vendredi, juillet 04, 2008

LE MONDE DE NARNIA - LE PRINCE CASPIAN: Entretien avec le directeur artistique Frank Walsh

Savez-vous en quoi consiste exactement le travail d'un directeur artistique sur une super production comme Prince Caspian? Qu'il est au cœur du processus, unifiant l'action réelle des acteurs et le monde virtuel et animé? Savez-vous qu'il construit réellement et complètement le monde du film?
Frank Walsh est l'un des directeurs artistiques de Prince Caspian, et véritablement un personnage-clef à chaque étape de la création du film. Pour nous, il évoque ce processus dans son ensemble, et aussi des secrets du making of de ce nouveau chapitre du Monde de Narnia, dans lequel le dessin, les concepts, l'architecture, la mise en scène, les effets spéciaux et les effets visuels sont tous liés.
Ancien éleve du Hornsey College of Art et du Royal College of Art en Angleterre, Frank Walsh a été reconnu pour son travail sur la série télé Cleopatra (qui a reçu une nomination pour un Emmy en 1999) et pour Elizabeth: The Golden Age (qui été nominé pour Best Art Direction par la Art Directors Guild of America). Des films récents comme The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy (de Disney/Spyglass en 2005) ou actuellement Prince Caspian sont pour lui autant de facettes de son talent.
Et c'est précisément le sujet de notre conversation d'aujourd'hui...


Comment et pourquoi êtes vous intervenu sur Prince Caspian?
J'ai eu énormément de chance que mon nom soit proposé aux producteurs par un responsable de construction anglais très respecté. Grâce à cette recommandation, j'ai pu rencontrer Roger Ford, le "production designer" lors de son passage à Londres, alors qu'il allait en réunion à Prague. Suite à cette très courte réunion, le week end suivant, il me fut proposé de le rencontrer à nouveau pour une deuxième entrevue. A ce moment il me présenta Kerrie Brown, sa décoratrice, et je pus leur parler de tous les avantages et inconvénients liés au fait de travailler en Europe de l'Est. C'est après cette réunion que je fut engagé et dans les jours qui suivirent j'étais à Prague en train de recruter mon équipe tchèque.
Mon expérience dans l'industrie du film s'étend sur les 25 dernières années, et j'ai eu la chance de travailler avec des équipes internationales de nombreuses fois, et même deux fois à Prague. Bien entendu le sujet des Chroniques m'était bien connu car j'avais lu les livres moi même et à mes enfants, et c'est une opportunité qui ne se présente pas souvent. Une de celle que j'avais désespérément envie de saisir, spécialement après avoir rencontré Roger, et vu l'ampleur de sa vision. Le fait de tourner en Nouvelle Zélande avec l'équipe là bas, ajoutait à mon intérêt.

Comment expliqueriez-vous le rôle d'un directeur artistique dans un tel film?
Initialement, ma tâche est d'estimer l'échelle et la complexité du projet. En travaillant d'après le script, en cherchant des concepts et en discutant de l'ampleur du film avec le designer, je devais déduire un budget raisonnable et programmer ce qui pourrait bien convenir à l'échelle de temps et de coûts des producteurs. Cela inclut le coût et la logistique de création de l'équipe d'artistes, les coûts et les équipes nécessaires qui peuvent être anticipés pour la construction, ainsi que les coûts de la décoration de la scène et des accessoires. A partir de là, je dois essayer d'assembler les bonnes équipes pour atteindre l'objectif du design, du budget et du planning. Je sélectionne les directeurs artistiques, les dessinateurs, et les autres créatifs, ainsi qu'un responsable de construction avec la bonne équipe et l'expérience qui leur permet d'appréhender le projet. En plus de cela, il y a les services auxiliaires de l'équipe de création, les artistes scéniques, les accessoiristes, les techniciens, etc. Cela permet au projet de se faire. Je conseille aussi la production sur les autres équipes qui sont nécessaires, comme le département des effets spéciaux à cette occasion, pour essayer d'obtenir une équipe de travail homogène.

