DANS L'OMBRE DE MARY AU CINEMA : Entretien avec le compositeur Richard Sherman
Plus de quarante ans après, on parle toujours de MARY POPPINS comme d'une référence. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Cela m’inspire beaucoup d’émotion, de bonnes choses, et je suis très heureux que mon frère et moi ayons pu contribuer à ce film. Dieu bénisse Walt Disney ! Nous n’avions rien fait de très connu avant, mais il nous a fait confiance, nous a encouragés et nous a offert cette fantastique opportunité de travailler pour son studio.
Cela m’inspire beaucoup d’émotion, de bonnes choses, et je suis très heureux que mon frère et moi ayons pu contribuer à ce film. Dieu bénisse Walt Disney ! Nous n’avions rien fait de très connu avant, mais il nous a fait confiance, nous a encouragés et nous a offert cette fantastique opportunité de travailler pour son studio.
A maints
égards, Mary Poppins est un film ‘pratiquement
parfait’. Comment l’expliquez-vous ?
C’est l’association de nombreux éléments. Avant tout, nous voulions
absolument travailler sur cette histoire. Si vous avez lu les histoires
originales, elles se situent dans les années 30 et non au tournant-du-siècle.
Il n’y a pas non plus de lien entre les différents livres si ce n’est ce
merveilleux personnage qu’est Mary Poppins. Il s’agit en fait de petites
aventures indépendantes. Mon frère Bob et moi avons donc choisi six de ces
nouvelles que nous avons reliées en en faisant une histoire. Walt Disney
appréciait particulièrement le fait que nous pensions toujours d’un point de
vue narratif, du point de vue de l’histoire. Nous lui avons également proposé
de déplacer l’histoire au début du siècle, ce qui nous permettait de créer des
chansons pour des personnages hauts en couleurs typiques des comédies musicales
anglaises, dans le style vaudeville. Il a vraiment aimé cette idée et c’est
ainsi que nous avons fait partie de l’équipe pendant les plus de quatre années
qu’a duré la production. Nous enchaînions les films et les téléfilms tout en
travaillant à Mary Poppins, ce que
nous a permis de perfectionner sans cesse nos chansons. Lorsque nous avions mis
en musique une séquence que Walt n’estimait pas nécessaire dans l’histoire,
c’étaient trois mois de travail qui étaient perdus. Mais nous voulions tous que
ce film soit parfait. Et quand il était d’accord, il mettait ses scénaristes
Bill Walsh et Don Da Gradi, avec lesquels nous avons beacoup collaboré, sur le
coup. Bill et Don, sans oublier Walt Disney, nous ont créé un grand scénario.
Ce furent trois ans et demi de sueur avant de l’avoir ! C’est alors que
nous avons fait le film, et Walt Disney y a mis tout son savoir-faire. Il y a
tous ces effets photographiques, avec toutes ces choses magiques que l’on
pouvait faire avec le ‘sodium paper process’ qui permettait de mettre des
acteurs à l’intérieur du dessin-animé sans avoir de halo autour de leur tête,
comme c’était le cas auparavant. De cette façon, on pouvait vraiment croire à
ce monde dessiné à la craie. Les meilleurs artistes du monde du cinéma y ont
tous participé, sous l’égide de Walt Disney. Musicalement, Walt nous a fait le
plus grand cadeau qu’on pouvait nous faire en nous permettant de travailler
avec un génie comme Irwin Kostal, qui était le directeur musical d’un très
grand nombre de productions pour Broadway et pour la télévision. Il comprenait
mieux que personne le style de cette époque que nous recherchions en tant que
compositeurs des chansons et l’a parfaitement exprimé dans ses orchestrations.
Il a utilisé la totalité de nos thèmes. Il avait compris ce dont nous venons de
parler à propos de leur utilisation, le fait de véhiculer la personnalité des
personnages en jouant de façon subtile leur mélodie. Chim Chim Cher-ee
est ainsi devenu le thème de Burt, Spoonful of Sugar celui de Mary
Poppins, The Life I Lead celui de Mr. Banks, et Sister Sufragette
celui de Mrs. Banks. Toutes ces chansons fonctionnaient précisément grâce à
cette collaboration entre le directeur musical et nous, mais aussi Walt Disney,
Bill Walsh et Don Da Gradi. C’était un véritable travail de groupe. Nous avons
également bénéficié d’un excellent réalisateur en la personne de Robert
Stevenson qui a réuni tout cela pour le porter à l’écran. C’est là le miracle
de ce film qui, au final, possède une très grande unité.
