vendredi, novembre 23, 2007

IL ETAIT UNE FOIS : Entretien avec le réalisateur Kevin Lima

Il n’a pas fallu longtemps à Kevin Lima pour se faire un nom dans le monde du cinéma, et de Disney en particulier.
A cinq déjà, Kevin Lima sait qu’il sera animateur après avoir lu un livre de Preston Blair sur la question. Durant ses études, il signe plusieurs bandes-dessinées pour les journaux de ses écoles. Mais son intérêt pour l’animation prend véritablement son essor quand il découvre l’art des marionnettes. Pendant huit ans, il travaille avec une troupe qui lui permet d’explorer toutes les dimensions de la création d’histoires pour les enfants. Il entre ensuite à l’Emerson College de Boston, et surtout à Cal Arts. Son diplôme en poche, il est recruté par Disney pour travailler sur le projet « Sport Goofy ». Après quelques productions indépendantes comme LE PETIT GRILLE-PAIN COURAGEUX, il participe à tous les longs-métrages d’animation de Disney allant d’OLIVER & COMPAGNIE au ROI LION. Il fait ensuite une petite pause durant laquelle il met en scène des pièces de théâtre avant de revenir chez Disney. Il n’a que 33 ans et déjà il réalise DINGO ET MAX. Suivront alors TARZAN, 102 DALMATIENS, ELOÏSE et ELOÏSE AT CHRISTMASTIME pour Disney Channel et aujourd’hui l’éblouissant IL ETAIT UNE FOIS.
Une carrière impressionnante au service du rêve qu’il a bien voulu évoquer avec nous, avec son tout dernier film en guise de point d’orgue...
IL ETAIT UNE FOIS… Kevin Lima!

Vous êtes considéré comme l’un des principaux acteurs du renouveau de Disney après les difficultés des années 80. Comment le ressentez-vous ?
Je ne me suis jamais considéré en ces termes. Nous faisons simplement les films dont nous rêvons. La plupart d’entre-nous ne faisons que réinterpréter ce que nous aimions lorsque nous étions enfants. Et cela est particulièrement vrai dans mon cas. Je fais des films sur des choses qui m’ont marqué à l’époque, et j’exprime cela sous la forme que je pratique maintenant en tant qu’adulte. Nous puisons dans notre passé et nous le portons tout simplement à l’écran.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours chez Disney avant de réaliser DINGO ET MAX (A GOOFY MOVIE) ?
A la base, je suis un animateur. Mais j’ai fait énormément de choses différentes pendant ces années à Disney. Je ne suis jamais resté à un poste très longtemps. J’ai été l’un des animateurs de Fagin sur OLIVER & COMPAGNIE. Puis j’ai participé au design de certains personnages de LA PETITE SIRENE (Ursula, Polochon), LA BELLE ET LA BÊTE (Lumière) et ALADDIN pour lequel j’ai également participé à l’élaboration de l’histoire. J’ai ensuite travaillé au développement visuel du ROI LION avant de quitter le studio.

Comment en êtes-vous venu à diriger DINGO ET MAX (1995) ?
Je suis voir les dirigeants de Disney et je leur ai fait part de mon désir de mettre en scène un film. J’avais dans le passé mis en scène des pièces de théâtre et j’ai également été marionettiste pendant mes études au lycée. C’était vraiment ce que je voulais faire. Je ne peux pas me contenter de faire une seule chose à la fois, j’aime bien mettre la main à la pâte dans les différentes disciplines de l’animation. C’est pourquoi j’ai pensé que ce serait intéressant de diriger un film. Or, quand j’ai demandé à Disney si je pouvais espérer quelque chose dans ce domaine, ils m’ont dit qu’il y avait peu de chance pour cela dans la mesure où ils ne produisaient qu’un film par an et qu’ils avaient tous les réalisateurs dont ils avaient besoin pour les nombreuses années à venir. J’ai donc quitté Disney et je suis allé travailler pour un autre studio appelé Hyperion Productions. J’ai participé au développement de deux films qui ne sont finalement jamais sortis, dont une version de Poucelina. C’est alors que j’ai reçu un coup de fil de Walt Disney Television Animation qui me demandait de faire DINGO ET MAX. J’y ai vu une formidable opportunité non seulement de pouvoir raconter une histoire qui m’intéressait, mais également de pouvoir enfin m’essayer à la direction d’un film d’animation. C’est pourquoi j’ai accepté de participer à ce projet.

