BAMBI 2 en DVD - Interview du compositeur Bruce Broughton
Comment s’est passée votre collaboration avec Brian Pimental?
Nous nous sommes très bien entendus. Brian est quelqu’un de très talentueux et bien que ce fut son premier long-métrage en tant que réalisateur, il a produit un film du plus haut niveau, avec un regard très sensible sur le BAMBI original. Il avait des idées très précises sur ce qu’il voulait musicalement et dramatiquement. Il voulait que la musique sonne comme celle du premier film. Son ambition était qu’on puisse passer d’un film à l’autre sans ressentir de différence de style, tant musical que visuel. Et comme il connaissait BAMBI sur le bout des doigts, il a été très spécifique tout au long du processus compositionnel. De fait, le style musical de BAMBI II est essentiellement basé sur le style de l’original. C’est une musique très fluide du point de vue harmonique, avec toutes sortes de petits thèmes et de petites mélodies dans la droite ligne de Frank Churchill.
Cela fut-il plus difficile d’aborder une « midquel », une suite qui prend place, en fait, au milieu de l’histoire originale ?
Il s’agit en effet d’une véritable «midquel », dans la mesure où le film commence après la mort de la mère de Bambi. On pourrait envisager de commencer à visionner le premier opus, puis de s’arrêter à ce passage pour passer au 2, et enfin, à la fin de BAMBI 2, de revenir au 1. Cette particularité ne m’a posé aucun problème. Les personnages et l’histoire sont tellement en phase avec le film original. Et les voix sont très proches. En fait, j’irais même jusqu’à dire que l’histoire de BAMBI 2 est meilleure que celle de l’original !
Faites-vous partie des millions de fans de BAMBI ?
Je l’ai découvert aux environs de 1948. Au moment de la mort de la mère de Bambi, j’ai fait partie de ceux qui ont été littéralement bouleversés. J’étais en état de choc : imaginez que j’avais trois ans et que je regardais le film avec ma propre mère juste à côté de moi. Il semble malgré tout que j’ai pu dépasser ce traumatisme suffisamment vite pour pouvoir me passer en boucle le 78 tours raconté par Shirley Temple sur mon petit tourne-disque. C’est ainsi que j’ai su tous les dialogues par cœur de telle sorte que, quand j’ai revu le film adulte, peu de temps avant que je fasse la musique de BERNARD ET BIANCA AU PAYS DES KANGOUROUS, je m’en souvenais encore. En particulier quand Pan Pan dit : « Si tu n’es pas capable de dire un mot gentil, tu ne dis rien du tout ! » Ces mots sont gravés dans ma mémoire depuis que je suis tout petit. Je n’ai pas autant aimé le film que, par exemple PINOCCHIO, mais il revêt toutefois une grande importance dans mon expérience cinématographique.
Comment se sont passés le choix et l’intégration des thèmes de 1942 dans BAMBI 2 ?
Brian a été très précis sur le matériel du premier film qu’il voulait réutiliser. BAMBI 2 a bénéficié d’une partition temporaire des plus fouillées, principalement tirée de l’original, et par moments, Brian disait : « Je veux ça ici ! » Cela n’a posé aucun problème pour moi. Les thèmes de Frank Churchill sont tellement bons et tellement forts, et de plus, étant issus de BAMBI, jamais il n’a paru déplacé d’en citer dans le nouveau film. Ceci dit, à l’exception de Love Is A Song, à laquelle il est fait référence quelque chose comme trois fois dans ma partition, et deux autres thèmes mineurs (un pour Fleur –qui, en fait, n’était pas le sien dans l’original-) et un chanté par le groundhog –dont Brian fait la voix-, tous les thèmes dramatiques sont originaux. C’est le cas de ceux de Pan Pan, Bambi et Ronno, qui sont les plus présents dans la partition.
Comment avez-vous employé le style musical de 1942 dans votre musique ?
Il est le plus évident dans les scènes avec Pan Pan, et plus généralement dans la plupart des scènes non-dramatiques, c’est-à-dire les scènes qui n’impliquent par le Grand Prince.
Quels sont les éléments de ce style qui vous ont le plus inspiré ?
