vendredi, mars 27, 2009

LE CHIHUAHUA DE BEVERLY HILLS: Entretien avec le Chef Décorateur Bill Boes

Qui aurait cru qu'un film apparamment superficiel , voire carrément déjeanté cacherait tant de trésors de sensibilité et d'authenticité? C'est pourtant bien le cas du Chihuahua de Beverly Hills. A mille lieues d'un teaser brouillon et bruillant, et d'un Beverly Hills "bling bling", le film nous parle d'une identité, de racines retrouvées ; d'une chienne de riches perdue en plein Mexique et que des amis sans pedigree mais riches de coeur vont aider à retrouver son chemin vers ses maîtres, mais aussi vers sa véritable identité.

Et de la personalité, le film, tourné en majeure partie au Mexique, n'en manque pas. Comme l'explique le producteur exécutif Steve Nicolaides : “L’authenticité était ce qu’il y avait de plus important pour nous. Ce film est une odyssée, un road-movie, un voyage géographique qui est aussi une leçon de vie. Nous avions donc besoin d’extérieurs marquants, dont une jungle, une rivière et une plage, et d’un grand studio pour y construire des décors.”

Pour créer ces décors, le chef décorateur Bill Boes et ses deux directeurs artistiques mexicains, Hania Robledo et Cristian “Pipo” Wintter, ont supervisé une équipe de plus de 200 personnes en majorité mexicaines. Ce dernier explique que “Le Mexique a un immense respect pour
son passé. Partout où vous allez, vous pouvez sentir cette magie, c’est indéniable. Nous avons travaillé sur ce film avec une équipe d’artistes formidables qui étaient pour la plupart mexicains. Ils ont conçu une sorte de réalité parallèle qui rend hommage au passé du Mexique tout en créant une culture et un univers cohérents pour ces chiens.”


C'est cet univers, sa richesse et sa cohérence, qui font toute la réussite de ce film inattendu et émouvant. Et c'est précisément l'objet de notre conversation avec Bill Boes, chef décorateur de renom (Scooby-Doo 1 & 2, Les Quatre Fantastiques), pour qui le tournage a été une aventure tout autant exotique qu'intérieure...

Comment avez-vous rejoint l’équipe du Chihuahua de Beverly Hills ?
Quand mon ami et fréquent collaborateur, le réalisateur Raja Gosnell, m’a appelé à propos de son nouveau projet, je n’ai pas eu la moindre hésitation. Comment laisser passer la chance de designer un film raconter le voyage spirituel et physique d’un Chihuahua pourri-gâté appelé Chloé à travers le Mexique à la recherche de ses racines culturelles, de ses ancêtres et finalement, du chemin qui la ramènera chez elle à Beverly Hills ?

Du point de vue artistique, quelle était l’ambition de ce film ?
Raja comparait ce projet à un Indiana Jones canin. Il voulait emmener le public des pires lieux de Mexico aux plus belles plages de Puerto Vallarta, en passant par un temple perdu niché au cœur de la jungle, la beauté désuète de Guadalajara, le grand désert de Sonora et finalement une cité de Chihuahuas perdue appelée Techichi. Il voulait vraiment représenter la beauté véritable et authentique du Mexique et rompre avec les clichés, les stéréotypes et les malentendus. Il voulait que le film soit une sorte de déclaration d’amour pour le Mexique.


Dans la droite ligne de ce désir d’authenticité, c’est vers une équipe locale que vous vous êtes tourné, je crois.
Après trois semaines de travail à Los Angeles, je suis parti –dessins préparatoires en poche- pour Puerto Vallarta, notre base pour les quatre mois du tournage. Pour m’aider, j’ai eu la chance de pouvoir compter sur le Production Designer Pipo Wintter en tant que Consultant Artistique pour toute la durée du tournage. Peeps est originaire d’Argentine ; il connaît la langue et la culture latines. Il fut de fait un atout précieux pour moi et pour le film. De plus, lors de mon premier voyage à Mexico, j’ai eu la chance de faire la connaissance d’Hania Robledo, une artiste aux multiples talents, qui allait devenir le Directeur Artistique du projet. Hania était décoratrice auparavant, nommée aux Oscar pour son travail sur Frida. C’est largement grâce à elle que nous avons pu terminer à temps et dans le budget. Quand je suis arrivé à Puerto Vallarta, elle avait déjà constitué notre département en embauchant une équipe talentueuse et polyvalente, ainsi que deux chiots adorables qui nous accueillaient chaque matin. C’était vraiment une ambiance familiale.

Comment s’est passé votre travail sur place ?
Notre première préoccupation a été de trouver les différents lieux de tournage. Le scénario nécessitait 107 décors –naturels ou construits. Ce qui fait que j’ai passé la totalité de la première semaine dans un van, passant de l’air conditionné à la moiteur de l’air tropical. A force, j’ai même perdu du poids !