Qu'entendez-vous par "ampleur" sur ce projet?
Au départ, ce n'était qu'une discussion. Après avoir lu le script et signé ma clause de confidentialité, j'ai été autorisé à voir tous dessins de développement qui avaient déjà été faits. Il y avait de nombreux dessins pour le château par exemple, rejetés ou affinés. Une grande maquette avait été commencée et le processus en était juste au seuil de la mise en forme du concept. Roger est le genre de designer qui permet au design d'évoluer, et qui sait ce qui convient à Andrew [Adamson, le réalisateur]. Il était très impliqué dans l'apparence globale du film. Mon arrivée s'est faite à un moment où l'évolution du film devait être repensée pour trouver des solutions plus directes, et permettre de répondre aux impératifs de dates données par les producteurs. C'était très bien pour moi, bien que difficile émotionnellement et politiquement, d'essayer de trouver des solutions avec Roger et Andrew. Nous n'avions que peu de temps et j'ai donne le meilleur de moi-même pour livrer les différents décors à temps. Cela a demandé beaucoup de tact. Je devais distiller discrètement la pression pour mener le projet à son terme. Autant je me sentais enthousiaste, autant je sentais bien qu'il serait plus que difficile de mener à bien un projet aussi varié, allant de la Seconde Guerre Mondiale à Londres, jusqu'à une bataille avec un Dieu des Eaux en passant par des forêts enchantées et des châteaux mystiques.
Vue aérienne du château de Miraz

Quels éléments avez-vous pu tirer du script?
Le château par exemple. D'un côté, nous devions avoir le plus merveilleux des châteaux de tous les temps, et de l'autre, il devait être situé dans un lieu logique qui convenait à la storyline. Des prévisualisations fonctionnaient depuis longtemps à partir un château abstrait. Mon équipe a dû alors proposer un édifice dans lequel tous les composants importants du château devaient avoir une relation géographique bien précise les uns par rapport aux autres. Le balcon de Miraz, la piste d'atterrissage pour les enfants, la tour de garde d'Edmund: ils ont tous des relations spécifiques à l'espace et doivent être bien positionnés pour que cela fonctionne. Encore une fois, les détails visuels permettent vraiment de renforcer les impressions que l'on a sur Miraz et sur son pouvoir sur le peuple, donc la création visuelle de ce château avait d'importantes implications sur l'histoire.

Construction du pont-levis

Pour vous, comment un bon décor prend part à l'histoire?
Le décor est, je crois, principalement "un lieu" dans lequel les acteurs jouent, il crée pour eux une "scène" qui les aide à devenir leur personnage. Naturellement, le décor peut aussi expliquer de nombreuses choses de façons subtiles aux spectateurs sur l'histoire. Mais je pense que le décor devrait être secondaire au jeu d'acteur. Si le décor est trop dominant, qu'il attire l'œil plus que les acteurs, quelque chose ne va pas avec le jeu des acteurs, c'est une évidence, et je crois que le décor devrait toujours mettre en valeur la performance de l'acteur. Le Grand Hall dans le château était une opportunité d'expliquer l'échelle de dominance de Miraz , et Roger a utilisé des formes graphiques fortes comme les aigles sculptés, tenant des chandeliers massifs, ce qui donne une très grande impression de mal, presque une présence fasciste. Une palette de couleurs très monochromatique renforce cette impression de pouvoir.

Construction de la cour du château en plein hiver à Prague

Pour vous, en tant que directeur artistique, quel était le défi le plus important dans ce projet?
De travailler à deux endroits opposés dans le monde au même moment. En Nouvelle Zélande, le temps de travail était de 12h, donc mon directeur artistique et l'équipe là bas travaillaient quand nous dormions et vice versa. Organiser, diriger et soutenir dans ce contexte était un défi. La journée de travail ne semblait jamais devoir finir et je devais sauter d'une équipe à l'autre. Bien entendu la nature de l'histoire et les décors qui en découlent était un énorme défi. Narnia est un lieu de fantasy, que nous devions rendre réel. Il était nécessaire de construire d'importants décors à l'échelle. Cela va de la re-création de Cair Paravel comme ruine dans une zone pratiquement inaccessible de nouvelle Zélande, à la création d'un immense château dans les profondeurs d'un hiver de Prague, en passant par la construction d'un pont massif sur une rivière en furie en Slovénie, Et ça, c'était la partie facile du défi!


