MARY POPPINS - THE MUSICAL : Entretien avec le parolier Anthony Drewe
Avant de commencer à parler de MARY POPPINS, THE MUSICAL, nous vous laissons le soin de vous présenter.
Au cours de ma carrière, j'ai été acteur et metteur en scène, mais surtout, cela fait 21 ans que je suis le parolier de George Stiles, que j'ai rencontré à l'université au début des années 80. Depuis, nous n'avons pas cessé de travailler ensemble, en équipe. L'un de nos plus grands succès est HONK!, une comédie musicale basée sur LE VILAIN PETIT CANARD, sortie à Londres en 2000 et qui est maintenant donnée dans le monde entier.
MARY POPPINS n'est pas votre premier projet en liaison avec le cinéma. A une époque, il était question que Steven Spielberg fasse un dessin animé de JUST SO.
En fait, nous avons écrit JUST SO en 1985, année où elle remporta un concours à Londres avec Andrew Lloyd Webber, Tim Rice et Cameron Mackintosh au jury. Soudain, nous avons été connus de tous ces gens et Cameron nous a promis qu'il nous aiderait à progresser dans notre carrière et à mettre en place cette production. Il est ainsi devenu notre mentor et a co-produit ce spectacle en 1989. Nous l'avons ensuite amélioré et en avons donné une nouvelle version en 1990 à Londres. Et il se trouve que quelqu'un des studios d'animation de Steven Spielberg l'a vu et en a acheté les droits pour l'animation. En 1991, George, Cameron et moi avons été invités chez Amblimation, Los Angeles pour réfléchir pendant deux semaines à la façon dont nous pourrions l'adapter pour un dessin animé. Puis Dreamworks a été fondée et Jeffrey Katzenberg recherchait de tout nouveaux projets. Tout ce que nous avions fait a donc été abandonné, tout comme les deux autres projets d'Amblimation, CATS et CARNIVAL, pour faire place au PRINCE D'EGYPTE. Cependant, on nous a alors demandé d'écrire des chansons pour SHREK. C'était cinq ans avant la sortie du film. A cette époque, il était déjà question qu'Eddy Murphy joue le rôle de l'âne, mais c'était Chris Fawley, un comédien américain, qui devait jouer Shrek. Tout dans ce film devait tourner autour de cet acteur, même l’apparence.de l’ogre Malheureusement, Chris Fawley est décédé, tout a été abandonné, Mike Myers a repris le rôle et les créateurs n'ont plus voulu de chansons originales.
On voit de plus en plus d'adaptations scéniques de films. Que pensez-vous des relations entre le cinéma et la comédie musicale?
Tout a commencé lorsqu'Alan Menken et Howard Ashman ont fait LA PETITE SIRENE. Tous deux avaient cette sensibilité dramatique héritée de Broadway qui faisait qu'ils savaient exactement où mettre des chansons et comment le faire. D'une certaine façon, ils ont posé les bases d'une nouvelle approche musicale des films d'animation qui allait ensuite faire école. Voyez LA BELLE ET LA BÊTE : c'est un film tellement "théâtral" qu'il fut très facile de l'adapter à la scène, avec le succès que l'on sait. On y retrouve des gestes typiques de Broadway. Belle ou Partir Là-Bas sont typiques des "I wish" songs, ces chansons de comédies musicales où le héros ou l'héroïne expose ses rêves et ses désirs. Howard Ashman était aussi producteur, et il a su faire en sorte que ces chansons comptent dans le film. Avec TARZAN, ce ne fut plus la même chose. C'est Phil Collins qui chantait et on a animé par dessus. Cela n'a rien à voir avec les chansons d'Alan Menken, Howard Ashman ou encore David Zippel sur HERCULE. Là, c'est le personnage qui chante, et cela change tout. L'autre jour, on m'a demandé pourquoi je pensais que MARY POPPINS devait bien fonctionner sur scène. J'ai répondu qu'on a déjà la sensation d'une comédie musicale lorsqu'on voit le film. Je dirais même plus : pour moi, le film est une comédie musicale filmée. Elle en contient tous les ingrédients.
Comment l'aventure MARY POPPINS a-t-elle débuté pour vous?
