mardi, juin 05, 2007

PIRATES DES CARAÏBES - JUSQU'AU BOUT DU MONDE : Entretien avec le superviseur de la musique Bob Badami

Tous les plus grands! Il a travaillé avec tous les plus grands!
De James Horner à Danny Elfman, de Giorgio Moroder à Ennio Morricone, légendes éternelles ou futures légendes, Bob Badami les connaît tous et leur a apporté tout son savoir faire en matière de montage et de supervision de la musique. En tant que tel, il est le lien indispensable entre les artistes et la production d'un film, associant l'expertise technique à l'imagination et la créativité. Pas étonnant qu'il soit depuis longtemps le superviseur de la musique attitré de Jerry Bruckheimer.
Rencontre et hommage à une légende vivante de la musique de film à travers ce survol d'une carrière incroyable jusqu'à sa dernière superproduction, Pirates des Caraïbes - Jusqu'au Bout du Monde.

Comment êtes-vous devenu monteur musique ?
J’ai commencé comme batteur dans un groupe de rock’n roll, mais je m’intéressais déjà au cinéma depuis longtemps. J’ai donc étudié le cinéma au Collège tout en pensant que je ferai une carrière de musicien. Or, pendant que je faisais des tournées avec mon groupe à travers l’Amérique dans les années 60, j’ai réalisé que j’étais davantage intéressé par le cinéma. Je suis originaire de San Diego et c’est là que j’ai commencé à faire des petits boulots dans ce domaine, et plus particulière dans celui du son, qui m’attirait plus particulièrement (ce qui va sans doute avec ma passion pour la musique !) : ingénieur du son pour des documentaires, monteur des effets sonores… Puis j’ai été employé par une chaîne de télévision publique en tant qu’ingénieur du son et monteur son. J’ai ainsi édité des musiques issues de bibliothèques sonores afin d’aider les réalisateurs à déterminer les ambiances sonores de leurs documentaires. J’ai appris à aimer cela, et tandis que mon contrat tirait à sa fin, j’ai déménagé de San Diego à Los Angeles, là où tout se fait en matière de cinéma. C’était en 1976. Ce fut une période assez instable et difficile car les studios étaient assez fermés à cette époque. C’était comme des villes fortifiées avec des gardes à l’entrée. Il fallait être membre d’un syndicat pour pouvoir trouver du travail. J’ai donc galéré pendant un certain temps, jusqu’à ce que je rencontre un monteur musique que connaissait mon épouse. Même si j’avais monté des musiques de documentaires, je ne savais pas vraiment en quoi consistait ce métier. Pourtant, cette personne m’a employé dans son entreprise –en tant que chauffeur ! C’était à une époque où les studios commençaient à alléger leurs effectifs, à se séparer de leurs compositeurs à plein temps, de leurs orchestres, de leurs monteurs, pour mieux faire appel à des compagnies spécialisées extérieures. La compagnie qui m’a embauché était ainsi l’une des premières entreprises de montage indépendantes et il fallait quelqu’un pour faire l’aller-retour entre les studios et l’entreprise. Certes, je n’étais qu’un chauffeur, mais je connaissais la musique et comment la monter. Il m’a suffi d’apprendre les techniques et la manipulation du matériel pour devenir un véritable monteur musique, et c’est ainsi que j’ai eu très vite mon premier travail en tant que tel. (Bob Badami, à gauche, avec l'ingénieur du son Al Clay)