Comment se sont passés ces repérages ?
Ce fut toute une histoire que de trouver une demeure digne de Beverly Hills et un centre commercial digne de Rodeo Drive à Puerto Vallarta. Les centres commerciaux mexicains n’ont rien à voir avec ceux de Californie. Fort heureusement, nous avons fini par en trouver un tout neuf, près du centre historique, qui avait un café Starbuck –qui est devenu le centre d’approvisionnement en caféine de toute l’équipe du département artistique ! Quelques bornes incendie, des panneaux de signalisation, la fameuse pancarte « Beverly Hills » et autres décors et le tour était joué !


Le scénario demandait également une riche demeure de Beverly Hills avec un immense jardin constamment transformé. Une maison à peine terminée à Nuevo Vallarta, un quartier privilégié au nord de la ville, avait un caractère méditerranéen qui correspondait parfaitement à ce dont nous avions besoin comme intérieur. Elle possédait un grand foyer avec un grand nombre de chambres immenses. Une fois que nous l’avions habillée avec des tons olive et autres couleurs naturelles, elle était l’expression parfaite de la personnalité de Tante Viv’. Par contre, l’arrière de la maison donnait littéralement sur l’Océan Pacifique et le jardin n’était malheureusement pas à la hauteur de la maison. J’ai finalement trouvé un magnifique jardin à une quinzaine de kilomètres de là.
Par contre, l’architecture de cette maison ne correspondait pas du tout à celle de la première, la piscine était sens dessus dessous et le paysage n’avait rien d’un jardin. Avec le département artistique, nous avons réalisé un modèle informatique avec le logiciel SketchUp puis une maquette du site incluant le jardin. A partir de cette maquette, nous avons recherché des idées de topiaires, de mares, de gloriette, de bancs et de plantes. Beaucoup d’esquisses ont été générées avec SketchUp avant de trouver une façade qui aille avec les colonnes et les arches de la propriété de Nuevo Vallarta. Nous sommes alors intervenus en construisant une immense serre et un jardin complet. La piscine a été drainée, et de nouvelles tuiles ont été ajoutées afin de créer le logo de Tante Viv’. Le jardin a commencé à prendre forme avec toutes sortes de plantes et arbres exotiques achetés sur place. Une fois le tournage achevé, la propriétaire nous a suppliés de ne rien détruire. Nous avons appris plus tard qu’elle y avait donné la réception de mariage de sa fille !

Mais pour le reste, vous avez vraiment trouvé des lieux authentiques.
Guadalajara est l’une des villes les plus magnifiques du monde. Quand j’ai fait mes premiers repérages là avec Raja, nous savions tous les deux qu’elle ferait partie du film d’une façon ou d’une autre. Lui et moi avons planifié une grande séquence demandant une « cable-cam », une caméra montée sur un câble, dans laquelle Chloé et Delgado sont poursuivis par des chiens de l’arène de combats canins, et ce à travers un marché nocturne en plein air. Pour cette séquence, nous avons également créé notre propre parade du Jour des Morts avec la majestueuse Guadalajara en toile de fond ! Quand les gens pensent au Mexique, je crois que c’est cette ville qu’ils voient. Toute son architecture n’est que romantisme !

Il y a aussi cette pyramide cachée au milieu de la forêt qui sert de décor au climax du film.
L’intérieur devait être construit plus tard dans les studios Churubusca de Mexico, mais l’extérieur avait besoin d’un lieu naturel et montagneux, au cœur d’une jungle mystérieuse. Je me suis d’abord rendu sur les lieux où Predator a été tourné en 1988, mais cela n’a rien donné. En fait, la jungle de Predator est aujourd’hui un piège à touristes avec les Arnold Was Here partout. J’ai donc poursuivi mes recherches. J’ai finalement trouvé le lieu idéal au bout d’une petite route poussiéreuse où seul un 4x4 pouvait passer, près de la ville de surfer Sayulita, sur la côté de Puerto Vallarta. A peu près 2,5 kilomètres après la sortie de l’autoroute, après un hameau de 40 âmes et quelques fermes avec des vaches, des poules, des chèvres et deux cochons perpétuellement attachés à un arbre en plein milieu de la route. C’était là l’endroit idéal !