Comme le montre le film, cela ne fut pas facile pour Walt Disney d’obtenir les droits des livres pour en faire un film !
Cela lui a pris presque 20 longues années! Il avait eu cette idée dans les années quarante, et ce n’est qu’en 1961 que les choses se sont débloquées et que nous avons été mis sur le coup. En tant que staffwriters, nous avons pu développer ce projet tranquillement pendant deux ans avec Don entre nos différents projets, jusqu’à ce que Walt considère que nous avions une histoire solide et un nombre suffisant de chansons pour explorer ces aventures. Au bout du compte, nous avons écrit pas moins de 35 chansons, pour n’en garder plus que 14 ! Mais je suis heureux que ce soit vraiment les chansons essentielles qui ont été gardées, tant pour le film que pour la comédie musicale.
Cela lui a pris presque 20 longues années! Il avait eu cette idée dans les années quarante, et ce n’est qu’en 1961 que les choses se sont débloquées et que nous avons été mis sur le coup. En tant que staffwriters, nous avons pu développer ce projet tranquillement pendant deux ans avec Don entre nos différents projets, jusqu’à ce que Walt considère que nous avions une histoire solide et un nombre suffisant de chansons pour explorer ces aventures. Au bout du compte, nous avons écrit pas moins de 35 chansons, pour n’en garder plus que 14 ! Mais je suis heureux que ce soit vraiment les chansons essentielles qui ont été gardées, tant pour le film que pour la comédie musicale.
Pouvez-vous nous parler du rôle des chansons dans MARY POPPINS ?
Comme je vous l'ai dit, elles ont été écrites avant même le scénario. Mon frère Robert et
moi avons commencé à y travailler dès le début de 1960, sous la
direction de Walt Disney. Il voulait que nous trouvions le moyen de
raconter une histoire en musique à partir des nombreux livres de P.L.
Travers. Dans ce but, nous avons sélectionné avec Don Da Gradi une demi
douzaine d’histoires que nous pensions être les plus intéressantes et
pouvoir être réunies autour d’un même sujet. Il n’y a pas de lien
chronologique entre les différents livres, c’est la raison pour laquelle
nous avons imaginé que Mary Poppins apparaissait parce qu’on avait
besoin d’elle. Les enfants manquent d’amour et d’attention de la part de
leurs parents préoccupés l’un par son travail à la banque, l’autre par
son engagement avec les suffragettes. Mary Poppins arrive et leur
apprend à profiter de la vie pour ce qu’elle est et montrer aux parents
que ces enfants ont surtout besoin d’amour. C’est ainsi qu'à travers les chansons, nous avons
relié toutes ces saynètes empruntées aux livres. Mais surtout, nous
avons changé la période durant laquelle se passe cette histoire. Dans
les livres, il s’agit des années 1933-1935, une époque très sombre pour
l’Angleterre, peu propice aux contes de fées, et nous avons décidé de la
déplacer au tournant du siècle, une époque où tout était possible. Ce
fut une décision arbitraire de notre part, mais elle nous a permis
d’écrire dans les magnifiques styles musicaux du tournant du siècle
anglais, parmi lesquels le vaudeville et autres chansons populaires. Ce
n’est qu’ensuite qu’est arrivé Bill Walsh le grand artiste et producteur
qui a brillamment finalisé cette ébauche de scénario, sous la houlette
de Walt Disney. Par exemple, l’émeute et la fuite de la banque viennent
de lui. Ce fut une belle consécration pour Walt car il a utilisé dans ce
film le meilleur de tout ce qu’il avait pu réaliser par le passé. Et
pour nous, c’est le film qui nous a véritablement lancés, Bob et moi, et
nous a permis de continuer à écrire des chansons pendant encore de très
nombreuses années !
Comment définiriez-vous le style des chansons de MARY POPPINS ?Le
plus important, c’est la période, l’époque. Dans le film, nous sommes
dans les années 1910, juste avant que le monde ne sombre dans la guerre.