J’imagine que la technique était très différente d’aujourd’hui.
Absolument. A cette époque, il n’y avait pas d’ordinateurs. Les films étaient en 35mm et nous utilisions des Moviolas, des appareils qui tenaient plus de la machine à coudre, pour éditer! Le compositeur arrivait après que le montage était fait. On lui projetait le film dans une salle que nous avions, en compagnie du réalisateur et cela prenait des heures de discussion pour déterminer à quels moments la musique devait arriver, puis s’arrêter. Le travail du monteur musique à cette époque était alors d’identifier tous ces moments et prendre des notes détaillées à propos de chaque morceau de musique qui avait été commandé pour chaque moment. On appelait cela « spotting notes » car elles étaient écrites lors de « spotting sessions ». A partir de là, les compositeurs recevaient des « timing notes », des descriptions très détaillées de chaque pièce de musique, chronométrées en minutes et secondes. Par exemple, « à 12.3s, plan sur un homme se tenant sur une montagne ». « A 15.5s, l’homme dit quelque chose et à 17.6s, il s’arrête ». A partir de ces notes, le compositeur pouvait choisir les moments qu’il souhaitait accentuer. Il utilisait pour ce faire un métronome spécifique qui lui permettait de construire sa musique de façon très précise autour de ces éléments, en déterminant le bon tempo. Aujourd’hui, on a des synthétiseurs et des séquenceurs et les choses sont beaucoup plus simples et rapides, ce qui permet d’avoir très vite une idée assez précise de la musique, mais à l’époque, c’était beaucoup plus primitif. Ensuite, le compositeur apportait sa partition au monteur musique qui réalisait le click-track, une sorte de métronome adapté à chaque scène devant être diffusé par casque à chaque musicien lors de l’enregistrement. Tout cela était enregistré sur bande magnétique tandis que le chef regardait l’écran et un chronomètre pour être finalement livré au monteur musique qui se chargeait de faire correspondre la musique au début de chaque scène correspondante et, dans une salle de mixage, de mixer la partition avec tous les effets sonores du film et les dialogues. La conséquence de ce processus est que le réalisateur ne découvrait effectivement la musique de son film que lors de l’enregistrement avec l’orchestre. Auparavant, la seule chose qu’il pouvait entendre, c’était les thèmes, joués par le compositeur au piano. Il faut imaginer que les réalisateurs n’avaient aucune formation musicale. Ils ne comprenaient pas vraiment le rôle de la musique dans leur film et ne pouvaient faire de commentaires ou de corrections qu’en fin de processus, ce qui conduisait à des situations qui pouvaient coûter très cher. Par exemple, si une partie de flûte ne lui plaisait pas, il fallait tout modifier, tout réécrire devant l’orchestre, au tarif des sessions, et tout ré-enregistrer… Certaines dépenses pouvaient être évitées par le monteur musique qui pouvait agir sur le montage et le mixage d’une musique que le réalisateur n’aimait pas pour la rendre plus acceptable… ou moins audible. C’était une façon assez chaotique de travailler, mais en même temps, nous étions dans un monde beaucoup plus simple qu’aujourd’hui, avec une relation beaucoup plus directe entre le réalisateur et le compositeur.

Dans quelle mesure les choses ont-elles changé ?
Premièrement, le temps compris entre la fin de la production d’un film et sa sortie en salles a été considérablement diminué car un film qui attend sa sortie ne rapporte rien. La conséquence de cela est que le temps alloué au compositeur pour écrire sa musique a été considérablement raccourci lui-aussi. Autrefois, une fois que le film était fini et la musique enregistrée, on faisait des tests devant un public et cela permettait de faire des modifications. En diminuant le temps qui précède la sortie, les tests doivent être faits bien plus tôt dans le processus, ce qui veut dire sans la musique du film. Et pourtant, beaucoup de films dépendent, à un certain niveau, de la musique, car elle apporte vraiment des choses à l’histoire. C’est en partant de cette observation que le travail du monteur musique a commencé à changer. On a commencé à lui demander d’aller puiser des musiques préexistantes un peu partout : dans des vieux films, la musique classique, des chansons, etc. afin de créer une pseudo bande-son qui puisse fonctionner devant un public durant la phase de test du film. Le problème, c’est que cela met concrètement en péril le travail du compositeur du point de vue créatif. Imaginez : avec tous les moyens éditoriaux dont nous disposons aujourd’hui, il est très facile de faire en sorte qu’une musique temporaire –« temp track », c’est comme cela qu’on l’appelle- corresponde exactement à une scène. A partir de là, c’est comme un premier amour : tout le monde, du public au réalisateur, se sent bien avec cette musique et ne veut pas en changer. Il y a une sorte de cristallisation autour de ce premier rendu. C’est la raison pour laquelle on parle de « temp love ». A partir de là, le réalisateur ne peut que demander au compositeur de faire une sorte d’imitation de cette musique préexistante, et non pas de faire œuvre de création… Tout cela vient de l’évolution des temps de travail et de l’évolution de la technologie. D’un côté, cela complique beaucoup le travail du compositeur, d’un autre côté, l’utilisation maintenant répandue du synthétiseur pour faire des maquettes permet au réalisateur d’avoir assez tôt une idée précise de la musique que lui réserve le compositeur et ainsi de faire les changements nécessaires à temps. Tout n’est pas tout noir !