Comment avez-vous réparti les tâches avec les autres directeurs artistiques du film?
J'ai dû évaluer le projet entier au travers de l'étendue du travail, du temps disponible et de la complexité de chaque tâche. A partir de là, j'en ai déduit le nombre de personnes que je pensais nécessaire pour atteindre cet objectif. A la fin, j'avais une équipe relativement restreinte, compte tenu de l'échelle, du planning, et de la progression globale du film: deux senior art directors, un de chaque côté de l'hémisphère, aidés par environ 6 directeurs artistiques, travaillant dans leurs domaines spécifiques. Par exemple, la 2ème équipe, les effets visuels et la "localisation" avaient tous besoin d'une équipe du département artistique pour répondre à leurs besoins. Durant la production du film, mon travail était de contrôler chacune des différentes équipes et d'ajuster le nombre de personnel nécessaire pour permettre d'effectuer le travail dans les conditions économiques optimales, et de m'assurer que le concept du design était complètement livré dès que nous l'avions réalisé, dans les temps et dans l'enveloppe du budget. Et si nécessaire, d'apporter des solutions aux problèmes survenant après la livraison, et adapter le travail de l'équipe aux nouvelles demandes en retour.
Pour aider les directeurs artistiques, nous avions un groupe d'assistants et de dessinateurs, qui aidaient à produire les dessins de tous les détails que le film nécessitait. D'un autre coté, je devais aussi aider le décorateur des plateaux, et les départements des accessoires, pour m'assurer que le design dans son ensemble et que le tournage se passait aussi facilement que possible.

Comment avez-vous choisi les différents directeurs artistiques et les illustrateurs que vous avez engagés?
En fonction de leur expérience, de leur tempérament, de leur implication et avant tout, de leur enthousiasme. Ceci dit, créer une équipe n'est pas pour moi juste choisir des gens avec qui il me sera agréable de travailler. C'est choisir ce qu'ils apporteront à l'équipe. Les talents individuels sont importants, mais nous sommes tous ici pour suivre la vision du designer et du réalisateur. Parfois je devais ajouter des considérations personnelles dans l'équation qui pouvaient apparaître superficielles ou complètement en dehors d'un choix naturel, précisément pour ce qu'elles pourraient apporter, et donner au sujet une couleur différente. Même l'expérience peut être dépassée par quelqu'un qui a énormément d'énergie, d'implication et qui sait où il va. Je dois garder un œil attentif pour m'assurer qu'ils ne s'égarent pas dans leur inexpérience, mais je suis un fervent défenseur de l'idée de donner aux gens de nouvelles opportunités et de nouveaux défis. Employer un expert sur l'architecture des châteaux médiévaux pourrait se révéler une catastrophe, car nous ne nous attachons pas aux faits réels, mais à un style d'histoire, que Roger et Andrew ont perçue comme convenant à Prince Caspian.


Comment avez-vous travaillé avec l'équipe des illustrateurs du film?
En parlant de façon ouverte. Les illustrateurs se décomposent en deux parties, bien que les limites soient souvent floues. Vous avez besoin que le cœur du groupe s'occupe des grandes lignes, de l'atmosphère du film, des contours. C'est très important pour donner un style général au film, et cela aide pour faire accepter ensuite le concept tout entier, le style d'éclairage etc. Puis il y a les concepts qui se focalisent sur des lieux plus précis, pour le design des scènes et la fabrication des accessoires. Normalement, ce groupe est plus important pour moi, car il s'agit d'objets plus tangibles et importants sur lesquels je me concentre, qui ont besoin d'être créés, bien que l'autre groupe soit également indispensable sur le plan de l'intangible, des couleurs, de l'ambiance et du style tout entier.
De nombreuses recherches sur le look global du film avaient été faites avant que je rejoigne l'équipe, donc un "style maison" s'était développé. Il y a eu des cas où je devais aider à diriger les développement futurs, car les concepts étaient encore très nébuleux. La Chambre de Pierre qui abrite la Grande Table de Pierre du premier film, avec ses murs scultpés décrivant les anciens héros de Narnia en est un exemple. J'ai dû diriger les recherches sur les personnages qui devaient être sculptés, et aider à former et assembler les images qui convenaient à l'espace en lien avec la taille du décors ( et aussi avec la place disponible sur le plateau à Prague). Pendant de nombreuses semaines, cela s'est traduit par des propositions constantes à Roger Ford et Andrew Adamson de différents dessins qui petit à petit se sont affinés. Tandis que le travail avançait, j'ai introduit notre sculpteur principal, qui a créé des maquettes des panneaux de sorte qu'un concept en trois dimensions ait pu être développé. Ainsi, la présentation à Roger Ford et Andrew Adamson a été faite en 2D et en 3D pour les aider à résoudre cette question visuelle cruciale. En même temps je devais prendre en compte la mise en scène, les éclairage et les effets spéciaux qui seraient utilisés, de façon à ce que ce décor réponde pleinement au défi du script. Un défi particulier sur cet élément était que le travail du design serait réalisé à Prague tandis qu'Andrew Adamson et Roger Ford étaient en Nouvelle Zélande. Un petit casse tête logistique pour moi au niveau de la prise de décisions prises, mais qui a dû être surmonté pour nous assurer une progression de la construction dans les temps.


