LE MONDE DE NARNIA - PRINCE CASPIAN: Entretien avec le compositeur Harry Gregson-Williams
Né le 13 décembre 1961, Harry Gregson-Williams a commencé sa carrière en tant que professeur de musique à la Amesbury School d'Hindhead dans le Surrey en Angleterre, puis à la Guildhall School of Music & Drama, où il avait été élève auparavant, puis, pendant un temps, en Egypte et en Afrique. C'est là qu'il a pu vraiment faire l'expérience de la musique en tant que langage universel, avant de se lancer dans la musique de film.
Prince Caspian est sa cinquième collaboration avec le réalisateur Andrew Adamson après les trois Shrek et Le Lion, La Sorcière Blanche et l'Armoire Magique, à propos duquel nous nous étions déjà entretenus avec lui et qui lui a valu bon nombre de nominations à des prix prestigieux.
Depuis les notes délicates d'un violon électrique d'un autre monde aux accords percussifs d'un orchestre furieux, suivons notre guide à travers les sons de Narnia….
Cela fait plaisir à entendre! Vous savez, ce n'était pas gagné d'avance. Je sais que certaines personnes ont été déçues que je site tant de musique de ma première partition. Mais je me suis dit que j'aurais raté quelque chose si je n'avais pas réutilisés les thèmes du premier film, pour mieux les développer et les nuancer. C'est ce que j'ai essayé de faire!
Quels sont les axes principaux de votre partition pour Prince Caspian?
Ma première préoccupation a été de savoir à quel point la vision d'Andrew pour le film demandait l'utilisation des thèmes du premier film. Quand j'ai commencé à travailler sur Prince Caspian, à Noël l'année dernière, il avait déjà fait des essais avec ma partition du Chapitre 1. Bien que cela semblait fonctionnait, ce n'était pas totalement satisfaisant parce qu'il fallait ré-orchestrer, re-développer et ré-arranger cette musique pour qu'elle s'adapte parfaitement à ce nouveau film. Nous avons donc revu l'ensemble de Prince Caspian en pointant très précisément les endroits où je pouvais utiliser le thème des enfants, le thème héroïque, le thème de la famille et le thème d'Aslan. Ces thèmes ne voulaient pas changer! Ils voulaient rester les mêmes que nous avions dans le premier film, mais dans un contexte différent! Ceci dit, à partir de là, pour ne pas tomber dans le piège de la répétition, j'ai pris la décision de commencer l'écriture de la musique par quelque chose de totalement nouveau. C'est ainsi que j'ai commencé avec la séquence d'ouverture du film, au moment où Caspian s'enfuit vers les bois. C'était un monde totalement nouveau cette fois. La manière idéale de commencer sur ce nouveau projet!
Le Narnia de Caspian n'est plus totalement celui que nous avions connu 1300 ans plus tôt. Comment avez-vous approché cette dimension?
Quand j'ai découvert Prince Caspian, je me suis dit que toutes ces années qui s'étaient écoulées étaient finalement sans intérêt. C'est toujours le même endroit, c'est toujours Narnia, ce même monde que Lucy a découvert en pénétrant dans l'Armoire Magique. C'est la raison pour laquelle certains thèmes n'ont pas changé. Du point de vue de l'orchestration cependant, j'ai opté pour quelque chose d'un peu plus lourd, un peu plus fourni car l'ambiance générale est plus sombre. Et si, dans le premier film, j'avais utilisé les chœurs comme une façon d'intensifier l'émotion et d'apporter une forme de beauté, dans cette nouvelle partition, j'en ai plutôt fait une sorte de chœur grec, comme des exclamations. Comme des commentaires sur l'action qui se déroule à l'écran.
Dans son texte de présentation pour le cd de la musique du film, Andrew Adamson a écrit: "Si l'histoire du premier film était plutôt linéaire, ce sont en fait trois intrigues qui se croisent dans Prince Caspian." Comment avez-vous traduit cela en musique?