De fait, notre style est celui de l’innocence. Je pense que c’est le
terme le plus évocateur. Musicalement, il n’y a rien de sophistiqué,
notamment dans l’harmonie, pas d’accord de neuvième altérée ou autre.
C’est vraiment très doux. Une innocence et une simplicité qui
s’accompagnent d’un petit grain de fantaisie et d’esprit. Nous ne
voulions pas dire les choses de front comme « souriez ! », mais plutôt
de façon simple et imagée : «c’est le morceau de sucre qui aide la
médecine à couler»…
Comment avez-vous travaillé avec votre arrangeur et chef d'orchestre Irwin
Kostal ?
Irwin était un maître en matière d’orchestration, ce qui n’était pas
notre domaine. Parmi les rares choses que nous lui avons suggérées, il y avait
cette partie de la séquence Supercalifragilisticexpialidocious avec les
cockneys et leurs costumes pleins de boutons. Nous voulions donner l’impression
qu’ils jouaient eux-mêmes et nous avons donc demandé un petit ensemble. Il a
donc assemblés quelques petits instruments et cela sonne merveilleusement bien.
Mais sinon, c’est lui qui choisissait quels instruments devaient jouer. Par
exemple, pour la petite scène de Step in Time dans laquelle on répète
toujours la même phrase musicale en changeant à chaque fois de mot, il est
parti de cette petite chose pour monter et monter sans cesse, et construire
toujours plus à partir de là pour faire au final quelque chose
d’extraordinaire.
Quels
souvenirs en gardez-vous ?
C’était quelqu’un de merveilleux et de très sensible. Il travaillait de
façon très intense et très rapide. Il pouvait travailler toute la nuit et venir
le lendemain matin avec quelque chose d’incroyable. Nous étions très
impressionnés. C’était quelqu’un de profondément gentil et d’extraordinairement
talentueux. La musique était toute sa vie. C’était quelqu’un de très spécial
avec qui nous avons fait cinq films.
Parmi
lesquels L’Apprentie Sorcière.
Pas seulement L’Apprentie Sorcière,
mais également Chitty Chitty Bang Banh
(MGM-1968) dont la comédie musicale est actuellement le plus grand succès du
West End à Londres. Nous avons d’ailleurs ajouté 7 nouvelles chansons à 11
numéros originaux. C’est Irwin qui a trouvé le bon style pour les arrangements
du film. Puis il y a eu le dessin-animé Charlotte’s
Web (Paramount - 1973) et enfin The
Magic of Lassie (MGM – 1978), une très jolie histoire. Nous nous sentions
toujours à l’aise avec Irwin. Nous lui disions simplement ‘voici la chanson. Tu sauras quoi
faire !’, c’était toujours formidable ! Nous discutions
toujours beaucoup de chaque scène à partir du premier montage (spotting
sessions). C’était le moment d’échanges passionnants.
Pouvez-vous nous parler de l'importance de Feed the Birds?
Tout dans cette chanson est symbolique. Cela n’a rien avoir avec le fait
d’acheter des miettes de pain pour deux pennies. Il s’agit plutôt de dire que
cela ne coûte pas cher d’agir par amour, de penser par amour. La scène se passe
devant la cathédrale Saint Paul qui est un monument magnifique de Londres et
tout autour du toit se trouvent les statues des saints et des apôtres regardant
en bas en souriant. En un sens, c’est Dieu lui-même et ses disciples qui nous
disent que c’est une chose merveilleuse que d’être simplement gentil et d’agir
pour le bien. ‘Although you can’t see
it, you know they are smiling / Each time someone knows that he cares’. Cela parlait directement à Walt, il adorait cette chanson car nous ne
peignions pas à la louche, mais par petites touches. Il adorait la subtilité et
la délicatesse, et il aimait les textes à double sens. Les gens qui
réfléchissent un peu à cela le ressentent. Mr. Banks est tellement occupé à
gagner de l’argent qu’il n’a jamais montré le moindre intérêt à ses enfants. Et
il va comprendre que, pour être un vrai père, il suffit d’un cerf volant que
l’on va faire voler dans le parc avec ses enfants. C’est ce que nous disions
sans vraiment le dire. Walt a senti cela immediatement. C’est l’une des
premières chansons que nous avons écrites Mary
Poppins et nous nous sommes dits que ce serait le véritable thème du film.
