mercredi, juin 13, 2007

PIRATES DES CARAÏBES - JUSQU'AU BOUT DU MONDE : Entretien avec le compositeur de musique additionnelle Geoff Zanelli

Comme nous l'a expliqué le superviseur de la musique Bob Badami dans un précédent entretien, Hans Zimmer a l'habitude de composer les thèmes de ses films avant de les confier à des compositeurs de musique additionnelles qui les adapteront à chaque scène. C'est le cas de Geoff Zanelli, compagnon de longue date de l'aventure Media Ventures, qui s'est vu confier la lourde responsabilité de mettre en musique l'énigmatique Tia Dalma. Tel l'animateur connaissant son personnage sur le bout des doigts, c'est une relation semblable qui unit le musicien au thème et nous permet à nous d'aller encore plus loin dans l'histoire...

Pouvez-vous nous parler de vos débuts avec l’équipe de Hans Zimmer.
J’ai commencé en tant que stagiaire 1994 cela fait presque 14 ans maintenant que je travaille avec eux, ici à Los Angeles. J’ai eu la chance de décrocher un stage d’été pendant mes études au Collège de Berkeley à Boston et je suis revenu après mes études pour travailler avec John Powell. Il avait son studio ici, s’apprêtait à composer Volte/Face et avait besoin d’aide. Cela a duré trois ans avant que j’ai mon propre bureau en tant que compositeur. Au cours de mon parcours, j’ai travaillé avec Klaus Badelt, Harry Gregson-Williams puis avec Hans. Au fil des années, nous sommes devenus un peu comme une famille, au début à Media Ventures et maintenant à Remote Control.

Vous êtes crédité en tant que compositeur de musique additionnelle sur Pirates des Caraïbes – Jusqu’au Bout du Monde. C’est un titre très spécifique à l’intérieur de l’équipe de Hans Zimmer. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
Quand j’ai commencé à travailler avec Hans, le rôle du compositeur de musique additionnelle était proche de celui d’un orchestrateur des années 50 : Hans composait une esquisse et me la donnait afin de lui donner corps. Hans composait par exemple un thème d’amour puis me donnait une sorte de plan. Il le jouait au synthétiseur avec un son de piano ou de cordes et me le donnait afin de l’agrémenter. C’est une façon de gagner du temps et la plupart des gens commencent ainsi au studio. Au fil du temps, il a pris confiance en moi et maintenant, pour le même thème d’amour il me donne un cd où il l’a enregistré et m’assigne une scène que je dois écrire en adaptant son thème -avant de lui soumettre le résultat pour validation, bien sûr. De fait, mon rôle est maintenant plus celui d’un arrangeur. Hans est donc là au niveau de la création de thème et au niveau de la production de la musique. Mais il est allé encore plus loin sur Pirates des Caraïbes. Nous avons développé une telle relation qu’il m’a même demandé de composer un motif pour Tia Dalma pour Le Secret du Coffre Maudit. Comme vous le voyez, le titre de compositeur de musique additionnelle est assez flou. Cela va de l’orchestration à la composition.

Qui choisit les scènes qui vous sont assignées ?
La plupart du temps, c’est Hans. Il écoute énormément de musique, ce qui fait qu’il sait exactement les points forts de chaque membre de son équipe. Au début, j’étais connu pour mes musiques d’actions. Par conséquent, Hans faisait appel à moi pour ce genre de scène tandis qu’il confiait des scènes plus émotionnelles à d’autres collaborateurs.

Comment avez-vous créé le thème de Tia Dalma ?
Dans Le Secret du Coffre Maudit, elle n’avait pas un rôle aussi important que dans Jusqu’au Bout du Monde. Par conséquent, il lui fallait juste une petite signature sonore reconnaissable que l’on puisse utiliser deux ou trois fois dans le film. Nous ne savions pas que son rôle serait développé à ce point dans le troisième film. Pour écrire ce thème, j’ai beaucoup discuté avec Gore Verbinski à propos de la façon dont il voulait qu’il sonne. Nous avons évoqué l’idée d’une approche vocale et féminine qui contrasterait avec les autres thèmes, notamment avec le violoncelle de Jack, quelque chose d’inédit dans le film. De plus, je savais que cela devait être très court. De fait, le motif de Tia Dalma ne fait que quatre notes. C’est comme l’appel d’une femme à travers les marais où elle habite.