Il était clair que les quatre enfants, qui ont leur propre thème, seraient amenés à s'allier avec Caspian. Et je me suis beaucoup amusé à écrire la musique de Miraz. Elle bien plus sombre que tout ce que j'ai pu écrire pour le premier film. Les choses étaient donc nettement définies pour moi: le prince Caspian, les Penvensie et Lord Miraz. Il fallait donc deux nouveaux thèmes en plus de celui que j'avais déjà pour les enfants.
Toujours dans le livret, Andrew Adamson parle de "l'intimité et la nostalgie d'une enfant qui redécouvre un monde qu'elle croyait perdu à jamais". Il s'agit bien entendu de Lucy.
J'ai toujours senti un lien particulier avec le personnage de Lucy. Je me souviens que la première musique que j'ai écrite sur Le Lion, La Sorcière Blanche et l'Armoire Magique était le moment où elle arrive à Narnia. Elle a été mon guide vers Narnia. Et il est difficile de voir Prince Caspian sans être touché par Lucy. Elle est le centre de tout ce qui se passe dans le film. C'est elle qui a vraiment foi en Aslan et c'est finalement elle qui sauve la situation à la fin. Dans Prince Caspian, j'ai donc renoué avec l'émotion que j'avais mis dans la première partition. Les deux sont liées par ce biais.
La créatrice des effets visuels Wendy Rogers nous a confié qu'au delà de l'ampleur des scènes de bataille, son premier souci a été de se concentrer sur les personnages. Comment, de votre côté, avez-vous abordé ces scènes de combats?
D'une façon ou d'une autre, j'écris mes musiques du point de vue des personnages. Sur des séquences longues comme les batailles, j'ai essayé de découper ma partition entre plusieurs parties. Prenez le raid sur le château par exemple. Au début de la production, nous l'avons testée avec un public et il est apparu de façon claire qu'ils étaient un peu perdus et se demandaient qui faisait quoi, parce qu'il y avait beaucoup d'action avec tous ces personnages courant de partout dans le château. C'était la première séquence d'action que je devais mettre en musique et j'ai réalisé qu'une partie de mon travail, c'était de clarifier les choses, de clarifier l'émotion qui sous-tend chaque moment. Il fallait donc être très spécifique en musique. Passer de l'héroïque à l'émotionnel comme au moment où Peter abandonne tous ces Narniens derrière lui, en passant par la tension, au début, quand Edmund vole au dessus du château.
Comment s'est passée l'écriture de la partition de Caspian?
La principale difficulté fut géographique. Pour Le Lion, La Sorcière Blanche et l'Armoire Magique, la post-production s'est déroulée ici à Los Angeles, ce qui fait que j'étais sur place pour écrire et enregistrer toute la musique. Pour Prince Caspian, Andrew Adamson a fait sa post production à Londres. Ce qui fait que j'ai dû transplanter mon studio par avion vers Londres, trouver un endroit pour m'installer là-bas et réunir les conditions qui me permettaient d'être créatif avant de pouvoir commencer à travailler. De ce point de vue, ce fut un peu comme Kingdom of Heaven car Ridley Scott a fait sa post-production à Londres également. J'ai donc commencé à faire quelques essais avant Noël, puis, tout de suite après, j'ai fait mes valise, empaqueté mon studio, et deux semaines plus tard, je commençais à écrire à Londres.
Sur quelle base avez-vous travaillé?
