LES AVENTURES DE WINNIE L'OURSON : Entretien avec le compositeur Buddy Baker (1918-2002)
J’ai étudié la musique à l’université, dans le Missouri. J’étais dans une école religieuse qui avait un magnifique département de musique. C’était dans les années trente. Après cela, fin des années trente, début des années quarante, j’ai travaillé pour un big band comme arrangeur. Je suis arrivé en Californie en 1948. Pour m’en sortir, j’écrivais pour plusieurs orchestres qui jouaient à Los Angeles. Enfin, mon premier travail sérieux fut pour la radio où j’ai travaillé pour plusieurs émissions. J’ai commencé chez Disney en 1954 et je continue à écrire de temps en temps des musiques pour eux.
Comment êtes-vous arrivé chez Disney ?
Ce fut un peu spécial. J’avais quelques élèves, et l’un d’eux était entré chez Disney comme auteur. Six mois après, il m’a appelé et m’a dit : « On a de plus en plus de travail ici. Pourriez-vous venir nous aider, ce serait l’affaire d’une quinzaine de jours. » J’ai dit « Bien sûr ! ». C’était l’époque de Davy Crockett et les débuts du Mickey Mouse Club. Je suis donc venu pour deux semaines et je suis resté vingt-neuf ans ! J’étais venu pour rendre service et à partir de là tout a suivi naturellement. Je suis devenu directeur musical du Mickey Mouse Club et j’ai travaillé avec tous les enfants du club pendant deux ans!
Comment avez-vous rencontré Walt Disney ?
Je l’ai rencontré dès mon troisième jour au studio, dans un ascenseur. Je suis monté dedans, suivi par Walt. Nous n’étions que tous les deux et je me suis présenté. Il a dit « Oui, je connais votre nom ! » Je l’appelais Monsieur Disney et il m’a dit : « Pourquoi ne m’appelez-vous pas Walt comme tout le monde ? ».
En quoi consistait votre travail sur le Mickey Mouse Club ?
Nous avions deux pianistes répétiteurs pour les enfants qui les faisaient travailler tous les jours. C’était une période folle car nous faisions cinq émissions par semaine. Je devais coordonner tout cela et diriger l’ensemble sur scène, l’orchestre comme les enfants qui chantaient et dansaient, dans la mesure où tout était en direct. Je faisais aussi les arrangements. La deuxième année, j’ai pu les convaincre d’enregistrer les chansons à l’avance, et c’est ainsi que l’on procédé pendant deux ans.
Comment étaient les Mouseketeers ?
C’était des enfants formidables. Ils devaient avoir entre douze et quinze ans. C’était un bon groupe d’enfants très gentils et extrêmement doués. J’ai pu trouver de grands talents pour cette émission car c’étaient de très bons chanteurs et de très bons danseurs.
Quel souvenir gardez-vous de Jimmy Dodd, le compositeur des chansons du Club et notamment de la célèbrissime Mickey Mouse March, ainsi que d’Annette Funicello ?
J’aimais beaucoup Jimmy Dodd. Il était vraiment fantastique. Je l’appelais « ten-beat » en référence au cinéma : « ten-frame-tempo » correspond à un temps pour dix images [environ 144 à la noire, JN], parce toutes ses chansons avaient ce même tempo. C’était quelqu’un de merveilleux, et sa femme Ruth et lui ont composé la totalité des chansons des Mouseketeers. Quant à Annette, c’était une très jolie jeune fille, et très gentille. Aujourd’hui elle est très malade, elle va très mal. C’est difficile à imaginer quand on repense à ces enfants cinquante ans en arrière.
Vous avez également travaillé sur les séries de l’émission Disneyland : The Swamp Fox, Texas John Slaughter, et bien sûr Zorro.
J’étais directeur musical de ces séries. J’ai également composé quelques musiques pour elles. Lorsque nous avions besoin d’une chanson, je faisais appel à un parolier et nous faisions la chanson. Mais mon travail principal à cette époque était de composer des musiques d’ambiance et des musiques dramatiques.
En 1960, vous passez de la télévision au cinéma avec Toby Tyler, or Ten Weeks with a Circus.
A cette époque d’intense activité chez Disney, cinéma et télévision étaient très proches. C’est ainsi que je suis passé directement du Mickey Mouse Club à Toby Tyler alors que je n’avais jamais écrit de musique pour un téléfilm. Parfois, je travaillais simultanément sur un téléfilm d’une heure ou deux, une mini-série, et sur un film pour le cinéma. Je pense qu’à cette époque, j’ai dû travailler sur cinquante-huit ou cinquante neuf films et cent-vingt-quatre téléfilms ! A cela s’ajoutait ma collaboration aux musiques du parc Disneyland. Durant les premières années du parc, George Bruns, qui était l’élève qui m’avait fait venir chez Disney, et moi-même, avons écrit la majeure partie des musiques du parc à ses tout débuts. George s’est arrêté quelques années plus tard, alors que j’ai continué à écrire pour Walt Disney World, et notamment pour Epcot. Pour en revenir à la musique de film, il faut dire qu’en fait nous étions cinq compositeurs, et nous écrivions pour toutes les productions du studio, que ce soit pour la télévision ou le cinéma. Il y avait Paul Smith, Ollie Wallace, Jo Dubin, George Bruns et moi. Quand un projet se présentait, on prenait le compositeur qui était disponible. Il arrivait que nous étions tellement occupés, tous les cinq, qu’un réalisateur ou qu’un producteur doive attendre que nous ayons du temps pour travailler sur son film ! Et c’est pourquoi nous travaillions pour la télévision et pour le cinéma en même temps.