J’ai vraiment adoré ce lieu caché ; il avait cette merveilleuse végétation que l’on voyait dans les films classiques de jungle, avec la bande-son qui va avec : perroquets et autres cris d’oiseaux tropicaux. Après avoir trouvé le site de notre temple, le département artistique a intégré ses détails topographiques dans une maquette SketchUp. A partir de ces informations, j’ai créé une esquisse de maquette, une maquette très rudimentaire en carton, représentant uniquement les éléments de base. Après que Raja a approuvé cette maquette, je l’ai passée à l’illustrateur Juan Pablo Garcia, qui l’a interprétée et embellie en développant son design. Avec Photoshop, Juan Pablo, qui est un peintre accompli, a travaillé en roue libre, sans rien scanner, juste en dessinant sur sa tablette Wacom, pour créer de magnifiques illustrations. A partir de ces illustrations, notre premier architecte, Charly Gamboa et son premier sculpteur, Arturo del Moral se sont mis à faire des plans. Tandis qu’une équipe construisait la structure et assemblait les plateformes sur place, Arturo créait des fausses sculptures de pierres pour couvrir l’ensemble de la structure. Pipo a supervisé tout cela, en incorporant des textures de pierre et de roches qui donnaient l’impression d’avoir toujours été là. Il faut savoir que les sculpteurs mexicains créent également leurs propres mélanges de peinture pour les finitions. Ainsi, si Arturo sculptait ses pierres, il a aussi créé les couleurs pour la peinture en s’inspirant des rochers du lieu, de la mousse et autres éléments organiques du site-même. De mon côté, je tenais à ce que le temple soit tel qu’il donne l’impression d’avoir été là depuis des milliers d’années et qu’il a été lentement phagocyté par la jungle et la montagne, avec seulement un tiers de sa structure qui serait désormais visible. S’inspirant des ruines d’Angkor au Cambodge, Arturo a sculpté d’immenses racines pour renforcer l’idée que la forêt a englouti le temple.

Quel genre de recherches avez-vous fait en la matière ?
Pendant plusieurs mois, Pipo et moi avons construit des maquettes et travaillé avec les illustrateurs et Raja pour designer l’intérieur de ce temple. Le style général était basé sur des ruines existantes et les anciennes civilisations ayant vécu au Mexique. J’ai examiné des images de toutes les pyramides du Mexique et me suis plongé dans des livres spécialisés pour m’immerger dans l’imaginaire et l’inspiration de ces artistes du passé. Pipo a travaillé avec Juan Pablo pour développer un style visuel pour les hiéroglyphes et l’iconographie de ces ruines. L’histoire qu’elle raconte est celle d’un homme qui vit avec son Chihuahua, et l’une des sculptures du temple que nous avons largement utilisée montre un ancien Chihuahua assis sur un guerrier. Il faut dire que l’une des scènes supprimées du film était une séquence historique montrant combien les rois et reines de l’ancien Mexique vivaient en harmonie avec la civilisation des Chihuahuas. J’ai construit autant de maquettes que possible de ce temple et de ses cavernes tandis que le département artistique tout entier a développé une maquette splendide du bassin sacré et de la vallée Techichi, construite en polystyrène et en carton. J’ai alors utilisé une caméra miniature pour présenter le décor à Raja et au Directeur Photo Phil Meheux, en leur montrant les meilleurs angles pour tourner.

Vous disiez que les scènes d’intérieur devaient être tournées ailleurs.
Les scènes à l’intérieur de ce temple ont été tournées aux célèbres studios Churubusco à Mexico, où des films comme Le Soleil se lève aussi, Les Sept Mercenaires, Dune et Chérie, J’ai Rétréci les Gosses ont été réalisés. L’un des trois studios accueillait l’intérieur du temple et les différents tunnels et chambres. Après que l’équipe de construction a monté les murs principaux, Arturo et son équipe de sculpteurs ont installé les faux panneaux de pierre et les sculptures qu’ils avaient modelés auparavant. Il avait également modelé différentes formations rocheuses à Puerto Vallarta et le résultat était fantastique. Des positifs ont été moulés et différentes pièces ont été utilisées pour créer des murs de pierres et autres formations naturelles. Les hiéroglyphes ont été quant à eux sculptés dans différentes tailles pour tapisser l’intérieur. Des blocs de pierre de différentes tailles ont été découpés dans le polystyrène et collés en différents endroits. J’ai conçu différents niveaux pour créer la sensation que le sol est instable, et tout le haut du décor a été laissé ouvert pour offrir une certaine flexibilité aux lumières de Phil. Tous les plans orientés vers le haut devraient alors être retouchés numériquement. Une partie du toit a été conçue comme une sorte de cavité dans laquelle racines et plantes se sont faufilées, et cela a permis de créer un bel effet de lumière filtrante. Un vaste système de racines a été placé stratégiquement près de l’autel en haut de l’escalier pour permettre à Chloé de monter. Nous avons même ajouté des champignons, des lichens et différentes mousses exotiques. Des tunnels à taille de chien, des trous et autres ouvertures ont également été créés pour des questions de lumière dans les endroits les plus sombres du plateau, et un réseau de tunnels a été construit autour d’un hub central de sorte que les tunnels puissent être reconfigurés pour différentes prises.