Au moment où j'ai commencé à travailler sur le film, il durait quelque chose comme une heure de plus que sa durée finale. C'est tout un processus, et j'en faisais partie. Encore une fois, ce fut vraiment comme Kingdom of Heaven. Quand j'ai commencé sur ce film-là, il durait trois heures et demie, et au final, nous nous sommes retrouvés avec plus de musique que de film! Sur des films comme cela, on ne peut pas se permettre d'attendre d'avoir le montage final pour commencer à travailler. Si j'avais attendu, il n'y aurait pas eu de musique du tout car Andrew travaillait encore aux montage des effets visuels la veille de la masterisation. J'ai donc dû faire confiance au processus et commencer à écrire alors que le film n'était pas encore finalisé, sachant pertinemment qu'il y aurait beaucoup de choses à supprimer, à remonter ou à ré-écrire. Mais on ne peut pas prendre de raccourci dans ce genre de projet! C'est ce qui se passe sur la plupart des films. Je suis actuellement en train de travailler sur la version préliminaire du dernier film de Ridley Scott. A ce stage, il est très difficile d'avoir une idée précise des contours définitifs du film. Le tournage n'est même pas fini et ce que je vois n'est que grossièrement monté et certaines scènes sont manquantes. Mais cela me permet malgré tout de me faire une idée de ce que je vais pouvoir faire. C'est le moment idéal pour expérimenter des choses, explorer différentes directions. C'est ce qui s'est passé sur Prince Caspian. Le premier mois, je n'ai pas vraiment fait appel à Andrew. Je n'étais pas prêt pour lui montrer quoi que ce soit. Je voulais vraiment plonger sous la surface du film et le fait mien.
Ce qui veut dire que vous avez travaillé sur des images dont, souvent, les effets n'étaient pas finis.
Pas finis du tout!
Alors, comment avez-vous pu capter la bonne émotion ou le bon ton d'une scène?
Là où les effets manquaient, j'avais à ma disposition les storyboards ou des indications très précises. Et puis, je travaille toujours en étroite collaboration avec Andrew Adamson. Il venait à mon studio chaque jour pendant les trois ou quatre mois de la production de la musique et nous en discutions. Je me souviens, à un moment, nous étions en studio avec l'orchestre. C'était pour une scène du film dans laquelle Peter et Lucy sont assis à l'intérieur de la colline d'Aslan et Edmund arrive en courant et dit à Peter qu'il ferait bien de sortir pour voir quelque chose. Ils vont donc sur le sommet de la colline et regardent le champ. Et deux secondes plus tard, il y a un brusque changement de plan sur le masque de métal d'un Telmarin. J'avais donc écrit une musique qui accompagnait la sortie des enfants, avec un peu de tension tandis qu'ils regardent le champ et "boom", au changement de plan, la musique devenait brusquement plus ample et plus violente. Le problème, c'est qu'en studio, Andrew m'a demandé d'arrêter la répétition avec l'orchestre et m'a appris qu'en fait, lorsque les enfants regardent le champ, il y avait déjà des soldats, ajoutés numériquement et que je ne devais pas attendre le changement de plan pour changer le ton de la musique! L'armée était déjà là! Comme vous le voyez, il fallait rester très proche d'Andrew pour être au point! Et même comme cela, il y avait encore des changements à faire!
Pouvez-vous nous parler de vos nouveaux thèmes?
Le thème de Caspian est la première chose que j'ai écrite pour le film. Je l'ai créé ici à Los Angeles juste avant Noël. Je l'ai joué à Andrew. Je lui ai envoyé un cd sur lequel je me suis enregistré au piano et j'ai attendu sa réaction. Je l'ai écrit à l'origine à ¾. C'était un thème sensible et presque émotionnel et je l'ai joué dans ce sens au piano. C'est ce qui m'en venu immédiatement en pensant au personnage de Caspian. Or, quand Andrew m'a appelé, il m'a dit qu'il était très surpris car c'était beaucoup plus émotionnel que ce à quoi il s'attendait, mais qu'il aimait malgré tout. Pour lui, cela pouvait fonctionner tel quel pour une ou deux scènes émotionnelles, mais dans le même temps, je devais bien me rendre compte qu'il s'agissait d'un film d'action et que je devais plutôt envisager ce thème à 4/4, à un tempo plus rapide et d'une manière plus héroïque. J'ai accepté et dès que je me suis retrouvé à Londres, je me suis plongé dans cette séquence d'ouverture de 8 minutes. A ¾, il était clair que cela ne fonctionnait pas, mais à 4/4, nous tenions notre thème et il était parfait pour toutes sortes de variations!