Dans quelle mesure votre expérience de marionettiste vous a servi en tant qu’animateur et que réalisateur ?
Je suis devenu apprenti marionnettiste dans une compagnie de Rhodes Island appelée « The Puppet Workshop » à l’âge de 12 ans. Je pense que cela m’a donné l’opportunité d’explorer tous les aspects de la création d’une histoire dans la mesure où nous créions et improvisions nos propres histoires. Nous fabriquions toutes les marionnettes, les personnages volants, tout ce qui participait à bien raconter une histoire. Ce fut une sorte de tremplin car cela m’a permis de pratiquer toutes ces formes de narration très tôt. Cela m’a fait comprendre que je voulais travailler dans le domaine du divertissement pour enfants et le fait de jouer et rejouer devant ce public m’a permis de me faire une idée précise de ce que c’est.

Comment décririez-vous le concept de DINGO ET MAX ?
C’est avant tout une comédie familiale. Je me suis dit : « Pourquoi ne ferions-nous pas un film à la John Hughes en animation ? Pourquoi ne pas traiter des thèmes qui préoccupent les enfants et les adolescents comme dans ses films ? ». Je voulais quelque chose de plus actuel, de plus contemporain par rapport aux films Disney traditionnels de cette époque et ce, particulièrement à travers les chansons. J’ai fait particulièrement attention au choix des voix. Par exemple, comment trouver la bonne voix chantée pour Max, qui est un jeune adolescent en pleine croissance, et à l’inverse, comment trouver une bonne voix chantée pour Dingo, qui représente exactement l’opposé de ce que vivent les adolescents aujourd’hui ? Nous avons donc apporté un soin particulier à cette opposition. En fait, l’idée du film était de reprendre ce qui était fait de façon classique par Walt Disney Feature Animation mais en le rendant quelque part plus contemporain.

Vous êtes-vous inspiré de votre expérience personnelle ?
J’ai toujours souhaité mettre une partie de moi-même dans mes films. Même si c’est un classique comme TARZAN, j’ai fait en sorte de me l’approprier et d’y mettre un peu de mon expérience personnelle. A première vue, on peut rire de certains sujets comme pour DINGO ET MAX. On se dit, c’est un film sur un adolescent, on va bien rire. Mais c’est surtout un film sur ce que c’est d’être père. C’est quelque chose de très profond. La famille est quelque chose de très important pour moi.

DINGO ET MAX est votre premier film en tant que réalisateur, et vous étiez seul aux commandes. Pensez-vous qu’il soit plus difficile ou plus intéressant d’être seul sur un tel projet ?
Il y a deux façons différentes de faire des films. Quand vous êtes seul, tout repose sur vos épaules, vous ne pouvez partager ce poids. Ce qui me fait dire que cela dépend de la taille du film. Bien que la production de DINGO ET MAX ait duré autant de temps que TARZAN, c’était un film plus petit, plus facile à diriger, et surtout il y avait moins d’artistes qui y travaillaient. Nous étions plus proches, nous n’avons pas fait appel à différents studios à travers le monde. Nous avons tout fait en France. J’ai donc dû venir à Paris et travailler avec cette équipe. A tout moment de la production de TARZAN il y avait 400 artistes qui y travaillaient, ce qui rend les chose plus difficiles. Et si vous voulez préserver un minimum de vie privée en dehors du travail, vous êtes obligé de co-réaliser un film de cette importance ! J’ai donc vraiment voulu avoir un co-réalisateur, Chris Buck, avec lequel je sois en total accord. Il serait incroyablement difficile de travailler si les deux réalisateurs n’imaginaient pas le même film. Dans ce cas, ce serait un désastre à plus d’un titre.