Comment avez-vous développé ce thème dans Jusqu’au Bout du Monde ?
La difficulté provenait précisément du développement important que connaît le personnage. Comment tenir 4 minutes avec un thème de 4 notes ? Il a donc fallu pas mal le développer. Ce fut un travail assez différent de d’habitude. Généralement, on vous donne une scène et vous écrivez un grand thème que vous pouvez facilement varier, développer ou raccourcir selon les besoins. Ici, je partais d’un matériel très court et il fallait le faire grossir, à l’image de la transformation du personnage en Calypso.

Vous savez, depuis Beethoven, on sait qu’on peut partir de quatre notes et tenir un temps considérable. Eh bien, c’est ce que j’ai fait ! Et pour ce faire, je me suis pas mal basé sur les possibilités orchestrales. Par exemple, la voix soliste est devenue un chœur et il y a maintenant un grand orchestre pour le soutenir. Il y a également bon nombre de percussions. J’ai enfin voulu lui apporter une dimension magique à travers l’utilisation de sonorités de cloches. Vous savez, dans le deuxième film, Tia Dalma semble plus une sorte de « femme-médecine » mystérieuse, et j’avais fait appel pour cela au célesta. Là, ce sont plutôt d’énormes cloches d’église. Tout a grandi de façon exponentielle, à l’image du personnage. Il faut savoir que Gore aime beaucoup rendre hommage aux films de monstres de série B comme Godzilla ou autres et je me souviens qu’il m’a dit de ne pas avoir peur de m’y référer, de ne pas avoir peur d’en faire trop, un peu comme les musiques de Bernard Herrmann pour les films de Ray Harryhausen. C’est le genre d’imagerie qu’il aime évoquer, comme il l’a fait pour la séquence Moonlight Serenade dans La Malédiction du Black Pearl ou encore celle de l’île des cannibales dans Le Secret du Coffre Maudit. Bref, il ne fallait pas jouer les timides !

Vous avez également mis en musique la séquence impliquant Sao Feng et Elizabeth. Comment avez-vous traité la dimension asiatique de ce film ?
Hans avait développé une longue suite à partir du thème qu’il a créé pour Sao Feng et me l’a confiée pour cette scène. Il m’a alors demandé de l’adapter de sorte de lui donner une certaine dignité asiatique. Pour ce faire, je me suis tourné vers le koto,

la pipa et le erhu,

des instruments traditionnels chinois afin de produire quelque chose d’équilibré et de posé. Sachant que le film devait être spectaculaire, chaque fois que nous pouvions faire quelque chose d’intime, nous ne nous en privions pas. Et c’est ce que j’ai fait sur cette scène. Cette dignité est aussi apportée par une approche très gestuelle, presque formelle de la musique, accompagnant les mouvements de Sao Feng tentant de séduire Elizabeth, qu’il prend pour la déesse Calypso. De l’autre côté, Elizabeth sait qu’il y a méprise à son sujet et tente d’en profiter. Ainsi, si le thème est celui de Sao Feng, son traitement intègre la retenue et l’idée de trahison de la jeune femme.

Une autre scène que l’on vous doit est la découverte de l’Île des Naufragés.
Pour cette scène, je me suis basé sur le thème du Tribunal de la Confrérie composé par Hans. Or, la difficulté était de savoir comment l’adapter. C’est un thème assez long qui comporte de nombreuses sections avec des sentiments différents : il y a une partie triste, une partie héroïque, une partie émotionnelle, etc. Il fallait choisir la bonne section et la bonne approche. J’aurais pu par exemple traiter cette scène de façon héroïque et dramatique, à l’image de ce plan sur la ville comme filmé depuis un hélicoptère. Mais j’ai cherché à comprendre ce que voulait dire Gore du point de vue émotionnel. Pour lui, cette ville est comme le dernier sanctuaire des pirates, le dernier bastion de l’honneur des pirates. Par conséquent, je l’ai traité de façon relativement triste.

L’orchestration est assez traditionnelle si ce n’est que j’ai rajouté quelques accents de mandoline et d’accordéon pour faire écho à celle de la réunion du Tribunal, un peu plus tard dans le film, pour laquelle Hans a rassemblé tous les sons un peu folk qu’il pouvait trouver (à l’image de la guitare de Keith Richards -photo) et a cherché à les arranger d’une façon « pirate ».

