vendredi, février 01, 2008

LE MUSICAL DU ROI LION : Entretien avec le compositeur Lebo M

Auteur, compositeur, interprète, chef de chœurs, humaniste… Lebo M est tout cela à la fois. Mais on le connaît surtout pour être "l'esprit" du ROI LION, cette voix débordante d'énergie, comme surgissant de nulle part qui à elle seule incarne ce film mythique, et qui résonnait en 1994 comme un cri de victoire tandis que le régime de l'apartheid s'effondrait.
L'art de Lebo M est au carrefour de la tradition africaine, zulu, revisitée par les mineurs de Soweto qu'il entendait chanter depuis les clubs où il jouait, et de la musique américaine, du jazz des années 30 à Marvin Gaye, en passant par Louis Armstrong –une passion qui lui ont transmis ses parents. Un mélange unique qui n'ira qu'en s'amplifiant, en s'affirmant tout au long de son exil, depuis 1978, du Lesotho à Los Angeles, en passant par Washington où il fut recueilli avec son meilleur ami Vernon par une paroisse. Là, il put développer ses talent à la Duke Ellington School, puis à la New Metropolitan School de New York. Et c'est après quelques années de galère que sa personnalité unique fut reconnue du milieu du cinéma. C'était pour la cérémonie des Oscar 1988. Il fallait créer un chœur africain pour la nomination de CRY FREEDOM. Le succès fut considérable. La carrière de Lebo M était lancée.
Après avoir conquis le monde avec le long-métrage du ROI LION, il nous revient aujourd'hui avec un Musical qui fait la part encore plus belle à son art, à point tel que One By One, le choeur qui ouvre l'acte II du spectacle de Mogador, a inspiré les animateurs de Disney pour un segment animé d'un FANTASIA qui n'a jamais vu le jour, mais que nous pouvons découvrir en bonus dans le dvd du ROI LION 2.
Portrait d'un artiste engagé et d'un véritable citoyen du monde.



ACTE 1 : Un dessin-animé mythique

Monsieur Morake, comment avez-vous été amené à travailler avec Disney sur le long-métrage d'animation LE ROI LION?
J'avais participé au film LA PUISSANCE DE L'ANGE (THE POWER OF ONE) pour Warner Bros. et à cette occasion, ils m'avaient présenté à Hans Zimmer. Ce fut notre premier film ensemble, et Hans m'a appelé quelques années après pour me faire écouter une musique de film sur laquelle il travaillait et qui s'est avérée être celle du ROI LION…

Comment s'est passée votre collaboration avec lui sur ce film?
Ce fut quelque part le prolongement du concept que nous avions initié sur LA PUISSANCE DE L'ANGE. Nous avons essayé de créer une partition différente, unique, en associant des éléments de percussions et de chœurs africains, du synthétiseur et des orchestrations plus classiques. LE ROI LION a vraiment été l'accomplissement de ce que nous avons tenté sur LA PUISSANCE DE L'ANGE.



Acte 2 : Le Musical du Roi Lion


Qu'est-ce qui différencie selon vous le film et la comédie musicale du ROI LION?
C'est le côté live qui change tout. Dans le Musical, l'ensemble vocal peut représenter tantôt des personnages, des animaux ou des éléments de végétation, du paysage, et ce concept visuel a beaucoup influencé la façon d'envisager la performance. Si le film est une œuvre définitive, nous avons écrit de nouvelles chansons pour la comédie musicale qui puissent s'adapter à un spectacle vivant. D'un autre côté, le Musical est plus proche de la tradition africaine que le film. Julie Taymor, le metteur en scène, voulait que la musique soit vraiment le moteur du spectacle. De fait, certains éléments qui restaient discrets dans le film sont passés sur le devant de la scène. Nous n'étions plus du tout dans le cadre d'une musique de film.


Comment êtes-vous parvenu à intégrer la musique traditionnelle africaine à la musique de musique occidentale?
Ce fut assez facile, en fait, car les relations harmoniques sont les mêmes dans les deux traditions. Ce sont seulement les rythmes et les mélodies qui sont différents. Ce qui fait que pour composer une musique basée sur les deux styles, il suffit d'intégrer un nouveau concept mélodique et rythmique, l'harmonie permettant de faire un pont entre musique occidentale et musique africaine.

Cette fois, c'est avec Mark Mancina que vous avez collaboré.
C'est certainement le meilleur collaborateur avec lequel il m'a été donné de travaillé. Mark est quelqu'un de formidable.



Acte 3 : UN PAR UN

De l'animation à la scène, puis de la scène à l'animation, "Le Cercle de la Vie" du ROI LION est aujourd'hui bouclé dans la mesure où l'une des chansons du Musical a servi d'inspiration pour un court-métrage animé prévu à l'origine pour un troisième FANTASIA.
Disney voulait faire un film à partir de mon personnage et c'est ainsi qu'ils ont imaginé l'histoire de ce petit enfant à lunettes (car j'en ai portées pendant très longtemps), qui mêne la chanson One By One vers cette superbe animation.