Comment en êtes-vous venu à TARZAN ?
Au moment de terminer DINGO ET MAX à Paris, j’ai reçu un coup de fil de Jeffrey Katzenberg me disant qu’il voulait que je fasse un film sur Tarzan. Il voulait le faire faire par Walt Disney Television Animation, et plus précisément par un studio qu’il voulait ouvrir au Canada pour le projet. Je lui ai dit qu’il était fou, qu’ouvrir un nouveau studio avec des artistes qui n’ont jamais travaillé ensemble et leur demander d’animer un homme à moitié nu serait impossible et qu’il ne serait jamais satisfait du résultat. Alors il m’a appelé tous les deux deux jours pendant deux semaines puis j’ai lu dans Variety qu’il venait de quitter Disney. Ce fut une grande surprise et j’ai pensé « Voilà ma chance qui s’en va ; je ne réaliserai sans doute plus jamais d’autre film chez Disney », car Jeffrey était celui qui a cru en moi au départ et qui a soutenu mon parcours. Et dans la mesure où Walt Disney Feature Animation m’avait dit qu’ils avaient tous les réalisateurs dont ils avaient besoin, je m’apprêtais à chercher de nouveau du travail ailleurs. C’est alors que j’ai reçu un appel de Michael Eisner qui m’a dit « Nous allons produire TARZAN à Walt Disney Feature Animation et nous voudrions que vous le fassiez. » Cela fit toute la différence ! J’ai tout de suite accepté parce que cette fois toutes les conditions étaient réunies pour donner vie à cette histoire.

L’une des inovations de TARZAN réside dans le traitement visuel des chansons, très proche du montage (Two Worlds, Son of Man) ou du vidéo-clip (You’ll Be In My Heart).
Je pense vraiment que le langage cinématographique moderne, y compris le vidéo-clip, nous a profondément influencé pour ce film. Le fait d’avoir un chanteur pop, qui chante vraiment des chansons pop dans le film imposait un rythme différent du style Broadway pour créer un langage cinématographique propre à chaque pièce. TARZAN est un film basé sur l’énergie et le mouvement et nous voulions que cela se ressente en particulier à travers les chansons. Les chansons ont aussi un rôle différent : elles nous font avancer dans le temps. Son Of Man (Enfant de l’Homme) commence alors que les personnages ont 5 ans, et les fait passer à l’âge adulte. Dans le cas de Strangers Like Me (Je Veux Savoir), Tarzan ne sait d’abord rien du monde des humains et finit par comprendre ce que c’est d’être un homme. Les chansons permettent un saut gigantesque dans le temps. Elles rendent la narration plus souple. Et cette dimension a grandement influencé la façon dont le film a été storyboardé et monté.

Puis vous passez au cinéma en prises de vue réelles avec 102 DALMATIENS.
En fait, je voulais vraiment faire un film en prises de vue réelles après TARZAN, mais je n’ai pas choisi de faire 102 DALMATIENS. Je venais de finir TARZAN et je lisais des scénarios quand Peter Schneider, qui venait de quitter le département de l’animation pour celui des films en prises de vue réelles, m’a appelé en me disant qu’il voulait que je fasse ce film. J’ai lu le scénario et je lui ai répondu que je ne pensais pas pouvoir le faire. Je ne me sentais pas capable de diriger la suite d’un remake. Je n’avais pas cela en moi. Assez étrangement, tous les gens que je connaissais me disaient que je faisais là une grosse erreur, que c’était une chance extraordinaire dans ma carrière. Mais je refusais toujours. C’est alors que Glenn Close m’a appelé. Elle faisait la voix de Kala dans TARZAN et elle m’a dit : « Kevin, je voudrais que tu fasses ce film. » C’est ce qui m’a finalement convaincu. J’avais l’opportunité de travailler avec une actrice de classe internationale, quelqu’un que je respecte énormément et qui ne m’a pas considéré de la façon dont les actrices considèrent habituellement les réalisateurs débutants. Sa présence m’a donné confiance en moi. Elle fut en quelque sorte mon mentor sur le film. A chaque fois qu’un problème se présentait, j’allais la voir et elle m’aidait énormément. Finalement, ce n’est pas moi qui ait choisi le film, c’est le film qui m’a choisi !

C’est Cruella qui vous a choisi !
Vous avez raison : Cruella D’Enfer a choisi Kevin Lima pour faire son film !

Vous a-t-elle fait changer d’avis sur ce film ?
Ce fut une expérience très difficile pour moi parce que le scénario ne me parlait pas vraiment au coeur. Si vous regardez mes deux précédents films, vous pouvez voir qu’ils parlent de la création d’une famille, de la relation entre un père et son fils, de la dynamique moderne de la famille, autant de thèmes qui me touchent de très près. On ne retrouve pas ces thèmes dans 102 DALMATIENS. Je voulais ré-écrire certaines parties du scénario pour y mettre des choses plus personnelles afin d’avoir une relation plus émotionnelle avec le film, mais cela n’a pas pu se faire. Je l’ai donc considéré comme une première expérience en tant que réalisateur de film en prises de vue réelles. Et le résultat fut mitigé pour moi. Dans ce film, j’adore le travail qui a pu être réalisé avec les chiens, en particulier pour le début de la relation de Prunelle (Oddball) avec sa famille. Je suis aussi heureux d’avoir pu créer un début intéressant pour Cruella, avec ce renversement. Mais le film ne parle pas à mon coeur. C’est pourquoi je recherche actuellement quelque chose qui me ressemble davantage. Mais je suis très heureux qui ait reçu un bon accueil du public français.