Comment s’est passée la mise en musique de la bataille finale ?
En fait, nous y avons tous plus ou moins participé : Henry Jackman, le duo Tom Gire/ John Sponssler, Atli Övarsson, Lorne Balfe. Nous avions déjà fait six ou sept bobines et il nous restait encore cette séquence énorme de 28 minutes ! Nous l’avons donc découpée en plusieurs parties et nous sommes répartis les différentes sections qui la composent. Pour ma part, je me suis occupé du moment où Jack et Elizabeth s’échappent en parachute du Hollandais Volant. Pour cette scène très spectaculaire, j’ai utilisé le thème d’amour du film car je voulais me concentrer sur les sentiments d’Elizabeth en ce moment où elle comprend qu’elle vient de perdre Will au profit du Hollandais Volant. Enfin, j’ai eu à arranger He’s A Pirate pour le tout début du générique de fin, comme je l’ai fait sur le premier et le deuxième film. C’est devenu une sorte de signature pour la fin de chacun de ces films.


Avez-vous assisté aux sessions d’enregistrement ?
En général, je produis mes musiques et j’assiste au moins à leurs sessions. Vous savez, même si cela peut paraître « cliché », il y a une certaine magie à voire naître votre musique comme cela. Je connais la plupart des musiciens de l’orchestre depuis un certain temps, mais je n’ai jamais senti un tel enthousiasme. Ils se sont totalement plongés dans l’esprit du film et de sa musique. Ce fut formidable !

Hans Zimmer a l’habitude d’enregistrer séparément chaque famille d’instrument. N’est-ce pas plus difficile de s’impliquer émotionnellement dans ces conditions ?
En ce qui me concerne, je dirai « au contraire ». C’est vraiment ma façon de travailler dans mon studio : je me concentre sur les cordes, puis sur les cuivres, puis sur le chœur. Je suis plus à l’aise en concevant chaque section séparément avant de mettre tout cela ensemble. Il me semble que c’est une façon assez moderne de travailler qui, en tout cas, me convient très bien.

Dans la mesure où vous avez participé aux trois films de la trilogie, quel regard portez-vous maintenant sur chaque épisode ?
C’est une question intéressante. Pour moi, le premier film est un mélange de « cape et épée » et de « cartoon ». Un peu brouillon et un peu « rock’n roll » aussi car nous n’avons eu qu’une vingtaine de jours pour tout faire ! Le deuxième en rajoute sur le plan du cartoon notamment dans la séquence de l’Île des Cannibales tandis que le troisième serait plus épique de par son mélange de mythologie, de force des émotions et de contrastes (on peut passer de deux musiciens à cent musiciens). D’ailleurs, je pense que c’est grâce à l’approche très collaborative de Hans Zimmer que nous avons pu obtenir une telle richesse. Le premier film était aussi un terrain d’expérimentation de sons nouveaux. D’autres musiciens avaient essayé de trouver quelque chose de nouveau pour ce genre de film et ce fut un challenge de trouver ce son maintenant reconnaissable. Et dans la mesure où le premier film n’était pas sensé avoir de suite, nous n’avions pas conscience de l’impact de cette franchise. De ce fait, personne ne s’est dit : « nous sommes en train de faire le Star Wars des pirates ! » Nous avons simplement essayé de produire la meilleure musique possible pour ces films.

Pouvez-vous nous parler de votre production personnelle ?
J’ai fait la musique de la mini-série Into the West, ainsi que celle du film Paranoïak (Disturbia), qui sortira le 22 août en France. C’est un thriller un peu dans le style de Fenêtre sur Cour de Hitchcock, qui a connu un succès inattendu ici en Amérique. Shia LaBeouf, que l’on verra cet été dans Transformers, joue le rôle principal. Il est excellent. On parle de lui comme le nouveau Tom Hanks. Et c’est grâce à Paranoïak qu’il a d’ailleurs décroché ce rôle dans Transformers quand on a montré le film à Steven Spielberg, et même un rôle dans Indiana Jones 4 ! Vous verrez, c’est une musique très différente de celle de Pirates des Caraïbes…