Comment s'est déroulée votre participation sur le film, de la pré-production jusqu'au lieux de tournage?
Au départ je me suis envolé pour Los Angeles, où Roger et les équipes de concept artistique, pré-visualisation, effets spéciaux visuels et autres équipes clefs, étaient situées. J'ai alors rencontré le réalisateur et j'ai dialogué par vidéo conférence avec WETA en Nouvelle Zélande alors que des décisions spécifiques étaient prises par Andrew et Roger. Ce fut un temps très important, pour évaluer les personnes avec qui j'allais travailler et c'est quelque chose dont je suis reconnaissant à la production d'avoir eut la prévoyance d'encourager. J'ai eut aussi la chance de travailler directement avec mon directeur artistique de Nouvelle Zélande, et aidé à formuler son budget et les besoins de son département.
Après cette période à L.A., je suis allé avec Andrew, Roger et l'équipe de production en Nouvelle Zélande pour la reconnaissance des lieux de tournage et mettre au point la façon dont l'Europe pourrait s'intégrer dans notre travail qui se situait dans l'hémisphère sud. La Nouvelle Zélande fut une expérience fantastique, pas seulement pour les étourdissantes localisations, vues souvent depuis un hélicoptère, mais pour les gens fantastiques que j'ai rencontrés et avec qui j'ai travaillé. Après ça, je suis allé en Europe, où j'ai rapidement dû mettre en place les équipes de design à Prague et aussi en Slovénie, et un petit peu en Pologne. Les reconnaissances avec Andrew suivirent afin de procéder à l'identification des lieux principaux sur lesquels nous allions tourner.


Comment avez-vous travaillé avec Roger Ford?
Tous les designers avec qui j'ai travaillé ont une approche de leur travail vraiment différente. La chose la plus importante pour moi était de trouver aussi rapidement que possible la façon de travailler qui conviendrait le plus à Roger. Mes choix pour les directeurs artistiques était en cela cruciaux, pour être sûr d'assembler une équipe resserrée de créatifs avec lesquels il pourrait travailler en confiance. Le processus du design allait devenir un processus graduel d'affinement, suite aux consultations avec le réalisateur, alors que les producteurs nous mettaient toujours la pression en termes de planning. Ce fut pour moi une question d'équilibre entre l'artistique et le planning. A la fin, ce fut pour moi une expérience qui a vraiment valu la peine, car je pense que nous avons livrés de grandes scènes, répondant à la fois à des concepts forts et aux exigences du budget, dans des lieux et des situations parfois très difficiles.