A vrai dire, tous : que ce soit les lignes mélodiques, l’harmonie ou l’orchestration. La partition originale a été élaborée par trois ou quatre artistes remarquablement formés. De fait, cette musique est souvent très sophistiquée. Mais il faut bien dire que une grande partie de la musique de film de cette époque était écrite par des gens d’un très haut niveau musical. De mon côté, j’ai fait appel à une orchestration à l’ancienne particulièrement dans les scènes où l’on retrouve des personnages de l’original –Pan Pan et ses sœurs, par exemple. La musique de 1942, et en particulier celle de Frank Churchill, était très claire du point de vue harmonique, arrangée de façon verticale, par accords. Des instruments comme la clarinette basse étaient beaucoup plus utilisés qu’aujourd’hui. D’un point de vue général, l’orchestration de BAMBI était déterminée par le type d’orchestre auquel on avait l’habitude de faire appel à l’époque : une version améliorée du « pit band ». En travaillant sur l’orchestration de BAMBI 2, j’ai toujours eu à l’esprit que l’orchestre de Walt Disney était beaucoup plus restreint que celui auquel j’ai fait appel, et que la façon de jouer et d’enregistrer à l’époque est très différente de ce qui nous paraît naturel aujourd’hui. De ce fait, j’ai dû procéder à pas mal d’ajustements, notamment lors des sessions d’enregistrement.
Que représente pour vous, compositeur d’aujourd’hui, le style de cette époque ?
A première vue, les mélodies de Frank Churchill, qui sont essentiellement dans le style de 1942, semblent très simples, harmoniquement et mélodiquement. Ceci dit, une fois qu’on les a entendues, on ne peut les oublier. Souveniez-vous que c’est la même personne qui a composé Qui A Peur Du Grand Méchant Loup ? et Un Jour Mon Prince Viendra. Ces mélodies sont inoubliables ! En tant que compositeur d’aujourd’hui, j’adore revenir à ces styles anciens et essayer de les reproduire. J’ai fait la même chose sur ELOISE AT CHRISTMASTIME, de Kevin Lima, pour lequel j’ai écrit la majeure partie de la musique dans le style de Piotr Illitch Tchaïkovski.
Ce fut une occasion formidable de pouvoir se lancer dans une grande partition symphonique !
Je n’ai absolument rien contre les partitions électroniques, mais pour BAMBI 2, nous avions besoin de l’émotion de musiciens acoustiques pour faire en sorte que le film soit un prolongement authentique de l’histoire originale. Je songe à un exemple qui pourra vous paraître un peu prétentieux, mais qui, en fait, fut une réelle surprise. Mon épouse, Belinda, est mon premier violon, concertmaster. Elle possède une magnifique sonorité, ample et expressive. Lors du premier jour d’enregistrement, Matt Walker, vice-président de la musique pour Disney Toon Studios, m’a demandé si nous pouvions jouer un extrait pour le patron du studio. J’ai trouvé un morceau qui se terminait par un petit solo de violon, pas plus de 8 ou 9 notes d’affilée. Quand nous en sommes arrivés à ce solo, ce fut tellement fort émotionnellement parlant que deux personnes dans la cabine se sont mises à fondre en larmes. Essayez simplement d’en fait autant avec un synthétiseur…
Les émotions sont à la fois très pures et très fortes dans BAMBI 2 ?
Dans la mesure où cette partition est essentiellement basée sur une approche à l’ancienne, je me suis focalisé sur des éléments traditionnels comme la mélodie ou l’harmonie, pour exprimer les émotions du film. J’ai donc essayé de former mes thèmes et mes phrasés dans l’esprit de la musique romantique des années 40. J’ai fait appel ici et là à d’anciennes techniques comme le portamento aux cordes (qui fait l’objet de beaucoup de résistance parmi les musiciens actuels) pour donner du sentiment, et j’ai essayé autant que possible de prendre mes distances du click-track afin de pouvoir apporter naturel et liberté aux mélodies quand c’est nécessaire. En général, il n’y a pas beaucoup de différences entre l’émotion d’un film en prises de vue réelles et celle d’un film d’animation s’il est bien fait. C’est la même intensité. Et à l’évidence, BAMBI 2 est vraiment très bien fait !
Comment avez-vous abordés les sentiments de Bambi après le décès tragique de sa mère ?
Le film s’ouvre juste après ce décès : une ouverture plutôt sombre. Le film commence donc sur Love Is A Song tant pour signifier cet amour qui ne s’arrête pas que la continuité avec le premier film.