Très vite, vous avez travaillé avec les plus grands compositeurs, de James Horner à Danny Elfman. Votre évolution est impressionnante !
Le deuxième film sur lequel j’ai travaillé a été American Gigolo, produit par un certain Jerry Bruckheimer. C’est à cette occasion que j’ai rencontré Giorgio Moroder. C’était en 1980. Gorgio était un compositeur d’un genre différent. Il composait des musiques de film comme on produit un disque, privilégiant les synthétiseurs sur l’orchestre symphonique. Il a apporté un nouveau son à la musique de film. Moi, j’étais nouveau dans le métier, ce qui fait que j’étais ouvert aux idées nouvelles. Notre collaboration à Gorgio et moi s’est très bien passée et les relations que j’ai nouées lors de cette production (compositeur et producteur) m’ont conduit à travailler sur des films comme Le Flic de Beverly Hills et Top Gun… et continue encore aujourd’hui avec Pirates des Caraïbes – Jusqu’au Bout du Monde. C’est par là que tout a commencé pour moi et c’est la raison pour laquelle 90% des films que je supervise sont des productions Jerry Bruckheimer.

Comment en êtes-vous venu à travailler avec Tim Burton et Danny Elfman ?
Le monteur de Top Gun était un de mes amis. Il avait rencontré Tim Burton qui était sur le point de faire son premier film. C’est ainsi que nous avons décidé de le rejoindre sur Pee Wee’s Big Adventure. Cela nous permettait de faire quelque chose de complètement différent d’un film de guerre comme Top Gun. Or il se trouve que Tim Burton était depuis longtemps fan du groupe de rock Oingo Boingo dont Danny faisait partie. Il s’est lié d’amitié avec lui et lui a demandé de faire la musique de son film. Danny avait déjà fait un film avec son frère. Il faut dire que la musique de film a toujours été sa passion. C’est un très grand fan de Bernard Herrmann, Nino Rota ou encore Serge Prokofiev et il a appris la musique en autodidacte. Mais il ne connaissait rien du processus de fabrication d’un film hollywoodien. C’est la raison pour laquelle il a fait appel à un autre membre du groupe, Steve Bartek, qui avait étudié l’écriture à UCLA, et qui est devenu son orchestrateur. A eux deux, ils ont développé une partition original pour Pee Wee. Je me souviens que Danny avait écrit une musique pour la poursuite en bicyclette qui ouvre le film sur un vieux synthétiseur. Cela sonnait vraiment de façon bizarre. Puis il a fait transcrire son morceau pour orchestre. Eh bien, je n’oublierai jamais ce jour où les musiciens d’Hollywood ont interprété ce morceau pour la première fois. Ce fut très impressionnant et tout le monde a été totalement enthousiasmé ! Vous savez, Danny est quelqu’un de très intelligent. Il a très vite appris comme fonctionnait une musique de film et je me considère comme extrêmement chanceux d’avoir travaillé sur la plupart de ses films. Il est très agréable de travailler avec lui car nous venons du même monde, nous avons grandi avec les mêmes films et les mêmes musiques de Bernard Herrmann comme Sinbad. Il est très appréciable de voir qu’on confie de telles sommes d’argent à Tim Burton pour qu’il réalise ses films, qui n’ont rien à voir avec les histoires sans originalité qu’on nous sert et ressert encore et encore à Hollywood. Quel parcours et quel plaisir d’avoir pu passer de Pee Wee à Bettlejuice, puis à Batman et à Edward aux Mains d’Argent et de suivre l’évolution et l’expansion artistique de Danny (à gauche sur la photo ci-dessous, avec Bob Badami) et Tim. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir les accompagner dans cette aventure !


