vendredi, septembre 26, 2008

LE SECRET DE LA PETITE SIRENE: Entretien avec le directeur artistique Tony Pulham

Imaginer à quoi ressemblent les lieux dans lesquels l'histoire doit se dérouler, c'est le rôle du directeur artistique d'un film. Dans le cas du Secret de la Petite Sirène, c'est Tony Pulham, de retour à DisneyToon Studios où il avait déjà travaillé sur le film Winnie l'Ourson & l'Efélant, qui a donné sa couleur personnelle à l'océan.
Né en Angleterre, Tony habite aux Etats Unis depuis les douze dernières années. Il a commencé sa carrière à Londres, en travaillant principalement pour les studios commerciaux, s'exerçant sur toutes les facettes des processus de l'animation. En 1996, il déménagea avec sa famille à Los Angeles, et commença à travailler pour la Warner Bros. Feature Animation, et a travaillé sur Quest for Camelot, Iron Giant (le dessin animé acclamé par la critique), Osmosis Jones, et sur le développement de nombreux projets. Il a dirigé pour Mattel en 2001 la production en CGI Barbie in the Nutcracker et c'est en 2002 qu'il a commencé à travailler pour les DisneyToons Studios, utilisant son expertise dans les arts pour donner vie à la foret des rêves bleus. Il a ensuite donné sa vision du monde d'Ariel dans Le Secret de la Petite Sirène, dès le tout début du projet qui a commencé en 2005.
Comme vous le voyez, Tony Pulham est un artiste qui peut vraiment peindre en mille couleur l'air…marin!


Comment décririez-vous le rôle d'un Directeur Artistique?
Pour moi, c'est tout simplement créer et diriger une unité visuelle pour la production, avec des contraintes de simplicité, en valorisant l'histoire, mais sans prendre le pas dessus.

Les animateurs se référent souvent à un des Maitres du passé auquel ils souhaitent que leur travaille ressemble. En tant que Directeur Artistique, avez-vous un mentor quelconque?
Je n'ai pas réellement de mentor. Je suis influencé par le travail de nombreux artistes et réalisateurs, mais la plus grande partie du travail que j'effectue est instinctif, donc je ne cherche pas souvent qui ou quoi m'influence.

Comment en êtes vous venus à travailler pour Disney?
J'ai reçu un appel téléphonique, pendant lequel j'ai discuté avec la productrice de Pooh’s Heffalump Movie, Jessica Miller et le réalisateur Franck Nissen de ce qu'il souhaitaient réellement.

Comment avez-vous conçu le style visuel de Winnie l'Ourson & l'Efélant?
Je voulais rendre hommage aux premières productions Disney, et aussi me rapprocher le plus possible du livre d'illustration original de Ernest H. Shepard. Je suis anglais, et de ce fait j'ai grandi avec les histoires de A. A. Milne. Les concept arts Disney étaient merveilleux, mais un peu trop américanisés à mon goût. Il était important pour moi de retrouver cette ambiance de la campagne anglaise que Milne avait si bien su représenter.
Comment avez-vous apporté un peu de cette ambiance durant la production sur ce film en particulier?
Le film avait déjà été storyboardé lorsque nous avons développé le style visuel, donc au départ, seuls les moments clefs ont été dessinés par Franck et je les ai colorés. Ces images ont été utilisées pour vendre l'ambiance générale du film aux responsables exécutifs. Durant ce temps, nous avions des artistes layout qui peaufinaient les différents lieux, avec des notes pour le réalisateur et moi. Les artistes ont dû affiner le ton des images jusqu'à ce qu'ils les trouvent correspondre parfaitement à leurs attentes.



Et c'est alors que Disney a décidé de conserver votre style pour les productions suivantes de Winnie L'Ourson...
Chaque directeur artistique chez Disney crée un guide du style pour leur production. C'est un document très fourni qui explique et illustre le langage particulier de cette production. Ce fut identique pour Winnie & l'Efélant, mais comme notre film était animé par nos studios japonais, et que je ne pouvais pas travailler en face à face avec la plus grande partie de notre équipe, j'ai dû créer un guide encore plus détaillé et précis du style souhaité. Le résultat fut finalement que Disney a été particulièrement content de l'ambiance que nous avions réussi à obtenir sur ce film, et j'ai donc été chargé de développer et d'adapter le guide pour qu'il puisse être utilisé sur toutes les prochaines production de Winnie.