Quels éléments avez-vous reçus de Roger Ford pour vous guider?
Des dessins et des conversations. J'ai beaucoup écouté Roger et Andrew discuter du design fait par WETA en Nouvelle Zélande pour une armure ou autre, et cela m'a aidé à me concentrer sur leur philosophie du design. Il y a eut aussi de nombreuses recherches réalisées durant le projet à partir desquelles le design fut construit. Il fut aussi crucial que j'aie pu former de bonnes relations avec l'équipe du film précédent, ce qui m'a permis de compléter mes connaissances sur la façon dont le processus fonctionnait. La décoratrice, Kerrie, a été fantastique en m'expliquant les petits problèmes qui avaient surgi dans des conversations à bâton rompu, ce qui m'a permis de mieux comprendre comment Roger et Andrew voyaient le monde de Narnia et quels éléments étaient critiques pour eux.
Connaître toutes ces informations était important dans la mesure où de devais aussi évaluer les coûts du projet, pas seulement pour les équipes dont j'avais besoin pour le département artistique, mais aussi les coûts de construction, de décoration du plateau, des accessoires, et des espaces verts. Des coûts que j'avais à prendre en compte pour créer de nouvelles scènes en Nouvelle Zélande, en Tchécoslovaquie et Pologne et en Slovénie.

Comment avez-vous travaillé avec Andrew Adamson?
Heureusement, Roger, le designer avait de bons rapports avec Andrew, donc le processus du développement du design a été assez clairement balisé. Pourtant, il était important pour moi d'être capable de travailler, avec les designers, dans une sphère où je pouvais observer le processus de pensée d'Andrew afin de réaliser sa vision. Heureusement le temps initial sur le projet à Los Angeles, et en Nouvelle Zélande a beaucoup aidé, je pense, à construire un lien de confiance entre nous. Cela m'a permis de comprendre quelles choses étaient importantes pour Andrew, et les choses sur lesquelles il serait plus flexible. Il était impératif de réussir à lui donner ce qu'il attendait et pour quoi il avait confiance, car souvent, il y a des choses qui semblent innocentes et qui s'avères capitales dans l'histoire, et qui doivent être prises en compte, alors que souvent d'autres problèmes qui semblent plus importants, si on les aborde correctement, sont rapidement résolus, sans aucune perte pour le film au final.


Avez vous travaillé sur une séquence en particulier?
Malheureusement, je n'ai jamais eu l'opportunité de travailler sur une séquence spécifique. Ma tâche était d'aider et de superviser un groupe de personnes individuellement talentueuses, et de solutionner les problèmes. J'ai essayé de les aider et de les encourager à travailler avec le designer dans les conditions les plus fluides possibles pour atteindre la réalisation de la vision du réalisateur, et de cadrer leur enthousiasme et leurs implication dans des délais et les limites budgétaires. J'intervenais sur les situations où une observation la plus extérieure possible peut souvent aider à identifier puis fournir la solution à un problème. Cela s'étendait non seulement au processus de design mais aussi aux éléments de construction et même de production. J'ai travaillé de façon très rapprochée avec le 1er assistant réalisateur par exemple, en l'aidant à formuler un planning de travail pour le film, ce qui regroupe plusieurs départements. J'agissais comme un catalyseur entre les départements, qui peuvent être Production, Localisation, Construction, Effets visuels ou Effets spéciaux pour m'assurer que l'on a bien eu une approche complète pour cerner le problème et trouver la meilleure solution.

Prince Caspian se déroule 1300 ans après le premier film. Comment avez-vous tenu compte de cet aspect?
Certains aspects du premier film revenaient à certains moments de la nouvelle histoire, mais ainsi que vous le faites remarquer, ils devaient être vus après 1300 ans d'évolution. Donc il était impératif de considérer très attentivement la destruction et le vieillissement, et cela a été parfaitement pris en charge par mon équipe de Nouvelle Zélande, qui heureusement avait travaillé sur le premier film. Ce deuxième film avait besoin de plus de scènes avec des constructions réelles que le premier, ce qui a obligé à davantage explorer les lieux et paysages de la Nouvelle Zélande. Le style de la nouvelle architecture a été très documenté par Andrew et Roger avant que je commence, donc le département artistique a pu immédiatement développer leurs référence et les rendre réelles. Ce qui a été intéressant, c'était d'explorer des environnements qui étaient seulement évoqués auparavant pour en faire des lieux réels. La Table de Pierre par exemple, était maintenant à l'intérieur d'une caverne, profondément enfouie sous une montagne, les narniens l'ayant définie comme un lieu saint chargé de symboles.
Ce qui était crucial par rapport au premier film, pour moi, c'était de travailler avec des équipes de cette production, qui étaient à fond dans ces personnalités, et plus important, dans la philosophie de l'histoire. Cela m'a permis d'avoir très tôt une vision sur la production du film en général.


