé Disney. Vous savez alors que votre design va devenir une version définitive du personnage pour des générations. Ce qui fait que vous ne vous précipitez pas sur votre planche à dessin pour dessiner n’importe quelle chose qui vous passe par la tête. Et d’autre part, vous avez le sentiment non pas de créer quelque chose, mais de découvrir quelque chose qui existait déjà avant que vous ne commenciez à le dessiner. J’ai cette sensation sur tous les personnages que j’anime, qu’ils existaient auparavant. C’est un peu comme Michel-Ange qui sculptait la pierre pour libérer l’image qu’elle contenait. De la même façon, vous vous retrouvez devant une feuille blanche, mais il y a déjà un personnage là-dedans. Il faut alors trouver un lien avec lui. Pour moi, il était important que la Bête ne donne pas l’impression d’un alien tout droit sorti de Star Wars, comme l’est celui d’Arthur Rackham. C’est vraiment une créature bizarre.
J’ai pour ma part préféré en faire un mélange de différents animaux réels. Chris Andrew avait imaginé des designs très créatifs, très imaginatifs, tout comme Andreas Deja, mais rien ne m’inspirait vraiment. Pendant ce même voyage d’études en Europe, je suis allé au zoo de Londres où j’ai pu notamment observer un mandrill nommé Boris. Pendant un temps, j’ai donc envisagé la Bête comme un mandrill. Mais au final, j’ai plutôt opté pour un mélange d’animaux réels. Je me suis plongé dans des magazines animaliers et j’ai collé des photos sur tous les murs de mon bureau. Je me suis inspiré de la force du gorille, ou du lion. Egalement du sanglier. J’ai emprunté au bison la sensation de poids, mais aussi une certaine tristesse.
La Bête a également des jambes de loup. Quand j’ai commencé à me promener dans le zoo de Londres, le loup a été le premier animal que j’ai dessiné car je me suis rappelé que, sur toutes les illustrations du conte que j’avais observées, la Bête avait toujours des jambes humaines. Ses doigts de pieds pouvaient varier un peu, mais c’était quand même toujours la même chose. Et je me suis dit que des pattes de loup permettraient d’évoquer cette dimension animale. Ce fut donc ma première idée, ainsi que le fait de lui donner une queue qui participerait de son expressivité, un peu à la manière d’un chien.
Pour l’aspect général du corps de la Bête, j’aime beaucoup la puissance et le côté massif de l’ours et j’ai commencé à le dessiner avec ses quatre pattes parce que cela me permettait de prendre mes distances de l’aspect classique de la Bête avec juste la tête animale, un peu comme un masque d’Halloween. Je voulais qu’il soit totalement animal.
Voilà donc où en étaient mes recherches après six mois de travail sur la question quand un jour, un des animateurs de mon équipe, Bruce Johnson, est venu me voir en me disant : « alors, où en est la Bête ? » Je lui ai répondu que je n’étais pas encore très sûr et je me suis mis à dessiner. Je lui ai dit : « j’aime le côté massif de cette tête de bison » et j’ai l’ai dessinée avec tout son poids. Puis j’ai dit : « il y a aussi le front du gorille » et je l’ai dessiné. « Le museau du sanglier… la crinière du lion…le corps de l’ours…les pattes du loup… ». Et à mesure que je dessinais, le personnage venait tout seul. C’était comme je vous ai dit : il y a un moment où c’est le personnage qui s’impose à vous. J’ai regardé mon dessin et j’ai dit : « ça y est Bruce, c’est lui ! C’est la Bête ! » Un vrai cadeau de la Providence. J’aimerais vous dire que c’est le fruit d’un travail spécifique, mais c’est vraiment venu comme ça !
Ceci dit, en plus d’être convaincant, il devait être attirant. C’est ce pouvoir de séduction dont me parlaient sans cesse mes maîtres Disney, Frank Thomas, Ollie Johnston ou Eric Larson : « ton animation doit exprimer la sincérité et la sympathie. » Mais comment rendre sympathique une bête Justement, comment y êtes-vous parvenu ?
Ceci dit, en plus d’être convaincant, il devait être attirant. C’est ce pouvoir de séduction dont me parlaient sans cesse mes maîtres Disney, Frank Thomas, Ollie Johnston ou Eric Larson : « ton animation doit exprimer la sincérité et la sympathie. » Mais comment rendre sympathique une bête Justement, comment y êtes-vous parvenu ?
Au départ, j’ai eu à apprendre cette leçon moi-même, que la beauté physique n’est que superficielle, parce que je ne croyais pas que Belle pouvais tomber amoureuse de cette bête. En dessinant la Bête, je savais que je devais transmettre cette nature animale. C’était le côté le plus facile. J’avais déjà animé l’ours de Rox et Rouky avec toute la férocité qu’un tel grizzly pouvait dégager. Je me suis donc appuyé sur cette expérience pour animer la Bête au tout début.
Puis au milieu, au moment où il commence à changer, c’est là où je l’ai vu comme un enfant qui n’a jamais appris à aimer. Il passe ainsi d’animal à humain égoïste. Puis vient, à la fin, la scène la plus difficile à animer de tout le film, le moment où la Bête laisse Belle repartir chez elle. Il se tient là à regarder la rose sous sa cloche et il sait qu’il va mourir. Mais il n’en dit rien à Belle. Il lui permet d’aller retrouver son père. Big Ben entre et demande : « Vous l’avez laissée partir. Mais pourquoi ? » Ce à quoi le Bête répond: « Je l’aime ». Au moment d’animer ces paroles, rien de ce que je faisais ne semblait communiquer cette transformation, cette vérité qui s’empare de lui. Dans des moments comme cela, on espère juste que la musique et l’histoire vont exprimer tout ce qu’il faut car rien de ce que vous faites ne paraît adéquat.