A quoi ressemble le processus sur Le Secret de la Petite Sirène?
Je me suis assis avec la réalisatrice, Peggy Holmes, et elle m'a décrit l'histoire dans sa globalité. Peggy a un passé dans les films avec acteurs réels, et elle est chorégraphe, donc elle a une approche moins traditionnelle de l'animation, mais malgré cela elle a beaucoup de passion pour le film original "la petite Sirène". Elle voulait ajouter un sentiment très théâtral au Secret de la Petite Sirène, tout en conservant l'ambiance originale, et je pense que nous avons parfaitement réussi.


Quelle touche personnelle avez-vous apporté au projet?
Je voulais que l'on ressente quelque chose de plus dans le film plutôt qu'il ne soit qu'un simple film de type "direct to DVD". Certaines personnes regardent les sequels ou les prequels d'un moins bon œil que le film original, et décident que l'on ne doit pas dépenser trop de ressource et de temps dessus. Ce n'est pas ma façon de travailler, ni celle de Peggy.

Comment cela a-t-il influencé votre direction artistique sur le film?
J'ai été très fortement influencé par le premier film. J'ai essayé de coller à ce film de façon aussi proche que possible. En fait j'ai utilisé de nombreux artworks du premier film, comme base de travail. La seule différence réelle que j'ai apportée est une palette un peu plus claire, et plus de réalisme des lieux dans les dessins des localisations (j'ai essayé de les faire moins abstraits). Mais en fait cela découle à la base de l'histoire du Secret de la Petite Sirène, où l'on voit Ariel trouver un club underground, s'échapper etc. Je ne me suis pas vraiment inspiré du deuxième film ou de la série télé.


Quelques décors comme la Piscine m'ont fait repenser à quelques décors de Peter Pan comme le "mermaid lagoon". Est-ce une de vos références?
Le design de la piscine, par exemple, a été induit par l'histoire. C'était la beauté et la paix, de façon à ce que l'arrivée des pirates ait le plus grand impact possible. Mais aussi il fallait qu'elle s'intègre au monde de Disney. Je dirai que nous avons plus été influencés par un look Disney en général que par des artistes en particulier. Nous n'avions pas regardé Peter Pan à ce moment là, mais je suis sûr qu'il doit être par là quelque part dans le film. Je pense que cette piscine a plus été influencée par l'artiste britannique Roger Dean (ci-dessous) qui a fait de nombreuses couvertures d'albums de disques dans les années 70.


J'ai remarqué que très souvent, les couleurs dans les sequels sont bien plus claires que dans les films originaux. Pouvez-vous me dire pourquoi? Est-ce que c'est parce que les sequels sont plutôt destinées à un public plus jeune?
C'est vrai qu'il y a une tendance ces dernières années dans les films à trouver des couleurs plus claires et plus frappantes. Disney est affecté par les études de marché etc. et ils savent qui achète leurs produits, mais ce n'est pas la seule chose qui fait prendre les décisions chez Disney. Il y a une discussion de fond continuelle sur comment faire pour rendre les films plus vivants. Je pense personnellement que le choix de la palette de couleurs devrait être effectuée selon le contexte. En effet si le film est très coloré et très clair sur toute sa durée, cela neutralise complètement l'effet de la palette choisie.