Vous avez également participé à l’un de leur plus grand chef-d’œuvre, L’Etrange Noël de Mr. Jack.
Absolument. Ce fut un immense plaisir. Dans la mesure où il s’agit d’un film d’animation, cela nous a pris entre deux ans et deux ans et demi de travail. Un film d’animation se fait à l’envers. On commence par la musique. Danny a donc commencé par écrire toutes les chansons. Toutes les parties vocales ont été enregistrées et ils ont animé à partir de là. Cela s’est fait à San Francisco. Le réalisateur, Henry Selick, s’occupait du processus au quotidien. Mes enfants ont pratiquement grandi avec ce film. Tous les deux-trois mois, il m’arrivait une nouvelle partie du film et je m’occupais de la musique temporaire pendant deux semaines avant de m’occuper de la partition définitive. Ce qui fait que ma fille a pu très tôt chanter toutes les chansons !

Etait-ce difficile de trouver des musiques temporaires qui conviennent à l’univers très spécifique de Tim Burton ?
Absolument. Il se trouve que la musique de Danny est très spécifique, notamment dans sa façon de faire le timing de sa musique et d’organiser ses accents. Il a un style bien à lui. J’ai donc fait de mon mieux pour trouver des musiques qui conviennent. J’ai utilisé d’anciennes musiques de lui ainsi que certaines pièces classiques. On sait très bien qu’au final, ce n’est qu’une musique temporaire, mais l’animation demande vraiment un travail dans le détail. De fait, quand le film a été fini et que Danny a fini sa partition, le résultat était cent fois meilleur ! Les thèmes des chansons ont vraiment pu être intégrés dans la musique pour un résultat vraiment remarquable.


Vous souvenez-vous de votre sélection de musiques d’autres compositeurs pour la partition temporaire de L’Etrange Noël ?
Cela fait un certain temps, mais je me souviens que j’avais emprunté certaines choses à John Williams –Les Sorcières d’Eastwick-, car il y a un peu de son influence dans ce film, The Devil and Daniel Webster, de Bernard Herrmann, et certains morceaux de Prokofiev. Ce fut particulièrement difficile en raison de la spécificité de l’animation et en raison du fait que la technologie était en train de changer et que nous étions de passer du film à l’ordinateur. J’ai pu utiliser un ordinateur similaire à celui que j’ai aujourd’hui, mais d’une génération antérieure, ce qui me fut très utile.


Comment êtes-vous passé de monteur musique à superviseur de la musique ?
Quelque part, c’est le même métier pour moi si ce n’est que je suis davantage impliqué dans la production, maintenant. En 1998, j’ai participé à un film de Warren Beatty appelé Bulworth. Le compositeur était Ennio Morricone. Pour moi, c’était comme travailler avec Dieu lui-même ! C’est Warren qui m’a donné ce titre car il y avait tellement à faire. C’était un mélange de score et de pop. Généralement, le superviseur de la musique est la personne qui est chargée de trouver des chansons et d’en obtenir les droits. Ce n’est pas vraiment ce que je fais, je suis beaucoup plus impliqué dans la production de la musique elle-même. Je reste vraiment un monteur de la musique, mais de façon beaucoup plus large. C’est la fonction que j’occupe sur la plupart des films produits par Jerry Bruckheimer et notamment sur ses collaborations avec Hans Zimmer, qui a une façon très particulière de travailler.


