samedi, septembre 13, 2008

LE LIVRE DE LA JUNGLE 2 EN EDITION EXCLUSIVE: Entretien avec le compositeur Joel McNeely

Les suites Disney sont loin d’être une nouveauté pour le réalisateur Steve Trenbirth puisqu’il fut, avant de diriger LE LIVRE DE LA JUNGLE 2, directeur de l’animation du RETOUR DE JAFAR, d’ALADDIN ET LE ROI DES VOLEURS, de DINGO ET MAX 2 : LES SPORTIFS DE L’EXTREME, du ROI LION II : L’HONNEUR DE LA TRIBU et de LA BELLE ET LE CLOCHARD II : L’APPEL DE LA RUE. Après le succès retentissant du premier opus en décembre 1968 en France (plus de 14 millions d’entrées !), il était naturel d’envisager une suite aux aventures de Mowgli. « Ces personnages sont si connus que l’envie de les retrouver était irrésistible, précise le producteur Christopher Chase. Plus nous y pensions, plus nous réalisions qu’il était logique que Mowgli se sente bien avec ceux de son espèce mais que les grandes influences de son enfance allaient forcément lui manquer. C’est de cette situation-là que nous sommes partis. » « Nous nous sommes efforcés de faire passer le sentiment que la jungle était toujours présente en lui, qu’il se sent étranger au milieu de ceux de son espèce, ajoute le réalisateur. Il a certains traits et attitudes découverts dans le film original qui sont vraiment ceux d’un animal de la jungle –cela se voit à sa façon de bouger, dans sa manière d’utiliser son environnement. Nous avons en quelque sorte pris cela comme assise pour souligner les problèmes qu’il a à s’intégrer. » LE LIVRE DE LA JUNGLE 2 répond aussi à une question qui demeurait sans réponse à la fin du premier opus : « qui est cette jolie fille ? comment la relation entre elle et Mowgli va évoluer ? Cette notion était l’une des bases de la genèse de la suite, et nous a offert un formidable personnage à développer. Shanti craint la jungle et les animaux qu’adore Mowgli, c’est une dynamique formidable pour leur relation. »

Car la conclusion du film de 1967 n’était pas tout à fait une « happy end » : l’ordre des choses était respecté avec le retour de Mowgli parmi ses semblables, mais il n’en demeurait pas moins une véritable rupture entre le monde des hommes et celui des animaux, la nature, rupture symbolisée précisément par Shanti. Il fallait donc que les deux mondes se rencontrent et s’acceptent, et c’est là tout l’objet de cette suite.

Entre rythme et émotion, le compositeur Joel McNeely, qui nous avait émerveillés et enthousiasmés dans PETER PAN 2 : RETOUR AU PAYS IMAGINAIRE, nous revient en très grande forme et nous révèle de nouvelles couleurs passionnantes de sa décidément très large palette.
Quel est le style musical du LIVRE DE LA JUNGLE 2 ?
Il s’agit d’une partition basée sur la musique indienne ainsi que sur la musique française de la fin du 19e siècle. Les créateurs du film et moi-même avons pensé qu’elle ne devrait pas se focaliser uniquement sur la musique indienne. C’est la raison pour laquelle je suis allé chercher certaines couleurs dans l’impressionnisme afin de peindre en musique les paysages exotiques de la jungle ainsi que pour souligner le voyage émotionnel de Mowgli.

Le jazz était également un passage obligé. Après avoir évoqué la musique d’Erich Wolfgang Korngold dans PETER PAN 2, ainsi que la culture hip hop dans DARK ANGEL, comment êtes-vous parvenu à manier aussi bien ce style ô combien spécifique ?
En fait, lorsque j’ai commencé mon parcours musical, je m’intéressais essentiellement au jazz et c’est en tant qu’interprète de jazz (saxophone) que j’ai eu mes premiers diplômes. C’est la première musique que j’ai aimée, et je la joue chaque fois que j’ai besoin d’un retour aux sources.

Que pensez-vous du film original et de sa musique?
LE LIVRE DE LA JUNGLE est un classique, à tout point de vue. Quant à sa musique, elle est tout simplement géniale. George Bruns a su créer tant de couleurs merveilleuses pour cette jungle. Je me souviens particulièrement de son emploi envoûtant des flûtes alto et basse pour le thème de Kaa et pour la jungle elle-même. C’est devenu un classique. Mon rôle a été de renouer avec cette même ambiance mystérieuse tout en faisant en sorte que cette musique prenne sa place dans un contexte légèrement plus contemporain.

Comment avez-vous organisé votre partition par rapport aux différents styles et aux différents personnages ?
Il y a tout d’abord la musique de Baloo, qui est essentiellement basée sur le jazz, et que j’ai employée dans le même contexte que dans le premier film. Ensuite, vient la jungle, pour laquelle j’ai composé un thème envoûtant en perpétuelle expansion. Il y a aussi le thème de la quête d’un foyer de Mowgli et enfin un thème amusant pour Mowgli et Rahjan. Toutes les chansons sont basées sur le jazz, mais, de mon côté, je n’ai fait qu’incorporer des éléments de jazz dans les scènes avec Baloo.