Quels sont les différents outils utilisés et les différentes techniques que vous utilisez pour dessiner quand vous êtes Directeur Artistique d'une telle production?
Nous avons de très nombreuses possibilités lorsque vient le moment de choisir l'ambiance visuelle d'un dessin animé, il faut donc être un guide pour l'équipe qui prépare la palette, le design, les sentiments etc. de la production. C'est en fait le "Style Guide". Le matériel qu'il contient rassemble les différents artworks, les color keys, et parfois des éléménts de précédentes productions. A la base, vous donnez le but, la voie à suivre pour l'ambiance et vous expliquez pourquoi.
Un color key est un nuancier de couleur ou un décor peint et complètement terminé d'un lieu particulier, ou d'un moment dans le film qui montre aux autres décorateurs comment peindre tous les décors du film.
Le "color script" est un guide de couleur pour le film dans sa globalité, montrant l'évolution de l'émotion au long de l'histoire. Par exemple, un contraste sombre peut indiquer la tristesse, alors qu'un contraste brillant peut donner l'idée de drame ou d'excitation. Il n'y a pas de règles pré établies, mais le ressenti doit être clair et compréhensible.
Un "location guide" est habituellement deux ou trois images d'un lieu en particulier, agrémenté de toutes les notes d'explication nécessaires. Un guide pour les artistes qui leur permet de savoir comment dessiner le lieu.


Et tout cela permet de fabriquer les décors du film. Mais comment cela se passe-t-il concrètement?
Maintenant, les décors sont créés de façon numérique. La plupart des artistes utilisent un programme appelé "Photoshop". Vu simplement, le dessin au crayon ou le layout est scanné, puis (tout en se référant aux couleurs clef pour ce lieu) le layout est peint en couleur sur des niveaux différents. Le décor terminé est alors inséré derrière l'animation.

Comment avez-vous imaginé l'environnement de Marina del Rey? Vouliez-vous des couleurs rappelant le monde d'Ursula, la méchante du dessin animé classique de la Petite sirène?
Le lieu où habite Ursula est revenu de façons différentes lors de la production, alors que l'histoire évoluait encore. Mais honnêtement, je n'ai pas vraiment regardé l'environnement d'Ursula. Une fois que nous avons eu le personnage de Miss Del Rey, son environnement a suivit tout naturellement.


Pour le Catfish Club, les couleurs ne sont pas aussi brillantes et chatoyantes que celle auxquelles on pourrait s'attendre a priori, avec des tons de bleu, gris et pourpre, alors qu'il s'agit d'un endroit très musical et branché. Pouvez-vous me dire pourquoi?
C'est purement à cause de raisons techniques. Il est bien plus facile d'utiliser différentes techniques d'éclairage sur un fond neutre que sur un fond brillant et très contrasté.

Peggy Holmes est chorégraphe. Est-ce que ça a influencé la façon dont vous avez conçu certains lieux?
Oui, bien entendu. A chaque fois que nous devions utiliser des chorégraphies dans le film, le lieu devait être travaillé très attentivement, pour convenir à l'action, à l'angle des caméras etc. Peggy a engagé de vrais danseurs pour ses chorégraphies. Ils ont étés filmés, et on les a utilisés comme point de départ pour nos designs.


Il y a eu énormément à faire pour retravailler ce film. Pouvez-vous me parler de cet aspect de la production?
Avant même que le film soit envoyé au delà des mers dans nos studios partenaires, il y avait eu déjà des changement d'histoire ici aux studios de Los Angeles. Ce n'est pas inhabituel. Cela signifie que beaucoup des matériels que nous recevions d'outre mer était déjà obsolètes, et que des ajustements devaient être faits. C'est aussi souvent le cas quand les artworks produits par les studios partenaires sont "plussés" ou développés part les studios de Los Angeles. C'est comme cela sur ce genre de production. La petit équipe de Los Angeles était une équipe d'effets spéciaux que nous avons utilisée sur la séquence de la piscine. Les studios outremer était bien trop débordés pour s'attaquer à de tels effets.

Qu'avez vous retenu de cette expérience particulière?
Il est difficile de ne pas paraître prétentieux, mais ce que j'en ai retenu, c'est le plaisir de travailler avec Peggy et toute l'équipe, y compris l'équipe outremer. Tout le monde a travaillé très dur, non seulement pour faire le film, mais pour ajouter toute la qualité possible à la production.


Pouvez-vous me parler de vos prochains projets?
Je travaille actuellement sur un projet en CG pour Warner Brothers, mais je suis désolé, je ne peux rien ajouter de plus pour le moment....

Traduction: Scrooge, avec nos remerciements!