Cela remonte à dix ans. Auparavant, il y avait déjà des rumeurs concernant une possible adaptation scénique de MARY POPPINS, mais il n'était pas question de nouvelles chansons. Nous venions tout juste d'écrire HONK! qui était donnée près de Londres. C'est alors qu'un producteur, David Pew nous a demandé à George et à moi de venir le voir à Londres. Nous pensions qu'il allait nous parler de ce qu'il souhaitait faire de notre œuvre, ce qui fut le cas pendant la moitié de notre discussion, mais la seconde moitié concerna MARY POPPINS. Il agissait en quelque sorte en tant qu'intermédiaire entre Disney et Pamela Travers afin d'obtenir les droits scéniques des livres et du film. Disney souhaitait depuis longtemps faire un spectacle de MARY POPPINS, mais Pamela Travers s'était toujours opposée à cela et avait refusé de leur vendre les droits. David Pew pensait y parvenir. Finalement, il est allé demander l'aide de Cameron Mackintosh, qui s'est révélée décisive. Dès après cette conversation, nous mourions d'envie de décrocher ce contrat. Nous avons alors immédiatement écrit et enregistré une chanson, Practically Perfect, que nous avons montrée à Cameron en lui disant que nous savions qu'on pensait à nous pour ce projet et que nous ferions tout pour en faire partie. Il l'a montrée à tout le monde autour de lui, et c'est maintenant la première chanson que chante Mary Poppins dans le spectacle!
Quelle fut votre attitude envers les chansons originales des frères Sherman?
J'adore les chansons des frères Sherman. J'ai toujours été un très grand admirateur. Enfant, j'étais un peu trop jeune lorsque MARY POPPINS est sorti, mais j'avais l'âge idéal lors de la sortie du LIVRE DE LA JUNGLE. J'avais bien déjà vu CENDRILLON, LA BELLE AU BOIS DORMANT ou encore BLANCHE-NEIGE, mais mon plus grand choc fut LE LIVRE DE LA JUNGLE. J'avais six ans et à partir de là j'ai suivi avec passion la carrière des frères Sherman. J'ai adoré CHITTY CHITTY BANG BANG, WINNIE L'OURSON, L'APPRENTIE SORCIERE. Ils ont écrit les chansons les plus fantastiques du répertoire. Richard Eyre, notre metteur en scène, a eu une excellente idée en voyant ces chansons comme un ADN musical. Supercalifragilistic et toutes les autres font partie de notre héritage. De ce fait, notre approche pour ce spectacle a été d'un grand respect et d'une grande révérence. Nous ne voulions surtout pas altérer ce que les frères Sherman avaient si brillamment réussi. Car une grande partie du succès du film, MARY POPPINS, est dû à ces chansons. Seulement, dans la mesure où il s'agit d'un spectacle vivant et non d'un film, et où il n'y a pas d'animation, certaines chansons ne pouvaient fonctionner. C'est la raison pour laquelle nous avons réécrit certaines d'entre elles et développé d'autres. Pour Jolly Holyday, nous avons conservé l'essence de la chanson originale, mais George a rajouté une contre mélodie qui a permis de concevoir une plus longue séquence musicale sans pour autant répéter le même refrain à l'identique. Il faut dire que, lorsque les enfants vont au parc, ce sont cette fois les statues qui prennent vie. Dans ce contexte, les paroles de la chanson ont été également modifiées pour se concentrer sur ce champ lexical statuaire très spécifique. De même, pour Supercalifragilistic, j'ai écrit environ 80% des paroles chantées sur scène car, afin de pouvoir conserver cette chanson dans ce spectacle, il fallait que Mary Poppins crée ce mot sur place. Il existe en effet des impératifs liés à la scène, au fait qu'on ne peut enchaîner les numéros comme cela, qu'il faut une histoire forte qui lie le tout. Par conséquent, on ne pouvait plus avoir Bert chantant qu'il connaissait ce mot étant enfant ("Because I was afraid to speak when I was just a lad / Me father gave me nose a tweak / And told me I was bad / But then one day I learned a word / That saved me achin' nose / The biggest word you ever heard / And this is how it goes…"). Les paroles se concentrent maintenant sur le fait que cela aurait été merveilleux d'avoir eu ce mot auparavant. Cela devient une leçon de langage pour les enfants. En résumé, il y a six chansons du film auxquelles nous n'avons pas touché, six autres chansons sont totalement originales, le reste a été écrit par nous quatre.