Quelle fut votre approche de ce film, considérant le fait que vous veniez de l’animation ?
Pour moi, 102 DALMATIENS est un dessin-animé en prises de vue réelles.

Les productions actuelles montrent bien que la frontière entre l’animation et le film en prises de vue réelles devient de plus en plus difficile à saisir. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est tout à fait exact. Cette frontière devient de plus en plus vague. Aujourd’hui, on voit sortir un grand nombre de films qui sortent en prises de vue réelles, et qui n’auraient pas pu il y a quelques années seulement, et ce, grâce à l’animation. Je trouve cela passionnant, cela élargit considérablement les possibilités du cinéma. C’est exactement la façon dont j’aimerais travailler, avec un pied dans chaque monde, l’un dans l’animation, l’autre dans la prise de vue réelle. Je pense que nous allons voir de plus en plus de personnages qui n’existent pas dans le monde réel et qui nous paraîtront pourtant réels. Quand vous pensez à des films comme LE SEIGNEUR DES ANNEAUX ou HARRY POTTER, la plupart d’entre eux n’auraient pu être faits que sous la forme de dessins-animés il y a dix ans. Cela permet d’explorer tout l’imaginaire des dessins-animés, mais d’une façon différente, et d’attirer par la même occasion un public plus nombreux car les dessins-animés sont plutôt considérés comme des films pour enfants dans le monde occidental, au contraire des films en prises de vue réelles. Ce rapprochement entre animation et prises de vue réelles permet donc de raconter ce type d’histoires sous forme réelle et de recevoir l’agrément d’un plus large éventail de spectateurs. Cela ouvre de grandes portes.

En parlant de film en prises de vue réelles, quels sont vos goûts en la matière?
Je dirais que mes films préférés se rapportent de près ou de loin à la famille, et la à dynamique de la famille. Je pense notamment à TO KILL A MOCKINGBIRD (1962), ou SEARCHING FOR BOBBY FISHER (1993). J’aime aussi particulièrement les films de Terry Gilliam parce qu’ils parlent à l’enfant qui se trouve dans chaque adulte. Il n’a pas peur d’agir comme les enfants, ce que je trouve très intéressant.


Quelques années plus tard, on vous retrouve sur deux nouvelles productions Disney, ELOÏSE et ELOÏSE AT CHRISTMASTIME. De quelle façon êtes-vous arrivé sur ce projet?
J'ai lu dans Variety que Denise Di Novi était sur le point de produire une version du livre pour ABC et je l'ai appelée en lui disant : "je veux absolument diriger ce film!". Je pense que ce qui l'a intéressée, c'était d'avoir quelqu'un qui avait un réel intérêt pour ce travail et qui avait une expérience cinématographique.