En quoi consiste-t-elle ?
Il a considérablement perfectionné l’utilisation des synthétiseurs, notamment pour s’adapter aux délais de post-production de plus en plus courts. C’est quelqu’un qui travaille également avec une équipe importante. Il est d’ailleurs unique de ce point de vue. Il adore collaborer avec ceux qu’il appel « son groupe ». Il est le seul à travailler comme cela. La plupart des compositeurs ont une approche beaucoup plus individuelle du métier. Hans Zimmer vient avec les idées. Il conçoit une version d’environ huit minutes d’un thème en particulier avec un type d’orchestration bien précis et il confie cela à son équipe afin qu’elle produise une musique basé sur ces thèmes, adaptée à chaque scène. A partir de là, mon travail est de coordonner cette « armée ». C’est un processus vraiment génial et Hans est très bon à ce jeu-là ! Il a créé un style, mais en même temps, sans s’enfermer dans un seul genre. Prenez le Da Vinci Code (photo de l'enregistrement ci-dessous), c’est une musique vraiment unique en son genre. Ce qui me fait dire que son studio n’est pas une « usine » où l’on fabrique des musiques à la chaîne comme on l’a souvent dit. Hans est un véritable créateur, un penseur, un concepteur. Songez à La Chute du Faucon Noir. L’idée était vraiment de créer un combat entre deux « armées » musicales. Il donc créé des musiques différentes, mais dans la même tonalité, qui viennent ainsi se confronter, littéralement se rentrer dedans, allant jusqu’au chaos. C’était une approche très intéressante et très spécifique pour ce film. Rien à voir, par exemple, avec The Holyday. Il sait parfaitement adapter son processus créatif au film. Il est imbattable dans sa façon de communiquer avec les réalisateurs, les intégrer dans le processus et ils le lui rendent bien. Il est obsédé par la création de samples et dépense des sommes folles pour enregistrer des musiciens pour sa banque de sons. Le résultat est que ses démos sont absolument magnifiques. Et il fait cela afin que le réalisateur ait la vision la plus précise possible de son projet musical, avant d’enregistrer avec de vrais musiciens. C’est un processus très intéressant. Rien à voir avec un Ennio Morricone, par exemple, qui réalise toutes ses orchestrations sur papier, sans même avoir besoin de s’asseoir devant un piano, comme le font la plupart des compositeurs. Tout est dans sa tête. Je lui ai demandé pourquoi il fonctionnait comme cela et il m’a dit : « quand un écrivain écrit un poème ou un roman, il ne prononce pas les mots avant de les écrire. Il les écrit, c’est tout. » Avec Hans, c’est une autre école de pensée, une autre époque, une autre technologie. Il a commencé en tant que claviériste à Londres et son studio actuel n’est que le prolongement de cette passion qu’il a pour la technologie. C’est tout aussi différent pour Danny Elfman. Ce dernier utilise également des synthétiseurs, mais sa démarche est plus intérieure. Il compose seul, avec l’aide de son orchestrateur, mais il ne collabore pas avec d’autres compositeurs, ce n’est pas dans son tempérament. Et vous savez, dans tous les cas, le résultat est fantastique, mais je trouve très intéressant de comparer ces méthodes de travail.


Pouvez-vous nous parler de votre relation avec Jerry Bruckheimer ?
Après American Gigolo, c’est lui qui m’a fait venir sur Thief de Michael Mann en 1981 avec, déjà, une technologie plus avancée que sur mes précédents films. Puis les choses se sont suivies d’elles-mêmes. J’aime beaucoup travailler avec lui, il s’intéresse beaucoup à la musique. Il a toujours de bonnes idées, précisément parce que, lorsqu’il écoute une musique, il le fait du point de vue du public. C’est d’ailleurs le secret de son succès. Il aime que les choses soient simples et directes. C’est pour cela que, alors que son associé, Don Simpson, préférait des musiques plus traditionnelles, à la Jerry Goldsmith (que j’adore, personnellement), il a toujours privilégié une approche plus populaire, avec des emprunts à la musique pop. Les films de Jerry sont de genres très différents, mais au-delà de cela, on peut vraiment dire qu’il a créé un style.