En ce qui concerne Miraz, il m'a semblé être le genre de personnage qui a une vision claire de ce que pourrait être son destin et qui fait tout pour y parvenir. C'est quelqu'un de très intrigant. C'est pourquoi son thème a un peu la forme d'un serpent. De plus, il s'avère que c'est en fait le thème héroïque, le thème principal de Narnia à l'envers. Parce qu'il m'a semblé que Miraz était l'inverse, l'antithèse de tout ce en quoi les enfants croient.
Quel rôle avez-vous dévolu à la musique dans Prince Caspian?
Chaque partition et chaque film est différent. Prenez un film comme Le Nombre 23, le dernière film que j'ai fait pour Joel Schumacher. C'est un film effrayant, presque un film d'horreur, et dans ce genre-là, il est nécessaire de conserver le public dans une sorte d'attente, de ne jamais faire baisser la tension et leur faire croire que tout va bien se passer. De ce fait, la musique de ce film prend toujours les devants et guide d'une certaine façon le spectateur. Sur Prince Caspian, je n'ai pas cherché à faire en sorte que la musique soit un guide. J'ai écrit la majeure partie de cette musique du point de vue des enfants. C'était le concept de la première partition et il en est de même sur cette second: la musique découvre Narnia et ce qui se passe en même temps que les enfants.
Comment s'est passée la création de The Call, la chanson de Regina Spektor qui conclut le film?
Tout d'abord, nous avons demandé à Imagen Heap d'écrire une nouvelle chanson, dans la mesure où elle l'avait magnifiquement fait sur le premier film. Cette nouvelle chanson était fort belle, mais elle était très sombre et n'allait pas bien avec la fin du film. C'était pourtant bien son ressenti par rapport à cette fin et malheureusement cela ne fonctionnait pas. Nous nous sommes donc tournés vers Chris Douridas, un grand superviseur de la musique avec qui j'ai travaillé sur Shrek 2 et il nous a orientés vers 3 ou 4 artistes. L'un des responsables de Disney est donc allé à Paris, à Berlin et à Londres pour les rencontrer et leur montrer le film (bien qu'il ne soit pas fini à l'époque, mais cela devait leur donner une idée) afin qu'ils puissent nous proposer des démos. Et dès qu'Andrew et moi avons entendu la voix de Regina Spektor, indépendemment de sa chanson, nous avons su qu'elle serait parfaite pour le film. Elle a donc pris un avion pour New York et j'ai travaillé avec elle de façon très proche. Ce fut assez difficile pour moi car je venais tout juste de terminer la partition du film. J'ai lessivé! Ce fut très intense pendant ces quatre à cinq mois. Mais j'ai rassemblé les dernières forces qui me restaient! Elle avait déjà sa chanson prête mais je devais travailler avec elle sur l'arrangement et la place de la chanson dans le film. Ce fut très agréable. C'est vraiment une grande artiste. J'ai donc arrangé une partie de cordes et nous l'avons enregistrée à Abbey Road!
Tout comme Peter, Prince Caspian est votre dernière visite à Narnia. Comment le vivez-vous?
Je le vis très bien car, si on y réfléchit bien, la raison pour laquelle j'ai eu l'immense chance de faire ces deux film tient à mon association avec Andrew Adamson. Le réalisateur du prochain chapitre a son propre compositeur, David Arnold. Tout va bien. J'ai eu beaucoup de chance. Il est normal qu'un autre compositeur l'ait aussi. Ceci dit, je ne vous cacherai pas que je me suis beaucoup attaché à ces personnages ainsi qu'aux acteurs qui les incarnent, les quatre jeunes qui jouent les enfants Pevensie. Ce sont des gens fabuleux et ce fut un voyage magnifique!
Avec nos chaleureux remerciements à Harry Gregson-Williams, Jeff Sanderson et Allie Lee de Chasen & Co. et Maria Kleinman de Walt Disney Records.
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