Julie Andrews campe justement une Nanny absolument merveilleuse... et inattendue!
Quand je suis arrivé sur le projet, on m'a dit qu'elle était intéressée et ma première réaction a été de penser que ce serait un mauvais choix. J'avais peur de son image. Elle avait incarné la plus célèbre nounou du monde, "pratiquement parfaite en tout point" et cela risquait de planer perpétuellement au-dessus de ce nouveau rôle. C'est la raison pour laquelle, quand je l'ai rencontrée pour la première fois, je lui ai demandé à quel point elle désirait incarner la nounou du livre, en un sens, l'anti-Mary Poppins. Or, c'était précisément ce qu'elle voulait, rompre avec cette image et en prendre le contre-pied pour incarner vraiment le personnage du livre, qui est loin d'être parfait. Elle boit ; dans le livre, elle fume également ; elle n'est pas très attentive – elle regarde la télé tandis qu'Eloise fait les quatre cents coups dans l'hôtel. A partir de là, la question est devenue : comment part-on de toutes les choses merveilleuses qui font Julie et de son talent pour les ajouter à la Nanny du livre? La première réponse fut : en la transformant physiquement. Julie est vraiment une très belle femme, ce qui fait que nous avons dû modifier sa silhouette. Elle porte une prothèse pour avoir une grosse poitrine et un gros fessier et lui donner cette allure de pigeon ainsi qu'une perruque avec des cheveux gris constamment en désordre, de sorte qu'elle apparaisse totalement différente de toutes les nounous qu'elle a jouées –car la coiffure de Mary Poppins est toujours impeccable. Puis nous avons parlé des origines de Nanny, pour mieux cerner sa personnalité, et nous avons pensé qu'elle pourrait être cockney, ce qui lui donne cet accent, prétexte à toutes sortes de situations et de malentendus, principalement dans le deuxième film, ELOISE AT CHRISTMASTIME. De plus, nous avons voulu lui donner une démarche particulière : elle marche comme un homme, ses bras s'agitent sans arrêt et elle s'assoit de façon négligée. Tout cela vient des illustrations, et c'est ainsi que nous avons recréé la Nanny du livre, plus vraie que nature! Dans ces conditions, j'étais convaincu que Julie était vraiment la personne idéale pour incarner ce personnage. Il y a une autre chose merveilleuse à propos de Julie Andrews, c'est qu'elle apporte tant de vie sur un plateau. Tout le monde était aux anges de travailler avec elle! Qui plus est, beaucoup des gens de talents qui ont participé à ce film y sont venus précisément à cause de Julie. Ils se sont dits : si Julie Andrews fait partie de ce projet, c'est qu'il doit être très spécial. Il faut que j'en sois! C'est ainsi que beaucoup d'artistes du monde du cinéma sont venus travailler à ce téléfilm. Elle venait chaque matin sur le plateau pour dire bonjour à tout le monde, et chaque matin elle m'embrassait en me disant : "How are you today, my love?". Alors, mon coeur était rempli de joie car cette femme que j'admire tant me disait tous les matins qu'elle m'aimait! Je ne touchais plus terre pendant quelques minutes en me disant : "Mary Poppins loves me!" Et cela a apporté beaucoup d'effervescence et de joie au film. Je n'ai jamais été aussi ému et excité à la fois de travailler avec quelqu'un.

Dans ce film, la relation entre image et musique est typique de l'animation.
A bien des égard, ELOISE est un "film d'animation en prises de vue réelles"! Beaucoup des choses qui s'y passent sont caractéristiques du monde de l'animation, et les personnages sont presque des caricatures, comme dans des cartoons, et expriment sans ambiguité leurs sentiments. De plus, étant inspiré d'un livre et basé sur ses illustrations, j'ai voulu retrouver cet esprit dans le film. La musique aide aussi beaucoup à exprimer ce qu'ils ressentent. Il y a une sorte de pureté dans la musique de films d'animation qu'on ne retrouve pas en prises de vue réelles. La voix musicale d'un dessin-animé est aussi bien plus émotionnelle, et elle participe beaucoup plus à l'histoire, elle l'incarne véritablement. Quand j'entends la musique d'un dessin-animé de Disney, cela me rappelle le film immédiatement, jusqu'au moindre mouvement, jusqu'à la moindre couleur.

Couleurs des décors, couleurs de la musique : rien ne vous échappe et l’on sent que vous maîtrisez vraiment tous les aspects du langage cinématographique.
C'est vrai. Tout est fait pour soutenir l'émotion des personnages de façon très forte. Du point de vue des couleurs, les livres sont basés sur le noir et le blanc, le rouge et le rose. Nous sommes partis de là et nous nous sommes demandés comme utiliser au mieux cette palette. C'est ainsi que nous avons coloré son monde en rose. J'en ai alors parlé au compositeur Bruce Broughton et je lui ai dit : "la musique doit sonner 'rose'.Comment rendre musicalement la vibration de cette couleur?" Et il a trouvé comment le faire. Et nous avons essayé de renforcer les couleurs de l'hôtel de la même façon que nous avons renforcé les couleurs de la musique. C'est une façon de dramatiser tous les aspects du film. J'adore faire cela. Quand on crée un monde, il faut s'intéresser à toutes les dimensions qui le composent. Si un seul détail sonne faux, c'est tout l'édifice qui en est affecté. Et si vous voulez que les émotions sonnent vraies, vous devez renforcer tous ces aspects : les personnalités, les couleurs et la musique. Aucune pièce du puzzle ne doit être laissée de côté et que chaque collaborateur doit être pleinement impliqué. Je n'ai pas seulement parlé à Bruce de ce à quoi la musique devait ressembler, mais également du style de jeu des acteurs, de la direction artistique, afin qu'il soit pleinement conscient de tous mes choix et qu'il puisse les mettre en forme dans sa musique. Du point de vue des couleurs, la chambre de Nanny est bleue, celle d'Eloise est rose et la pièce qu'elles partagent est faite de tonalités atténuées des deux couleurs : c'est une pièce commune. Et nous avons également parlé de cela en musique. Quel est le thème de Nanny? Quel est le thème d'Eloise? Qu'arrive-t-il à ses deux thèmes quand ils sont joints? Comment adapter le thème d'Eloise quand elle est dans les bras de Nanny? Je parlais ainsi de la même façon au directeur artistique, au production designer ou à la créatrice des costumes de la même façon que je parlais à Bruce.