Quelle est la philosophie de cette histoire? Comment s'exprime-t-elle dans votre travail?
Il s'agit de comprendre comment le directeur "voit" le film. Est-ce une interprétation littérale de l'histoire ou autre chose? Quand vous travaillez avec les histoires classiques (Narnia, Le seigneur des anneaux, la boussole d'or, etc.) vous avez des idées pré-conçues de l'histoire, fondées sur votre propre imagination en réponse à l'écrit du livre. Vous devez alors voir l'histoire selon la perspective du réalisateur. Même sur les nouveaux scripts, quand vous les lisez, vous imaginez une réponse qui vous est personnelle, et quand j'encourage mon équipe à exposer leurs idées, il faut toujours les classer par ordre d'importance. Ce qui est le plus gratifiant, c'est d'avoir un réalisateur ouvert, pour lequel les meilleurs idées sont acceptées et intégrées.


Quelles sont les réalisations les plus ambitieuses que vous avez faites sur Prince Caspian?
Construire le château de Miraz, en plein hiver, lorsque la température peut descendre à -20°C à Prague. Une forte pluie a ajouté d'autres problèmes: la totalité du site s'est transformé en un profond marécage. Construire un pont de bois massif sur une rivière profonde en Slovénie, en respectant les impératifs écologiques locaux, mais suffisamment solide pour pouvoir faire passer une cavalerie en train de charger. La construction a exigé de dérouter temporairement la rivière. Ajouter une colline en plâtre comportant des arbres et des arbustes sur un gouffre en Pologne, de nouveau dans un lieu déclaré monument national protégé, et où donc aucun dommage permanent n'était permis. Construire une station du métro de Londres, avec un train qui fonctionne réellement, dans l'équivalent d'un hangar en Nouvelle Zélande. Conserver des champs de gazon dans un état de fraîcheur pendant des semaines et des semaines lors d'un été particulièrement chaud, pour qu'à la fin la charge de la cavalerie les mette en pièces. Créer une fosse au milieu d'un champ de 60metres x 20 sur 5 mètres de profondeur, en république Tchèque obligeant à déplacer des centaines de tonnes de rochers, sans laisser ensuite aucune trace de l'endroit où la fosse avait été creusée, et la combler dans la période la plus chaude de l'été. La totalité des lieux devaient être revenue à la normale après le tournage. Importer 18000 plantes dans un bois en République Tchèque, et les garder vivantes pendant des semaines pour créer une forêt de fougères. Je pourrais continuer encore longtemps....


Détournement d'une rivère en Slovénie pour construire le pont de Béruna


Comment avez-vous intégré les effets visuels dans les scènes réelles?
Suite à l'expérience d'Andrew en animation, les pré-visualisations sont un outil très important pour lui. Beaucoup de réalisateurs n'y font pas assez attention, mais c'est très utile pour tout le monde car les imbrications entre les départements sont complexes. Design, effets visuels, effets spéciaux, costumes et cascadeurs sont souvent mélangés dans une même séquence, donc savoir comment Andrew voulait qu'une scène fonctionne nous aidait à intégrer tous les corps de métier de façon efficiente.
Toutefois, le travail avait commencé bien avant que le département art ait commencé à définir la mise en scène, donc les processus ont débutés séparément dans chacune des équipes des forces créatives, ce qui ne devrait pas se passer, normalement. Sur The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy par exemple, je me suis assuré que la pré-visualisation soit développée en incluant entièrement le département art. Cela avait permis d'éviter la situation que j'ai trouvée dans Narnia, où les animatiques qui avaient été créés étaient tout à fait irréalisables en réalité. Le balcon de Miraz, par exemple, était conçu bien plus haut dans le château que nous pouvions le construire. Et quand Andrew fut réellement devant une maquette à l'échelle du plateau que j'avais faite pour prouver ce point, il fut évident pour lui que les prévisualisations avaient distordu ce qu'il voulait réellement obtenir lorsqu'il parlait de la scène. C'était aussi au delà des limites habituelles de ce que l'on peut construire en entier sur un seul et même plateau, alors que ce qu'Andrew voulait, c'était de créer une véritable proximité entre le décors et les acteurs pour les aider dans leur performances. Donc il a fallut diminuer la hauteur du balcon. C'est intéressant de voir comment les choses fonctionnent dans l'animation, car en fait on y compresse souvent les contraintes spatiales quand c'est nécessaire. C'est pourquoi les designers de plateau sont des composants très important dans notre travail, à cause de leur capacité à travailler dans l'espace 3D réel plutôt que dans des mondes purement virtuels.