Comment a débuté la saga Pirates des Caraïbes pour vous ?
Dans la bousculade ! Le compositeur prévu originellement, Alan Silvestri, a dû être remplacé au dernier moment. Hans est devenu producteur et Klaus Badelt a pris la tête d’une immense équipe de compositeurs travaillant d’arrache-pied pour arriver dans les délais. Ce fut une période d’une incroyable intensité, sachant qu’une autre grosse production était en cours en même temps, Bad Boys II, avec le même type de problème : Mark Mancina a cédé sa place à Trevor Rabin, et il a fallu faire très vite. A l’époque, personne ne pensait que Pirates des Caraïbes deviendrait une franchise de cette importance. Cela semblait plutôt une entreprise risquée. Moi-même, quand on m’a dit qu’il s’agirait d’un film basé sur une attraction de Disneyland, ce principe m’a semblé dénué d’intérêt. Mais finalement, le réalisateur et les scénaristes ont su rendre ce projet captivant et divertissant.

Comment a été créé le son si caractéristique de la saga ?
Il était convenu dès le départ d’avoir une musique qui se détacherait des musiques de films de pirates traditionnelles à la Korngold. Au final, on en retrouve des éléments, mais cela tient plus de l’hommage, et n’empêche pas la modernité du propos. Hans a donc rassemblé une équipe de 12 compositeurs et nous avons eu une réunion pour discuter de la direction à prendre. Le lendemain, la musique était créée : Hans a écrit une pièce de 7 minutes rassemblant la plupart des thèmes et Klaus a ajouté son propre matériel. La base de la partition était créée. A partir de là, nous avons pris des éléments de ce matériel et les avons placés en différents endroits du film pour voir comment cela fonctionnait et chaque membre de l’équipe s’est vu assigné des sections du film à arranger à partir de ces thèmes. C’était un peu comme une armée de fourmi attaquant une chenille ! Dans des conditions comme celles-là, il ne faut pas trop réfléchir et aller directement à l’essentiel pour être efficace.

Comment se fait-il qu’Alan Silvestri n’ait pas pu aller au bout du projet ?
Il s’est trouvé confronté au même problème que Hans et son équipe : réinventer un genre de musique. Ce fut un challenge très difficile tant pour lui que pour Hans. Il a fallu beaucoup de temps à Alan pour trouver le concept. De plus, Alan ne dispose pas de l’équipe de Hans et, dans la mesure où il a commencé très tard à composer, il ne pouvait tenir les délais. Enfin, il se trouve qu’Alan vit et travaille à Carmel, c’est-à-dire à 300 miles au nord de Los Angeles, alors que les studios de Hans se trouvent à seulement quatre rues de ceux de Jerry Bruckheimer. Compte-tenu de notre timing, le choix de Hans était naturel.

Comment avez-vous travaillé avec Gore Verbinski ?
Gore est guitariste, et même un très bon guitariste ! Il a joué dans des groupes au début des années 80. Parfois, c’est un petit peu dangereux quand un réalisateur connaît la musique, mais dans ce cas, ce fut très utile. Il avait une vraie vision. Il ne voulait pas d’une musique traditionnelle de pirates. Il allait très au fond des choses, scrutant chaque détails. Nous pouvions passer des heures sur un morceau. Compte-tenu des conditions particulières de travail sur Pirates des Caraïbes, je peux vous dire que c’est un travailleur infatigable. Tantôt il est dans la salle de montage pour faire le point sur les effets visuels, puis il vient chez nous, puis enchaîne sur autre chose. C’est impressionnant !

Qui a songé à introduire des éléments de rock dans la partition ?
Je crois que cette dimension est présente dans la plupart des partitions de Hans. Cela fait partie de son langage. Cela se manifeste à travers son traitement très rock des percussions, qu’il soigne tout particulièrement, mais aussi la façon très rythmée dont les cordes jouent. Il a un talent particulier pour obtenir cela des musiciens. Concrètement, il n’enregistre jamais l’orchestre dans son ensemble. Il segmente les enregistrements en fonction des instruments. Par exemple, le matin, il enregistre les cordes et le soir les cuivres. De ce fait, il fonctionne vraiment comme un producteur de disque de rock, alors que les autres compositeurs enregistrent tout en même temps. De mon point de vue, le son de Hans Zimmer est beaucoup plus précis pour cette raison.

En tant que batteur, vous est-il arrivé de jouer lors d’un enregistrement de musique de film ?
Cela m’est en effet arrivé, en de très rares occasions et quand j’avais le temps. Mais je préfère de loin laisser cela à de vrais professionnels, des musiciens de classe internationale comme ceux qui enregistrent ces musiques !