Les relations entre Bambi et son père, le Grand Prince de la Forêt sont au cœur du nouveau film.
Dès les premiers instants où j’ai découvert BAMBI 2, j’ai su que c’était la partie la plus forte de l’histoire. C’est en effet un très beau film sur les relations père/fils. Bambi recherche l’attention de son père ainsi que son approbation ; quant à son père, il essaie de trouver l’équilibre entre son statut de « Grand Prince » et les difficultés d’élever seul un jeune prince. A mesure que Bambi prend confiance en lui, son père change d’attitude envers lui. Musicalement, j’ai donc conçu un thème unissant Bambi et le Grand Prince et qu’on retrouve tout au long du film. Il est d’une grande noblesse et souvent émouvant. Je l’ai utilisé de façons très différentes pour suivre chaque évolution dans leur relation.
Qu’en est-il pour Ronno, le rival de Bambi ?
Ronno a son propre thème, un motif sinueux qui s’insinue dans le reste de la musique, comme Ronno se comporte avec les autres personnages.
Et pour Féline?
Pour l’amour de Bambi, j’ai renoué avec le style des années 40 en écrivant quelque chose de très lyrique et de très expressif, emprunt d’une douce naïveté et du sentiment d’insécurité propre à deux jeunes amoureux….
A l’inverse, si certaines scènes sont traitées de façon traditionnelle, les scènes d’action de BAMBI 2 sont traitées de façon beaucoup plus moderne, plus actuelle.
Parmi les choses qui m’ont intéressé dans la musique originale de BAMBI, c’est que la musique d’action a été écrite de façon très moderne pour l’époque. Frank Churchill a écrit des thèmes adorables, mais la musique d’action a été composée par d’autres. Je me suis donc inspiré de cette approche et je me suis permis de faire de même. Ainsi, il y a plusieurs moments au cours desquels Bambi est en grand danger, notamment lorsqu’il est poursuivi par les chiens de chasse. Il y a une scène très efficace dans laquelle il se retrouve dans une clairière entouré d’herbes hautes, avec les chiens tout près de lui. Là, la musique ne sonne pas très « BAMBI » ; elle est bien plus proche de ce qu’on peut faire aujourd’hui. Ceci dit, j’ai toujours eu à l’esprit que cette partition devait sonner autant que possible comme si elle avait été écrite dans les années 40. Ce qui fait que le sentiment « actuel » est un peu tempéré par cette contrainte.
Comment les nouvelles chansons de BAMBI 2 s’intègrent-elle dans cet univers musical ?
Stylistiquement parlant, ces nouvelles chansons, choisies avant que j’arrive sur le film, n’ont pas grand’chose à voir avec le reste de la partition. C’est mon ami Bill Elliott qui s’est chargé de leur arrangement. De mon côté, j’ai essayé d’être le plus harmonieux possible dans ma manière de les introduire et de faire le lien avant et après avec la partition orchestrale. Mais ce fut très difficile compte tenu que même les unes par rapport aux autres, les chansons sont très dissemblables. Plus largement, je n’y ai fait référence, instrumentalement, que deux fois. La première, quand Bambi est momentanément « abandonné » à une autre biche pour être élevé par elle, et la seconde à la toute fin du film, comme une longue transition et une introduction à la reprise finale de There Is Life.
Dans ces conditions, difficile de concilier les chansons de 1942 avec celles de 2006…
Les chansons de 1942 n’étaient pas aussi bien développées que celles du nouveau film. Mais elles faisaient bien plus partie intégrante du film dans la mesure où elles ont été composées par le même Frank Churchill qui a composé la première partition. Cette dernière a été amendée plus tard, avec l’arrivée d’Edward Plumb, après que Walt Disney a considéré qu’elle n’était pas assez dramatique. Mais les thèmes de Frank Churchill n’ont jamais été retouchés. Les chansons de 2006 s’apparentent davantage à un outil actuel de marketing, dans la lignée de ce que l’on trouve aujourd’hui dans la plupart des longs métrages d’aujourd’hui.
Pouvez-vous nous parler des thèmes que vous avez créés pour BAMBI 2 ?