Quelles sont les origines de cette chanson?
One By One est probablement la mélodie la plus ancienne que j'ai écrite et chantée. Elle fait partie de mes (bons) souvenirs d'enfance les plus lointains, que j'ai toujours gardés avec moi et que j'ai retranscrits alors que j'étais en exil. J'ai commencé à en écrire une petite portion tandis que j'étais au Lesotho, à l'âge de14 ans et je l'ai développée quand je suis arrivé en Amérique. Cette chanson a alors trouvé tout naturellement sa place au centre et au coeur de mon premier album, Rhythm Of the Pride Lands, et j'ai appris que le metteur en scène Julie Taymor avait été très inspiré par cet album et qu'elle souhaitait en utiliser le maximum de chansons pour Broadway. Elle m'a donc demandé d'arranger One By One pour ce spectacle, ce qui fut un processus naturel pour moi d'imaginer des variations sur ce matériel original. Et c'est aussi tout naturellement que cette chanson s'est retrouvée au centre de la comédie musicale du ROI LION.


Dans la culture africaine, le chant n'est pas seulement une distraction. C'est quelque chose de beaucoup plus important.
Chanter, c'est comme respirer. Cela n'a rien à voir avec la conception occidentale contemporaine de la musique. Elle fait partie de l'essence-même de la vie africaine, de son rythme. C'est une façon de communiquer. En Afrique du Sud, le chant est si étroitement lié à la vie qu'il est impossible d'envisager des funérailles sans chanson, un mariage sans chanson, et même une dispute sans chanson! C'est cela qui nous donne la force de respirer et de vivre un jour de plus.



One By One est une iscathamiya, une forme vocale responsoriale d'Afrique du Sud, chantée originellement par les ouvriers zoulous. Pouvez-vous nous en parler. L'iscathamyia vient originellement du Kwa Zulu Natal, du Zululand. Cette forme est devenue très populaire à l'époque où le système de l'Apartheid a déplacé les ouvriers de leur région d'origine vers Johannesburg, et plus particulièrement vers les mines. Nous avons évoqué à l'instant l'importance de la musique en Afrique du Sud, et l'iscathamyia est alors devenu un moyen d'expression et d'inspiration devant la dureté de la vie de ces hommes déracinés dans les mines. Cela leur permettait de s'exprimer et de communiquer les uns avec les autres.


Les paroles de One By One évoquent le combat pour la liberté ("Tiens bon mon peuple / Ne sois pas abattu / Ne perds pas ta force. / On le voit / Ils voulaient nous retenir. / Un par un / Ils n'y réussiront pas / Un par un / Nous vaincrons.").
Cette chanson, c'est ma vie. Au départ, c'était une chanson rebelle, révolutionnaire, puis elle a évolué à mesure que je gagnais en âge et en maturité. Elle a progressivement perdu de cette colère à mesure que ma carrière d'artiste se développait pour devenir une célébration joyeuse de la vie. Mais ses racines demeurent celles d'un jeune révolutionnaire noir en lutte pour la liberté.


Pour quelle raison la chanson associe-t-elle des paroles en zoulou et en anglais?
Tout simplement parce que je souhaitais que la chanson soit aussi comprises par ceux qui ne parlent pas swahili. Je n'écris pas forcément toutes mes chansons en zulu car il faut aussi permettre aux autres communautés de pouvoir les comprendre et de s'y intéresser.


Comment avez-vous travaillé avec Pixote Hunt, le réalisateur de ONE BY ONE?
C'est un frère extraordinaire, même si je n'ai finalement pas passé beaucoup de temps avec lui. Principalement parce que, comme Julie Taymor, il savait qu'il voulait faire un film entièrement basé sur One By One. Il m'a donc appelé pour me demander de lui raconter l'histoire de cette chanson, puis il est venu me voir en Afrique du Sud avec son équipe, afin de voir de ses propres yeux les lieux qui m'ont inspiré. De retour en Amérique, il s'est mis à travailler à la conception du film. Je me suis à mon tour rendu à Los Angeles pour aider à la création de l'histoire, mais pour le reste, nous avons principalement dialogué par téléphone.


Comment êtes-vous passé de l'ouverture de l'acte II du Musical du ROI LION au court-métrage?
Le film est un concept totalement nouveau, ce qui fait que l'approche musicale est différente. J'ai toujours aimé commencer par une ou deux voix d'enfants qui évoluent vers des voix d'adultes. J'ai donc constitué un chœur de neuf enfants qui ne connaissaient rien au chant car je tenais à ce que cela reste naturel, surtout pas parfait. La voix des enfants fait ainsi écho à la métaphore de la plume, sa pureté et son innocence.




Remerciements particuliers à Lebo M, Mark Mancina, Marsha Burns et Hinde Daoui (Stage Entertainment). Merci également à Christine Blanc pour son aide précieuse!

Photos 3, 4 et 5 Brinkhoff/Mögenburg (c) Disney.