A ce titre, IL ETAIT UNE FOIS semble la suite logique de votre parcours !
A bien des égards, c’est le film idéal pour moi. J’ai découvert LE LIVRE DE LA JUNGLE à l’âge de 5 ans, et c’est à partir de là que j’ai voulu faire de l’animation. Et, j’y suis arrivé finalement ! J’ai été marionnettiste, j’ai fait du théâtre, ce qui me prédestinait déjà au cinéma en prises de vue réelles, puis je suis entré dans le métier de l’animation, après une formation très classique. Après TARZAN, qui est selon moi le meilleur film d’animation que je pouvais faire, j’ai voulu évoluer. J’ai donc dirigé plusieurs films en prises de vue réelles, et maintenant j’ai la possibilité de marier les deux arts ensemble. Je ne peux imaginer de meilleures manières de passer le reste de ma carrière : explorer comment ces deux mondes peuvent interagir.

Cela fait pas mal d’années que l’on entend parler de ce projet. Pourquoi cela fut-il si long ?
J’aimerais bien savoir pourquoi cela a mis si longtemps parce que pour moi, tout s’est enchaîné naturellement. Cela faisait déjà six ans que Disney travaillait sur ce film avant que je sois impliqué. Je pense qu’ils avaient du mal à trouver le bon ton pour ce film : quel devait être le degré de parodie ? Comment la faire différemment de SHREK ? Jusqu’à quel point le film devait être dramatique ? Je pense que c’est cela qui a pris du temps. Plusieurs réalisateurs s’y sont essayés. Quatre réalisateurs et cinq scénaristes durant cette période, tous ayant tenté de trouver la solution.

Comment l’avez-vous découvert ?
Je suis tombé sur cette histoire en 2001 et je suis allé voir les gens de Disney pour leur dire que c’était vraiment un film pour moi. Je venais de finir 102 DALMATIENS, et s’il ne fallait faire qu’un film Disney, c’était celui-ci ! Il associe animation et prises de vue réelles. Or, il se trouve que je comprends l’animation Disney, j’adore l’animation classique Disney. Ce film était vraiment pour moi ! Mais à cette époque, je pense qu’ils ont considéré que j’étais trop sentimental. J’aimais trop ce film ! Ils m’ont donc dit qu’ils voulaient que leur film soit plus sombre. Puis, cinq ans plus tard, je suis revenu à la charge : « Comment cela se passe-t-il sur IL ETAIT UNE FOIS ? Je pense toujours que je pourrais y faire de grandes choses ! » A cette époque, ils venaient d’avoir le nouveau script de Bill Kelly. C’est lui qui avait écrit le traitement original. Il l’a écrit en tant que « spec script », ce qui veut dire qu’il l’a écrit de lui-même sans être payé. Puis, il l’a vendu à Disney qui le lui a immédiatement retiré pour le faire développer par un groupe d’autres auteurs. Bill est revenu six ans après avec une nouvelle version de l’histoire et là Disney s’est dit que c’était exactement ce qu’ils souhaitaient faire. J’ai eu beaucoup de chance de demander à Disney à ce moment où ils acceptaient ce nouveau script et s’apprêtaient à chercher un réalisateur pour le mettre en scène. J’ai donc fait le pitch pour moi-même en leur disant la vision que j’avais du film et le désir que j’avais de la faire. Je venais de leur donner un coup de main sur THE WILD. J’étais donc dans la maison au bon moment et mon rêve est devenu réalité !