Comme je l’ai dit tout à l’heure, certains thèmes ont été repris du film de 1942, mais pour l’essentiel, à l’exception de celui de Fleur, la majeure partie des thèmes instrumentaux du film sont originaux. Celui que nous avons utilisé pour Fleur ne lui était, en fait, pas destiné à l’origine. Il s’appelait le Walking Theme dans le film de 1942, mais c’est vraiment un thème de Churchill, et il fonctionne vraiment très bien dans le nouveau film. En ce qui concerne les nouveaux thèmes, je dirais que, par moments, BAMBI 2 présentait des éléments dramatiques inédits et spécifiques qui demandaient un matériel nouveau. Par exemple, il y a The Brave March, une scène qui devait avoir pendant un moment une chanson originale que j’avais composée que l’on devrait retrouver dans l’album, mais plus dans le film. Ce thème est utilisé tout au long du film à chaque fois que Bambi essaie d’être brave. C’est ainsi devenu un ressort dramatique essentiel du film.
On retrouve un chœur dans votre partition, tout comme dans le premier BAMBI.
En effet, à ceci près que le choeur auquel j’ai fait appel pour ce film n’a rien à voir avec le “choeur grec” du BAMBI original. On le trouve lors de la première occurrence de Love Is A Song, qui est en fait la chanson d’ouverture du premier film. Je l’ai utilisé au tout début du film, juste avant que nous voyions Bambi et son père, puis de nouveau plus tard, quand la chanson est reprise dans la séquence du rêve. Enfin, le choeur apparaît pour la dernière fois vers la fin du film, au moment où l’on pense que Bambi est peut-être mort. Je dois dire que, de ce point de vue, je suis assez déçu du mixage final car le choeur y est très en retrait. Il faut parfois vraiment tendre l’oreille pour le remarquer. C’est dommage
Côté orchestration, le pianiste Mike Lang était présent lors des sessions. Comment avez-vous abordé son instrument ?
La partition originale, comme bon nombre de partitions de cette époque, faisait systématiquement appel à un piano. Dans BAMBI 2, il fonctionne exactement de la même façon que dans le film original, essentiellement en tant qu’instrument dramatique et non pas comme soliste.
Qu’en est-il du violon solo que vous évoquiez tout à l’heure, magnifiquement joué par votre épouse, Belinda ?
Le violon solo est toujours très utile de par sa puissance émotionnelle. Ceci dit, je ne l’ai pas employé tant que cela. Mais le résultat est que, lorsqu’il apparaît, il fait d’autant plus d’effet !
Comment se sont passées les séances d’enregistrement ?
Nous avons enregistré pendant quatre jours et demi à la Newman stage de la Twentieth Century Fox. C’est Armin Steiner qui a mixé, ce qui montre bien que ce projet était du plus haut niveau du début à la fin. La majeure partie de la partition a été enregistrée avec un orchestre de 60 à 76 musiciens, réduit à 45 pendant une demi-journée. Nous avions également un chœur. Tout s’est passé exactement comme pour un grand film de cinéma.
On reconnaît dans cette qualité la marque de Matt Walker, le directeur musical de Disney Toon Studios.
Je n’ai que des choses formidables à dire sur Matt. C’est le seul exécutif musique que je connaisse à Hollywood qui soit réellement compétent sur le plan musical et dramatique. Il possède une solide formation qui lui permet de lire une partition, de la produire et de faire des remarques intelligentes et constructives sur sa relation à l’histoire ainsi que sur l’interprétation elle-même. En tant que manager, il dirige un département très efficace : les gens qui travaillent pour lui sont très compétents et fonctionnent à un très haut niveau créatif et technique. Et pour couronner le tout, c’est quelqu’un d’extrêmement gentil. C’est vraiment le meilleur.
D’un point de vue personnel, avez-vous été touché par BAMBI 2 ?
J’ai été profondément ému par cette relation père/fils. Tous les gens que je connais et qui l’ont vu –et tout particulièrement les papas- ont été très touchés par lui.
Le film a les honneurs du Bluray, un événement pour une suite Disney!
Je me suis laissé dire par des connaisseurs des productions de Disney Toon Studios que c’est certainement leur meilleur film. C’est remarquablement bien fait, magnifique à regarder et les interprétations sont fantastiques. Le film fonctionne très bien, avec plusieurs niveaux de lecture. Il a été très bien mis en scène et très bien produit.
0 Comments:
Enregistrer un commentaire
<< Home