Elle était vraiment magique et Walt a adoré.
Comme vous
l’avez souligné, les chansons doivent vraiment participer à l’histoire et votre
étroite collaboration avec Bill Walsh et Don Da Gradi en témoigne.
Quand nous sommes arrivés chez Disney en 1960, nous avions déjà écrit un
certain nombre de chansons populaires et nous avions fait savoir que nous
pensions qu’il était possible de faire une comédie musicale sur Mary Poppins. Walt a beaucoup apprécié
cela et nous a embauchés en tant que staff-songwritters. Lors de notre premier
jour, il nous a dit ‘même s’il n’y a
rien de concret puisque vous avez d’autres choses à faire, je voudrais que vous
rencontriez ce grand artiste et grand conteur qu’est Don Da Gradi pour discuter
du développement de cette idée.’ Don avait commencé comme animateur
avant de passer storyman pour le département d’animation. Il était aussi
talenteux en dessin qu’en histoire et il dessinait les histoires qu’il
imaginait de telle sorte que l’on pouvait visualiser concrètement ce dont il
parlait. Il y avait cet escalier de fumée et il l’a créé ; on pouvait
réellement le voir ! Il fut d’une aide incroyablement précieuse. Pendant
les deux-trois premières années du développement de Mary Poppins, nous nous voyions un jour toutes les deux semaines,
ou parfois deux ou trois jours d’affilée quand nous n’étions pas pris par nos
autres projets. Parfois Walt venait voir où nous en étions, les progrès que
nous avions faits et nous faisait profiter de son talent de conteur en nous
demandant de modifier, de souligner ou de supprimer certaines choses (tous les
auteurs vous le diront, effacer est sans doute la majeure partie du processus
d’écriture ! C’est comme cela que l’on garde le meilleur). Walt était le
producteur le plus impliqué du monde. Nous nous sommes très bien entendus avec
Don. Parfois nous allions voir ce grand homme de comédie et producteur qu’était
Bill Walsh. C’était l’auteur/producteur numéro 1 des studios. Il avait fait The Absent-Minded Professor. Plus tard,
il a créé La Croisière s’amuse, mais
surtout, il a créé tant de merveilleux films pour Disney. A un moment, Walt
nous a dit ‘je pense que nous
avons maintenant notre histoire. Il est temps de mettre ça sur papier de façon
précise parce que je veux avoir le feux vert de Mrs. Travers, l’auteur, pour
continuer’- car il n’avait pas totalement l’autorisation de faire un
film sur les livres, il avait juste un accord pour commencer le développement.
C’est alors que Bill Walsh est arrivé sur le projet. A partir là, il a commencé
à ajouter des choses comme la ruée vers la sortie de la banque, la catastrophe
provoquée par le vol des deux pences. C’était tout Bill. Pour lui, il fallait
qu’il y ait une crise pour que Mr. Banks se fasse renvoyer. Bill Walsh a écrit
les dialogues -c’était l’une de ses spécialités-. C’est en cela que Mary Poppins fut une combinaison
incroyable de talents : l’esprit de Bill Walsh et son habileté à manier
les mots, le génie visuel de Don Da Gradi, les dons de narrateur et la capacité
à donner sa propre identité à une
histoire de Walt Disney et notre talent de musiciens.
Mais il ne
s’agit pas seulement de narration dans vos chansons. Elles portent également
toute la philosophie de Walt Disney.
Nous étions vraiment sur la même longueur d’onde. Nous n’avons pas
délibérément mis en musique la philosophie de Walt, mais, comme on nous l’a dit
souvent, nous étions ses ‘gourous musicaux’. Parce que nous ressentions
exactement ce qu’il ressentait –c’est sans doute pour cela que nous sommes
restés si longtemps ! Prenez A Spoonful of Sugar. Là non plus, nous
n’avons pas dit ‘soyez heureux et
souriez, et le travail sera facile’. Nous avons écrit ‘c’est le morceau de sucre qui aide la
médecine à couler’, cela suffit à comprendre. C’est cela sa philosophie.
C’est d’avoir une attitude positive qui facilite le travail. C’était un
merveilleux mariage d’esprits créatifs. Non pas que nous nous considérions au
même niveau que Walt, mais nous voyions les choses de la même façon.
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