Comment avez-vous « ouvert le bal »?
J’ai travaillé avec Bill Kelly sur le scénario durant neuf mois pendant lesquels il a grandi et s’est développé à partir du concept original : l’idée d’une Princesse Disney qui débarque dans le monde réel. Mais je pense que je lui ai apporté un vrai sens de l’hommage et un amour du matériel d’origine. Une compréhension profonde de ce que veut dire « être un personnage Disney » et de la façon de le confronter au monde réel.


Dans ce film, on retrouve toutes les formes d’animation combinées.
Absolument. L’animation traditionnelle en 2D ouvre le film et présente les personnages de façon très idéaliste. Puis vient l’animation 3D, lorsque les personnages arrivent dans le monde réel. On trouve ainsi deux animaux animés qui doivent fonctionner dans notre monde. D’un côté, il y a Pip, un petit écureuil, qui dans le monde réel, ressemble à un véritable écureuil mais se comporte comme un personnage de cartoon. Et, de l’autre à la fin du film, Narissa se transforme en dragon comme Maléfique. Elle reste un personnage de dessin-animé. Elle ne perd jamais sa dimension disneyenne. Elle ne se transforme pas en un monstre baveux car ce ne serait pas Disney. C’est un personnage à part entière, qui parle, qui pense, qui a une vraie personnalité.


Cela fait vraiment penser à MARY POPPINS !
Vous avez tout à fait raison, et je vous avouerai que c’était mon but de faire un MARY POPPINS moderne. Mon rêve depuis le début, c’était de faire un film en prises de vue réelles qui possède la sensibilité d’un dessin animé, le tout pour un public d’aujourd’hui.

IL ETAIT UNE FOIS mélange également les codes de l’animation traditionnelle, ceux de la comédie romantique et ceux des films d’aventure. Comment êtes-vous parvenu à trouver un équilibre entre toutes ces contraintes très spécifiques ?
Je n’ai pas dormi, voilà comment ! En fait, ce que j’ai fait, c’est me replonger dans les classiques de Disney, comprendre comment ils réussissaient à marier tous ces genres très différents ! Parce que très, très souvent dans ces films, particulièrement ceux de la Renaissance de Disney comme LA PETITE SIRENE ou LA BELLE ET LA BÊTE, les créateurs ont eu tendance à jouer sur ces différents tableaux. Vous savez, ce film est une comédie romantique, une comédie musicale, un film d’action et d’aventure et un mélange d’animation 2D et 3D : tout cela réuni en un film. C’est la raison pour laquelle je suis allé revoir ces classiques et les ai utilisés dans ma structure. Cela m’a donné confiance dans le fait que je pouvais concevoir un mélange équilibré. Ce ne fut pas facile, je dois l’avouer et j’ai souvent eu peur que cela ne marche pas, que le film soit trop « premier degré », qu’il plonge trop du côté de la comédie romantique ou qu’il perde ses références à l’animation Disney. Mais je n’avais qu’à travailler encore et encore sur le matériel d’origine et cela marchait. C’est aussi dans cet esprit que j’ai storyboardé moi-même tout le film. Je l’ai fait parce que je voulais vraiment comprendre comment toutes les pièces s’articulent et s’emboîtent. Cela m’a apporté une certaine sécurité dans le travail.

Avez-vous storyboardé votre film comme un dessin animé ou comme un film en prises de vue réelles ?
Pour certaines choses, j’ai travaillé comme pour un dessin animé, disséquant chaque seconde de chaque numéro. C’est ainsi que j’ai procédé pour Happy Working Song par exemple, car je savais que je voulais une action très précise. Ceci dit, je n’ai pas fait cela sur la totalité du film. Il y avait des moments pour lesquels je n’ai utilisé le storyboard que pour bien comprendre la dynamique d’une scène et les buts de chacun des personnages, parce que je suis avant tout un artiste visuel et parfois il m’est difficile de me représenter les choses uniquement à travers les mots, à travers un script écrit. Quelque part, mon storyboard était comme une répétition en costumes. A partir de là, je pouvais affronter la journée de tournage avec une certaine confiance parce que j’étais bardé d’informations et je pouvais ainsi me permettre plus de libertés, une véritable collaboration avec les acteurs, et faire évoluer, faire vivre chaque scène dans l’instant. J’ai donc intégré cette façon de faire typique du cinéma en prises de vue réelles dans mon processus. En résumé, je dirai que j’ai procédé des deux manières, comme en animation et comme en prises de vue réelles, en fonction du type d’action que je souhaitais à l’écran.