De 1963 à 1968, vous avez énormément travaillé avec les frères Sherman. Pouvez-vous nous parler de votre collaboration ?
Je travaille toujours avec eux de temps en temps. Dick est en bonne forme tandis que Bob a eu quelques problèmes de santé, mais ils travaillent toujours. Je me rappelle, en 1963, de Summer Magic, le premier film pour lequel j’ai collaboré avec eux. Il y avait six ou sept chansons dans ce film sur lesquelles j’ai travaillé. Notre autre grande collaboration fut sur les films de Winnie l’Ourson. Mais il y a eu énormément d’autres films entre temps. Nous nous entendions extrêmement bien. Il est très important d’avoir cet esprit d’équipe que nous avions pour bien travailler. C’étaient deux jeunes gens très gentils et il était facile de travailler avec eux, nous nous comprenions très bien et nous ne nous sommes jamais disputés.
Comment travailliez-vous avec eux ? Quelle était la relation de votre musique avec leurs chansons ?
Je prenais une chanson des frères Sherman, et je savais où elle devait se situer dans le film. La première chose que je faisais était un arrangement de la partie vocale et nous enregistrions cette partie. A partir de là, et sachant comment cela devait fonctionner dans le film, je faisais un arrangement orchestral de cette chanson, et je composais ma propre musique en fonction du film afin de conduire l’auditeur doucement vers la chanson, puis de l’en faire sortir. Nous enregistrions l’orchestre pour les chansons comme si elles étaient issues de la partition, en s’enchaînant naturellement avec elles et en s’harmonisant avec l’interprétation vocale. Tout cela mis ensemble devait sonner d’un seul tenant. C’était notre façon de travailler. Les parties vocales étaient toujours enregistrées à l’avance. En ce qui concerne ma façon d’écrire, j’ai travaillé avec les frères Sherman comme avec tous les autres songwriters avec lesquels j’ai fait des films. Je pense que, pour le bien du film, j’utilisais au maximum les mélodies des chansons dans ma partition afin que chansons et partition fassent vraiment partie du film. Et je faisais en sorte que les chansons fassent partie de la partition.
Vous vous êtes très tôt intéressé à l’animation.
En effet. En fait, je me suis intéressé à l’animation dès-après le Mickey Mouse Club, pour un cartoon appelé The Camel, qui était un cartoon éducatif. J’ai fait la musique de deux ou trois autres cartoons avant de passer au film Tony Tyler, notamment Donald in Mathmagic Land en 1959 qui a été sacré à Cannes « Best featurette of the year ». C’est l’une de mes musiques préférées parmi toutes celles que j’ai faites pour Disney. C’était un film typique de Disney, mêlant éducation et divertissement. Après ce film, j’ai participé à quelques téléfilms et encore quelques cartoons dont Aquamania en 1961. C’est à cette époque que les frères Sherman sont arrivés au studio et nous avons commencé à travailler ensemble.
Pour vous, quelle est la spécificité de la musique de cartoon ?
La plupart des cartoons sont totalement mis en musique, certains sont conçus à partir d’une chanson, traitée de multiples façons, d’autres sont basés sur l’action. On compose vraiment à partir de ce que l’on voit. Le long-métrage d’animation est finalement très proche du film en prises de vue réelles, par opposition au cartoon, qui est plus une farce dans laquelle on peut beaucoup plus s’amuser et exagérer.
Comment en êtes-vous venu à Winnie l’Ourson ?
Ce sont les frères Sherman qui m’ont demandé de travailler sur le film avec eux parce que nous nous entendions bien et que j’avais beaucoup travaillé auparavant avec le réalisateur. Ils m’ont appelé au studio et ils m’ont dit : « Buddy, viens voir les films sur Winnie l’Ourson » et j’ai été conquis après ce coup de fil. C’est un très bon exemple de l’utilisation des thèmes des chansons dans une partition. C’est vraiment l’oeuvre des frères Sherman. Mon choix a consisté à choisir un arrangement et une instrumentation qui correspondent vraiment au film. Je n’ai composé ma propre musique que pour les scènes dans lesquelles il ne pouvait y avoir de chanson, comme par exemple l’orage de Winnie l’Ourson dans le vent. C’est un de mes films préférés. Quand j’ai commencé, il n’y avait qu’un film, Winnie l’Ourson et l’Arbre à Miel. C’est Walt qui a décidé d’en faire trois et de les rassembler en un seul long-métrage. C’est pour des raisons commerciales que le long-métrage n’a pas été produit immédiatement, mais en fait les trois films ont été envisagés en même temps.
Walt était-il impliqué dans la création musicale ?
J’ai adoré travailler avec Walt parce qu’il avait un goût très sûr en matière de musique. Il savait exactement ce qui fonctionnerait, mais il ne m’a jamais imposé ce que je devais écrire, il donnait simplement des suggestions, son sentiment sur le film. Je me revois assis avec lui à regarder un film. Il se retournait et me disait : « Et si on mettait quelque chose de symphonique ici ? ». Il savait exactement quel type de musique convenait. Il concevait Winnie l’Ourson dans la tradition des classiques comme Blanche-Neige, des films pour enfants mais qui plaisaient également aux adultes.
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