Tous deux savaient plus ou moins que si le film passait sur scène, ils n'y travailleraient pas directement. C'était l'une des conditions fixées par P.L.Travers : que l'adaptation de ses livres soit faite par des auteurs anglais. Elle n'était pas satisfaite de l'adaptation américaine, et c'est la raison pour laquelle elle avait refusé si longtemps d'accorder les droits pour une version scénique. Il n'empêche que, d'une façon ou d'une autre, les frères Sherman sont très présents dans cette production. J'ai rencontré Dick Sherman en premier. Il était venu de Beverly Hills avec son épouse et nous lui avons joué l'ensemble du spectacle. Il y avait aussi George, Cameron et moi autour du piano, et nous lui avons tout chanté afin de lui présenter notre travail. A ce moment là, nous avons vu qu'il était en larmes parce qu'il avait compris que nous avions vraiment respecté, et même préservé ce qu'il avait écrit. Il avait tellement peur que ses chansons soient dénaturées. Il a donc beaucoup apprécié notre attitude à George et à moi et le fait que nous nous sommes même battus pour conserver le maximum de chansons possible. Dans la mesure où Bob n'allait pas très bien, nous nous sommes concentrés sur les adaptations et quelques nouvelles chansons afin de lui montrer comment nous avions associé les deux, et écrit dans le même style qu'eux. Puis les deux frères ont passé une semaine à Londres pour assister aux premières répétitions et sont revenus plus tard pour voir le spectacle terminé à Bristol et participer à la promotion de la comédie musicale.
Comment êtes-vous parvenus à coller aussi bien au style des frères Sherman?
Je crois que le fait que j’ai toujours été un fan de leur travail a grandement facilité les choses. Il y a un peu de leur style dans le mien. En tant que parolier, j’ai étudié tous leurs textes, leurs titres et leur utilisation à l’intérieur de la chanson, leurs refrains, leur sens du rythme. Le résultat, c’est que certaines personnes ont cru que Practically Perfect faisait partie du film de 1964 ! Parce qu’elle est écrite dans un style tellement proche de celui des frères Sherman : on s’y croirait ! Et il s’est passé la même chose pour Anything Can Happen !
De la même façon, comment êtes-vous parvenu à vous en détacher, et ne pas renier votre propre personnalité.
J’ai lu tous les livres de P.L. Travers sur Mary Poppins et j’ai travaillé en étroite collaboration avec Julian Fellows sur le livret du spectacle. C’est quelque chose que je fais souvent : participer tout aussi bien aux paroles des chansons qu’au livret. C’est particulièrement le cas sur HONK ! Cela permet de s’assurer que tout le show est conçu selon le même vocabulaire pour chaque personnage, la façon spécifique que chacun a de s’exprimer, et qui le caractérise. De cette façon, il n’y a pas de rupture entre les dialogues et les chansons.
A quel type d'orchestre avez-vous fait appel pour les représentations?
Il s’agit d’un ensemble de seize musiciens. Cela fit l’objet de bon nombre de discussions entre George et William D. Brohn, l’orchestrateur. Ils se sont entendus sur deux pianos, et plus précisément, le même genre de claviers qu’utilise Elton John, sur lequel vous pouvez faire entendre un son de piano puis d’un seul coup un autre son en gardant le même clavier. C’est une partition qui se base énormément sur le piano, avec une section de cuivres, des percussions et un violoncelle. Les cordes sont quant à elles jouées par le biais d’un synthétiseur. Le tout sonne de façon fantastique et très raffinée.
Pour vous qui l'avez côtoyée de près, qui est Mary Poppins ?
Pour nous, c’est une sorte de bonne fée venue de nulle part, qui débarque quand vous avez besoin d’elle et qui repart quand tout est arrangé. En cela, je pense que le spectacle est un bon mélange entre le film, ses moments les plus représentatifs comme la séquence Step In Time sur les toits de Londres avec Bert, et les deux premiers livres de P.L. Travers, Mary Poppins et Mary Poppins Comes Back, qui sont un peu plus sombres que le film, comme le souhaitait l’auteur. Le tout dans un format dramatique en deux actes.
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