En parlant des relations entre animation et prises de vue réelles, l’animation est une caricature de la réalité. Comment avez-vous dirigé votre film par rapport à cet aspect ? En d’autres termes, quelle fut votre attitude par rapport au fait que des personnages comme Giselle viennent d’un monde de dessin animé, mais en même temps doit trouver sa place dans le monde réel. Comment avez-vous dirigé vos acteurs dans ce sens ?
Mon Dieu ! C’est une question très complexe car vous touchez vraiment au cœur du film et à la raison pour laquelle il fonctionne si bien. Une partie de cette réussite vient du casting, je dois l’avouer. Je devais vraiment trouver les bons acteurs, des acteurs qui sauraient investir totalement les personnages, investir leur voyage intérieur, et non pas les juger, si vous voyez ce que je veux dire. Je voulais qu’ils soient capables de vivre dans le corps d’un personnage animé, sans songer à juger leur jeu d’acteur pendant qu’ils jouaient. Il ne fallait pas que Giselle pense à elle, ait conscience d’elle et pour cela il ne fallait pas que l’actrice trouve Giselle ridicule dans son comportement. Ce qu’il y a de merveilleux chez Amy Adams, c’est qu’elle n’a jamais oublié qu’elle jouait. Elle s’est totalement faite à l’idée que Giselle pense en deux dimensions, qu’elle croît en ses rêves de tout son cœur. Cela n’empêche pas pour autant que son personnage évolue et apprenne des choses sur elle-même, c’est même, me semble-t-il, là où réside toute la maturité de ce film. Elle ne reste pas figée tout au long du film. Elle devient une véritable femme en trois dimensions. D’une certaine façon, son chemin est celui de l’enfant à l’adulte. Au début du film, elle a une vision du monde très simpliste et idéalisée. Mais à mesure qu’elle devient humaine, qu’elle devient femme, elle développe une sensibilité bien plus complexe : elle découvre que l’on peut ressentir des sentiments et des émotions à l’intérieur de soi, que l’on peut croire à des choses à priori opposées en même temps, que l’on peut être en colère et heureux dans le même moment, et bien d’autres états émotionnels complexes.

Sur ELOISE ou 102 DALMATIENS, vous avez mis en scène un film en prises de vue réelles comme un dessin animé. Comment avez-vous procédé ici ?
Ce fut différent sur IL ETAIT UNE FOIS. Lorsque les personnages arrivent dans le monde réel, je n’ai pas imposé de vocabulaire visuel tiré de l’animation. Certes, les personnages existent en tant que personnages animés, ils ont la même sensibilité que des personnages animés, mais j’ai tourné ce film davantage comme une comédie romantique. J’ai laissé le contraste entre les deux mondes se faire tout seul.

Que ce soit sur DINGO ET MAX ou sur TARZAN, votre approche des chansons est toujours originale. Qu’en est-il ici ?
Chaque scène est une référence à un classique, chaque scène est un hommage aux films Disney. A partir de là, j’ai clairement souhaité que les chansons pointent vers les mêmes références, mais tout en les détournant. Et ce détournement vient plus précisément des paroles. De cette manière, les chansons sonnent de façon très traditionnelle dans leur contexte mais bien souvent, les paroles apportent un trait d’esprit ou apportent un commentaire malicieux sur ce qui est en train de se passer. Et par-dessus cela, l’aspect visuel apporte un nouveau détournement des classiques et un niveau supplémentaire de commentaire sur les chansons.

Peut-on espérer Qu’IL ETAIT UNE FOIS ne soit qu'un début ?…
Vous savez cela dépend totalement du public. Si le public tombe amoureux de Giselle, alors nous ferons de nouvelles choses avec ces personnages. Personnellement, j’adorerais partir pour de nouvelles aventures en leur compagnie car je pense qu’il y a encore beaucoup à dire sur la façon dont un personnage de conte de fées peut interagir avec le monde réel. C’est donc une possibilité, mais pour le moment, le destin d’IL ETAIT UNE FOIS repose totalement dans les mains du public.


With all my gratitude to Kevin, Floriane, Aude and Elodie!

Et merci à ma Gisèle à moi!