Comment avez-vous travaillé avec l'équipe des Effets Visuels?
L'intégration des effets visuels dans les éléments construits est la partie la plus amusante de la création du film, je pense. Les tout premiers films employaient des trucs visuels pour augmenter les effets, donc cela a toujours fait partie du jeu dans le cinéma. J'ai eu la chance de commencer ma carrière avant l'arrivée de l'ordinateur et sa capacité à résoudre de nombreux problèmes, et sur Caspian nous avons construit certainement plus de choses que ce que beaucoup imaginent, et des choses très hautes. Le château, ou encore la montagne qui protége la table de pierre sont des bons exemples pour lesquels, bien que nous utilisions des effets visuels, nous avons eu à construire le plus haut possible pour supprimer les extensions générées par ordinateurs qui n'étaient pas nécessaires, et bien que relativement simple, il était préférable de dépenser l'argent sur les personnages au premier plan.
Grâce à la facilité d'accès des logiciels actuels, beaucoup de prévisualisation et de développement d'effets visuels peuvent être fait par le designer de plateau du département art, ce que j'encourage activement. Un exemple: les Trebuchets dans la bataille finale. Andrew avait une idée de ce qu'il voulait, mais cela était encore très imprécis dans les pré visualisations. Un de mes directeurs artistiques a alors repris les esquisses préparatoires et en utilisant AutoCAD et Vectorworks, il a dessiné et animé une solution qui fonctionnait à partir d'une petite scène donnée par Andrew pour une arme à feu rapide. C'est alors que l'objet a pu être construit et que ses extensions ont été prises en charge par les effets spéciaux. Dans le film final, les effets visuels ont ajouté de la finesse au fonctionnement du mécanisme, ce qui aurait été difficile et très cher à obtenir dans la réalité.
Pour Caspian nous avons bénéficié de quelques uns des plus talentueux spécialistes des effets visuels, et ce fut très agréable de travailler avec eux. Nous pouvions partager nos problèmes et trouver ensemble quelle était la meilleure solution à chaque situation, de façon collective. De nouveau, il est inhabituel qu'un département soit mis en place avant que je rejoigne le projet, donc il a fallu que je me raccroche au processus, et que je m'assure que chaque solution prévue utilisait sa part optimum du budget général. J'ai désigné un directeur artistique spécifique à leur département, pour m'assurer que le développement du design convienne immédiatement aux nécessités des effets visuels. Comme nous parlions des miniatures et des CGI, il était important que le département art, maintienne un contrôle attentif du design sur la façon dont les additions informatiques étaient développées et intégrées. Finalement, j'ai ajouté un autre directeur artistique à ce département, quand WETA en Nouvelle Zélande a été choisi pour la construction du château, car matériellement, il était impossible de suivre cette opération depuis l'Europe sans mes yeux et mes oreilles sur place. Il s'ensuivit de nombreuses et longues visioconférences pour solutionner les problèmes qui surgissaient au jour le jour, et c'est pourquoi la journée de travail semblait ne jamais devoir se terminer pour beaucoup dans le département art d'un côté et de l'autre du globe.


Et avec les gens des Effets Spéciaux?
J'ai eu la chance d'avoir travaillé auparavant avec chacun de la toute petite liste des candidats pour ce département. Ainsi quand le département fut créé, j'avais une très bonne idée de leur force, de leur faiblesse, comme ils en avait certainement sur moi. Les effets spéciaux comme les effets visuels, sont des département avec lesquels le département art a besoin d'avoir des rapports étroits, et des mode de communication simples. Pour atteindre cela, chaque scène qui avait des effets spéciaux "lourds" était suivie de près par un membre spécifique de mon équipe, pour qu'il y ait toujours une personne qui connaissait individuellement la scène pour résoudre leurs problèmes. C'était crucial, car par nature, il y a une interaction physique des effets sur le processus de construction. Pour s'assurer que le bras du Trebuchet crée un arc de cercle crédible pour la prise en charge ensuite par les effets visuels, pour être sur que la texture de la glace qui enferme la Sorcière Blanche puisse être reproduite lorsqu'on la casse, il faut des solutions du département art, et les convertir pour leur réalisation réelle.