Comment la musique a-t-elle évolué ensuite ?
Sur Pirates des Caraïbes 2 et le 3, nous avons essayé de trouver de nouveaux thèmes et de nouvelles idées, tant en matière de style que de matériel afin de ne pas se répéter. Le problème quand on fait des suites, c’est le risque de simplement recycler la musique du film original. C’est la raison pour laquelle Hans est toujours très vigilant à ce propos et essaie d’apporter des éléments nouveaux à chaque projet.


La bande-son du Secret du Coffre Maudit semble aller dans deux directions opposées : quelque chose d’encore plus moderne, à travers les remix, et quelque chose de plus ancien, à travers l’utilisation de l’orgue pour Davey Jones et les citations de vieilles chansons pirates comme dans la séquence de la taverne.
Les remix sont plus un outil marketing qu’autre chose. Gore ne souhaitait pas vraiment que cela figure sur le cd. Il voulait quelque chose de pur. C’est la raison pour laquelle les choses sont différentes sur l’album du 3. On n’y trouve que du score, organisé pour la première fois selon la progression narrative du film. Si vous l’écoutez attentivement, vous pouvez presque suivre l’histoire. C’est appréciable car, cette fois, nous avons eu du temps pour y travailler. La plupart du temps, on s’aperçoit en court de production de la musique qu’il faut produire aussi un album ! On envoie la musique et les ingénieurs se débrouillent. Ici, nous avons vraiment pu prendre les choses en main et faire quelque chose d’abouti tant en matière d’organisation que de son. Les remix font l’objet d’un album séparé. D’un autre côté, il est vrai qu’on trouve dans Le Secret du Coffre Maudit des citations de chansons de pirates du 17e siècle, et cela, nous l’avons développé dans Jusqu’au Bout du Monde. Dès le début, vous avez cette citation de Hoist the Colors, chanté comme un ancien appel et qui va devenir un des thèmes essentiels du film. C’est un chant dans le style des vieilles chansons de pirates, mais écrit en commun par Gore et Hans.

L’hommage de Hans Zimmer à Ennio Morricone est encore plus net dans ce troisième opus.
Absolument. Gore est, comme Hans, un très grand admirateur d’Ennio Morricone, et notamment d’Il Etait Une Fois dans l’Ouest. C’est l’un de ses films préférés. Visuellement, on trouve ça et là des références plus ou moins explicites à ce film. Je pense notamment à la boîte à musique de Davey Jones. Et Hans a su en faire un thème très morriconien.

Vous arrive-t-il d’assister aux sessions d’enregistrement ?
C’est le but du jeu ! Parfois c’est difficile car il arrive souvent que j’aie d’autres choses à faire. Mais Hans se prépare tellement bien à cet exercice et accorde tellement de soin à l’interprétation que les enregistrements de ses musiques ne ressemblent à aucun autre.

Que nous préparez-vous ?
Benjamin Gates 2 : Le Livre des Secrets mis en musique par Trevor Rabin et Frost/Nixon, un film très différent de Ron Howard basé sur des interviews de l’ancien président des Etats-Unis tellement bien faits qu’il en arrive à avouer d’une certaine façon sa culpabilité dans le scandale du Watergate.

Quel est votre sentiment quand vous regardez en arrière ?
Je réalise que j’ai eu énormément de chance de travailler avec tous ces compositeurs extraordinaires : James Horner, Ennio Morricone, Giorgio Moroder, Hans Zimmer, Danny Elfman, Lalo Schiffrin, Elmer Bernstein… J’ai même été assistant sur un film mis en musique par Alex North à mes débuts. En tant que fan de cinéma et fan de musique de film, j’ai été comblé. J’ai vécu tous les changements, parfois importants, du métier et je n’ai qu’une ambition, pouvoir continuer à travailler dans ces conditions !

C’est tout le mal que nous vous souhaitons !

With all our gratitude to Mr. Badami for this interview and the photos taken from his personal collection.