Vous savez, l’un des aspects les plus intéressants de la Bête, c’est de voir cet animal sauvage à côté de d’une jeune fille comme Belle. Cela vous fait réfléchir sur ce qu’est vraiment la nature humaine. Il est égoïste et immature, mais cela fait aussi partie de chacun de nous.
La plus grande difficulté que nous avons rencontrée a donc été de trouver un moyen de faire en sorte que le public croie que Belle peut réellement tomber amoureuse de lui, afin de rendre crédible le moment où ils dansent ensemble. Il y avait bien ce moment où Belle soigne le bras de la Bête, mais ce n’était pas suffisant. Il y avait encore bien du chemin de là à la séquence du bal. C’est à ce moment qu’Howard Ashman, qui a apporté à notre histoire beaucoup d’éléments décisifs au niveau de la structure, est arrivé avec la chanson Something There, tandis que la Bête offre sa bibliothèque à Belle. C’est un moment d’une telle subtilité qu’il nous avait échappé : le véritable amour ne naît pas du simple fait que la Bête sauve Belle des loups, mais du fait qu’il a remarqué à quel point elle aimait lire et qui lui offre sa bibliothèque. A partir de là, c’est comme une fleur qui s’épanouit. Et c’est tout le propos de cette chanson.
A partir du moment où elle a été écrite, nous savions que le film allait fonctionner. Mais c’est arrivé très tard, au cours de la dernière année de production. Jusque là, nous nous posions beaucoup de questions.
C’est cette chanson qui a permis d’envisager cette merveilleuse séquence de la Bête dansant avec Belle. James Baxter a animé Belle pour cette séquence et pour bien la comprendre, nous nous sommes mis à danser lui et moi ! Un chorégraphe nous a aidés à apprendre les pas et quand nous les avons maîtrisés, il a commencé à dessiner Belle et j’ai ajouté la Bête à ses dessins !
J’ai attendu de faire cette scène pendant toute la production ! Nous arrivions à la fin et il ne restait plus beaucoup de temps. Il ne me restait qu’une semaine pour animer cette merveilleuse séquence qui me semblait être celle de ma vie A ce moment, Don Hahn est arrivé dans mon bureau et je lui ai fait part de ma frustration. Je lui ai dit : « Don, je ne peux pas faire ça en une semaine seulement. » Il a vu la panique dans mes yeux et il m’a répondu : « Glen, prends tout le temps dont tu as besoin. Je vais repousser la date de sortie. » J’ai donc été rassuré et je suis allé au musée Norton Simon où se trouve la statue des Bourgeois de Calais de Rodin. Et tandis que je tournais autour, je me suis mis à dessiner ces personnages, et particulièrement leur dos, que je trouvais particulièrement puissant. Je me suis alors mis à imaginer la séquence de transformation de la Bête en tournant autour de cette sculpture. Je voulais que la Bête tourne dans les airs. Je voulais voir son dos changer, puis axer la caméra sur ses mains et ses pieds, et finalement sa tête. C’est cette expérience qui m’a inspiré cette séquence.
Vous savez, pour moi, l’animation, c’est comme l’esquisse d’une scultpure. J’ombre tous mes dessins. Des animateurs me demandent souvent pourquoi je fais cela car personne ne voit ces ombres dans le dessin final, et en plus, cela me prendrait moins de temps. Mais je pense que je ne dessinerais pas ainsi si je ne les ajoutais pas. C’est tout une question de lumière, de forme et d’espace. Tandis que la Bête tourne, on voit sa tête dans l’ombre, puis elle entre dans la lumière. J’ai mis en scène ce passage ainsi de sorte que quelque chose de délicat puisse se passer, et cette chose, c’est le vent. Pour moi, le vent est comme l’esprit de Dieu qui opère cette transformation dans nos vies. J’ai toujours ressenti un lien très fort avec la Bête comme la représentation de ma propre vie sur le plan spirituel, comme une transformation.
Tout cela passe très vite devant nos yeux, à tel point qu’on se demande ce que cette scène a de si extraordinaire. Mais c’est tout ce qui s’est passé auparavant dans l’histoire, le fait que vous venez de passer une heure et demi à construire ce moment que vous attendez tant qui lui donne cette dimension unique. A ce stade, nous voulions vraiment prendre notre temps, prendre le temps de voir Belle regarder dans les yeux du Prince et reconnaître celui qu’elle aime.
Merci infiniment pour cette leçon d’animation qui est en même temps une leçon de vie !
J’espère vous avoir fait découvrir toute la somme de travail que demande un film comme celui-ci. Pour moi, il y a un terme de la Renaissance qui évoque cela à merveille, un terme utilisé par un homme qui cherchait à décrire l’art de Raphael, c’est « Sprezzatura ». Cela veut dire « l’art qui se cache derrière l’art-même».
C’est cela, l’animation. Une forme d’art qui se cache derrière une histoire en vous faisant croire que tous ces personnages sont réels.
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3 Comments:
Pour cet interview tu as touché directement au coeur car je vénère ce cher monsieur Keane.
C'est mon maitre en tout point: un grand artiste!!!!
Merci à toi.
Alex
Votre blog me choque.
Aucune source.
C'est un manque de respect pour les interviewers.
Cher "Anonyme", en lisant l'intitulé du blog, vous auriez lu que c'est moi l'interviewer. Je ne me manque donc pas de respect! ;)
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