Comment décidez vous de ce qui doit être réel et de ce qui doit être de la reproduction par ordinateur? Et comment intégrez/anticipez-vous ces paramètres dans les scènes que vous construisez?
Certaines options sont évidentes, lorsque quelque chose n'existe pas et ne peut pas être construit physiquement. On a le cas des niveaux les plus élevés du château qui sont reproduits par ordinateur par exemple. D'autres raisons peuvent être des restrictions sur une localisation, comme changer une rue de Prague en un Londres des temps de guerre, ajouter des immeubles effondrés par une explosion de bombe, des barrages, jusqu'à la fameuse colonne de Nelson, tout en enlevant les aspects de l'architecture tchèque, cela vous démontre la gène occasionnée. Ce qui peut être construit physiquement dicte aussi ce qui doit être réel et ce qui doit être virtuel. Les Trébuchets sont des mécanismes très complexes, et le coût de construction en réel était trop élevé, de même que les effets qu'Andrew voulait obtenir dans la bataille. Ces décisions sont normalement prises en consultation avec le producteur, le directeur et les départements concernés pour voir quelle est la meilleur solution. Pour Caspian, il n'y a jamais eu réellement de moment où il n'a pas fallu construire quelque chose pour le tournage, de l'attaque du Griffon, où les griffes de la créature étaient réellement présentes, jusqu'à une section penchée d'un pont de manière à ce que de vrais chevaux puissent être positionnés sur le pont comme s'il venait d'être détruit.


Certaines grosses productions comme la nouvelle trilogie Star Wars, n'utilisent que très peu de véritables décors. La plupart sont créés par ordinateur. Pourquoi un film comme Prince Caspian, a besoin de tant de scène réelles, avec toute la complexité supplémentaire et souvent les côtés pénibles de construction que cela comporte?
Déjà les décors réels donnent une qualité différente au rendu visuel et, je crois, aux acteurs d'un film. Lorsque nous travaillions sur les nombreuses scènes qui ne nécessitaient pas de reproduction par ordinateur, il nous semblait normal de construire ces éléments. Construire des décors, est grosso modo l'option la moins chère, et permet plus de flexibilité pour les changement durant le tournage.


Pouvez-vous partager avec nous le processus de construction de l'un de vos décors?
Le pont de Béruna... Mais c'est peut-être une trop longue histoire pour aujourd'hui, gardons cela pour un autre moment!


La question de l'intégration d'animation dans un film avec des vrais personnages me semble critique actuellement dans les films commerciaux.
Ce qui est important, je pense, c'est que les personnes en dehors de l'industrie du cinéma, devraient être conscientes de la façon d'intégrer l'animation dans un décor. Techniquement, la plupart des membres de mon équipe peut et produira des animatiques en 3D, manipulant les effets visuels pour explorer et définir le processus du design. Nous l'utilisons comme un outil supplémentaire à notre disposition, et sans savoir comment cela fonctionne, le travail de la création d'une scène serait bien plus difficile. Et particulièrement quand il faut travailler avec des réalisateur comme Andrew, il est important de trouver un média avec lequel il est à l'aise pour communiquer les idées.


Quels sont les aspects de la production que vous avez préféré sur Prince Caspian?
Travailler sur les deux hémisphères du monde à la fois. J'ai assemblé et dirigé une grande équipe de créatifs et de constructeurs. Au travers une douzaine de nationalités différentes, des créateurs avec de l'expérience pour aider les novices, j'ai créé une véritable équipe, et je les ai dirigés pour réaliser une grande vision.

Photos de production par Frank Walsh - Reproduites avec autorisation - Tous droits réservés. (c) Disney/Walden Media.

Un grand merci à Scrooge pour sa traduction!