Est-ce que le fait que les héros de ce film soient des animaux a changé des choses pour vous ?
La séquence dans laquelle Chloé et Delgado sautent dans un train a été tournée à Guadalajara, comme la scène du marché nocturne. L’entraîneur d’animaux Mike Alexander et son équipe ont orchestré une cascade magnifique dans laquelle Delgado, poursuivi par El Diablo, projette Chloé dans un wagon et réalise ce saut incroyable pour la rejoindre. Nous avons passé deux jours à nettoyer le sol afin qu’aucun débris ne vienne blesser les chiens lors du tournage de cette scène.

Quelle est votre séquence préférée ?
Je dirai celle de la cité perdue de Techichi. Cette séquence a également été tournée dans les studios Churubusco. Dans la mesure où cette cité est sensée se trouver dans une vallée sacrée et oubliée, sinon des seuls Chihuahua, Raja souhaitait donner l’impression qu’aucun être humain n’avait contemplé ce lieu depuis des siècles. Le seul moyen d’y accéder était par une unique caverne secrète. En utilisant des références et des photos des anciennes cités mexicaines, nous avons dessiné notre propre Shangri-La. D’un côté, elle possédait deux pyramides massives de plusieurs centaines de mètres de haut, mises côté à côté selon un angle de 45° créant ainsi derrière eux une place protégée. Le bassin sacré de la Connaissance se trouvait là. J’ai fait des recherches sur les formations rocheuses du désert de Sonora et j’ai trouvé de magnifiques formes creusées par l’eau et je m’en suis inspiré. J’ai voulu donner à cet endroit des couleurs chaleureuses et vibrantes pour le rendre accueillant. Je voulais que ce soit un endroit pas comme les autres, différent des autres lieux du film. Des plantes vertes, des cactus et mêmes des végétaux imaginaires ont été créés pour apporter un sentiment hyper-fantastique. Nous avons ajouté une immense chute d’eau pour donner l’impression que la vallée a toujours été fertile et la mare sacrée toujours alimentée par les torrents supérieurs. Pour ce faire, une structure de 12 mètres a été réalisée, aussi haute que le studio, et l’équipe des effets spéciaux y a installé un réservoir au sommet, où le débit de l’eau pouvait être régulé, tandis qu’un autre réservoir en contrebas recevait l’eau et la recyclait tout au long de la journée.

Là encore, il a fallu prendre en compte les chiens. Nous avons créé des plateformes spéciales et une série de chatières de sorte que les tribus de Chihuahuas puissent rejoindre leurs marques durant le tournage. Une scène en particulier demandait que des hordes de Chihuahua débarquent de partout à la fois et entourent les deux héros. Alors, nous avons sculpté de petites ouvertures et des sortes de galeries conduisant à l’arrière du décor de façon à ce que les entraîneurs puissent rester près de leurs chiens durant le tournage.

J’adore ce décor, et j’ai le sentiment qu’il apporte quelque chose de très spécial au film de par ce qu’il véhicule et le fait qu’il souligne l’idée d’une véritable communauté. Ce plateau est certainement le chef-d’œuvre de notre département artistique et témoigne des immenses talents réunis dans notre département tout entier. Pendant ces jours, tout le monde a travaillé sur ce plateau, que ce soit en plantant des arbres, en peignant ou en nettoyant. Cela m’emplit de fierté quand je vois tous mes amis, nouveaux et anciens, se porter volontaire et faire tout ce qu’ils peuvent pour aider, non pas parce que je suis derrière eux, mais parce qu’ils avaient le désir sincère de participer le plus possible à ce projet. Je me souviens de Juan Pablo, l’illustrateur, en train de peintre du haut de son échelle ; des décorateurs apportant à boire aux travailleurs ; j’ai même vu Riche, notre chauffeur, sur le plateau, donner un coup de main, sans oublier notre fidèle coordinatrice du département artistique, Alida, arrangeant les fleurs. Tandis que j’étais assis à contempler ce dernier décor, je ne pouvais m’empêcher de ressentir un immense sentiment de gratitude envers mon équipe. Nous en avons vu des vertes et des pas mûres et cela a fait de nous une famille, notamment à travers les efforts de mon ami Pipo Wintter et de la Directrice Artistique Hania Robledo et leur constant professionnalisme, leur talent et leur patience.

Je suis heureux d’avoir eu la chance de faire partie d’un groupe de personnes aussi remarquables. La vallée de Techichi a été un lieu formidable pour parachever cette aventure, et restera pour moi un souvenir précieux d’une expérience qui comptera dans ma vie.


Photos de tournage: Bill Boes, avec tous nos remerciements. Tous droits réservés.

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