Quelle fut votre implication vis-à-vis des chansons ?
J’ai fait quelques variations sur Il En Faut Peu Pour Être Heureux, mais les chansons originales étaient pour ainsi dire achevées lorsque je suis arrivé sur le projet. La seule exception fut le thème que j’ai écrit pour Mowgli recherchant un foyer, pour lequel Matt Walker a demandé que des paroles soient écrites. Lorraine Feather a écrit de très belles paroles et mon thème est devenu Right Where I Belong, la chanson du générique de fin. Matt Walker est un exécutif unique en son genre dans la mesure où il se double d’un excellent musicien ; il se comporte à maints égards comme un collaborateur et un producteur de la partition. J’accorde une grande valeur à son jugement et nous faisons du bon travail ensemble.


Pour le film original, Walt Disney sembla quelque peu négliger le personnage de Shere Khan, qui est une sorte de méchant classique à l’anglaise, et a repoussé jusqu’au dernier moment son traitement pour mieux se focaliser sur les relations originales entre les autres personnages et Mowgli. Le résultat est tel que le tigre n’est jamais personnifié musicalement. De son côté, Steve Trenbirth a cherché, lui, une nouvelle approche à ce personnage. Il évolue d’abord dans l’ombre avant de passer progressivement à la lumière du jour. « Nous avons renforcé ses couleurs, l’avons nimbé de lumières rasantes qui le font ressortir sur le décor de la jungle, pour lui donner corps et le rendre plus impressionnant. » Ses traits sont également plus anguleux. Quelle fut votre interprétation de ce personnage ?
J’ai imaginé une sorte de passacaille dans un registre très grave, avec peu de mouvement, car ses dialogues sont toujours très distanciés et menaçants.

Cela donne lieu à du Mickey Mousing en jazz, au lieu de l’approche classique traditionnelle. Cela fut-il difficile ?
Oui, un peu. J’avais à réaliser quelques scènes de comédie avec big band et ce fut petit challenge du point de vue de l’orchestration.

Un film comme LE LIVRE DE LA JUNGLE 2 se devait de posséder un certain rythme. Quelle fut votre approche en la matière?
J’ai fait appel à des mesures composées sortant de l’ordinaire. Tout comme dans la musique indienne, le rythme est fluide et pas toujours symétrique. On peut ainsi avoir un groove qui sonne de façon très stable, très carrée, alors qu’il s’agit en fait d’une mesure à 11 ou 13 temps !

Avant de faire ce film, le réalisateur Steve Trenbirth a travaillé comme directeur de l’animation sur des films comme LE ROI LION II : L’HONNEUR DE LA TRIBU dans lequel le rythme avait déjà une importance cruciale. Dans quelle mesure le rythme du film, de sa mise en scène et de son animation vous a inspiré ?
Le film est très compact. Il y a en fait très peu de moments dans lesquels la musique peut se développer librement et prendre son temps de développer un thème. C’était très stimulant d’essayer de conserver une certaine continuité tandis que les besoins de la comédie étaient tels que je devais constamment passer d’une idée musicale à une autre à l’intérieur d’une même scène ! Pour cela, j’ai travaillé en étroite collaboration avec le réalisateur. J’ai fait une maquette de tout ce que j’avais écrit, qui nous a servi de point de départ pour nos discussions créatives.

L’orchestre du film original était plutôt réduit. Comment avez-vous envisagé la taille du vôtre ?
En fait, la majeure partie de ma musique a été exécutée par un orchestre de taille moyenne. Il n’était pas aussi petit que l’orchestre du film original, bien sûr, mais autour de 70 musiciens. Il y eu néanmoins des sessions avec 96 musiciens, mais la plupart étaient plus légères. Ces choix ont été uniquement motivés par l’ambiance du film. Un orchestre géant l’aurait écrasé. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit avant tout d’un film léger et amusant. Une petite taille semblait la seule solution convenable.

Pouvez-vous nous parler de votre orchestration ?
Cette partition fait une grande place au hautbois et j’ai eu la chance qu’elle soit jouée par le hautboïste de renommée mondiale Alan Vogel. D’autre part, j’ai fait appel à des loops ethniques et samplé des instruments extra-européens, notamment indiens.

Pour PETER PAN 2, vous aviez enregistré avec un fantastique orchestre britannique. A quel orchestre avez-vous fait appel pour la partition très différente du LIVRE DE LA JUNGLE 2 ?
Nous l’avons enregistrée à Los Angeles avec le meilleur orchestre de la ville. Ils ont joué magnifiquement, comme toujours. Quant aux sections de jazz, elles ont été réalisées par un big band. Dans ce cas, je me suis abstenu de diriger pour pouvoir jouer avec les musiciens de l’orchestre. Ce fut un immense plaisir !

Y a-t-il eu des moments d’improvisation, comme ce fut le cas pour le film original ?
Dans une certaine mesure, mais la majeure partie du matériel de jazz était écrite.

Qu’est-ce que ce projet vous a apporté en tant que compositeur et musicien?
J’adore travailler sur des film familiaux car j’ai deux jeunes enfants. C’est une joie de pouvoir les impliquer dans mon travail pour ensuite les entendre courir à travers la maison en chantant Il En Faut Peu Pour Être Heureux ! J’ai aussi apprécié me replonger dans le jazz ! Ce fut un plaisir de bout en bout. D’autant plus que mes collègues et collaborateurs sur ce projet sont tous des gens formidables !